Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/02/2023

Lénine, Staline et Douguine sur l’internationalisme

 

russian_nationalists.jpg

 

Qu’est-ce qu’un eurasiste, et plus généralement un citoyen digne de ce nom, pourrait trouver d’intéressant dans l’excavation des convictions de maîtres à penser d’une idéologie moribonde comme le marxisme-léninisme, qui pourtant eut une si grande importance dans l’histoire des idées ?

 

Pour nous, la question a déjà sa réponse : oui, un citoyen éveillé de 2023 peut tout à fait trouver une source d’inspiration dans le léninisme. De façon indirecte, en tout cas.

 

Ce que nous nous proposons de faire ici est l’esquisse d’une piste de réflexion qu’en à l’avenir de l’eurasisme, via l’angle de sa relation avec le marxisme-léninisme.

 

Lénine, via son ouvrage « Que faire ? », publié en 1902, avait déjà grandement influencé la doctrine des marxistes-léninistes, mais aussi bien au-delà des partis se réclamant du communisme, et jusqu’aux NR français et européens. L’intérêt NR pour le léninisme était d’abord et avant tout sa dimension subversive, dans l’organisation de la prise du pouvoir. L’imprégnation idéologique réelle était demeurée minime, voire nulle. Les eurasistes d’aujourd’hui doivent-ils se considérer comme les héritiers de cette posture quant à la question de l’internationalisme ? C’est très possible.

 

Lénine, dans le « Bilan de la discussion sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes » de 1916 affirmait que sa conception de la Nation était sans ambigüités, et que la démarche qui en découlait avait elle-même un « but unique », qui était « le rapprochement le plus étroit et la fusion de toutes les nations ». Lénine précise que le moyen de créer cette fusion est une « union libre » des nations, et considérait encore qu’un pays pouvait être favorable à « l’indépendance politique de sa nation », sans renier ses « obligations d’internationaliste ». Ce pays ne devait simplement ne jamais se confiner dans la « mesquine étroitesse nationale » et considérer la supériorité de l’intérêt général sur l’intérêt particulier dans l’expansion mondiale du socialisme marxiste.

 

Staline, dans ses « Principes du léninisme » de 1924 va conforter cette thèse : en effet, il déclarait que « le communisme sait que l’union des peuples dans une économie mondiale unique n’est possible que sur les bases d’une confiance mutuelle et d’un accord librement consenti », et il refuse le « chauvinisme métropolitain » de certains socialistes occidentaux de son époque, autrement dit la compromission de la gauche radicale avec les intérêts du Grand Capital, et notamment le soutien des partis se revendiquant socialistes à l’effort de guerre de leurs patries respectifs pendant la Grande Guerre.

 

Le Vojd proposait aussi un œil original sur les conflits de son époque entre puissances coloniales et luttes d’émancipation nationale : à ses yeux la constitution monarchique de certaines nations n’est pas nécessairement un obstacle à la « sape de l’impérialisme » comme le démontrait la révolte de l’émir afghan contre le Royaume-Uni dans les années 1920. De même, certaines luttes démocratiques pouvaient se montrer « réactionnaires » car leur but et leur effet était de « conforter l’impérialisme ». C’était l’exemple des sociaux-démocrates allemands comme Noske qui en 1919 ont fait tirer sur les prolétaires.

 

Le but de l’eurasisme quant à lui n’est pas l’opposition fondamentale des nations entre elles, puisque la légitimité absolue des Etats-Nations est niée, mais plutôt la reconnaissance d’autonomies civilisationnelles diverses et le droit de celles-ci à connaître un développement séparé, autonome, des unes par rapport des autres. Dans sa « Quatrième théorie politique », Douguine accepte tout à fait l’idée de fusion entre entités civilisationnelles, si celles-ci sont compatibles et si elles le désirent. Douguine est fondamentalement anticapitaliste (certes pas au sens de Marx, et donc de Lénine, car Marx voulait organiser la lutte contre un capitalisme né « il y a cinq mille ans », alors que le fondateur du néo-eurasisme désire plutôt la reprise en main du pouvoir économique par le pouvoir politique), et est opposé à une certaine conception universaliste des droits de l’Homme, que Marx considère comme une perversion bourgeoise.

 

L’idée d’une « économie mondiale » n’est pas non plus rejetée dans son principe par Douguine, qui souhaite d’abord et avant tout une émancipation mondiale d’un libéralisme global économique comme culturel. La différence est que Lénine envisage cette économie mondiale comme une interdépendance généralisée, ce qui n’est pas le cas de Douguine.

 

De Staline et de Lénine on peut donc retenir qu’internationalisme et nationalisme (au sens littéral) ne sont pas incompatibles tant que le nationalisme suit une voie socialiste marxiste et se construit par rapport au but ultime de l’internationalisme, ou de « fusion des nations ». Si ce but n’est pas consubstantiel à l’eurasisme, la différence avec l’eurasisme sera la foi qui n’est pas partagée avec les marxistes quant à la dictature du prolétariat, la disparition totale de la propriété ou encore la disparition de l’État. Mais à y bien regarder, l’étape final du marxisme est plus qu’hypothétique, et n’interdit en rien, pour un eurasiste, de considérer la nécessité d’un socialisme (du XXIe siècle) couplé avec une conception internationaliste qui pourrait être une fusion étatique, non culturelle, non civilisationnelle, des anciens Etats. Avec à terme, un Etat mondial, un Etat eurasiste planétaire, si l’on veut.

 

Jean Thiriart et Ernst Niekisch, inspirateurs d’Alexandre Douguine, avaient en leur temps envisagé un État mondial, qui serait l’étape succédant à celle de la « Grande Europe » pour le premier, et la suite d’une fusion germano-soviétique pour le second. Lénine et Staline avaient envisagé l’édification du socialisme mondial à partir de la Russie, et on peut se souvenir de la volonté de Niekisch de réaliser l’alliance entre URSS et Allemagne dans l’objectif de combattre « l’Occident libéral ».

 

Finalement, on peut donc considérer qu’à la pensée strictement douguinienne, pourrait s’ajouter l’édification mondiale d’un État planétaire « socialiste », qui nous semble nécessaire pour éradiquer le libéralisme globaliste, et qui serait parfaitement compatible et même complémentaire avec la conception traditionnelle de la société, reposant sur la Famille, la Foi, et un certain sens de la Hiérarchie.

 

Pour finir, nous suggérons de conserver deux principes formulés dans le marxisme-léninisme : Celui d’envisager comme but lointain mais ultime une fusion de tous les États, (et non des cultures et des civilisations), et celui de parvenir à construire une conception de la justice sociale qui soit applicable dans le monde entier. Et tout cela, en vue de construire un avenir débarrassé du virus libéral. Cela nous semble la condition sine qua non de la naissance de l’Eurasie de demain, comme de la garantie de sa survie.

 

Vincent de Téma

L'Empire chrétien comme puissance qui retient : kat-echon (Carl Smith)

Carl Smith, Le nomos de la Terre, I Cinq corollaires introductifs, 3. Indications sur le Droit des Gens du Moyen Age Chrétien, b) L'Empire chrétien comme puissance qui retient (kat-echon), pp. 63-66, PUF

 

51cv9raC09L.jpg

 

L'unité de cette Respublica Christiana trouvait dans l'empire et le sacerdoce ses hiérarchies adéquates, et dans le pape et l'empereur ses supports visibles. Le rattachement à Rome impliquait la continuation de la localisations antiques reprises par la foi chrétienne. L'histoire du Moyen Age est par conséquent l'histoire d'une lutte pour Rome, et non celle d'une lutte contre Rome. La constitution militaire du voyage romain est la constitution de la royauté allemande. C'est dans l'orientation concrète sur Rome, non dans les normes et des idées générales, que réside la continuité qui relie le droit des gens médiéval à l'Empire romain. Pour cet Empire chrétien, il était essentiel qu'il ne fût pas un Empire éternel, mais qu'il gardât à l'esprit sa propre fin et la fin de l'ère actuelle, tout en étant capable d'une puissance historique. Le concept décisif qui fonde historiquement sa continuité est celui de la puissance qui retient, du kat-echon. Empire signifie ici la puissance historique qui peut retenir l'apparition de l'Antéchrist et la fin de l'ère actuelle, une force qui tenet, selon les mots de l'apôtre Paul dans sa deuxième Épître aux Thessaloniciens, chapitre 2. Cette conception de l'Empire est attestée par de nombreuses citations des Pères de l’Église, des textes de moines germains de l'époque franque et ottonienne – surtout le commentaire de la deuxième Épître aux Thessaloniciens par Haimo de Halberstadt, et la lettre d'Adson à la reine Gerberg – des propos d'Otto de Freising et d'autres documents jusqu'à la fin du Moyen Age. On peut même y voir le signe distinctif d'une période de l'histoire. L'Empire du Moyen Age chrétien dure tant que vit l'idée du kat-echon.

 

Je ne crois pas qu'une autre représentation de l'histoire que celle du kat-echon soit même possible pour une fois chrétienne originaire. La foi en une force qui retient la fin du monde jette le seul pont ui mène de la paralysie eschatologique de tout devenir humain jusqu'à une puissance historique aussi imposante que celle de l'Empire chrétien des rois germaniques. L'autorité des Pères de l’Église et d'auteurs comme Tertullien, Jérôme et Lactance, et la continuation chrétien de prophéties sibyllines se conjuguent pour affirmer que seul l'Imperium Romanum et sa prolongation chrétienne expliquent la persistance de cet âge du monde, et le protègent contre la puissance écrasante du Mal. Cette vision s'inscrivait, chez les moines germains, dans une lumineuse foi chrétienne, de la plus forte intensité historique ; et qui ne peut faire la distinction entre, d'une part, les textes d'Haimo de Halberstadt ou d'Adson, et d'autres part les troubles oracles du Pseudo-Méthode ou de la Sibylle tiburtine, ne saisira l'Empire du Moyen Age chrétien qu'à travers des généralisations déformantes et des parallèles avec des phénomènes de puissance non chrétiens, plutôt que dans son histoire concrète.

 

Les constructions politiques ou juridiques relatives à la continuation de l'Imperium Romanum ne sont pas l'essentiel, comparées à la doctrine du kat-echon ; elles représentent déjà un déclin et une dégénérescence, passant de la piété au mythe érudit. Elles peuvent être très différentes : translations, successions, consécrations ou rénovations de toutes sortes. Pourtant, elles aussi ont pour sens de préserver spirituellement l'antique unité entre ordre et localisation, face à la destruction de la piété ancienne par la divinisation hellénistique et orientale des dirigeants politiques et militaires durant l'Antiquité tardive. Du point de vue organisationnel, elles durent s'adapter pendant le Haut Moyen Age à un régime foncier lié à la féodalité terrienne et aux liens personnels d'une vassalité féodale, tandis qu'à partir du XIIIe siècle elles cherchèrent à affirmer une unité en voie de décomposition face à un pluralisme de pays, de couronnes, de maisons princières et de villes autonomes.

 

L'unité médiévale entre impérium et sacerdotium, en Europe occidentale et centrale, n'a jamais été une accumulation centralisatrice de pouvoir dans la main d'un seul homme. Elle reposait dés l'origine sur la distinction entre le potestas et auctoritas, conçues comme deux hiérarchies différentes au sein de la même unité globale. Les oppositions entre empereur et pape ne sont donc pas des antagonismes absolus, mais seulement diversi ordines dans lesquels vit l'ordre de la Respublica Christiana. Le problème concomitant du rapport entre Église et Empire est fondamentalement diffèrent du problème plus tardif du problème entre Église et État. Car par État il faut entendre essentiellement le dépassement de la guerre civil religieuse, devenu possible seulement à partir du XVIe siècle, et ce par une neutralisation. Au Moyen Age, les situations historiques et politiques changeantes impliquent automatiquement que l'empereur revendique lui aussi l'auctoritas, et le pape la potestas. Mais les malheurs ne commencèrent qu'au moment où – à partir du XIIIe siècle – on utilisa la doctrine aristotélicienne de la societas perfecta pour scinder l’Église et le monde en deux genres de societates perfectae. Un vrai historien, John Neville Figgis, a su reconnaître et exposer cet antagonisme décisif. La lutte médiévale entre pape et empereur n'est pas une lutte entre deux societates, peu importe que l'on rende societas par société ou par communauté ; ce n'est pas non plus un conflit entre Église et État à la manière du Kulturkampf bismarckien ou de la laïcisation française de l’État ; enfin ce n'est pas davantage une guerre civile comme celle entre Rouges et Blancs au sens d'une lutte des classes socialiste. Toutes les analogies tirées du domaine de l’État moderne sont ici inconscients des idées unificatrices associées avec l'idée d'unité depuis la Renaissance, la Réforme et la Contre-Réforme. Qu'un empereur ait fait déposer ou élire un pape à Rome, ou qu'un pape à Rome ait délié de leur serment de fidélité les vassaux d'en empereur ou d'un roi n'a jamais remis en question pour un seul instant l'unité de la Respublica Christiana.

 

Que non seulement les rois allemands mais aussi d'autres rois chrétiens aient pris le titre d'imperator et nommé leurs royaumes des empires, qu'ils aient reçu du pape des mandats de mission et de croisade, c'est-à-dire des titres juridiques pour l'acquisition de territoires, n'a pas fait disparaître l'unité de la Respublica Christiana fondée sur des localisations et des ordres assurés, mais n'a fait que la confirmer. Pour la conception chrétienne de l'Imperium, il me semble important qu'aux yeux du Moyen Age chrétien la fonction de l'empereur n'ait pas représenté en soi une position de puissance absolue absorbant ou consommant toutes les autres fonctions. Elle fait œuvre de kat-echon, avec des devoirs et des missions déterminés, et s'ajoute à une royauté concrète ou à une couronne, c'est-à-dire à la domination sur un pays chrétien déterminé et son peuple. Elle est l'élévation d'une couronne, non pas verticalement en ligne droite, telle une royauté sur des rois, une couronne des couronnes, non par l'extension d'un pouvoir royal ou même, comme plus tard, un élément d'un pouvoir dynastique, mais une mission qui émane d'une sphère toute différente de celle de la dignité royale. L'Imperium est ici un élément superposé à des formations autochtones, tout comme – dans le même contexte culturel générale – une langue cultuelle sacrée vient d'une autre sphère se superposer aux langues vernaculaires. L'empereur peut donc aussi déposer sa couronne en toute humilité et modestie après l'accomplissement d'une croisade, sans compromettre pour autant son honneur – comme le montre le Ludus de Antichristo dans le fil de la tradition entièrement dominée par Adson. Il quitte alors sa place surélevée d'empereur pour retrouver sa place naturelle, et n'est plus désormais que le roi de son pays.

06/02/2023

Nerval et la Tradition primordiale : le culte d'Isis (Deuxième partie)

Gérard de Nerval, Les Filles du feu ; Les Chimères, Isis, II., pp. 240-254, Folio Classique

 

496px-Pompeii_-_Temple_of_Isis_1_-_MAN.jpg

 

II.

 

Cela se faisait dans l'après-midi, au moment de la fermeture solennelle du temple, vers quatre heures, selon la division moderne du temps, ou, selon la division antique, après la huitième heure du jour. – C'était ce que l'on pourrait proprement appeler le petit coucher de la déesse. De tous temps, les dieux durent se conformer aux us et coutumes des hommes. – Sur son Olympe, le Zeus d'Homère mène l'existence patriarcale, avec ses femmes, ses fils et ses filles, et vit absolument comme Priam et Arsinoüs aux pays troyen et phéacien. Il fallut également que les deux grandes divinités du Nil, Isis et Sérapis, du moment qu'elles s'établirent à Rome et sur les rivages d'Italie, s’accommodassent à la manière de vivre des Romains. – Même du temps des derniers empereurs, on se levait de bon matin à Rome, et, vers la première ou la deuxième heure du jour, tout était en mouvement sur les places, dans les cours de justice et sur les marchés. – Mais ensuite, vers la huitième heure de la journée ou la quatrième de l'après-midi, toute activité avait cessé. Plus tard Isis était encore glorifiée dans un office solennel du soir.

 

Les autres parties de la liturgie étaient la plupart de celles qui s'exécutaient aux matines, avec cette différence toutefois que les litanies et les hymnes étaient entonnés et chantés, au bruit des sistres, des flûtes et des trompettes, par un psalmiste ou préchantre qui, dans l'ordre des prêtres, remplissait les fonctions d'hymnode. – Au moment le plus solennel, le grand prêtre, debout sur le dernier degré, devant le tabernacle, accosté à droite et à gauche de deux diacres ou pastophores, élevait le principal élément du culte, le symbole du Nil fertilisateur, l'eau bénite, et la présentait à la fervente adoration des fidèles. La cérémonie se terminait par la formule de congé ordinaire.

 

Les idées superstitieuses attachées à de certains jours, les ablutions, les jeûnes, les expiations, les macérations et les mortifications de la chair étaient le prélude de la consécration à la plus sainte des déesses de mille qualités et vertus, auxquelles hommes et femmes, après maintes épreuves et mille sacrifices, s'élevaient par trois degrés. Toutefois l'introduction de ces mystères ouvrit la porte à quelques déportements. – A la faveur des préparations et des épreuves qui, souvent, duraient un grand nombre de jours et qu'aucun époux n'osait refuser à sa femme, aucun amant à sa maîtresse, dans la crainte du fouet d'Osiris ou des vipères d'Isis, se donnaient dans les sanctuaires des rendez-vous équivoques, recouverts par les voiles impénétrables de l'initiation. – Mais ce sont là des excès communs à tous les cultes dans leurs époques de décadence. Les mêmes accusations furent adressés aux pratiques mystérieuses et aux agapes des premiers chrétiens. – L'idée d'une terre sainte où devait se rattacher pour tous les peuples le souvenir des traditions premières et une sorte d'adoration filiale, – d'une eau sainte propre aux consécrations et purifications des fidèles, – présente des rapports plus nobles à étudier entre ces deux cultes, dont l'un a pour ainsi dire servi de transition vers l'autre.

 

Toute eau était douce pour l’Égyptien, mais surtout celle qui avait été puisée au fleuve, émanation d'Osiris. – A la fête annuelle d'Osiris retrouvé, où, après de longues lamentations, on criait : Nous l'avons trouvé et nous nous réjouissons tous ! tout le monde se jetait par terre devant la cruche remplie d'eau du Nil nouvellement puisée que portait le grand-prêtre ; on levait les mains vers le ciel, exaltant le miracle de la miséricorde divine.

 

La sainte eau du Nil, conservé dans la cruche sacrée, était aussi à la fête d'Isis le plus vivant symbole du père des vivants et des morts. Isis ne pouvait être honoré sans Osiris. – Le fidèle croyait même à la présence réelle d'Osiris dans l'eau du Nil, et, à chaque bénédiction du soir et du matin, le grand-prêtre montrait au peuple d'Hydria, la sainte cruche, et l'offrait à son adoration. – On ne négligeait rien pour pénétrer profondément l'esprit des spectateurs du caractère de cette divine transsubstantiation. – Le prophète lui-même, quelque grande que fût la sainteté de ce personnage, ne pouvait saisir avec ses mains nues le vase dans lequel s’opérait le divin mystère. – Il portait sur son étole, de la plus fine toile, une sorte de pèlerine (piviale) également de lin ou de mousseline, qui lui couvrait les épaules et les bras, et dans laquelle il enveloppait son bras et sa main. – Ainsi ajusté, il prenait le saint vase, qu'il portait ensuite, au rapport de saint Clément d'Alexandrie, serré contre son sein. – D'ailleurs, quelle était la vertu que le Nil ne possédât pas aux yeux du pieux Égyptien ? On en parlait partout comme d'une source de guérison et de miracles. – Il y avait des vases où son eau se conservait plusieurs années. « J'ai dans ma cave de l'eau du Nil de quatre ans », disait avec orgueil le marchand égyptien à l'habitant de Byzance ou de Naples qui lui vantait son vieux vin de Falerne ou de Chios. Même après la mort, sous ses bandelettes et dans sa condition de momie, l’Égyptien espérait qu'Osiris lui permettrait encore d'étancher sa soif avec son onde vénérée. – Osiris te donne de l'eau fraîche ! disaient les épitaphes des morts. – C'est pour cela que les momies portaient une coupe peinte sur la poitrine.