26/10/2022
« La Liberté par rapport à » (Alexandre Douguine)
Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique – La Russie et les idées politiques du XXIème siècle, Chapitre 2 – Le libéralisme et ses métamorphoses, « La liberté par rapport à », pp. 39-41, Ars Magna Éditions
Tous les principes de la philosophie du libéralisme et ce nom lui-même sont fondés sur la thèse de la « liberté » – « liberty ». De plus, les philosophes libéraux eux-mêmes (en particulier, John Stuart Mill) soulignent que la « liberté » qu'ils défendent est une notion strictement négative. Qui plus est, ils établissent une distinction entre la liberté par rapport à (quelque chose) et la liberté de (faire quelque chose), en proposant d'utiliser pour ces eux concepts deux mots différents en anglais : « liberty » et « freedom ». « Liberty » sous-entend la liberté par rapport à quelque chose, d'où tire précisément son origine le terme « libéralisme ». Les libéraux se battent bel et bien pour cette liberté qu'ils défendent. Quant à la « liberté de », c'est-à-dire le sens et le but de la liberté, les libéraux gardent le silence, estimant que chaque individu peut lui-même trouver une application à cette liberté – tout comme n'en chercher aucune application. Il s'agit d'une question de choix privé, qui n’apparaît pas comme une valeur politique ou idéologique.
Au contraire, la « liberté par rapport à » est décrite en détail et revêt un caractère dogmatique. Les libéraux proposent donc de se libérer :
- de l’État et de son contrôle sur l'économie, la politique, la société civile,
- de l'église et de ses dogmes,
- des systèmes de groupes sociaux constitués (ordres),
- de toute forme d'économie communautaire,
- de toute tentative de redistribuer, fût-ce par des instances de l’État ou de la société, les résultats du travail matériel ou immatériel (selon la formule du libérale Philippe Nemo, disciple de Hayek : « la justice sociale est profondément amorale »),
- de l'appartenance ethnique,
- de toute identité collective.
On peut penser avoir affaire à quelque version de l'anarchisme mais cela n'est pas tout à fait le cas. Les anarchistes, du moins tels que Proudhon, posent comme alternative à l’État le travail libre en communauté avec collectivisation complète de ses produits et se prononcent fermement contre la propriété privée, tandis que les libéraux, au contraire, voient dans le marché et la propriété privée sacrée le gage de la réalisation de leur modèle socio-économique optimum. En outre, considérant théoriquement que l’État doit tôt ou tard dépérir, après avoir cédé la place au marché, mondial et à la société civile mondiale, les libéraux, en vertu de considérations pragmatiques, soutiennent que l’État, s'il est de nature démocrate bourgeoise, contribue au développement du marché, garantit à « la société civile » sécurité et protection contre ses voisins agressifs, prévenant ainsi « la guerre de tous contre tous » (T.Hobbes).
Pour le reste, les libéraux vont assez loin, niant pratiquement toutes les institutions sociopolitiques traditionnelles, jusqu'à la famille ou l'appartenance sexuelle. Dans les cas extrêmes les libéraux se prononcent non seulement pour la liberté de l'avortement, mais aussi pour la liberté de l'appartenance sexuelle (en soutenant les droits des homosexuels, des transsexuels, etc.). La famille, du même que les autres formes de lien social, sont considérées comme des phénomènes purement contractuels qui, tout comme comme les autres « entreprises », sont conditionnés par des accords juridiques.
En somme, le libéralisme insiste non seulement sur la « liberté par rapport » aux Traditions, au sacré (si on évoque les formes passées de la société traditionnelle), mais aussi sur « la liberté par rapport » aux socialisations et aux redistributions, sur lesquelles mettent l'accent les idéologies politiques de gauche – socialiste et communiste – (si l'on considère les formes politiques contemporaines du libéralisme ou prétendant même le remplacer).
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Le Libéralisme comme résumé de la civilisation occidentale (Alexandre Douguine)
Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique – La Russie et les idées politiques du XXIème siècle, Chapitre 2 – Le libéralisme et ses métamorphoses, Le Libéralisme comme résumé de la civilisation occidentale et sa définition, pp. 38-39, Ars Magna Éditions
Pour comprendre adéquatement l'essence du libéralisme, il faut se rendre compte qu'il n'est pas accidentel, que son apparition dans l'histoire des idéologies politiques et économiques se fonde sur des processus fondamentaux à l’œuvre dans toute la civilisation occidentale. Le libéralisme ne constitue pas seulement une partie de l'histoire de cette civilisation, mais son expression la plus pure et la plus raffinée, son résultat. Cette remarque importante exige une définition plus stricte du libéralisme.
Le libéralisme est une philosophie politique, économique et une idéologie incarnant les principales lignes de force des Temps modernes :
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l'être humain est considéré comme la mesure des choses,
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le caractère sacré de la propriété privée est considéré comme acquis,
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affirmation de l'égalité des possibilités comme loi morale de la société,
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le fondement « contractuel » de toutes les institutions sociopolitiques, y compris l’État est pensé comme certain,
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l'abolition de toutes les autorités étatiques, religieuses et/ou liées à un groupe social constitué qui prétendent à une « réalité normative »,
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la séparation des pouvoirs et la création de systèmes sociaux de contrôle de chacune des instances de pouvoir,
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la création d'une « société civile » sans groupe social constitué, sans nations ni religions en lieu et place des États traditionnels,
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la domination par les relations de marché de toutes les autres formes de la politique (la thèse « L'économie est un destin »),
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la conviction qu'historiquement, la voie des peuples et des pays occidentaux est le modèle universel de développement et de progrès pour le monde entier et qu'elle doit impérativement être prise pour étalon et modèle.
Ces principes se trouvaient notamment à la base du Libéralisme historique, développé par les philosophes John Locke, John Stuart Mill, Emmanuel Kant, puis par Jeremy Bentham, Benajmin Constant jusqu'à l'école néolibérale du XXème siècle avec Friedrich Hayek et Charles Popper. Adam Smith, disciple de Locke, se fondant sur les idées de son maître appliquées à l'analyse de l'activité économique, a jeté les bases de l'économie politique qui sont devenues la « Bible » politique et économique de l’Époque moderne.
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22/10/2022
Manifeste de « l'Ordre Nouveau » (1931)
Jean-Louis Loubet Del Bayle, Les non-conformistes des années 30 – Une tentative de renouvellement de la pensée politique française, Annexes – Documents, II. « L'ORDRE NOUVEAU », Éditions du Seuil
A. MANIFESTE DE « L'ORDRE NOUVEAU » (1931)
L'Ordre Nouveau est essentiellement un groupe d'esprits nonconformistes et révolutionnaires. Ce dernier mot a tellement été galvaudé que nous croyons devoir définir en quoi et pourquoi nous sommes révolutionnaires.
Pour des raisons actuelles et pour des raisons éternelles, pour des raisons pratiques et des raisons philosophiques ; à cause des nécessités extérieures imposées aux hommes d'aujourd'hui par l'état actuel du monde ; à cause des nécessités intérieures de la personne humaine . Et d'autre part parce que, dans l'histoire sociale comme dans l'histoire naturelle, il n'est pas d'évolution sans révolutions.
1°) Causes pratiques de notre attitude :
La crise mondiale actuelle est sans issue autre que des révolutionnaire, quelle que soit sa vitesse d'évolution. Du capitalisme libéral au capitalisme d’État, aucune solution conformiste, libérale ou marxiste, ne résiste à une analyse méthodique,. D'autre part, l'évolution de l'ordre présent des choses, même sans la crise catastrophique actuelle, comporte nécessairement la guerre (nationale ou coloniale), pièce essentielle de tout système uniquement matérialiste.
Est-il possible, pour un esprit clairvoyant, d'accepter ce fatal processus qui va du désordre économique aux misères du chômage, de la stupide guerre économique à la stupide guerre nationale ?
2°) Causes spirituelles de notre attitude :
a) Le caractère spécifique de l'humanité est la violence active et créatrice, résultant de l'expansion normale de l'homme.
b) Tous les réformistes aboutissent à la négation des valeurs supérieures de la personnalité humaine.
c) les cadres rationnels et abstraits (frontières nationales, système bancaire) ne peuvent être brisés que par une volonté de rupture avec l'ordre social actuel.
La révolution que nous préconisons est avant tout psychologique.
Elle devra être constructive d'un ordre nouveau auquel l'humanité accédera par un changement global de plan. Elle doit donc, dés à présent, et avant de préciser ses moyens, préciser ses buts.
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Dans le domaine philosophique et moral :
Établir une hiérarchie des valeurs qui rende à la personne humaine le rang qui lui revient : le premier. La machine économique et sociale doit exister pour la personne et non la personne pour la machine économique et sociale. Les économies de forces permises par les découvertes scientifiques doivent être enfin « réalisées » au profit de la personnalité créatrice, ressort dynamique indispensable à toute société qui veut garder la faculté de se dépasser elle-même pour le plus grand bien de l'homme.
Ce « personnalisme » implique la rupture aussi bien avec l'individualisme abstrait des libéraux qu'avec toute doctrine plaçant l’État, quelle que soit sa forme, au rang de valeur suprême.
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Dans le domaine économique :
Remplacer une société qui ne peut fonctionner qu'en subordonnant la consommation à la production, le travail qualitatif et créateur de valeurs nouvelles au travail quantitatif, parcellaire et indifférencié par une société contraire.
La mise en commun des moyens de production et la répartition égalitaire du travail quantitatif indispensable ne peuvent avoir de raison d'être qu'au profit d'une libération toujours croissante de la personnalité créatrice : spirituel d'abord économique ensuite. Ceci ne peut être obtenu que par l'abolition du mythe de la production et de la religion du crédit dans toutes leurs manifestations.
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Dans le domaine politique :
Établir, d'une part, une concentration mondiale des forces révolutionnaires spirituelles, telles que nous les avons définies, auxquelles seront subordonnés les organismes de la production et de la distribution économique, placés sous leur contrôle permanent.
D'autre part, tout en brisant les cadres nationaux abstraits, promouvoir une décentralisation assez parfaite pour assurer la libération de toutes les tendances profondément patriotiques par lesquelles se manifeste le rapport indispensable et fécond de l'homme à la terre, à la race, à la tradition affective et culturelle.
L'Ordre Nouveau, celui de l'homme concret, devra donc s'édifier sur les trois assises suivantes :
a) Personnalisme : primauté de l'homme sur la société.
b) Communisme antiproductiviste : subordination de la production à la consommation.
c) Régionalisme terrier, racial et culturel.
Jusqu'à présent toutes les publications d l'Ordre Nouveau ont été les manifestations des préoccupations suivantes :
a) constater, devant les divers problèmes du monde actuel, la nécessité d'une attitude non conformiste absolue.
b) affirmer, dans leurs différentes modalités, les principes spirituels et les bases théoriques de la doctrine qui s'en inspire.
(Plans, n° 10.)
B. « POSITIONS D'ATTAQUE POUR L'ORDRE NOUVEAU » (1933)
Le groupe de « l'Ordre Nouveau » n'a pas fait jusqu'ici beaucoup de bruit sur les places. C'est que nous sommes et voulons être avant tout des doctrinaires. Cette volonté a scandalisé certains de nos adversaires qui prétendent partir des faits concrets et matériels. L'un d'entre eux revendiquait récemment, à la suite de Marx, disait-il, « la précédence du matériel, l’antériorité de l'être par rapport à la pensée ». En d'autres termes moins obscurs, il affirmait qu'il faut « commencer par le commencement. Nous acceptons volontiers cette formule qui a le mérite de la simplicité. Nous, nous disons que le commencement du désordre n'est pas dans les faits matériels dont nous souffrons, n'est pas dans le machinisme, par exemple, mais bien dans les doctrines qui ont assuré le développement actuel du machinisme. C'est dans cet humus de doctrines périmées que plongent les « racines du malheur ». C'est lui d'abord qu'il faut détruire si on veut tuer ces racines et, surtout, empêcher qu'elles ne se reforment. La nécessité d'un travail doctrinal radical nous apparaît être la tâche la plus concrète et la plus immédiate de l'heure, la seule tâche efficacement révolutionnaire.
Quels sont les caractères spécifiques de notre effort de doctrine ?
C'est d'abord une volonté de considérer les problèmes économiques et sociaux dans leur totalité ; c'est aussi une volonté constante de changer de plan.
Ces deux expressions méritent un commentaire.
Notre volonté totaliste s'exprime ainsi : nous suspendons toutes nos constructions à un fait humain central, la personne – telle que nous la définirons tout à l'heure – ou, mieux encore, le conflit personnel et nous prenons pour norme ce conflit étendu à tous les ordres de l'activité humaine : politique, économique, culturel. Telle est la base de notre ordre.
Cet ordre est nouveau en ce qu'il ne peut pas être établi que par un changement de plan. Changer de plan, pour nous, c'est porter l'effort constructif sur un terrain que le désordre actuel néglige ou tente de stériliser. La plupart des questions qui divisent capitalistes et marxistes sont insolubles sur le terrain positiviste où ils les placent. Elles ne prennent leur vrai sens que dans le plan de la personne où nous les reposons. (...)
Nous avons ainsi défini, par la double volonté de totalisme et de changement de plan, la forme générale de notre doctrine.
Nous nous excusons de l'aspect théorique que prend forcément cet exposé et qu'il perdrait si nous avions la place nécessaire pour développer. Nous nous excusons plus encore de la façon trop rapide
dont nous allons être obligés de décrire le contenu de nos constructions et la méthode personnaliste qui les anime. Cette méthode constitue la partie la plus élaborée de notre effort et l'on ne peut songer à en donner ici qu'une formule nécessairement simplifiée.
Nous définissons la personne comme un acte et non pas comme un donné physique ou moral, matériel ou abstrait.
La personne, c'est l'individu engagé dans un conflit créateur avec lui-même d'abord, avec la nature ensuite, avec l'ambiance sociale enfin. Ce conflit comporte un choix permanent, donc un risque permanent, c'est-à-dire une tension permanente qui mesure la valeur même de l'homme.
Tension, risque, choix, acte, tels sont les éléments de toute liberté réelle et créatrice, partant de toute dignité humaine.
Pour faire sentir tout de suite le concret d'une telle doctrine, voyons d'abord quelles institutions elle nous oblige à combattre et à renverser.
Ce sont, en premier lieu, les institutions démocratiques auxquelles donne naissance l'individualisme libéral.
L'individu libéral, tel que l'ont créé les théoriciens du suffrage universel, tout le monde croit aujourd'hui que c'est quelque chose de très simple, une évidence, une sorte d elieu commun. C'est en effet le lieu commun de tous les malentendus actuels.
Cet homme sans liens, réduit à l'unité arithmétique, où l'a-t-on vu ? Et comment existerait-il ? C'est pourtant sur cet homme abstrait qu'est bâti tout le système démocratique. Et l'erreur initiale, doctrinale, se retrouve à tous les étages du système. C'est à cause d'elle qu'il s'écroulera.
Il suffira sans doute d'indiquer ici notre opposition au parlementarisme. Nous ne combattons pas le parlement avec des discours, mais bien en créant un monde où il apparaîtra sous son vrai jour comme le conservatoire de la culture bourgeoise, avec ses monarchistes et ses communistes, figurants indispensables et inoffensifs.
Il suffira de rappeler d'autre part que l'individualisme libéral est responsable de l'essor anarchique d'une économie devenue inhumaine, et cela, non pas à cause de la machine, mais parce qu'aucun contrôle humain, aucune doctrine totale et transcendante ne pouvait intervenir au XIXe siècle, ne pouvait orienter et humaniser son développement.
En second lieu, la doctrine de la personne nous oppose à tout soviétisme stalinien. Il est trop facile en effet de distinguer dans le stalinisme un retournement pur et simple de l'individualisme libéral, procédant par ailleurs de conceptions positives et pseudo-scientifiques qui étaient déjà contenues dans la définition de l'individualisme libéral.
Il nous est possible de désigner maintenant d'un seul mot l'objectif de nos attaques.
Le processus concret dans lequel Marx a inséré sa philosophie, c'était la lutte des classes provoquée par le premier épanouissement de l'industrie. Le processus concret dans lequel s'insère aujourd'hui le personnalisme, c'est la lutte contre l'étatisme moderne tel qu'il s'est constitué depuis Marx, phénomène beaucoup plus concret, plus universel et mieux défini que la lutte des classes.
Quelles sont les institutions qui nous permettront de rompre avec tout étatisme, de changer de plan, de réaliser une révolution effective ? Ici encore il nous faut nous borner à deux indications très générales :
Dans le domaine politique, nous revendiquons une organisation régionaliste de l'Europe. Cela suppose la suppression du cadre national, carcan de frontières douanières, et du centre administratif, politique, financier et policier où viennent se congestionner les énergies du pays. Ce que nous voulons, c'est rétablir sur le plan politique la tension nécessaire et créatrice entre la petite patrie décentralisée, d'une part, et, d'autre part, l'universalisme issu directement des personnes et qui pourrait se concrétiser dans un organe central d'autorité purement doctrinal et révolutionnaire, sorte de Komintern, mais dépourvu de pouvoir économique.
Dans le domaine économique, nous revendiquons parallèlement un statut du travail impliquant une distinction profonde entre le travail créateur et libre d'une part et le travail parcellaire et indifférencié de l'autre. Ce qui se traduit par une sorte de corporatisme ou syndicalisme – pôle décentralisateur – et par une institution centrale de service industriel collectivisé, soumis à un organe de répartition tout à fait distinct du pouvoir politique. Ainsi se trouve sauvegardée la tension nécessaire et assurée, en fonction cette fois d'une mesure humaine, le minimum de vie matérielle qui permet à la personne de courir sa chance.
Nous ne pouvons songer à développer ici ces thèmes constructifs et, encore moins, à indiquer les moyens techniques que nous envisageons pour les réaliser. Deux mots toutefois sur notre attitude révolutionnaire. IL sévit actuellement parmi certains groupes intellectuels un véritable romantisme du chambardement, de l'émeute et du sang versé. Contre lui nous maintiendrons la primauté de la doctrine avec tout ce que cela comporte, en apparence, de sécheresse technique. Nous savons que le romantisme du désordre prépare simplement les dictatures policières de demain. (…)
Peut-être ne serait-il pas inutile, pour conclure de dégager clairement les thèses impliquées par notre exposé. Voici en quelques mots nos positions de combat :
1°) Sans théorie révolutionnaire pas d'actions révolutionnaire.
2°) Dans l'état actuel des choses, il n'y a pas d'ordre concevable sur le plan du capitalisme au déterminisme duquel les soviets n'échappent pas.
3°) La dialectique historique ne peut rendre compte que du passé – mais seul l'acte créateur opère le changement de plan et permet d'instituer un ordre nouveau.
4°) Cet acte créateur dont nous faisons dépendre tout l'ordre nouveau, cette « source d'énergie » permanente de la révolution, c'est la personne telle que nous l'avons définie.
5°) Dans l'ordre nouveau, les institutions reproduisent à tous les degrés le conflit et la tension qui définissent la personne en acte ;
6°) Ces institutions sont :
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dans le domaine politique : la petite patrie décentralisée et le centre de contrôle doctrinal et juridique.
-
dans le domaine économique : les syndicats libres de production et d'instruction professionnelle, d'une part, et de l'autre le service prolétaire collectif soumis directement à un centre de contrôle économique et statistique.
7°) Ce régime doit entraîner par son jeu normal la disparition des cadres de l’État et du statut des classes, c'est-à-dire : l'élimination des facteurs décisifs de l'inflation, du chômage et de la guerre moderne économique et militaire.
8°) C'est au nom d'antagonismes naturels féconds et créateurs que nous voulons éliminer les antagonismes artificiels et destructeurs qui fait naître le capitalisme matérialiste.
9°) Nous sommes avec le prolétariat, par-dessus la tête de ses meneurs, contre la condition prolétarienne.
POUR « L'ORDRE NOUVEAU » : ARNAUD DANDIEU, DENIS DE ROUGEMONT, DANIEL-ROPS, ROBERT ARON, ALEXANDRE MARC, CLAUDE CHEVALEY, RENE DUPUIS, JEAN JARDIN.
(La Revue des vivants, décembre 1933.)
C. PRINCIPES POUR UN ORDRE NOUVEAU (FEVRIER 1934)
Nulle civilisation véritable ne peut être fondée que sur le respect de la personne humaine et de sa valeur éternelle. Toute organisation économique et sociale qui tend à limiter la personne dans sa réalité, sa responsabilité, sa liberté, est mauvaise. Tout système qui, fondé sur le matérialisme, mutile l'homme de ses aspirations spirituelles ; trahit et mérite de périr. Une civilisation véritable affirme le primat de la personne sur toute autre valeur, sur toute nécessité.
La tâche de l'homme sur la terre n'est pas de produire des biens. Le productivisme, d'où découlent désordre, misère et peine, exprime sous sa forme la plus dégradée le matérialisme contemporain. Une civilisation véritable est antiproductiviste.
A la base la plus humble d'une civilisation personnaliste se place le droit de l'homme, quel qu'il soit, de satisfaire ses besoins vitaux et de n'être soumis, dans leurs satisfactions, ni à l'esclavage de la suggestion productiviste ni à celui des déterminismes économiques désordonnés. Le régime économique doit se fonder sur les besoins réels de l'homme, non sur le désir égoïste et incohérent du profit.
La personne humaine s'affirme dans la liberté : l'oppression, quelle qu'elle soit, est illicite. L'étatisme, sous toutes ses formes, est à condamner. Une civilisation véritable doit être antiétatiste et décentralisée.
La personne humaine ne trouve les conditions de son accomplissement que dans les cadres naturels où s'élargit sa responsabilité. Une « civilisation » qui aboutit à détruire la famille, la patrie, le métier, ou à n'en présenter qu'une image déformée et odieuse trahit les valeurs éternelles.
La propriété est un des fondements naturels de l'homme à condition d'être concrète et de faire participer la personne à une réalité féconde. Elle ne doit pas être viciée et correspondre à une frénésie de profit. La société doit non seulement permettre mais favoriser l'accession de tous à la propriété.
La personne humaine étant une réalité, tout système est mauvais qui aboutit à l'identifier au fantôme anonyme et standardisé de l'enfer productiviste. La condition prolétarienne choque en notre conscience l'honneur et la charité. Nous considérons aujourd'hui qu'une civilisation véritable ne peut s’accommoder de l'esclavage ; la condition prolétarienne, forme moderne de l'esclavage, doit être supprimée.
Une civilisation véritable ne se soumet pas aux déterminismes froids de l'évolution technique. Mais une « civilisation » qui les laisse se répandre en malfaisance et qui, du formidable pouvoir de libération mis à sa disposition par la machine, n'a tiré que désordre et misère, à trahi l'esprit. Prise dans le dilemme de laisser croître l'anarchie meurtrière ou de démissionner de son rôle, elle n'a plus droit à vivre. Une civilisation véritable mettra la machine, comme elle mettra les institutions, au service de l'homme corps et âme, chair et esprit.
(L'Avant-Poste, janvier-février 1934)
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