02/03/2025
Atlantide (Drieu la Rochelle)
Drieu la Rochelle, Le jeune européen, Écrits de jeunesse, Atlantide, pp. 57/58, éditions Bartillat
Atlantide, ressuscitée des eaux, ressurgie de ton Océan.
Destinée mystérieuse qui s'engrène dans la machination prodigieuse du fer extraite peu à peu du néant.
Là l'homme, là le plus dur ennemi de la nature.
Il forge hâtivement l'énorme outil de sa rancune.
Contre la matière la matière.
Contre la matière malveillante : broussailles malignes, minerais abstrus, chimie lascive et trouble
la matière fondue, forgée, articulée, disciplinée.
Ce sacré univers où il fait noir comme dans un four, il ne blague plus sous nos marteaux-pilons.
Mais le maître ne s'épuise-t-il pas à nourrir ses esclaves voraces ?
Ils dévorent tous les matériaux.
L'homme arcbouté aux leviers, pressant un bouton ici et là use son temps à servir les brutes fragiles qu'il a dressées à la chasse des atomes.
Cette force qu'il ploie lui échappe.
Les machines lâchées broient tout.
Le pouvoir créateur leur est défendu.
La beauté ne peut sortir de leur étreinte.
Les mains seules du maître.
De ses mains seules l'homme peut former la matière mais il ne peut transmettre son pouvoir aux forces qu'il a domestiquées.
Les forces transfuges qui sont au service de l'homme ne savent que massacrer les forces rebelles.
Jadis les pierres cédaient émues et fraternelles à l'ébranlement de la lyre sous les doigts. Maintenant c'est la guerre.
La concasseuse claque le silex et tord le claclcaire.
Machines, esclaves brutaux, mauvais serviteurs sourdement hostiles, inhumains.
Ils trahissent l'homme.
L'homme est débordé.
Les machines, démiurges vils sont entre le Dieu et son rêve.
Quel rêve ?
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01/03/2025
Le complotisme, cet anaconda dont nous écraserons la tête à coups de talon (Laurent James)
(Le Caravage, La Madone des palefreniers)
Le complot, c’est comme le genre (« gender ») : le problème ne réside pas dans l’authenticité de son existence, mais dans le systématisme typiquement moderniste de la théorie qui l’exploite.
Les complots politiques sont une trame de l’histoire depuis quelques centaines d’années. Prétendre qu’attaquer le complotisme revient à nier l’existence de tout complot, c’est aussi stupide que de prétendre qu’attaquer le communisme revient à nier l’existence des inégalités entre les classes sociales. Ce n’est pas parce que nous nous intéressons aux complots et conspirations, que nous nous abaisserons à grossir les rangs des complotistes. Il faut faire comprendre à ces derniers, nos ennemis directs, irréductibles et définitifs, que nous ne leur reprochons pas de parler de complots, objet historique dynamique indéniable, mais d’avoir créé une nouvelle tentative d’étouffer la Révolution Spirituelle et supra-historique en cours en systématisant absurdement la notion de complot, et en enfermant l’esprit dans un immonde cercle de fer absolument contre-productif.
J’ai déjà écrit deux textes sur Parousia contre le complotisme : « Puritanisme et Complotisme, ces plaies de la modernité » (5 octobre 10), puis « Allah Akbar » (1 février 12). J’ai notamment soutenu que le but du complotisme était de générer un espoir démobilisateur (la résignation), alors que les assoiffés de justice avaient besoin du strict opposé : un désespoir mobilisateur (la révolution).
Deux des plus grands écrivains français de ces cinquante dernières années, Dominique de Roux et Jean Parvulesco, connaissaient l’histoire des grandes conspirations, et ils étaient favorables à une révolution grand-continentale : en termes contemporains, ils étaient donc anti-complotistes. Le premier avait décrit dans « L’acier prend le pouvoir » (in « L’Ouverture de la chasse », 1968) la réaction de la CIA, dans les années 50 et 60, à « l’offensive en cours de la révolution mondiale du communisme, ayant son épicentre politico-opérationnel au Kremlin ». La CIA aurait pu logiquement financer des partis frontalement anti-communistes, afin de combattre pied à pied son ennemi russe. Mais la logique politique des Etats-Unis d’Amérique n’a jamais été celle de l’affrontement direct. Karl Haushofer avait déjà décrit la stratégie américaine comme étant celle de l’anaconda : encerclement, enserrement et dissolution. Au lieu de créer et d’encourager des mouvements capitalistes de combat, ils créèrent et encouragèrent des mouvements gauchistes de parodie, des structures politico-culturelles de dédoublement du communisme, ennemi radical – à l’époque – des USA, afin d’en annuler la force en la détournant et la singeant par des opposants tout à fait factices.
Ce mécanisme de la prise en mains des révolutions gauchistes européennes des années 60 par la CIA est décrit ainsi par de Roux :
« Suivant la mentalité protestante du capitalisme outre-atlantique, il est évident, en effet, que la contre-stratégie américaine visait, avant tout, pragmatiquement, à l’efficacité. Or, l’efficacité dans le combat anticommuniste exigeait, en dehors de toute idéologie et selon la dialectique même du marxisme-léninisme historiquement en marche, non pas l’affrontement de l’anticommunisme, mais d’une structure marxiste à une autre structure marxiste. Cette politique dans le monde de la guerre froide – et elle fut la mission primaire de la CIA – cherchait à opposer aux mouvements communistes agissant, démocratiquement ou subversivement en Europe occidentale et ailleurs, au lieu des contreforts traditionnels, une ligne ininterrompue, visible, de mouvements démocratiques et socialistes d’inspiration ou d’influence marxiste-démocratique. […] Paradoxalement, c’est le marxisme, traité par la contre-stratégie souterraine de Washington comme moyen d’action, non comme but absolu – tel qu’il l’était encore, à ce moment-là, pour les tenants ultimes de la révolution mondiale du communisme – qui permit au monde non-marxiste de l’emporter sur le marxisme : c’est le marxisme qui, tourné contre lui-même, devait donc vaincre dialectiquement le marxisme.
Là on touche à l’évidence même : la colonisation américaine de l’Europe occidentale, la mise en chantier de l’Europe atlantique, a été l’œuvre, exclusivement, des partis socialistes et de leurs alliés, démocrates-chrétiens au pouvoir, en France, en Italie, en Allemagne fédérale, en Belgique, en Hollande, voire même en Grande-Bretagne.
Au paroxysme stalinien de la révolution communiste mondiale conçue toujours selon la thèse du stalinisme : « la révolution en un seul pays », le grand capital américain devait opposer ainsi un « mouvement trotskyste », une internationale contre-stratégique utilisant subversivement le socialisme, en tant que vaccin, comme nous venons de le dire ».
Ou, dit autrement : « Mai 68, c’est la fin des espoirs. Les étudiants et les cadres menés par ce goret (rose, déjà !) de Cohn-Bendit ont été chargés de stopper, par leur révolutionnette, tout essor de révolte vraie » (Marc-Edouard Nabe, « La fifille du Pharaon », in « Non », 1998).
Soixante ans après, les acteurs ont changé mais la problématique reste la même. Le communisme représentait à l’époque pour l’Amérique un ennemi géopolitique et non point spirituel, puisque le communisme et le libéralisme sont extraits de la même matrice idéologique. Aujourd’hui c’est le contraire : l’ennemi absolu et radical de l’Amérique est fondamentalement spirituel (il est donc également ennemi d’Israël), et possédera probablement, un jour, une assise géopolitique – c’est là l’objet de tous nos combats et de toute notre détermination. Aujourd’hui, l’ennemi absolu et radical de l’Amérique, c’est la vision du monde en termes d’alliances de civilisation, c’est la vision multipolaire de l’eurasisme que donnait naguère Constantin Leontiev, à savoir « un bloc de Tradition contre le modernisme occidental », comme le rappelle Robert Steuckers dans son texte fondamental sur les relations historiques entre eurasisme, atlantisme et indisme.
Le pouvoir américano-sioniste pourrait très bien attaquer frontalement son adversaire, à savoir cette résurgence de la spiritualité vivante et agissante, en favorisant par exemple des mouvements ouvertement athées qui se battraient pied à pied contre la mise en place d’une spiritualité révolutionnaire supranationale et unificatrice. Mais, comme dans les années soixante, au lieu des contreforts traditionnels, l’Amérique a choisi à nouveau la stratégie de l’anaconda en misant tout sur la singerie de son ennemi le plus radical (la Révolution Spirituelle) ; et cette singerie passe justement par le néo-évhémérisme et le complotisme, derniers coups de boutoir de l’athéisme larvé et viral, tous deux américains jusqu’au bout des ongles, jusqu’au bout du trou du cul.
Pour le dire autrement, et afin que je me fasse bien comprendre : le complotisme est la maladie infantile de l’eurasisme.
Les complotistes d’aujourd’hui sont nos Cohn-Bendit à nous. Et j’espère bien qu’on n’attendra pas soixante ans pour leur crever la panse.
Le complotisme est une colonisation supplémentaire de l’esprit européen par l’Amérique des bas-fonds, l’Amérique des ratés.
Si tant est que nous soyons eurasistes, nous autres hyperboréens, il semble cependant que nous le soyons autrement que l’on ne le serait selon la volonté de puissance de certains. Nous ne sommes pas des complotistes… Nous n’en croyons pas nos oreilles, lorsque nous les entendons parler, tous ces conférenciers internautes. « Voici les modalités du complot ! » C’est avec cette exclamation qu’ils se précipitent tous sur nous, avec une recette à la main, la bouche hiératique pleine de vomi. « Mais qu’importe à nous le complot ? » – répondons-nous avec étonnement. « Voici le complot ! » – reprennent ces sales vociférateurs endiablés : et voici la vertu, le nouveau chemin du bonheur !… Car, en plus de tout le reste, voici qu’ils se piquent de vertu et de puritanisme, nos petits héros… Nous sommes, de par notre nature, beaucoup trop heureux pour ne pas voir qu’il y a une petite séduction dans le fait de devenir eurasiste ; c’est-à-dire immoraliste et aventurier… Nous avons pour le labyrinthe mégalithique de nos ombilics limbesques une curiosité particulière, nous tâchons, pour cela, de faire connaissance de monsieur le Minotaure dont on raconte des choses si dangereuses. Chut ! Ecoutez ! Le Taureau trépigne sur les parois de nos grottes antédiluviennes, il revient à la vie, ses naseaux frémissent et crachent de l’air chaud. Que nous importe votre corde à complots qui, prétendez-vous, nous aiderait à sortir de la caverne ! Vous voulez nous sauver au moyen de votre corde ! Et nous, nous vous supplions instamment de vous pendre avec !
A quoi sert tout cela en fin de compte ! Il n’y a pas d’autre moyen pour remettre l’eurasisme en honneur : il faut d’abord pendre les complotistes.
Le complotisme s’élève contre tout ce qui le dépasse, et son obsession est de rabaisser toute grandeur au niveau de sa propre impuissance atrophiée (les phrases suivantes entre guillemets sont réelles) : les Templiers (« une troupe de talmudistes précurseurs des francs-maçons et tenanciers de réseaux pédophiles »), le Vatican (« le Pape est une créature de Satan – d’ailleurs Bergoglio était trafiquant d’enfants, et c’est une loge maçonnique qui dirige le Vatican »), l’eurasisme (« Douguine est piloté par l’Occident »), la littérature (« chrétiennement parlant, Léon Bloy est sataniste »), les Rois Mérovingiens (« une race d’extra-terrestres »), l’Irak (« Saddam Hussein était un agent américain »), la Russie (« Poutine fait partie du système mondialiste »), le Onze-Septembre (« les avions étaient des hologrammes »), Platon (« le véritable Platon était Gémiste Pléthon, au XVè siècle »), les pyramides d’Egypte (« ce sont les reptiliens Annunakis qui les ont construites »), l’histoire européenne (« le Moyen Age n’a jamais existé, c’est une invention de l’Eglise vers 1600 »),… Lorsque j’entends un de ces crétins m’asséner qu’un complotiste est forcément intelligent puisqu’il doute des réalités officielles, je dégaine ma masse d’armes.
Leur mot d’ordre : tous contre la Sainte-Baume !
Je connais peu de listes aussi déprimantes que celle des dates marquant les défaites successives de l’Eurasie : – 37000 (extinction des Néandertaliens), – 10800 (engloutissement de l’Atlantide), – 2750 (troisième tiers de l’Ere du Taureau : césure du bloc indo-européen initial), – 175 (Saces chassés des Terres du Milieu par les Xiongnu), 843 (Traité de Verdun), 1274 (tentative avortée de Grégoire X d’unifier les Mongols, les Byzantins et l’Europe), 1314 (chute des Templiers), 1825 (dissolution de la Sainte-Alliance), 1945 (américanisation de l’Europe occidentale),… et 2014, où les adversaires les plus fervents et les plus retors du Saint Empire Eurasien sont les complotistes. Mais là, en revanche, il n’est pas sûr qu’ils remportent la victoire. Pas sûr du tout.
En 1942, le révolutionnaire Lucien Rebatet écrivait dans Les Décombres : « Je n’admire pas l’Allemagne d’être l’Allemagne, mais d’avoir permis Hitler. Je la loue d’avoir su, mieux qu’aucune autre nation, se donner l’ordre politique dans lequel j’ai reconnu tous mes désirs. Je crois que Hitler a conçu pour notre continent un magnifique avenir, et je voudrais passionnément qu’il se réalisât ». En 2014, les complotistes écrivent dans leurs torchons collaborationnistes que le nazisme était entièrement financé par les Juifs, et qu’Hitler, en plus d’être le petit-fils de Rotschild, était sataniste de par sa prétendue appartenance à la Société de Thulé.
La guerre totale a lieu entre la conspiration mondialiste de la super-puissance planétaire des Etats-Unis et « l’intégration grand-continentale eurasiatique de la fin » comme l’a écrit Parvulesco : la réunification du continent après quarante mille ans de tragédies historiques déflagrationnelles ; soit, d’une part, l’alliance sanctifiée entre le catholicisme et l’orthodoxie, et d’autre part, la nouvelle émergence des anciens dieux de notre continent ainsi que de tout le petit peuple de nos forêts, de nos landes et de nos lacs, sous l’égide hautement lumineuse et déchirante du Christ-Pantocrator et de la Vierge Marie.
Or, tout raisonnement qui s’élabore en termes de civilisation ou de bloc continental ne peut qu’être systématiquement condamné par le complotisme, qui y verra – ou plutôt, qui feindra d’y voir (car, pour beaucoup d’entre eux, tout n’est que jeu de dupes) – la mainmise de grands groupes financiers internationaux et une variante du nouvel ordre mondial au bénéfice intégral des banques de Wall Street. Alors que la nation est une fabrication complètement anti-traditionnelle (la nation française trouve principalement ses racines dans la cupidité et l’acharnement tout kshatriyen de Philippe le Bel dans la destruction de l’Ordre du Temple, et les autres nations européennes sont majoritairement des productions artificielles élaborées par les bourgeoisies entrepreneuriales pour faire fructifier leurs commerces et industries), elle est aujourd’hui ardemment défendue becs et ongles par les complotistes face au seul mouvement véritablement anti-américain et antisioniste qui tienne, celui de l’intégration supra-nationale grand-continentale et spirituellement unificatrice défendue par les nôtres. Mais, pour le complotiste, tout ce qui s’élève au-dessus de la nation ne peut qu’être une marionnette du Malin.
Lorsque le complotiste se trouvera en face du Paraclet, il L’attaquera en disant que c’est un hologramme envoyé par le Mossad pour tromper les esprits, tout comme son ancêtre avait jadis accusé Jésus d’être un mercenaire romain chargé de défaire les rebelles zélotes en semant le trouble. D’autres complotistes voient dans l’islam une manipulation des Arabes, leur mise au pas judaïque par le rabbin ébionite Waraqa Bin Nawfal, précepteur caché de Mahomet.
Pour le dire encore plus clairement : quels que soient les détours empruntés par les aléas de l’actualité quotidienne, le complotisme se trouve entièrement aux côtés de la conspiration mondialiste, parce que la seule manière de lutter contre la conspiration mondialiste, c’est la grandeur, le lyrisme, la beauté, la grâce, la foi, l’amour et le fanatisme, toutes choses qui passeront toujours pour suspectes aux yeux ultra-rationalistes des complotistes.
Dans chaque réunion publique de type politique ou spirituel, aujourd’hui, se trouvent dix pour cent de complotistes et/ou néo-évhéméristes qui pourrissent l’ambiance avec leurs sales gueules de traviole. Notons en passant que les complotistes sont tous d’une laideur à couper le souffle. Le 18 janvier dernier, à Rennes-le-Château, quelques-uns d’entre eux tentèrent de nous persuader que c’était la Rome chrétienne qui avait envoyé les Huns ravager la Gaule, et que le pic de Bugarach était un parking cosmique pour OVNIs. Les complotistes ésotéristes sont tous frontalement opposés au Vatican, car toute autorité politico-spirituelle ne peut que leur être insoutenable : ce sont des anarchistes honteux, une résurgence de l’éternelle lie de l’humanité, gueularde, atrophiée et vantarde, sous des oripeaux modernes de webmaster urbain. La croyance en l’origine extra-terrestre de la population humaine (ou d’une fraction d’entre elle) relève de cet ultime tour de passe-passe de l’athéisme, consistant à éviter à tout prix de s’en référer à Dieu.
Le 12 octobre 2013, lors de laconférence londonienne avec Alain de Benoist et Alexandre Douguine, quelques-uns d’entre eux affirmèrent que si l’on se trouvait dans cette salle d’hôtel du Bloomsbury pour évoquer « the end of the present world », c’était parce que le Mossad nous l’avait permis. Par ailleurs, ils nous affirmèrent que nos conférences ne servaient à rien si nous ne parlions pas du pouvoir absolu des Illuminati. Douguine perdit du temps à leur rétorquer que, contrairement au capitalisme industriel, le capitalisme financier était un flux principiel, et pas une construction statique. Pas de pyramide (ou d’anti-pyramide) qui tienne dans le monde de la dissolution : c’est précisément la définition de la post-modernité. Que se passerait-il si l’on éventrait tous les hommes au pouvoir, et qu’on les remplaçait par d’autres ? Absolument rien. Les complotistes ont cent ans de retard. Par ailleurs, c’est l’essence du capitalisme qui est proprement sataniste, beaucoup plus que les hommes qui le propagent. Voici une différence essentielle entre le conspirationnisme résistant et intelligent, et le complotisme traître, collaborationniste et imbécile : le premier sait que les forces obscures dirigent les hommes de manière disparate mais convergente, et que les hommes mauvais sont essentiellement le jouet du Mal, les esclaves des forces obscures ; le second croit que ce sont les hommes mauvais qui dirigent tout, et qu’ils possèdent par eux-mêmes un pouvoir énorme : le pouvoir de téléguider des avions sur des tours new-yorkaises, ou d’organiser des complots ultra-rationnels sur des dizaines ou des centaines d’années de distance. L’entité supérieure, pour eux, c’est l’élite. Et pas le Démon. Cette nuance peut sembler insignifiante, mais elle est énorme, et tout le problème est là. C’est encore une manière de croire en l’homme, de croire que certains hommes possèdent des super-pouvoirs comme dans les comics américains. Epuisé d’avoir à affronter autant de connerie orgueilleuse, Douguine se tourna vers moi en me soufflant, l’air désespéré : « C’est incapacitant ». Oui, en effet, tous les complotismes sont incapacitants, parce que c’est justement leur fonction : enrayer et stopper la Révolution Spirituelle, par tous les moyens.
Et ils le savent parfaitement.
Jusqu’à l’avènement d’internet, le complotisme restait cantonné dans des fanzines américains pour débiles légers, à l’instar du bulletin « Conspiracy Theory » de Mel Gibson dans le film éponyme de Richard Donner. La plupart de ces théories étaient alors plutôt amusantes, tant qu’elles ne relevaient que de la sous-culture paranoïde : le fluor est utilisé par les dentistes pour troubler le système nerveux des patients, des hélicoptères noirs en mode silencieux nous surveillent en permanence, le Grateful Dead était une troupe d’espions de la CIA, Oliver Stone est le porte-parole caché de Bush, les reptiles dominent le monde, etc. Mais le film date de 1996, et depuis lors, l’arme de destruction massive américaine dénommée internet a émergé dans le public, offrant un support idéalement symbiotique à la théorie arachnéenne du complot. Jamais on n’aura vu un médium aussi bien adapté à son message. En vingt ans, les tarés plutôt sympathiques sont devenus des leaders vaniteux, complètement intégrés aux modalités du système qu’ils se plaisaient naguère à décortiquer. Il n’y a aucune différence entre Alex Jones et Ronald Reagan. La technique MK Ultra était censée parvenir à transformer un homme moyen en assassin ? Depuis, comme il est dit dans le film de Donner, « la technique auto-suggestion et hypnose » est tombée dans le domaine privé : les webmasters complotistes l’ont entièrement récupérée, usant de l’insulte permanente, la vocifération abjecte et l’avilissement verbal pour hypnotiser l’internaute dubitatif, et le transformer en militant de la démobilisation et en assassin permanent de la Révolution. Chaque complotiste est un sous-produit direct de la CIA : il ne pense et n’agit que par elle, volontairement ou non.
En gagnant en vingt ans un certain pouvoir doctrinal favorisé et propagé par cette arme de guerre américaine qu’est internet, le discours complotiste s’est à la fois asséché et ridiculisé, mais il a surtout gagné en nuisance. Les théories débiles sont passées des revues ronéotypées en cinquante exemplaires aux sites internet à plus de 50000 visites par jours ; c’est exactement comme si un adolescent semi-attardé devenait père de famille du jour au lendemain. Ce dernier serait le père le plus autoritaire, insultant et haineux de tous les temps envers ses propres enfants. C’est ainsi que tout acte de résistance authentique est activement nié par le complotisme (l’anti-Système reconnu comme tel par le Système), tandis que cet acte de résistance est en même temps combattu par le Système officiel. J’affirme que le Système mène la lutte sur deux fronts en même temps : diffusion d’une propagande officielle sur les médias télévisuels de masse, et diffusion concomitante d’une propagande complotiste, opposée binairement à l’officielle, sur les médias internautes. A chaque fois, la vérité se trouve prise en sandwich entre les mensonges du Système et de l’anti-Système. L’anti-messe est dite.
Il ne peut pas exister de poésie ou de littérature complotiste, puisque le complotisme n’enrichit pas le réel mais il l’appauvrit : il l’assèche, l’encercle et le dissout. Le complotiste, c’est le Grand Inquisiteur évoqué par Dostoïevski (dans Les Frères Karamazov) : homme mauvais déguisé en dignitaire de l’Eglise, il refuse toute légitimité à la grâce (incontrôlable par nature) pour promouvoir la société de l’efficacité, une société soumise aux faux initiés comme lui. Le complotiste est un berger manipulateur : c’est un démocrate furieux, motivé par la haine du mystère. Ce qu’il déteste dans la vie, au fond, ce n’est pas que le Mal s’étende un peu partout, mais qu’il se passe des choses dont il ne soit pas au courant. Même si ce sont des forces du Bien qui tentent à couvert d’accroître leur pouvoir (Templiers, Jésuites, MMM), il les haïra avec détermination et les accusera de tous les maux, pour la simple raison qu’il veut connaître dans le détail absolument tout ce qu’il se passe.
Lorsque le Grand Inquisiteur rencontre Jésus, Celui qui fut le point de départ de sa vocation première, il réalise à quel point il a pu trahir cette dernière en l’érigeant en système de pensée aussi stérile que massificateur. Alors, à la fin, le Grand Inquisiteur fait périr Jésus dans les flammes. Le secret de Jésus, c’est qu’il n’y a pas de secret.
Croire que les hommes du Mal contrôlent tout, c’est démobilisant et anti-révolutionnaire, et conséquemment profitable au Mal. Le complotisme n’est pas une variante de la pensée radicale avec laquelle il pourrait être permis de composer en attendant la victoire. Bien au contraire. Le complotisme est un outil de la conspiration mondialiste pour étouffer la Révolution Spirituelle en usant de la stratégie de l’anaconda. A paranoïaque, paranoïaque et demi. Debout au sein de la cellule rayonnante de notre chevalerie spirituelle, nous autres hyperboréens, tenants de l’Europe mystérieuse et du Saint Empire des Temps de la Fin, saurons écraser la tête du complotisme à coups de talon, ainsi qu’il doit être fait.
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14/02/2025
Prophètes contre Magiciens (Raymond Abellio)
Raymond Abellio, Vers un nouveau prophétisme – Essai sur le rôle politique du sacré et la situation de Lucifer dans le monde moderne, Chapitre cinquième : Prophètes contre Magiciens, pp. 111/127, nrf (Gallimard), 1950
I. La nouvelle Magie de l'utilisation politique des techniques modernes des sciences métapsychiques ou occultes mises au point par les Technocrates occidentaux agissant en tant que précurseurs des Américains et des Russes
La diversité même des mobiles initiaux qui, dans les différents pays, ont conduit à la première manifestation de la caste guerrière (vocation messianique du prolétariat, en Russie, de la Race, en Allemagne, de l’État, en Italie, de la société socialiste libertaire, en France, sauvetage du capitalisme libérale et de vocation moraliste aux U.S.A.) implique visiblement l'existence d'une cause commune plus profonde. Nous savons que ce commun dénominateur est constitué par la réaction des forces telluriques. On pressent déjà que ce réveil rendu nécessaire, pour la première fois, non seulement par la crise des pouvoirs sociaux, mais par l'aboutissement de la descente involutive de l'Esprit, va donner au régime de la dualité des pouvoirs un caractère entièrement nouveau. Toutes les autres motivations, variables selon les pays, ne sont que des causes secondes, ou plutôt des symboles, car il ne peut s’agir ici de causalités univoques, mais de correspondances agissant sur un plan encore ésotérique. Ces motivations diverses une fois amorties, d'autres vont naître, agissant dans le même sens, n'ayant pas encore conscience de leur communauté de signification, mais agissant toujours dans le sens de leur réduction à deux facteurs simples, parallèles, opposés, complices, soumis à un éclairage de plus en plus brutal. J'ai déjà dit que s'exalteront finalement ainsi l'une par l'autre deux conceptions du monde, toute deux universalistes et totalitaires : une conception marxiste, une conceptions capitaliste à tendances chrétiennes tamasiques, également sectaires : Lénine contre Calvin, tous deux encore embrumés par un commun « rousseauisme ». Les rameaux actuels de ces deux troncs mélangent parfois leurs frondaisons, peu importe. La logique même de leur croissance conduit les deux castes maîtresses à se fermer et à se servir pour le surplus de toutes les armes de propagande de masses, dans le seul but de provoquer l'assoupissement intellectuel (mais non tellurique) de la quatrième caste.
Comme technocrates et guerriers sont, dans leur ordre, les plus intransigeants des dogmatiques, on peut être sûr qu'ils pousseront les mythologies telluriques de la classe, de la Nation (ou de l'Empire) et de la Race à leurs conséquences extrêmes, y compris leur subversion. Même la Race, certes. Car c'est le propre des aristocraties guerrières d'aboutir à des modes de sélection par le Sang et de prétendre créer une race par des moyens eugéniques. Je viens de prononcer le mot de mythologie ; je lui donne son sens plein. Il s'agit pour ces deux castes non seulement d'ériger en mythes leurs instruments de combat, leurs outils ou leur palladium (cela ne serait qu'une forme de narcissisme propre à toute communauté conquérante), il s'agit surtout de donner son complément polaire au tellurisme originel et ce complément est païen, c'est-à-dire mythologique. Au début, elles pourront se contenter de donner le primat à l'action, comme dans toute les périodes de conquête du pouvoir.L'action, cela voudra dire souvent l'aventure : l e « colonialisme » des constructions est l'aventure propre au technicien. Mais c'est ici que je voudrais faire une remarque essentielle :
Le chef technocrate européen ne dispose plus d'un réservoir tellurique suffisant, ou même lui appartenant en propre. Il va donc se détourner des moyens de domination tellurique de quantité (arguments de la Classe, de la Nation, de la Race, agitation-propagande) au profit des moyens de qualité. Ceux-ci ne peuvent consister que dans la mise au point des techniques d'utilisation politiques des sciences métapsychiques ou occultes. Le Technocrate européen sera donc l'initiateur des nouvelles formes de domination magicienne qui auront cours aux U.S.A. et en Russie, à la fin des temps prédiluviens.
Il est désormais évident qu'en Europe, l'idolâtrie de la technique industrielle ne peut plus avoir qu'un temps. Disons d'abord pourquoi, nous verrons ensuite sur quoi se fera le transfert du besoin de mythologie. Pourquoi ? C'est aisé à comprendre. On a souvent reconnu que l'Occidental se caractérise, dans toutes ses créations, par la manie du petit et de la précision. On s'est toujours moqué, en Europe, du goût allemand pour le « colossal » (un petit colossal d'ailleurs, vu d'Amérique ou de Russie) et le produit le plus spécifiquement européen, et à jamais, est la finesse, l'acuité morale et psychologique de la littérature française. A cet égard, on peut être sûr que les techniciens occidentaux ne suivront les techniciens russes ou américains qu'avec l'arrière pensée de les laisser s'épuiser dans leurs constructions géantes et de les surclasser dans le fini. Cela ne va pas loin, certes, mais prêtons encore attention à ceci : dans la construction industrielle, le technocrate occidental un peu dégrossi ne peut vraiment être animé par aucune passion d'artiste ; il ne peut pas transférer sur le chantier ou la machine son besoin de création, d'ouverture ou d'aération spirituelles. Ce n'est pas là qu'il cherchera l'intégralité obscurément ressentie comme perdue. Je parle de l'élite marchande, bien sûr, de celle qui pénètre en avant-garde dans l'avenir et non de la moyenne grégaire qui s'est américanisée et va, de même, se russifier. Dans son subconscient, cette élite ne se satisfait plus de vivre comme Ford-Prométhée ou Lindberg-Icare, la psychologie des grands constructeurs lui apparaît marquée d'une simplicité un peu rustique, d'une horrifiante naïveté. Que lui reste-t-il ? D'imaginer avec nostalgie la vie des grands capitaines guerriers ou industriels qui, eux, ne commandent pas à des machines, mais à des hommes, par millions. De l'imaginer, oui, mais de l'imaginer seulement, car les places sont prises, et les Européens en sont exclus, eux dont les terres aussi sont trop petites et les peuples trop peu nombreux ; ils ne sont plus que des rois déchus. Pourtant, rien n'empêchera le technocrate occidental cultivé de ressentir cette éviction comme une suprême injustice. Car il sait, sans qu'on le lui ait jamais appris, et parce que l'inconscient collectif de toute l'Europe le lui crie, que c'est ici, en Europe, qu'on possède à jamais la meilleure connaissance de l'homme, dans sa variété, son unicité, et que seule la connaissance légitime la puissance. Qu'un autre que lui y prétende, et il se sent frustré : il ne doit pas être de pire supplice que celui du vampire qui se sent vampirisé. Ma conclusion va alors presque de soi : la seule voie qui reste ouverte aux chefs de la Technocratie européenne, c'est l'exploitation technique de la métapsychique et des dérivations des sciences occultes à des fins de puissance humaine. Un courant profond, et qu'il serait puéril de considérer comme fortuit, pousse l'avant-garde de nos techniciens utilitaires vers l'exploration des nouvelles sciences de l'âme et de tous les phénomènes de suggestion, métagnomie, télépsychie provoquée, et même de dédoublement, sans compter les immenses possibilités de l'astrologie ; et ils ne vont pas seulement y entrer en savants précis et positifs, mais en homme de puissance ambitieux, mordus par l faim tellurique. Il est prématuré de rechercher dans quelle mesure la métapsychique pourra satisfaire ces appétits ; seuls les spécialistes pourraient le dire. On n'en est encore qu'à la sélection des capacités utilitaires par la psychotechnique ou l'astrologie. Mais jusqu'à quel point des volontés telluriques peuvent-elles résister aux influences psychiques exercées sur elles ? Il ne nous appartient pas de le dire, mais sans doute suffira-t-il de rappeler deux faits précis, dans des ordres différents : le premier, c'est la perfection déjà atteinte par les techniques de la suggestion, en matière de propagande ou d'agitation des masses ; la deuxième, la précision déjà obtenue dans l'établissement des tests qui servent à situer les caractéristiques de tel ou tel ouvrier ; si l'âme inférieur se révèle sous l'action de certains tests, il est évident que l'action répétée d'autres tests pourra faire varier la nature des réflexes de cette âme, donc les ériger comme on fait varier et dirige celle des corps « exercés ». Cela laisse à penser que l'âge des sorciers n'est pas tout entier derrière nous. Le peuple (quatrième caste) va devenir le champ d'application de la Magie fascinatrice tendant à inventorier, sélectionner, rassembler, perfectionner et manier des êtres et des groupes différenciés selon leurs aptitudes utilitaires, par une sorte d'élevage savant, hiérarchique et dynamique quant aux fonctions corporelles, mais statique et niveleur quant aux âmes. On ne cherchera pas à développer les sattwiques, considérés comme « amorphes » ou « inadaptés sociaux » , mais les tamasiques. Chez les meneurs, nulle angoisse métaphysique ne se cachera évidement dans cette revitalisation de la Magie, et pas l'ombre d'une pensée panthéistique ou la croyance à de mystérieux démons : il s'agira de Magie positive, d'une vision précise de l'âme considérée en apparence comme un simple émetteur ou récepteur d'ondes dans l'astral, mais en réalité comme une proie. D'après les meilleures interprétations, on sait d'ailleurs que la télépathie ne consiste pas, pour le percipient, à recevoir une pensée ou une impression d'autrui, mais à la prendre dans l'âme de l'agent.
« Que signifie cette nouvelle tendance des technocrates et jusqu'où va-t-elle, déjà, inconsciemment ? Il y a trop de déjà-vu dans la technique, pour que l'élite occidentale, même si ce n'est qu'une élite biologique et tellurique, se contente longtemps de ses fades jouissances : l'occidental veut posséder des hommes, non des machines. Même peuplée de machines géantes et des demi-dieux qui les commandent, la terre tourne dans un panthéisme sans issue et tous ces demi-dieux réunis ne font pas un Dieu. Or l'Occidental veut être Dieu depuis longtemps, et le chef russe ou américain veut l'être après lui, mais comme lui, et avec infiniment plus de puissance entre ses mains. L'anthropocentrisme radical de la fin de l'involution trouve ici son expression tellurique la plus forte : pour un chef du type tellurique monté dans la première caste, divinisation ne signifie pas comme pour le mystique « possibilité d'une suprême qualification de l'amour de Dieu », mais polairement, « possibilité d'une suprême dégradation de l'amour pour l'homme ». Cela, inconsciemment, bien entendu. D'où une réaction ambivalente d'amour et de nihilisme qui caractérise la possession vampirique. Le technocrate à aspirations magiciennes ne se contente plus de commander à la Matière inerte car on ne satisfait aucun nihilisme par ce commandement : il veut le contact direct, la possession amoureuse des hommes. Et il y parviendra par delà la technique ey avec son aide, pour peu que la métapsychique élargisse ses explications positives et, à plus forte raison encore, si le nombre des sujets doués pour l'exercice de ces facultés ou la mise en œuvre de ces puissances se multiplie : or, cela est hautement probable. Toute science qui se crée fait naître, on le sait, ses propres sujets d'expérience à une vitesse qui croit avec son développement même, et l'ascèse magiste aussi deviendra une technique banale et accessible à une minorité assez nombreuse, dans la mesure même où la démocratisation du luxe donnera moins de prix à la vie facile. »
Il devient tout à fait inutile de souhaiter que le prestige du Sacré soit réservé à une élite plus exigeante que celle qui se borne à vivre sur le plan des effets. Demain, les Magiciens-Technocrates et leurs associés-dirigés, les guerriers, vont se multiplier, et le moindre pourra, s'il le veut, acquérir la force d'un Titan prométhéen et d'un Asura. Demain, le Sacré sera à la disposition de presque tous les Savants, et non d'un seul. J'ai rappelé que, déjà, la propagande est une science, celle du mensonge par suggestion (par « réflexes dirigés »). Dans un livre intitulé L'Humanisme économique, le Français Coutrot a parlé des « mitrailleuses de la suggestion » : cette image guerrière vient juste en son temps. Il n'est pas sans intérêt de rappeler que Coutrot se voulait chef occidental des Technocrates issus de la troisième caste et qu'avec une intuition géniale du sens de l'époque, il a essayé d'organiser ces Technocrates en caste internationale pour essayer de faire survivre le capitalisme sur un plan supérieur. Tel est le sens de cette curieuse expérience dite de la « Synarchie », dont on n'a d'ailleurs pas fini d'explorer les arrières plans théurgiques (voir à ce sujet les curieux documents concernant « l'Archétype social » tel que la Synarchie l'imaginait : elle met les théurges au sommet de la hiérarchie mondiale). Les idées de Coutrot constituent le prototype des seules importations que l'Amérique accepte aujourd'hui de l'Europe. Un des meilleurs expérimentateurs de la propagande par l'affiche, la réunion de masse et le chant, nomme celle-ci, sans ambages, le « viol des foules » et il écrit sur ce thème simple et déjà dépassé dans le sens de l'action occultiste un livre extraordinaire et resté presque inconnu puisqu'il faut bien que les « menés » refusent de démonter le mécanisme du « meneur ».
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Contrairement à l'apparence, le rationalisme des temps modernes n'a pas affermi les âmes contre la Magie. Que ce soit chez les chrétiens de la masse ou les marxistes qui se croient éclairés, leur réaction d'effroi et d'admiration, différemment nuancée, restera foncièrement la même et produira la même soumission.
Les effets du pouvoir des Magiciens sont matériels et psychiques. Je ne veux pas en rechercher ici le « mécanisme », mais leur réalité ne sera bientôt plus contestable, même si ce mécanisme lui-même reste hypothétique. Rien n'empêchera les ésotéristes qui ont besoin d'explications simples, ainsi que les âmes ébranlées, de recourir au vieil animisme des sociétés dites primitives (dont le spiritisme n'est qu'une résurgence naïve). Ne jugeons ici les choses que du dehors ; la disposition psychique qui permet à ces pouvoirs de se manifester peut apparaître spontanément chez certains sujets doués ou résulter d'une ascèse consciemment entreprise et poursuivie ; peu importe. Il s'agit visiblement, dans tous les cas, d'une concentration, au niveau de l'âme, de forces spirituelles, et de leur utilisation sous une forme dégradée. L'âme du Magicien, en tant que transformateur d'énergie, s'oriente vers le champ de la Matière et non vers celui de l'Esprit. Le lama tibétain qui se livre à la lévitation et provoque une hallucination collective, même s'il capte des forces par ascèse, ne les dégrade pas moins.
En tant que détenteurs de forces élevées, les Magiciens peuvent agir sur les âmes des autres hommes, dans la mesure même où celles-ci sont incapables de réagir, soit qu'une volonté trop faible les habite, soit, si cette volonté est forte, qu'elle n'émette pas une qualité d'énergie suffisamment haute. Au contraire, le Sage peut assimiler l'énergie ennemie ou la neutraliser, en émettant une énergie de qualité supérieure ou de qualité égale mais dirigée en sens inverse ; on peut même dire que l'obstacle élevé par le Magicien devant le Sage se trouve, une fois de plus, créer l'effort demandé à celui-ci. En provoquant le passage de l'état de Sage à celui de Prophète, le Magicien aplanit, sans paradoxe, le sentier de Dieu.
Ce qui précède me conduit à une observation inattendue, mais essentielle. C'est, en effet, à mon avis, une erreur complète de penser que les temps modernes, en détruisant peu à peu la crainte de certains phénomènes magiques (sorcellerie, envoûtement, etc.), aient affermi et armé les âmes jusqu'à leur permettre de résister à ce danger par le manque même de sa représentation. Naturellement cette affirmation va de soi pour les chrétiens tamasiques : ils n'ont jamais cherché à dévaloriser les « mystères » ; avec la double et classique réaction d'effroi et d'admiration qu'elle suscite, la Magie, en tant que moyen de gouvernement, ne fait que prolonger le sillon des religions d'autorité. Mais, malgré l'apparence, je veux montrer qu'elle vaut également pour les rationalistes vulgaires qui se croient éclairés sur les « superstitions », notamment les marxistes de la masse. Ceux-là seront encore mieux vampirisés que les autres, car, si les chrétiens se trouvent ainsi confirmés dans leur crainte générale du « pêché » de connaissance, les marxistes vont y voir une preuve de plus de la puissance de l'homme maîtrisant la nature par la science, à condition de rester fidèles serviteurs de celle-ci. Au bout de ces deux démarches, il y a la même obéissance grégaire et la même activation des masses.
Évidement, la Magie saura choisir des voies moins grossières qu'autrefois ; mais contre elle, seule la vraie foi est active, pas la simple croyance. Or, nous avons justement noté que les temps modernes furent bovarystes (imagination exaltée, coupée de toute possibilités de réalisation, faute de volonté claire). Les temps modernes créèrent bien une foi, mais matérialiste. Même dans ses formes agressives, une telle foi fut passive, faute de pouvoir mettre en jeu une énergie de qualité assez haute. A ce moment-là, une telle situation faisait suffisamment l'affaire des Magiciens pour que ceux-ci n'eussent pas besoin de se multiplier et surtout de se manifester par des phénomènes « a-normaux » ; la foule innombrable des indifférents et des incroyants se trouva même agir à la place des Magiciens pour promouvoir l'Involution. Ce n'est donc pas la cessation de la croyance qui a dévitalisé les Magiciens ou « interrompu leur règne », c'est la réduction du nombre des Magiciens conscients et visibles et la multiplication de leur auxiliaires inconscients et invisibles (ceci explique incidemment que le rationalisme est le produit des époques d'unité ou de multiplicité du pouvoir et pas de dualité). Au surplus, la croyance également aveugle et généralisée au « hasard » conduisit beaucoup de Savants « raisonnables » à accepter sans autre étonnement des faits qui, dans l'avenir, se verront inclure dans des ensembles de correspondances ou d'interactions fort précis.
Aujourd'hui, les masses marxistes ne sont pas moins matérialistes ou scientistes, au contraire. Alors il est fatal que toute technique de domestication de l'homme soit classée par elles comme victoire de la science, admirée et obéie comme telle. Toujours la même surestimation, puis le même sacrifice de l'intellect. La spiritualité ne peut plus avoir aucune prise sur ces masses. En effet, intégrant ce qui constitue un progrès et enfouissant le reste au cimetière des erreurs inutiles, la spiritualité commence à proposer à l'homme une nouvelle conception de Dieu, débarrassé de toute notion dégradante de crainte – dégradante pour l'homme et pour Dieu. En apparence, cette masse, libérée depuis longtemps de toute crainte du « surnaturel », devrait donc suivre spontanément le fil de ce courant. Eh bien, nullement ! On peut même prédire à coup sûr que les Sages, par ce propos, réunissent toutes les chances d'échec social. Pourquoi ? Simplement parce que les masses, en pleine effervescence, sont en train, dans tous les domaines, de conjoindre à nouveau la notion de grandeur et la notion de crainte. Déjà, elles érigent des pouvoirs disproportionnés dans le social, et, ne pouvant y renier leur œuvre, préfèrent les trouver admirables pour n'avoir pas à les juger écrasants. Dans tous les âges profondément telluriques, l'admiration ne va ainsi qu'à la grandeur insondable, parce qu'il est dans la nature profonde de l'homme tellurique d'admirer ses propres monstres pour se cacher de les craindre, en effet, que ce soit pour le Diable que l'homme nourrit ou pour Dieu qu'il voudrait nourrir. A partir d'ici, inutile de distinguer davantage chrétiens et marxistes : sous des emblèmes et des vocabulaires différents, ils vont du même pas.
Toutes les religions dites « de l'Esprit » ont été dans le passé qualifiées d'hérésies parce qu'elles tendaient à effacer la colère du visage de Dieu. Tel était pourtant le sens profond du coup de génie de saint Paul et de Marcion lorsqu'ils fondèrent le christianisme sur l'amour d'un Dieu bon et non la colère de Iaweh, le Dieu juif. Mais l'involution éteignit cette flamme et les « hérésies » furent combattues en réalité, non pas au nom de la vérité, mais de l'ordre, non pas au nom de l'homme, mais de la société. On voit que cet argument de l'utilité sociale perd aujourd'hui toute valeur ; les masses ne peuvent et ne veulent recevoir de longtemps une idée rassurante de Dieu ou de l'homme. Elles sont même si réellement intoxiquées, et ensemble mithridatisées, par cette admiration et cette crainte, que même l'excès d'effroi que devrait provoquer le Prophétisme diluvien glissera sur elles sans les toucher. Qu'un morceau de la planète saute, on l'envisage, on puise une étrange douceur dans cette avenir si brusquement peuplé, si brusquement désert ; et ce sera l’œuvre des hommes, après tout : un destin. Les Prophètes peuvent donc affronter sans scrupule excessif de conscience cette idées que leurs prophéties risquent de « détraquer » la masse : nous ne sommes plus en l'an mil, ils ne seront pas spécialement entendus, et en tout cas, concernant la nouvelle Alliance de Dieu et de l'homme, pas du tout compris.
Certes, la conception d'un Dieu original et tatillon, vengeur et jaloux – le Dieu-instituteur – est formellement dépassée dans les masses marxistes ou rationalistes ; mais jamais la formule de la dialectique de Hegel ne fut plus vraie : dépassée et conservée. Et ces caractères humains, trop humains, de l'ancien Dieu, se sont simplement reportés sur d'autres figures où les masses les adorent naïvement en les craignant dans une stupeur admirative. Car le néo-paganisme des masses, qu'apporte fatalement, comme je l'ai dit, l'ère guerrière, a déjà créé sa mythologie, dieux, demi-dieux, héros ou démons, mais on ne le sait pas. Il en est de toute grandeur, universels ou fonctionnels, comme dans l'Olympe : en haut, ceux dont j'ai parlé, la Nation, la Classe, et la Race, dont l'obédience est stricte et étendue (qu'est-ce que l'empire russe pour les communistes de tous les pays, sinon le Dieu suprême?). Ces dieux se battent, comme dans toute mythologie, et font battre les hommes qui ne les en admirent que davantage. L'homme ne connut jamais dieux plus impératifs, n'accorda jamais à aucun autre tant de droits de police sur l'intime de sa vie et surtout ne crut jamais plus qu'aujourd'hui à une Providence incluse dans ces collectivités immanentes, omniprésentes, inépuisables dans leurs tours de faveur ou de priorité. Peu importe que les artistes ou les esthètes transposent cette mythologie dans des symboles rétrogrades ou des mythes imagés, ou même que ce panthéisme retrouve la nature, elle aussi divinisée. Ce ne sont là qu'épiphénomènes de la solide réalité, couleurs diverses jouant sur le même objet, variations mineures.
On comprend alors combien les religions d'autorité à tendances morales viennent renforcer la position des Magiciens. Le grand effroi du monde en guerre a rempli les églises et les temples et il faudra, en effet, dégrader le double sens de ce fait essentiel de l'époque : la recatholicisation rapide de l'Occident eurasien avec établissement d'un rapport d'influence, moitié pour moitié, avec le marxisme, spécialement en France. Dans la mesure où cette évolution touche l'élite, elle collabore au renouveau spirituel ; lorsqu'elle anime les masses, elle renforce le courant magique, et, avec le marxisme, écartèle l'Occident. C'est le culte des Saints qui est ici corrélatif du culte des héros et on voit comment, à ce niveau, spiritualité et néopaganisme s'affrontent. Aux premiers siècles, les Saints chrétiens héritèrent des divinités païennes. J. Carcopino raconte dans les Aspects mystiques de la Rome païenne, l'histoire de santa Lucia, patronne chrétienne de Syracuse, se substituant à Déméter – Koré, jusqu'à prendre les jours de leurs fêtes, les fameuses Thesmosphorie éleusiniennes, leurs fonctions, leurs rites mêmes et leur distribution, certains jours, de gâteaux cuits au miel. La logique de cette succession apparaît encore mieux aujourd'hui. Pour la mentalité magiste, le Saint (comme jadis le héro païen) est détenteur de forces, instrument de puissance, relais entre Dieu et l'homme pour le bénéfice de celui-ci. Au contraire, pour le Prophète, il est un modèle plus haut placé que lui sur l'échelle de la connaissance. Le Prophète n'appelle pas le Saint à lui, il va au Saint. La prière participe de ces deux conceptions. On peut dire que la « prière » du Prophète n'est pas une demande, mais une invocation ; il prie Dieu moins qu'il ne l'écoute. Par contre, toute prière en vue de quelque avantage spirituel ou matériel se trouve présenter une fondamentale ambiguïté : elle contient une part positive et une part négative dont la comparaison, quant à leurs valeurs absolues, pose, pour déterminer la qualité d'un homme, le problème des problèmes. Où s'arrête le domaine de la Peur et de la Faim originelles, toujours associées ? Où commence le royaume de l'homme intérieur statique ? Quand l'homme se pose ce problème pour lui-même, il est presque sauvé, il monte sûrement, il s'est éveillé à la notion d'un vrai déterminisme.
Socialement, on a faime (de sang), parce qu'on a peur (de l'insécurité). D'où les guerres, l’ambiguïté de l’héroïsme. Mais on a peur (de Dieu), parce qu'on a faim (de Terre, de « péché »). La peur du péché apparaît dans la masse comme un des corrélatifs de la faim de sang. C'est ici que les survivances magiques, païennes et sacrificielles, incluses dans le christianisme apparaissent intimement liées à ses conceptions morales, comme le totem au tabou : tel est le double sens, profondément ressenti, des rites de communion eucharistique en tant que rites théophaniques de participation.
La spiritualité ne gagnerait aujourd'hui les masses qu'en leur faisant surmonter cette peur du « péché », cette faim de puissance et de jouissance, réciproquement liées ; c'est une impossibilité absolue : les masses ne se sont constituées que par elles. Autrement dit, la spiritualité a ceci de commun avec la Magie qu'elle ne peut jaillir qu'au niveau de l'individu, non du groupe, qu'elle ressortit à l'esprit aristocratique de caste ou d'ordre, mais que, contrairement à ce qui se passe pour les Magiciens qui se collet vampiriquement à la masse après avoir été appelés par elle, les Guides spirituels sont rejetés à leur isolement.
III. Le prophète refuse de lutter contre le Magicien avec les armes de la Magie, sinon il commet le « péché contre l'esprit ».
Une fois entré dans la voie de la sanctification, c'est-à-dire dans le domaine du Sens, le Prophète refuse de dégrader l'énergie de haute qualité dont il est porteur. C'est pour lui la loi du Bien Suprême, au delà du Bien et du Mal, et au delà même de toute victoire. A elle seule, cette règle remet à leur place toutes les morales usuelles, car toute morale appelle la punition, elle équilibre le Mal par le Mal, mais par cela même elle descend le punisseur au niveau du puni. Nonobstant toutes précautions d'ordre érigées en dogmes au nom de l'utilité sociale, il n'est pas de parole qui détruise mieux la morale que celle-ci, à savoir, qu'au nom même de la justice de Dieu, les juges aussi devraient être jugés.
Un Saint et un vrai Prophète refusent donc d'employer contre un Magicien les armes de la Magie qu'ils pourraient, s'ils voulaient, manier aussi bien que lui. L'acte du Magicien éclairé qui dégrade volontairement une certaine quantité d'énergie donne l'idée du Mal absolu ; contre ce Mal, la contrainte de l'homme ne sert à rien. A quoi tiendrai-elle en effet ? A neutraliser dans l'âme du Magicien l'énergie qu'il tourne vers le mal ; mais le Sage qui viserait ce but devrait lui-même dégrader en force de contrainte une certaine énergie. Ainsi le monde ne reculerait pas, c'est vrai, mais ce calcul serait fallacieux, car avec cette même quantité d'énergie maintenue à sa haute qualité, le Sage participe à l'avancement du monde plus que le Magicien ne participe à son recul. Seule d'ailleurs cette méthode possède valeur exemplaire. Cet avancement du monde s'impose au Magicien avec une force irrésistible, il ne se fait pas contre lui, il se fait sans lui. Un homme peut toujours espérer vaincre une contrainte qui ne vise que lui, et sa vanité même viendra s'y buter, mais ce monde sûr de soi, qui le dédaigne et avance sans le voir ?
Toute autre attitude du Prophète constitue le fameux « pêché contre l'Esprit » dont parle l'Ecriture, et dont il est dit qu'il est le seul qui ne puisse être remis. Seule la conception du cycle d'Involution-Evolution de chaque homme permet de comprendre ces paroles sibyllines où nous voyons une des clefs de voûte du Nouveau Testament. Que dit le Christ ? « Si je n'étais pas venu et que je ne leur eusse point parlé, ils n'auraient pas de pêché. Mais maintenant ils n'ont pas d'excuses à leur pêché. » (Jean, XV). Mais indépendamment de l'aspect qu'elle prend sur le plan cosmique, qu'est-ce que la venue du Christ ? C'est l'apparition en chaque homme de l'Homme intérieur. Tant que l'Homme intérieur ne s'est pas éveillé, le Christ n'a pas parlé, l'homme est dans cet état de non-accomplissement qu'on peut appeler l'état de pêché, mais il ne pêché pas activement, on ne peut dire d'aucun de ses actes qu'il est un pêché irrémissible. A ce moment-là, dit l'Evangéliste, même le pêché contre le Christ sera remis. Mais dés qu'en devenant Homme intérieur, l'homme s'éveille à la notion de sa vraie liberté, il remonte des Enfers, avec le Fils de Dieu, sa nature est transfigurée, et pas plus qu'Orphée ou la femme de Loth il n'a le droit de se retourner. Tandis que le destin des tamasiques-rajasiques et des lucifériens est de s'accomplir par une destruction préalable inéluctable, celui du Prophète est normalement de s'accomplir par élévation. Dieu a pourtant voulu réserver le cas de la « trahison » des Prophètes, c'est-à-dire de ceux qui, revenant en arrière, de bonne foi, pour disputer avec Lucifer, seront détruits avec lui. Cette « trahison », elle aussi, fait partie du plan divin. Par cet exemple, Dieu veut faire progresser encore les autres Prophètes et ceux-là même qu'il détruit, en leur montrant que la supra-conscience ne s'acquiert pas sans que soit éprouvé, devant lui, la vanité de toute science et la folie qui habite aussi dans la sagesse.
Et, en effet, lorsque l'Homme intérieur s'éveille, toutes les ambiguïtés de l'Homme extérieur ne sont pas encore mortes. C'est dans la période pré-diluvienne, au moment où le Prophète commence à se connaître en tant que tel et où son propre Déluge est e partie accompli, avant que le Déluge planétaire ait eu lieu, que sonne pour lui l'heure de la plus grande « tentation ». Il peut croire alors accomplir sa mission en allant au secours des âmes retardataires prises dans le cercle, et, comme l'Eloa, de Vigny, il croira se sacrifier pour elles. Mais la notion de sacrifice « par amour » est obscure. La volonté même de se sacrifier falsifie le sacrifice, y introduit un retour égoîste sur soi ; une petite morale se cache sous ce grand mot. Nulle introspection banale ne permettra de répondre à cette question, si elle n'est pas éclairée par la supra-conscience du Prophète vraiment sanctifié. L'apprenti-Prophète croit se mettre devant des responsabilités terrestres inconnues de lui en se disant qu'elles lui ont été justement réservées pour parfaire sa connaissance. Comme il est normal, à l'heure où tout l'Homme extérieur doit être épuisé et transmué, le moment du plus grand orgueil coïncidera en lui avec celui de la plus grande humilité : seul le véritable Saint a surmonté l'ambivalence du prosélytisme. Ce Prophète insuffisamment éclairé croit se trouver devant sa dernière marche d'ignorance (et en un sens c'est vrai), alors qu'il est devant son dernier barrage d'orgueil (et c'est vrai aussi) ; moins sage que Jacob, il refusera d'exorciser l'ange qu'il porte en lui ; il refusera d'imiter Jacob au risque d'imiter Lucifer. Tel est le véritable sens du pêché d'angélisme. Il n'est pas de se croire ange, mais de se tromper sur le rôle de l'ange et de croire que l’atmosphère terrestre respirable pour lui. Jacob, parce qu'il avait vaincu l'ange qu'il portait en lui, rentrait à l'aube avec des forces décuplées : il était plus qu'ange et plus qu'homme ; mais le nerf de sa hanche s'était desséché et Jacob boitait : il ne savait plus marcher dans le monde. Le « pêché contre l'Esprit » c'est, aujourd'hui, quand on a pris conscience du déterminisme divin, de ne pas tout abandonner pour fonder l'humanité future et elle seule. Mais il faut que ce « pêché » aussi soit accompli. Et le prophète qui le commet, lorsqu'un jour rentrera dans le sein de Dieu, y sera accueilli comme le plus aimé de ses fils, car dans ce retard même, il aura puisé un surcroît de connaissance. Tel est le sens profond de la parabole du retour de l'enfant prodigue.
S'il peut donc y avoir des Prophètes qui se battent isolément, entre la caste magicienne et l'Ordre spirituel proprement dit qui rassemble les Prophètes, il n'y a pas à proprement parler de combat visible. La force magicienne nourrit, le long de la circonférence de base, sa propre force antagoniste, car les Magiciens se battent entre eux. La force du Prophète, bien que mesurable à tout instant par cette force antagoniste, ne s'emploie pas dans le même plan. Elle se résume dans la force verticale du Fils de Dieu, opposée à celle de Lucifer ; alors que les Magiciens se battent au sein même de Lucifer, les Prophètes sont le corps mystique du Christ.
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