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01/03/2025

Le complotisme, cet anaconda dont nous écraserons la tête à coups de talon (Laurent James)

 

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(Le Caravage, La Madone des palefreniers)

 

Le complot, c’est comme le genre (« gender ») : le problème ne réside pas dans l’authenticité de son existence, mais dans le systématisme typiquement moderniste de la théorie qui l’exploite.



Les complots politiques sont une trame de l’histoire depuis quelques centaines d’années. Prétendre qu’attaquer le complotisme revient à nier l’existence de tout complot, c’est aussi stupide que de prétendre qu’attaquer le communisme revient à nier l’existence des inégalités entre les classes sociales. Ce n’est pas parce que nous nous intéressons aux complots et conspirations, que nous nous abaisserons à grossir les rangs des complotistes. Il faut faire comprendre à ces derniers, nos ennemis directs, irréductibles et définitifs, que nous ne leur reprochons pas de parler de complots, objet historique dynamique indéniable, mais d’avoir créé une nouvelle tentative d’étouffer la Révolution Spirituelle et supra-historique en cours en systématisant absurdement la notion de complot, et en enfermant l’esprit dans un immonde cercle de fer absolument contre-productif.



J’ai déjà écrit deux textes sur Parousia contre le complotisme : « Puritanisme et Complotisme, ces plaies de la modernité » (5 octobre 10), puis « Allah Akbar » (1 février 12). J’ai notamment soutenu que le but du complotisme était de générer un espoir démobilisateur (la résignation), alors que les assoiffés de justice avaient besoin du strict opposé : un désespoir mobilisateur (la révolution).



Deux des plus grands écrivains français de ces cinquante dernières années, Dominique de Roux et Jean Parvulesco, connaissaient l’histoire des grandes conspirations, et ils étaient favorables à une révolution grand-continentale : en termes contemporains, ils étaient donc anti-complotistes. Le premier avait décrit dans « L’acier prend le pouvoir » (in « L’Ouverture de la chasse », 1968) la réaction de la CIA, dans les années 50 et 60, à « l’offensive en cours de la révolution mondiale du communisme, ayant son épicentre politico-opérationnel au Kremlin ». La CIA aurait pu logiquement financer des partis frontalement anti-communistes, afin de combattre pied à pied son ennemi russe. Mais la logique politique des Etats-Unis d’Amérique n’a jamais été celle de l’affrontement direct. Karl Haushofer avait déjà décrit la stratégie américaine comme étant celle de l’anaconda : encerclement, enserrement et dissolution. Au lieu de créer et d’encourager des mouvements capitalistes de combat, ils créèrent et encouragèrent des mouvements gauchistes de parodie, des structures politico-culturelles de dédoublement du communisme, ennemi radical – à l’époque – des USA, afin d’en annuler la force en la détournant et la singeant par des opposants tout à fait factices.



Ce mécanisme de la prise en mains des révolutions gauchistes européennes des années 60 par la CIA est décrit ainsi par de Roux :

« Suivant la mentalité protestante du capitalisme outre-atlantique, il est évident, en effet, que la contre-stratégie américaine visait, avant tout, pragmatiquement, à l’efficacité. Or, l’efficacité dans le combat anticommuniste exigeait, en dehors de toute idéologie et selon la dialectique même du marxisme-léninisme historiquement en marche, non pas l’affrontement de l’anticommunisme, mais d’une structure marxiste à une autre structure marxiste. Cette politique dans le monde de la guerre froide – et elle fut la mission primaire de la CIA – cherchait à opposer aux mouvements communistes agissant, démocratiquement ou subversivement en Europe occidentale et ailleurs, au lieu des contreforts traditionnels, une ligne ininterrompue, visible, de mouvements démocratiques et socialistes d’inspiration ou d’influence marxiste-démocratique. […] Paradoxalement, c’est le marxisme, traité par la contre-stratégie souterraine de Washington comme moyen d’action, non comme but absolu – tel qu’il l’était encore, à ce moment-là, pour les tenants ultimes de la révolution mondiale du communisme – qui permit au monde non-marxiste de l’emporter sur le marxisme : c’est le marxisme qui, tourné contre lui-même, devait donc vaincre dialectiquement le marxisme.

Là on touche à l’évidence même : la colonisation américaine de l’Europe occidentale, la mise en chantier de l’Europe atlantique, a été l’œuvre, exclusivement, des partis socialistes et de leurs alliés, démocrates-chrétiens au pouvoir, en France, en Italie, en Allemagne fédérale, en Belgique, en Hollande, voire même en Grande-Bretagne.

Au paroxysme stalinien de la révolution communiste mondiale conçue toujours selon la thèse du stalinisme : « la révolution en un seul pays », le grand capital américain devait opposer ainsi un « mouvement trotskyste », une internationale contre-stratégique utilisant subversivement le socialisme, en tant que vaccin, comme nous venons de le dire ».

Ou, dit autrement : « Mai 68, c’est la fin des espoirs. Les étudiants et les cadres menés par ce goret (rose, déjà !) de Cohn-Bendit ont été chargés de stopper, par leur révolutionnette, tout essor de révolte vraie » (Marc-Edouard Nabe, « La fifille du Pharaon », in « Non », 1998).



Soixante ans après, les acteurs ont changé mais la problématique reste la même. Le communisme représentait à l’époque pour l’Amérique un ennemi géopolitique et non point spirituel, puisque le communisme et le libéralisme sont extraits de la même matrice idéologique. Aujourd’hui c’est le contraire : l’ennemi absolu et radical de l’Amérique est fondamentalement spirituel (il est donc également ennemi d’Israël), et possédera probablement, un jour, une assise géopolitique – c’est là l’objet de tous nos combats et de toute notre détermination. Aujourd’hui, l’ennemi absolu et radical de l’Amérique, c’est la vision du monde en termes d’alliances de civilisation, c’est la vision multipolaire de l’eurasisme que donnait naguère Constantin Leontiev, à savoir « un bloc de Tradition contre le modernisme occidental », comme le rappelle Robert Steuckers dans son texte fondamental sur les relations historiques entre eurasisme, atlantisme et indisme.



Le pouvoir américano-sioniste pourrait très bien attaquer frontalement son adversaire, à savoir cette résurgence de la spiritualité vivante et agissante, en favorisant par exemple des mouvements ouvertement athées qui se battraient pied à pied contre la mise en place d’une spiritualité révolutionnaire supranationale et unificatrice. Mais, comme dans les années soixante, au lieu des contreforts traditionnels, l’Amérique a choisi à nouveau la stratégie de l’anaconda en misant tout sur la singerie de son ennemi le plus radical (la Révolution Spirituelle) ; et cette singerie passe justement par le néo-évhémérisme et le complotisme, derniers coups de boutoir de l’athéisme larvé et viral, tous deux américains jusqu’au bout des ongles, jusqu’au bout du trou du cul.



Pour le dire autrement, et afin que je me fasse bien comprendre : le complotisme est la maladie infantile de l’eurasisme.



Les complotistes d’aujourd’hui sont nos Cohn-Bendit à nous. Et j’espère bien qu’on n’attendra pas soixante ans pour leur crever la panse.



Le complotisme est une colonisation supplémentaire de l’esprit européen par l’Amérique des bas-fonds, l’Amérique des ratés.



Si tant est que nous soyons eurasistes, nous autres hyperboréens, il semble cependant que nous le soyons autrement que l’on ne le serait selon la volonté de puissance de certains. Nous ne sommes pas des complotistes… Nous n’en croyons pas nos oreilles, lorsque nous les entendons parler, tous ces conférenciers internautes. « Voici les modalités du complot ! » C’est avec cette exclamation qu’ils se précipitent tous sur nous, avec une recette à la main, la bouche hiératique pleine de vomi. « Mais qu’importe à nous le complot ? » – répondons-nous avec étonnement. « Voici le complot ! » – reprennent ces sales vociférateurs endiablés : et voici la vertu, le nouveau chemin du bonheur !… Car, en plus de tout le reste, voici qu’ils se piquent de vertu et de puritanisme, nos petits héros… Nous sommes, de par notre nature, beaucoup trop heureux pour ne pas voir qu’il y a une petite séduction dans le fait de devenir eurasiste ; c’est-à-dire immoraliste et aventurier… Nous avons pour le labyrinthe mégalithique de nos ombilics limbesques une curiosité particulière, nous tâchons, pour cela, de faire connaissance de monsieur le Minotaure dont on raconte des choses si dangereuses. Chut ! Ecoutez ! Le Taureau trépigne sur les parois de nos grottes antédiluviennes, il revient à la vie, ses naseaux frémissent et crachent de l’air chaud. Que nous importe votre corde à complots qui, prétendez-vous, nous aiderait à sortir de la caverne ! Vous voulez nous sauver au moyen de votre corde ! Et nous, nous vous supplions instamment de vous pendre avec !



A quoi sert tout cela en fin de compte ! Il n’y a pas d’autre moyen pour remettre l’eurasisme en honneur : il faut d’abord pendre les complotistes.



Le complotisme s’élève contre tout ce qui le dépasse, et son obsession est de rabaisser toute grandeur au niveau de sa propre impuissance atrophiée (les phrases suivantes entre guillemets sont réelles) : les Templiers (« une troupe de talmudistes précurseurs des francs-maçons et tenanciers de réseaux pédophiles »), le Vatican (« le Pape est une créature de Satan – d’ailleurs Bergoglio était trafiquant d’enfants, et c’est une loge maçonnique qui dirige le Vatican »), l’eurasisme (« Douguine est piloté par l’Occident »), la littérature (« chrétiennement parlant, Léon Bloy est sataniste »), les Rois Mérovingiens (« une race d’extra-terrestres »), l’Irak (« Saddam Hussein était un agent américain »), la Russie (« Poutine fait partie du système mondialiste »), le Onze-Septembre (« les avions étaient des hologrammes »), Platon (« le véritable Platon était Gémiste Pléthon, au XVè siècle »), les pyramides d’Egypte (« ce sont les reptiliens Annunakis qui les ont construites »), l’histoire européenne (« le Moyen Age n’a jamais existé, c’est une invention de l’Eglise vers 1600 »),… Lorsque j’entends un de ces crétins m’asséner qu’un complotiste est forcément intelligent puisqu’il doute des réalités officielles, je dégaine ma masse d’armes.



Leur mot d’ordre : tous contre la Sainte-Baume !



Je connais peu de listes aussi déprimantes que celle des dates marquant les défaites successives de l’Eurasie : – 37000 (extinction des Néandertaliens), – 10800 (engloutissement de l’Atlantide), – 2750 (troisième tiers de l’Ere du Taureau : césure du bloc indo-européen initial), – 175 (Saces chassés des Terres du Milieu par les Xiongnu), 843 (Traité de Verdun), 1274 (tentative avortée de Grégoire X d’unifier les Mongols, les Byzantins et l’Europe), 1314 (chute des Templiers), 1825 (dissolution de la Sainte-Alliance), 1945 (américanisation de l’Europe occidentale),… et 2014, où les adversaires les plus fervents et les plus retors du Saint Empire Eurasien sont les complotistes. Mais là, en revanche, il n’est pas sûr qu’ils remportent la victoire. Pas sûr du tout.



En 1942, le révolutionnaire Lucien Rebatet écrivait dans Les Décombres : « Je n’admire pas l’Allemagne d’être l’Allemagne, mais d’avoir permis Hitler. Je la loue d’avoir su, mieux qu’aucune autre nation, se donner l’ordre politique dans lequel j’ai reconnu tous mes désirs. Je crois que Hitler a conçu pour notre continent un magnifique avenir, et je voudrais passionnément qu’il se réalisât ». En 2014, les complotistes écrivent dans leurs torchons collaborationnistes que le nazisme était entièrement financé par les Juifs, et qu’Hitler, en plus d’être le petit-fils de Rotschild, était sataniste de par sa prétendue appartenance à la Société de Thulé.



La guerre totale a lieu entre la conspiration mondialiste de la super-puissance planétaire des Etats-Unis et « l’intégration grand-continentale eurasiatique de la fin » comme l’a écrit Parvulesco : la réunification du continent après quarante mille ans de tragédies historiques déflagrationnelles ; soit, d’une part, l’alliance sanctifiée entre le catholicisme et l’orthodoxie, et d’autre part, la nouvelle émergence des anciens dieux de notre continent ainsi que de tout le petit peuple de nos forêts, de nos landes et de nos lacs, sous l’égide hautement lumineuse et déchirante du Christ-Pantocrator et de la Vierge Marie.



Or, tout raisonnement qui s’élabore en termes de civilisation ou de bloc continental ne peut qu’être systématiquement condamné par le complotisme, qui y verra – ou plutôt, qui feindra d’y voir (car, pour beaucoup d’entre eux, tout n’est que jeu de dupes) – la mainmise de grands groupes financiers internationaux et une variante du nouvel ordre mondial au bénéfice intégral des banques de Wall Street. Alors que la nation est une fabrication complètement anti-traditionnelle (la nation française trouve principalement ses racines dans la cupidité et l’acharnement tout kshatriyen de Philippe le Bel dans la destruction de l’Ordre du Temple, et les autres nations européennes sont majoritairement des productions artificielles élaborées par les bourgeoisies entrepreneuriales pour faire fructifier leurs commerces et industries), elle est aujourd’hui ardemment défendue becs et ongles par les complotistes face au seul mouvement véritablement anti-américain et antisioniste qui tienne, celui de l’intégration supra-nationale grand-continentale et spirituellement unificatrice défendue par les nôtres. Mais, pour le complotiste, tout ce qui s’élève au-dessus de la nation ne peut qu’être une marionnette du Malin.



Lorsque le complotiste se trouvera en face du Paraclet, il L’attaquera en disant que c’est un hologramme envoyé par le Mossad pour tromper les esprits, tout comme son ancêtre avait jadis accusé Jésus d’être un mercenaire romain chargé de défaire les rebelles zélotes en semant le trouble. D’autres complotistes voient dans l’islam une manipulation des Arabes, leur mise au pas judaïque par le rabbin ébionite Waraqa Bin Nawfal, précepteur caché de Mahomet.



Pour le dire encore plus clairement : quels que soient les détours empruntés par les aléas de l’actualité quotidienne, le complotisme se trouve entièrement aux côtés de la conspiration mondialiste, parce que la seule manière de lutter contre la conspiration mondialiste, c’est la grandeur, le lyrisme, la beauté, la grâce, la foi, l’amour et le fanatisme, toutes choses qui passeront toujours pour suspectes aux yeux ultra-rationalistes des complotistes.



Dans chaque réunion publique de type politique ou spirituel, aujourd’hui, se trouvent dix pour cent de complotistes et/ou néo-évhéméristes qui pourrissent l’ambiance avec leurs sales gueules de traviole. Notons en passant que les complotistes sont tous d’une laideur à couper le souffle. Le 18 janvier dernier, à Rennes-le-Château, quelques-uns d’entre eux tentèrent de nous persuader que c’était la Rome chrétienne qui avait envoyé les Huns ravager la Gaule, et que le pic de Bugarach était un parking cosmique pour OVNIs. Les complotistes ésotéristes sont tous frontalement opposés au Vatican, car toute autorité politico-spirituelle ne peut que leur être insoutenable : ce sont des anarchistes honteux, une résurgence de l’éternelle lie de l’humanité, gueularde, atrophiée et vantarde, sous des oripeaux modernes de webmaster urbain. La croyance en l’origine extra-terrestre de la population humaine (ou d’une fraction d’entre elle) relève de cet ultime tour de passe-passe de l’athéisme, consistant à éviter à tout prix de s’en référer à Dieu.



Le 12 octobre 2013, lors de laconférence londonienne avec Alain de Benoist et Alexandre Douguine, quelques-uns d’entre eux affirmèrent que si l’on se trouvait dans cette salle d’hôtel du Bloomsbury pour évoquer « the end of the present world », c’était parce que le Mossad nous l’avait permis. Par ailleurs, ils nous affirmèrent que nos conférences ne servaient à rien si nous ne parlions pas du pouvoir absolu des Illuminati. Douguine perdit du temps à leur rétorquer que, contrairement au capitalisme industriel, le capitalisme financier était un flux principiel, et pas une construction statique. Pas de pyramide (ou d’anti-pyramide) qui tienne dans le monde de la dissolution : c’est précisément la définition de la post-modernité. Que se passerait-il si l’on éventrait tous les hommes au pouvoir, et qu’on les remplaçait par d’autres ? Absolument rien. Les complotistes ont cent ans de retard. Par ailleurs, c’est l’essence du capitalisme qui est proprement sataniste, beaucoup plus que les hommes qui le propagent. Voici une différence essentielle entre le conspirationnisme résistant et intelligent, et le complotisme traître, collaborationniste et imbécile : le premier sait que les forces obscures dirigent les hommes de manière disparate mais convergente, et que les hommes mauvais sont essentiellement le jouet du Mal, les esclaves des forces obscures ; le second croit que ce sont les hommes mauvais qui dirigent tout, et qu’ils possèdent par eux-mêmes un pouvoir énorme : le pouvoir de téléguider des avions sur des tours new-yorkaises, ou d’organiser des complots ultra-rationnels sur des dizaines ou des centaines d’années de distance. L’entité supérieure, pour eux, c’est l’élite. Et pas le Démon. Cette nuance peut sembler insignifiante, mais elle est énorme, et tout le problème est là. C’est encore une manière de croire en l’homme, de croire que certains hommes possèdent des super-pouvoirs comme dans les comics américains. Epuisé d’avoir à affronter autant de connerie orgueilleuse, Douguine se tourna vers moi en me soufflant, l’air désespéré : « C’est incapacitant ». Oui, en effet, tous les complotismes sont incapacitants, parce que c’est justement leur fonction : enrayer et stopper la Révolution Spirituelle, par tous les moyens.



Et ils le savent parfaitement.



Jusqu’à l’avènement d’internet, le complotisme restait cantonné dans des fanzines américains pour débiles légers, à l’instar du bulletin « Conspiracy Theory » de Mel Gibson dans le film éponyme de Richard Donner. La plupart de ces théories étaient alors plutôt amusantes, tant qu’elles ne relevaient que de la sous-culture paranoïde : le fluor est utilisé par les dentistes pour troubler le système nerveux des patients, des hélicoptères noirs en mode silencieux nous surveillent en permanence, le Grateful Dead était une troupe d’espions de la CIA, Oliver Stone est le porte-parole caché de Bush, les reptiles dominent le monde, etc. Mais le film date de 1996, et depuis lors, l’arme de destruction massive américaine dénommée internet a émergé dans le public, offrant un support idéalement symbiotique à la théorie arachnéenne du complot. Jamais on n’aura vu un médium aussi bien adapté à son message. En vingt ans, les tarés plutôt sympathiques sont devenus des leaders vaniteux, complètement intégrés aux modalités du système qu’ils se plaisaient naguère à décortiquer. Il n’y a aucune différence entre Alex Jones et Ronald Reagan. La technique MK Ultra était censée parvenir à transformer un homme moyen en assassin ? Depuis, comme il est dit dans le film de Donner, « la technique auto-suggestion et hypnose » est tombée dans le domaine privé : les webmasters complotistes l’ont entièrement récupérée, usant de l’insulte permanente, la vocifération abjecte et l’avilissement verbal pour hypnotiser l’internaute dubitatif, et le transformer en militant de la démobilisation et en assassin permanent de la Révolution. Chaque complotiste est un sous-produit direct de la CIA : il ne pense et n’agit que par elle, volontairement ou non.



En gagnant en vingt ans un certain pouvoir doctrinal favorisé et propagé par cette arme de guerre américaine qu’est internet, le discours complotiste s’est à la fois asséché et ridiculisé, mais il a surtout gagné en nuisance. Les théories débiles sont passées des revues ronéotypées en cinquante exemplaires aux sites internet à plus de 50000 visites par jours ; c’est exactement comme si un adolescent semi-attardé devenait père de famille du jour au lendemain. Ce dernier serait le père le plus autoritaire, insultant et haineux de tous les temps envers ses propres enfants. C’est ainsi que tout acte de résistance authentique est activement nié par le complotisme (l’anti-Système reconnu comme tel par le Système), tandis que cet acte de résistance est en même temps combattu par le Système officiel. J’affirme que le Système mène la lutte sur deux fronts en même temps : diffusion d’une propagande officielle sur les médias télévisuels de masse, et diffusion concomitante d’une propagande complotiste, opposée binairement à l’officielle, sur les médias internautes. A chaque fois, la vérité se trouve prise en sandwich entre les mensonges du Système et de l’anti-Système. L’anti-messe est dite.



Il ne peut pas exister de poésie ou de littérature complotiste, puisque le complotisme n’enrichit pas le réel mais il l’appauvrit : il l’assèche, l’encercle et le dissout. Le complotiste, c’est le Grand Inquisiteur évoqué par Dostoïevski (dans Les Frères Karamazov) : homme mauvais déguisé en dignitaire de l’Eglise, il refuse toute légitimité à la grâce (incontrôlable par nature) pour promouvoir la société de l’efficacité, une société soumise aux faux initiés comme lui. Le complotiste est un berger manipulateur : c’est un démocrate furieux, motivé par la haine du mystère. Ce qu’il déteste dans la vie, au fond, ce n’est pas que le Mal s’étende un peu partout, mais qu’il se passe des choses dont il ne soit pas au courant. Même si ce sont des forces du Bien qui tentent à couvert d’accroître leur pouvoir (Templiers, Jésuites, MMM), il les haïra avec détermination et les accusera de tous les maux, pour la simple raison qu’il veut connaître dans le détail absolument tout ce qu’il se passe.



Lorsque le Grand Inquisiteur rencontre Jésus, Celui qui fut le point de départ de sa vocation première, il réalise à quel point il a pu trahir cette dernière en l’érigeant en système de pensée aussi stérile que massificateur. Alors, à la fin, le Grand Inquisiteur fait périr Jésus dans les flammes. Le secret de Jésus, c’est qu’il n’y a pas de secret.



Croire que les hommes du Mal contrôlent tout, c’est démobilisant et anti-révolutionnaire, et conséquemment profitable au Mal. Le complotisme n’est pas une variante de la pensée radicale avec laquelle il pourrait être permis de composer en attendant la victoire. Bien au contraire. Le complotisme est un outil de la conspiration mondialiste pour étouffer la Révolution Spirituelle en usant de la stratégie de l’anaconda. A paranoïaque, paranoïaque et demi. Debout au sein de la cellule rayonnante de notre chevalerie spirituelle, nous autres hyperboréens, tenants de l’Europe mystérieuse et du Saint Empire des Temps de la Fin, saurons écraser la tête du complotisme à coups de talon, ainsi qu’il doit être fait.

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