01/03/2025
Le complotisme, cet anaconda dont nous écraserons la tête à coups de talon (Laurent James)
(Le Caravage, La Madone des palefreniers)
Le complot, c’est comme le genre (« gender ») : le problème ne réside pas dans l’authenticité de son existence, mais dans le systématisme typiquement moderniste de la théorie qui l’exploite.
Les complots politiques sont une trame de l’histoire depuis quelques centaines d’années. Prétendre qu’attaquer le complotisme revient à nier l’existence de tout complot, c’est aussi stupide que de prétendre qu’attaquer le communisme revient à nier l’existence des inégalités entre les classes sociales. Ce n’est pas parce que nous nous intéressons aux complots et conspirations, que nous nous abaisserons à grossir les rangs des complotistes. Il faut faire comprendre à ces derniers, nos ennemis directs, irréductibles et définitifs, que nous ne leur reprochons pas de parler de complots, objet historique dynamique indéniable, mais d’avoir créé une nouvelle tentative d’étouffer la Révolution Spirituelle et supra-historique en cours en systématisant absurdement la notion de complot, et en enfermant l’esprit dans un immonde cercle de fer absolument contre-productif.
J’ai déjà écrit deux textes sur Parousia contre le complotisme : « Puritanisme et Complotisme, ces plaies de la modernité » (5 octobre 10), puis « Allah Akbar » (1 février 12). J’ai notamment soutenu que le but du complotisme était de générer un espoir démobilisateur (la résignation), alors que les assoiffés de justice avaient besoin du strict opposé : un désespoir mobilisateur (la révolution).
Deux des plus grands écrivains français de ces cinquante dernières années, Dominique de Roux et Jean Parvulesco, connaissaient l’histoire des grandes conspirations, et ils étaient favorables à une révolution grand-continentale : en termes contemporains, ils étaient donc anti-complotistes. Le premier avait décrit dans « L’acier prend le pouvoir » (in « L’Ouverture de la chasse », 1968) la réaction de la CIA, dans les années 50 et 60, à « l’offensive en cours de la révolution mondiale du communisme, ayant son épicentre politico-opérationnel au Kremlin ». La CIA aurait pu logiquement financer des partis frontalement anti-communistes, afin de combattre pied à pied son ennemi russe. Mais la logique politique des Etats-Unis d’Amérique n’a jamais été celle de l’affrontement direct. Karl Haushofer avait déjà décrit la stratégie américaine comme étant celle de l’anaconda : encerclement, enserrement et dissolution. Au lieu de créer et d’encourager des mouvements capitalistes de combat, ils créèrent et encouragèrent des mouvements gauchistes de parodie, des structures politico-culturelles de dédoublement du communisme, ennemi radical – à l’époque – des USA, afin d’en annuler la force en la détournant et la singeant par des opposants tout à fait factices.
Ce mécanisme de la prise en mains des révolutions gauchistes européennes des années 60 par la CIA est décrit ainsi par de Roux :
« Suivant la mentalité protestante du capitalisme outre-atlantique, il est évident, en effet, que la contre-stratégie américaine visait, avant tout, pragmatiquement, à l’efficacité. Or, l’efficacité dans le combat anticommuniste exigeait, en dehors de toute idéologie et selon la dialectique même du marxisme-léninisme historiquement en marche, non pas l’affrontement de l’anticommunisme, mais d’une structure marxiste à une autre structure marxiste. Cette politique dans le monde de la guerre froide – et elle fut la mission primaire de la CIA – cherchait à opposer aux mouvements communistes agissant, démocratiquement ou subversivement en Europe occidentale et ailleurs, au lieu des contreforts traditionnels, une ligne ininterrompue, visible, de mouvements démocratiques et socialistes d’inspiration ou d’influence marxiste-démocratique. […] Paradoxalement, c’est le marxisme, traité par la contre-stratégie souterraine de Washington comme moyen d’action, non comme but absolu – tel qu’il l’était encore, à ce moment-là, pour les tenants ultimes de la révolution mondiale du communisme – qui permit au monde non-marxiste de l’emporter sur le marxisme : c’est le marxisme qui, tourné contre lui-même, devait donc vaincre dialectiquement le marxisme.
Là on touche à l’évidence même : la colonisation américaine de l’Europe occidentale, la mise en chantier de l’Europe atlantique, a été l’œuvre, exclusivement, des partis socialistes et de leurs alliés, démocrates-chrétiens au pouvoir, en France, en Italie, en Allemagne fédérale, en Belgique, en Hollande, voire même en Grande-Bretagne.
Au paroxysme stalinien de la révolution communiste mondiale conçue toujours selon la thèse du stalinisme : « la révolution en un seul pays », le grand capital américain devait opposer ainsi un « mouvement trotskyste », une internationale contre-stratégique utilisant subversivement le socialisme, en tant que vaccin, comme nous venons de le dire ».
Ou, dit autrement : « Mai 68, c’est la fin des espoirs. Les étudiants et les cadres menés par ce goret (rose, déjà !) de Cohn-Bendit ont été chargés de stopper, par leur révolutionnette, tout essor de révolte vraie » (Marc-Edouard Nabe, « La fifille du Pharaon », in « Non », 1998).
Soixante ans après, les acteurs ont changé mais la problématique reste la même. Le communisme représentait à l’époque pour l’Amérique un ennemi géopolitique et non point spirituel, puisque le communisme et le libéralisme sont extraits de la même matrice idéologique. Aujourd’hui c’est le contraire : l’ennemi absolu et radical de l’Amérique est fondamentalement spirituel (il est donc également ennemi d’Israël), et possédera probablement, un jour, une assise géopolitique – c’est là l’objet de tous nos combats et de toute notre détermination. Aujourd’hui, l’ennemi absolu et radical de l’Amérique, c’est la vision du monde en termes d’alliances de civilisation, c’est la vision multipolaire de l’eurasisme que donnait naguère Constantin Leontiev, à savoir « un bloc de Tradition contre le modernisme occidental », comme le rappelle Robert Steuckers dans son texte fondamental sur les relations historiques entre eurasisme, atlantisme et indisme.
Le pouvoir américano-sioniste pourrait très bien attaquer frontalement son adversaire, à savoir cette résurgence de la spiritualité vivante et agissante, en favorisant par exemple des mouvements ouvertement athées qui se battraient pied à pied contre la mise en place d’une spiritualité révolutionnaire supranationale et unificatrice. Mais, comme dans les années soixante, au lieu des contreforts traditionnels, l’Amérique a choisi à nouveau la stratégie de l’anaconda en misant tout sur la singerie de son ennemi le plus radical (la Révolution Spirituelle) ; et cette singerie passe justement par le néo-évhémérisme et le complotisme, derniers coups de boutoir de l’athéisme larvé et viral, tous deux américains jusqu’au bout des ongles, jusqu’au bout du trou du cul.
Pour le dire autrement, et afin que je me fasse bien comprendre : le complotisme est la maladie infantile de l’eurasisme.
Les complotistes d’aujourd’hui sont nos Cohn-Bendit à nous. Et j’espère bien qu’on n’attendra pas soixante ans pour leur crever la panse.
Le complotisme est une colonisation supplémentaire de l’esprit européen par l’Amérique des bas-fonds, l’Amérique des ratés.
Si tant est que nous soyons eurasistes, nous autres hyperboréens, il semble cependant que nous le soyons autrement que l’on ne le serait selon la volonté de puissance de certains. Nous ne sommes pas des complotistes… Nous n’en croyons pas nos oreilles, lorsque nous les entendons parler, tous ces conférenciers internautes. « Voici les modalités du complot ! » C’est avec cette exclamation qu’ils se précipitent tous sur nous, avec une recette à la main, la bouche hiératique pleine de vomi. « Mais qu’importe à nous le complot ? » – répondons-nous avec étonnement. « Voici le complot ! » – reprennent ces sales vociférateurs endiablés : et voici la vertu, le nouveau chemin du bonheur !… Car, en plus de tout le reste, voici qu’ils se piquent de vertu et de puritanisme, nos petits héros… Nous sommes, de par notre nature, beaucoup trop heureux pour ne pas voir qu’il y a une petite séduction dans le fait de devenir eurasiste ; c’est-à-dire immoraliste et aventurier… Nous avons pour le labyrinthe mégalithique de nos ombilics limbesques une curiosité particulière, nous tâchons, pour cela, de faire connaissance de monsieur le Minotaure dont on raconte des choses si dangereuses. Chut ! Ecoutez ! Le Taureau trépigne sur les parois de nos grottes antédiluviennes, il revient à la vie, ses naseaux frémissent et crachent de l’air chaud. Que nous importe votre corde à complots qui, prétendez-vous, nous aiderait à sortir de la caverne ! Vous voulez nous sauver au moyen de votre corde ! Et nous, nous vous supplions instamment de vous pendre avec !
A quoi sert tout cela en fin de compte ! Il n’y a pas d’autre moyen pour remettre l’eurasisme en honneur : il faut d’abord pendre les complotistes.
Le complotisme s’élève contre tout ce qui le dépasse, et son obsession est de rabaisser toute grandeur au niveau de sa propre impuissance atrophiée (les phrases suivantes entre guillemets sont réelles) : les Templiers (« une troupe de talmudistes précurseurs des francs-maçons et tenanciers de réseaux pédophiles »), le Vatican (« le Pape est une créature de Satan – d’ailleurs Bergoglio était trafiquant d’enfants, et c’est une loge maçonnique qui dirige le Vatican »), l’eurasisme (« Douguine est piloté par l’Occident »), la littérature (« chrétiennement parlant, Léon Bloy est sataniste »), les Rois Mérovingiens (« une race d’extra-terrestres »), l’Irak (« Saddam Hussein était un agent américain »), la Russie (« Poutine fait partie du système mondialiste »), le Onze-Septembre (« les avions étaient des hologrammes »), Platon (« le véritable Platon était Gémiste Pléthon, au XVè siècle »), les pyramides d’Egypte (« ce sont les reptiliens Annunakis qui les ont construites »), l’histoire européenne (« le Moyen Age n’a jamais existé, c’est une invention de l’Eglise vers 1600 »),… Lorsque j’entends un de ces crétins m’asséner qu’un complotiste est forcément intelligent puisqu’il doute des réalités officielles, je dégaine ma masse d’armes.
Leur mot d’ordre : tous contre la Sainte-Baume !
Je connais peu de listes aussi déprimantes que celle des dates marquant les défaites successives de l’Eurasie : – 37000 (extinction des Néandertaliens), – 10800 (engloutissement de l’Atlantide), – 2750 (troisième tiers de l’Ere du Taureau : césure du bloc indo-européen initial), – 175 (Saces chassés des Terres du Milieu par les Xiongnu), 843 (Traité de Verdun), 1274 (tentative avortée de Grégoire X d’unifier les Mongols, les Byzantins et l’Europe), 1314 (chute des Templiers), 1825 (dissolution de la Sainte-Alliance), 1945 (américanisation de l’Europe occidentale),… et 2014, où les adversaires les plus fervents et les plus retors du Saint Empire Eurasien sont les complotistes. Mais là, en revanche, il n’est pas sûr qu’ils remportent la victoire. Pas sûr du tout.
En 1942, le révolutionnaire Lucien Rebatet écrivait dans Les Décombres : « Je n’admire pas l’Allemagne d’être l’Allemagne, mais d’avoir permis Hitler. Je la loue d’avoir su, mieux qu’aucune autre nation, se donner l’ordre politique dans lequel j’ai reconnu tous mes désirs. Je crois que Hitler a conçu pour notre continent un magnifique avenir, et je voudrais passionnément qu’il se réalisât ». En 2014, les complotistes écrivent dans leurs torchons collaborationnistes que le nazisme était entièrement financé par les Juifs, et qu’Hitler, en plus d’être le petit-fils de Rotschild, était sataniste de par sa prétendue appartenance à la Société de Thulé.
La guerre totale a lieu entre la conspiration mondialiste de la super-puissance planétaire des Etats-Unis et « l’intégration grand-continentale eurasiatique de la fin » comme l’a écrit Parvulesco : la réunification du continent après quarante mille ans de tragédies historiques déflagrationnelles ; soit, d’une part, l’alliance sanctifiée entre le catholicisme et l’orthodoxie, et d’autre part, la nouvelle émergence des anciens dieux de notre continent ainsi que de tout le petit peuple de nos forêts, de nos landes et de nos lacs, sous l’égide hautement lumineuse et déchirante du Christ-Pantocrator et de la Vierge Marie.
Or, tout raisonnement qui s’élabore en termes de civilisation ou de bloc continental ne peut qu’être systématiquement condamné par le complotisme, qui y verra – ou plutôt, qui feindra d’y voir (car, pour beaucoup d’entre eux, tout n’est que jeu de dupes) – la mainmise de grands groupes financiers internationaux et une variante du nouvel ordre mondial au bénéfice intégral des banques de Wall Street. Alors que la nation est une fabrication complètement anti-traditionnelle (la nation française trouve principalement ses racines dans la cupidité et l’acharnement tout kshatriyen de Philippe le Bel dans la destruction de l’Ordre du Temple, et les autres nations européennes sont majoritairement des productions artificielles élaborées par les bourgeoisies entrepreneuriales pour faire fructifier leurs commerces et industries), elle est aujourd’hui ardemment défendue becs et ongles par les complotistes face au seul mouvement véritablement anti-américain et antisioniste qui tienne, celui de l’intégration supra-nationale grand-continentale et spirituellement unificatrice défendue par les nôtres. Mais, pour le complotiste, tout ce qui s’élève au-dessus de la nation ne peut qu’être une marionnette du Malin.
Lorsque le complotiste se trouvera en face du Paraclet, il L’attaquera en disant que c’est un hologramme envoyé par le Mossad pour tromper les esprits, tout comme son ancêtre avait jadis accusé Jésus d’être un mercenaire romain chargé de défaire les rebelles zélotes en semant le trouble. D’autres complotistes voient dans l’islam une manipulation des Arabes, leur mise au pas judaïque par le rabbin ébionite Waraqa Bin Nawfal, précepteur caché de Mahomet.
Pour le dire encore plus clairement : quels que soient les détours empruntés par les aléas de l’actualité quotidienne, le complotisme se trouve entièrement aux côtés de la conspiration mondialiste, parce que la seule manière de lutter contre la conspiration mondialiste, c’est la grandeur, le lyrisme, la beauté, la grâce, la foi, l’amour et le fanatisme, toutes choses qui passeront toujours pour suspectes aux yeux ultra-rationalistes des complotistes.
Dans chaque réunion publique de type politique ou spirituel, aujourd’hui, se trouvent dix pour cent de complotistes et/ou néo-évhéméristes qui pourrissent l’ambiance avec leurs sales gueules de traviole. Notons en passant que les complotistes sont tous d’une laideur à couper le souffle. Le 18 janvier dernier, à Rennes-le-Château, quelques-uns d’entre eux tentèrent de nous persuader que c’était la Rome chrétienne qui avait envoyé les Huns ravager la Gaule, et que le pic de Bugarach était un parking cosmique pour OVNIs. Les complotistes ésotéristes sont tous frontalement opposés au Vatican, car toute autorité politico-spirituelle ne peut que leur être insoutenable : ce sont des anarchistes honteux, une résurgence de l’éternelle lie de l’humanité, gueularde, atrophiée et vantarde, sous des oripeaux modernes de webmaster urbain. La croyance en l’origine extra-terrestre de la population humaine (ou d’une fraction d’entre elle) relève de cet ultime tour de passe-passe de l’athéisme, consistant à éviter à tout prix de s’en référer à Dieu.
Le 12 octobre 2013, lors de laconférence londonienne avec Alain de Benoist et Alexandre Douguine, quelques-uns d’entre eux affirmèrent que si l’on se trouvait dans cette salle d’hôtel du Bloomsbury pour évoquer « the end of the present world », c’était parce que le Mossad nous l’avait permis. Par ailleurs, ils nous affirmèrent que nos conférences ne servaient à rien si nous ne parlions pas du pouvoir absolu des Illuminati. Douguine perdit du temps à leur rétorquer que, contrairement au capitalisme industriel, le capitalisme financier était un flux principiel, et pas une construction statique. Pas de pyramide (ou d’anti-pyramide) qui tienne dans le monde de la dissolution : c’est précisément la définition de la post-modernité. Que se passerait-il si l’on éventrait tous les hommes au pouvoir, et qu’on les remplaçait par d’autres ? Absolument rien. Les complotistes ont cent ans de retard. Par ailleurs, c’est l’essence du capitalisme qui est proprement sataniste, beaucoup plus que les hommes qui le propagent. Voici une différence essentielle entre le conspirationnisme résistant et intelligent, et le complotisme traître, collaborationniste et imbécile : le premier sait que les forces obscures dirigent les hommes de manière disparate mais convergente, et que les hommes mauvais sont essentiellement le jouet du Mal, les esclaves des forces obscures ; le second croit que ce sont les hommes mauvais qui dirigent tout, et qu’ils possèdent par eux-mêmes un pouvoir énorme : le pouvoir de téléguider des avions sur des tours new-yorkaises, ou d’organiser des complots ultra-rationnels sur des dizaines ou des centaines d’années de distance. L’entité supérieure, pour eux, c’est l’élite. Et pas le Démon. Cette nuance peut sembler insignifiante, mais elle est énorme, et tout le problème est là. C’est encore une manière de croire en l’homme, de croire que certains hommes possèdent des super-pouvoirs comme dans les comics américains. Epuisé d’avoir à affronter autant de connerie orgueilleuse, Douguine se tourna vers moi en me soufflant, l’air désespéré : « C’est incapacitant ». Oui, en effet, tous les complotismes sont incapacitants, parce que c’est justement leur fonction : enrayer et stopper la Révolution Spirituelle, par tous les moyens.
Et ils le savent parfaitement.
Jusqu’à l’avènement d’internet, le complotisme restait cantonné dans des fanzines américains pour débiles légers, à l’instar du bulletin « Conspiracy Theory » de Mel Gibson dans le film éponyme de Richard Donner. La plupart de ces théories étaient alors plutôt amusantes, tant qu’elles ne relevaient que de la sous-culture paranoïde : le fluor est utilisé par les dentistes pour troubler le système nerveux des patients, des hélicoptères noirs en mode silencieux nous surveillent en permanence, le Grateful Dead était une troupe d’espions de la CIA, Oliver Stone est le porte-parole caché de Bush, les reptiles dominent le monde, etc. Mais le film date de 1996, et depuis lors, l’arme de destruction massive américaine dénommée internet a émergé dans le public, offrant un support idéalement symbiotique à la théorie arachnéenne du complot. Jamais on n’aura vu un médium aussi bien adapté à son message. En vingt ans, les tarés plutôt sympathiques sont devenus des leaders vaniteux, complètement intégrés aux modalités du système qu’ils se plaisaient naguère à décortiquer. Il n’y a aucune différence entre Alex Jones et Ronald Reagan. La technique MK Ultra était censée parvenir à transformer un homme moyen en assassin ? Depuis, comme il est dit dans le film de Donner, « la technique auto-suggestion et hypnose » est tombée dans le domaine privé : les webmasters complotistes l’ont entièrement récupérée, usant de l’insulte permanente, la vocifération abjecte et l’avilissement verbal pour hypnotiser l’internaute dubitatif, et le transformer en militant de la démobilisation et en assassin permanent de la Révolution. Chaque complotiste est un sous-produit direct de la CIA : il ne pense et n’agit que par elle, volontairement ou non.
En gagnant en vingt ans un certain pouvoir doctrinal favorisé et propagé par cette arme de guerre américaine qu’est internet, le discours complotiste s’est à la fois asséché et ridiculisé, mais il a surtout gagné en nuisance. Les théories débiles sont passées des revues ronéotypées en cinquante exemplaires aux sites internet à plus de 50000 visites par jours ; c’est exactement comme si un adolescent semi-attardé devenait père de famille du jour au lendemain. Ce dernier serait le père le plus autoritaire, insultant et haineux de tous les temps envers ses propres enfants. C’est ainsi que tout acte de résistance authentique est activement nié par le complotisme (l’anti-Système reconnu comme tel par le Système), tandis que cet acte de résistance est en même temps combattu par le Système officiel. J’affirme que le Système mène la lutte sur deux fronts en même temps : diffusion d’une propagande officielle sur les médias télévisuels de masse, et diffusion concomitante d’une propagande complotiste, opposée binairement à l’officielle, sur les médias internautes. A chaque fois, la vérité se trouve prise en sandwich entre les mensonges du Système et de l’anti-Système. L’anti-messe est dite.
Il ne peut pas exister de poésie ou de littérature complotiste, puisque le complotisme n’enrichit pas le réel mais il l’appauvrit : il l’assèche, l’encercle et le dissout. Le complotiste, c’est le Grand Inquisiteur évoqué par Dostoïevski (dans Les Frères Karamazov) : homme mauvais déguisé en dignitaire de l’Eglise, il refuse toute légitimité à la grâce (incontrôlable par nature) pour promouvoir la société de l’efficacité, une société soumise aux faux initiés comme lui. Le complotiste est un berger manipulateur : c’est un démocrate furieux, motivé par la haine du mystère. Ce qu’il déteste dans la vie, au fond, ce n’est pas que le Mal s’étende un peu partout, mais qu’il se passe des choses dont il ne soit pas au courant. Même si ce sont des forces du Bien qui tentent à couvert d’accroître leur pouvoir (Templiers, Jésuites, MMM), il les haïra avec détermination et les accusera de tous les maux, pour la simple raison qu’il veut connaître dans le détail absolument tout ce qu’il se passe.
Lorsque le Grand Inquisiteur rencontre Jésus, Celui qui fut le point de départ de sa vocation première, il réalise à quel point il a pu trahir cette dernière en l’érigeant en système de pensée aussi stérile que massificateur. Alors, à la fin, le Grand Inquisiteur fait périr Jésus dans les flammes. Le secret de Jésus, c’est qu’il n’y a pas de secret.
Croire que les hommes du Mal contrôlent tout, c’est démobilisant et anti-révolutionnaire, et conséquemment profitable au Mal. Le complotisme n’est pas une variante de la pensée radicale avec laquelle il pourrait être permis de composer en attendant la victoire. Bien au contraire. Le complotisme est un outil de la conspiration mondialiste pour étouffer la Révolution Spirituelle en usant de la stratégie de l’anaconda. A paranoïaque, paranoïaque et demi. Debout au sein de la cellule rayonnante de notre chevalerie spirituelle, nous autres hyperboréens, tenants de l’Europe mystérieuse et du Saint Empire des Temps de la Fin, saurons écraser la tête du complotisme à coups de talon, ainsi qu’il doit être fait.
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15/02/2025
Brouillon et et premières pages d'un roman qui ne verra jamais le jour...
De la Fidélité – Journal d'une trahison
Introduction à la mise-au-jour ; la mise-à-nu, de la patiente attende d'un pardon qui soulève le voile isiaque de notre propre trahison intérieure et antérieure envers Elle
« (189) Je conçois fort bien qu'il puisse y avoir des aveux comme intrinsèquement suspects, des aveux paraissant inviter à des compromissions des plus honteuses, entachés de je ne sais quel sentimentalisme bas et comme souillé d'avance, d'une fracture triviale, romantique et féminisante, réputée non-supérieure, déchirante, et tout à fait suicidaire (…), je sais que je me place de moi-même dans une posture intenable, je me sens coupable, et pourtant sans trop le reconnaître, d'une sorte de crime obscur, indéchiffrable et singulièrement malsain contre l'esprit du temps. Mais c'est ainsi. » Gué des Louves, p. 107
Tous les hommes attendent un pardon.
Le pardon absolu de l'unique amour.
Revivre cette dernière inspiration de leur existence à bout de souffle dés lors qu'ils croisèrent, pour l'unique fois, ce regard d'éternité. Cet instant où leur destin avait choisit sa voie, et où, à partir de là, leur libre arbitre ne serait plus qu'épreuve du feu contre le mensonge à soi-même.
Ce visage immobile et regard perçant, émouvante image de leur paradis retrouvé, aperçu l'histoire de quelques instants au moment de la rencontre, à jamais fixé dans la mémoire du rappel et ressouvenir de la Fin...
Enfer à raz-de-terre, du souffre dans un air d'oubli. Et puis, avant même de retenir cette rencontre, le chronos reprend sa course : la trahison est consumée et toutes les forêts de l'âme dévorées par ses flammes...
Les affranchis – ceux qui ont « franchis la ligne » – attendent, patiemment, de l'autre côté, sans espérer la possibilité d'une marche arrière – d'une « marche-en-avant à contre-courant ».
Le moindre « espoir » condamnerait leur patience, jugerait ses « multiples états » à une minable et méprisable « espérance » pour les réduire en miettes, au détriment de leur plus grande fidélité.
De la Fidélité forme supérieure de leur patiente attende qui se nourrit avidement de l'absence ; de rien.
Une patience qui n'attend plus.
L'absence impose alors sa discipline de fer, celle du silence, de l'impitoyable retour sur soi.
Un « retour sur soi » qui ne regarde plus le je ou le moi, mais l'être en nous.
Seul le « pardon » peut désormais les sauver. Le pardon providentiel et miraculeux émanant de sa grâce et qui n'arrive jamais. Le « miracle » du pardon ne s'accomplira pas ici...
Tous les hommes, sans exception, attendent donc, patiemment, sans plus l'attendre, par ce pardon, le retour de l'amour absolu. De l' « amour absolu » aimé une unique fois d'un absolu amour. D'un amour anxieux et jaloux. Un amour dont on ne peut soutenir le regard quelques secondes au risque de se brûler la rétine à vif. C'est l'amour de la rencontre originelle ; celle d'avant la chute dans la matière...
Remémorons-nous ces temps fleuris ! Le temps des chaotiques origines que l'on ne peut retoucher du bout des doigts qu'à cette instant précis, peau douce... Des origines qui reparaissent à la surface de la terre comme revient le printemps, avant de retomber dans la matière, fanée comme la rose, triste comme les pierres. Ces jours où Elle accompagnait nos joies et nos peines dans le mystérieux silence de l'attende et des bruits du retour... Nous avons passer notre vie à l'attendre. Attendre de la rencontrer. Attendre qu'elle rentre. Attendre son pardon.
Comprendront-ils avant de trépasser que « toute leur vie » s'est jouée là ; une fraction de seconde qui a décidé de tout ?
Le murmure d'une porte de garage qui annonce la bonne nouvelle !
Un paysage étrange, une odeur d'herbe fraîche, des arbres révérant et inquiets qui se courbe sur des lignes blanches, un chant lointain que l'on rejoint à tire d'ailes, lorsque, autour, tout s'éteint sur un couché rose. La route... Et, à l'horizon, une voûte de briques rouges. Les longs retours vers le foyer, une maison vide plaisante comme un bouge. Ses cheveux et sa moue. Le temps qui se roule. Le bitume qui mange le soleil ; la fumée par la fenêtre. Et sa main posée sur la mienne le temps du voyage... Où d'autre rencontrer Dieu que dans ce défilé de paysages muets où il n'y avait qu'elle et moi ? Rien ici ne pouvait plus nous atteindre, ne pouvait plus me la ravir. Le mouvement de ce temps suspendu, de cet amour silencieux s'enfonçant dans la nuit, nous offrait une sécurité amoureuse et absolue. La division ni la séparation ne pouvaient se joindre à cette réunion momentanée, s'embarquer dans cette sphère protectrice traçant comme une étoile filante ; implorant un vœux au Ciel. Le doute ne s’immisçait dans ce silence intime et complice que grimé de certitudes... Il faut avancer, ne jamais s'arrêter dans l'immobilité des bruyantes habitudes. Dieu que je l'aimais ; jusqu'à l'oubli de moi-même...
J'avais vingt-huit ans et des prières quand je l'ai rencontré ; elle est venue à moi et je l'ai reconnu. Il paraît que l'on ne connaît jamais vraiment quelqu'un ?... Ou, peut-être, connaissons tout de lui depuis le début ?... Le secret de la trahison à venir fut bien gardé.
Nous n'étions pas d'ici.
Atteint de la folie passagère de l'écriture de survie, ou de ne rien faire que de digérer une déception faussement amoureuse – dont nous ne parlerons pas ici ; ou peut-être plus loin –, j'étais pauvre de tout. J'avais faim. J'ai véritablement connu la faim. Rarement. Je n'ai jamais compris l'argent et la vie fût généreuse. Les poches trop pleines ou trouées. Elle est venue, soir tombé, m'apporter un plat de Reine. Maigre et gracieuse. Singulière et paradoxale. Affirmée !... et pourtant pas très sûre d'elle. Je ne la connaissais pas tout-à-fait ; je désirais qu'elle reste avant même qu'elle arrive. Toujours elle avait été là. Elle est restée.
Elle avait trente-six ans et des lumières. Cette « dernière nuit » fut la première. Nous ne nous sommes jamais quittés ; déchirés.
Le 21 juin 2021, jour du solstice boréal, au zénith d'un soleil noir, je me suis brusquement réveillé, sorti de ce rêve, extirpé par les entrailles d'un sommeil mortel après une douzaine d'années d'un mariage céleste. Depuis 9 mois nous faisions chambre à part et je dormais avec des ombres.
Je suis parti.
Mort.
Elle n'était pas là ; avait fuit mon départ quelques minutes avant à la Fin. Je ne la connaissais pas lâche. Je la découvrais indigne de tout ce que nous avions été. Nous ne nous sommes jamais revus. J'ai vu la beauté.
J'ai quarante-trois ans aujourd'hui, voilà bientôt deux ans que je patiente, que j'attends son pardon, sans aucun espoir.
Affranchi.
Le pardon. Tout ce qui manque. Tout ce qui a sans doute manqué ; par trop de fierté. Il ne manquait pas d'amour. La fierté inflige à l'amour des tortures d'intransigeance. La fierté endurcit les cœurs, et, alors que nous désirons absolument aimer, nous abandonnons l'être aimer, nous martelons, comme nous avons abandonné et enterré Dieu, à coup de marteau, interdisant toute renaissance, tout renouveau, tout recommencement. Il ne reste plus alors qu'à mourir dans les mensonges à elle-même de notre fierté et dans la sienne. La fierté est orgueilleuse, menteuse, hypocrite. Petite salope ! Nous voulons accueillir l'être chéri dans nos bras pour le consoler de nos outrages et nous fuyons vers nul part.
Que fuyons-nous si ce n'est nous-même ?
La fierté que l'orgueil redoute empêche la prière du pardon et les adieux de s'accomplir, de se séparer comme des êtres humains ; s'il le faut et il le fallait. La fierté est une tueuse d'âme. Je ballade le cadavre de la mienne comme Dali son tamanoir.
Elle m'avait souvent prévenu que l'amour ne suffit pas et qu'il n'y a que des preuves d'amour... J'étais amoureusement et absolument d'accord. Elle était, de fait, prévenue elle aussi...
J'ai perdu, sans m'en rendre compte, en ces années naïves et innocentes où je n'avais Dieu et qu'elle, le goût de tous les sels et sucres de l'existence.
Le temps de la vie ; que seule la mort mesure, n'est le recueil que de quelques battements de cœur dont elle a écrit l'essentiel avec ses mains de crocheteur.
J'existais, quelque part, avant de faire l'expérience du vivant et de N. Je ne suis descendu sur terre que pour la rencontrer – pour quoi d'autre ?
Je n'ai vécu qu'à travers elle. Avant elle, je n'étais qu'une ombre. Après elle, je n'ai plus d'ombre. Plus rien d'obscur ou d'occulte ne traîne derrière moi. Mon ombre est plus noire que la Nuit. Légère et translucide. Suivez-là !
C'est l'ombre de moi-même qui écrit sa peine que d'autre mot ne pourrait peindre, une ombre absente à elle-même ; menaçante, comme je suis absent de mon propre chagrin ; un danger pour moi-même, et je serais bien en peine de mentir cette réalité. De mentir sur ce que je suis devenu d'ombre sans ombre. Je ne le cache jamais. Cela me coûte. Les spectres qui n'ont pas connu l'amour vous reproche de l’étreinte à travers eux.
Mon ange...
On ne trébuche, ne chute, ne tombe, que pour aimer ? J'ai retrouver l'autre part de moi-même en toi et me suis rassembler.
Aux confins de l'univers, je poursuivais ton étoile tombée sur terre, fine poussière, depuis les origines, et nous sommes nés pour nous retrouver. Un peu tard, trop tard sans doute, plus jamais. Se retrouver, se rencontrer et se reconnaître est une grâce accordée par le Destin, par le plus grand des hasards et fortuite coïncidence. Le genre de hasard qui fait rougir les coïncidences et pâlir les intuitions les plus élevées. Ah !... ces orgueilleuses intuitions des prophètes et des poètes, qui les rongent de l'intérieur, puis ils s'enflamment pour ne pas mourir de froid. « Qui les rongent de l'intérieur » car ils ne pourront jamais savoir d'où vient cette plus grande intuition de l'amour absolu. Je te vois en rêve. Tu me sermonnes et m'en veux.
Elle naquit pour sauver le monde et fit l'expérience de la vie avant que mon âme ne s'effondre en elle ; que mon corps ne la recherche en-dedans de son existence. J'hésitais à m'y glisser, dans cet peau d'homme ; irrésistiblement attiré vers cette planète bleue où elle grandissait sans moi. J'étais libre en Dieu, elle était le mien, je regrette d'avoir entamé cette descente pour ne trouver que néant. L'expérience du vivant, à sa recherche, et celle de l'immortalité terrestre par notre réunion, ne m'inspire plus que le dégoût. Mon Dieu ! Tu avais décidé pour nous deux. Je ne pouvais que descendre, me détacher et chuter dans cette matière d'une « terrible beauté ».
Ma sœur, je t'ai cherché, je ne t'ai jamais abandonné. Durant vingt-huit années, je t'ai cherché.
Ce temps fut pénible, et le temps d'après, de nouveau sans toi, est indicible, je ne pourrais en décrire la noirceur et l'amertume de la lie.Vin et vent noirs. La Nuit est trop claire pour moi. Tout le mal que je te souhaite...
Tu leur diras que je n'étais pas un faible ni un vaincu. Que j'étais bien le seul à pouvoir moi-même me vaincre et que je n'ai pas lésiné sur les moyens pour m’anéantir... Effondré en toi. Invaincu.
Je sais qu'il le faudrait. Il faut commencer par soi-même se pardonner pour pouvoir blabla. Mais j'ai décidé, puisque c'est le seul choix dont je dispose, de ne m'accorder ce premier pardon. Tu parles d'un choix !
Je préfère te pardonner que de moi-même me pardonner.
Tu es moi. Je ne suis plus rien.
***
Ce récit, quoique que vous pouvez d'ors et déjà en penser, n'est pas celui de la défaite mais celui d'une victoire, d'une grâce et d'un miracle.
Je crois en la mort du roman et aux hommes qui arrêtent d'écrire. Mes prétentions d'écrivain de la fin du roman sont modestes ; cette première épreuve s'est forgée dans l'épreuve du feu.
Je n'écris pas un roman ni une confession, un essai ni un testament... J'écris mes heures sans elle.
J'écris sur l'amour et la mort avec et sans elle, sans étude, sans autre référence que ma pathétique expérience, de ma rencontre amoureuse avec Dieu.
Cette imprudence révélera pour les uns de la naïveté, pour d'autres quelque chose de plus abjecte. De l'impudeur peut-être. L'hérésie la plus complète. Je l'entends. Je perçois toute l'insignifiance de mes mots simples pour des cerveaux compliqués. Toute la complainte derrière. Et pourtant, je ne me plains pas.
Bien entendu, il faudra aux lecteurs lire entre les lignes de ce mélodrame sentimental parfois fort prosaïque. Votre serviteur ne prétend pas être un écrivain. C'est le silence, celui de la patiente attende du pardon, haute discipline de l'absence, qui écrit nos jours et qui s'exprime ici. Ces mots sont l'écho de ceux que nous ne prononçons pas, que nous ne prononcerons plus, de lettres que nous n'envoyons pas, pour taire tout ce que nous ne dirons plus. Le silence, et rien que le silence.
Tout a été écrit. Nous décrivons. Tout a été dit. Nous décrions. Pour mieux taire ce silence.
Je n'ai trouvé d'autre moyen de me taire que d'écrire.
Ce texte, celui d'une vie intérieure, est la tentative imposée d'un – à un – essayiste pris dans les tumultes de la médiocrité postmoderne qui se reflète dans nos interactions, nos relations et nos réalisations. Dans d'énigmatiques expériences qui contrebalancent, contrastent, cette médiocrité des temps à laquelle nous sommes soumis, dans laquelle nous sommes emprisonnés, internés, le rêve comme dernier refuge, le vert recours aux forêts de l'Esprit. Des expériences au-delà de la réalité qui, irréversiblement, l'espace du rêve, nous rendent libres de conspirer contre le réel, de comploter d'imaginaire contre cette réalité invertébrée que nous avons imaginé, créé, provoqué. Dont nous sommes responsables.
Seule la vérité de la « seconde existence » dans les continents engloutis du monde idéel et imaginal – qui n'est pas dans notre langue synonyme de l' « arrière-monde » nietzschéen – peut combattre la réalité d'une vie primaire, enfuie à la surface des eaux froides du monde réel et virginal, des déserts de glace, brûlants de froid, sans mirage ni oasis, sans espoirs.
Le temps du rêve, nous sommes avec Elle.
.
Elle est notre intuition. Il faut partir.
Cloîtrés dans le confort de nos cellules capitonnées de mensonges molletonnés, le retour à la réalité du non-sens et du non-être, qu'est devenue l'absurde quotidien ; un quotidien sans présent, d'hommes qui pourtant vivent dans la permanence de la matière solidifiée sans exister, est mollement douloureux, durement acceptable. C'est trop ou pas assez. Une guerre sourde, muette et aveugle. La pire des guerres. L'avantage, dans l'asile cybernétique des fous-à-lier de la postmodernité, c'est que nous pouvons nous taper la tête au mur sans nous ouvrir le crane. C'est la ouate ; même pas mal. Je mourrais de soif au bord de la fontaine qui remplissait mon présent d'éternité, obsédé par l'instant.
Le mensonge s'est donc mis à se mentir à lui-même... Le faux de la vie gagne sur la mort elle-même. La mort ne meurt plus. N'en finit plus de mourir. Les hybrides veulent prendre cette chose précieuse aux derniers hommes vivants. Cette chose qui éprouvait leur souffrances, apaisait leurs fureurs passagères, réduisait la violence de leurs habitudes et ses vices, en bref, la seule raison qui rendait les dieux jaloux et donnait du sens à la vie sur terre était violée... Je parle de la mort. Qui nous offrait l'immortalité. Il ne s'agit pas d'inutilement souffrir et d'avoir peine pour mourir et devenir immortel, de se faire plus malheureux qu'on ne l'est, mais d’accepter de se faire et d'avoir mal comme nous faisons le mal ou faisons mal. Autrement dit, d’accepter de commettre et apprendre de nos erreurs, de nos erreurs qui deviennent fautes, de nos fautes qui deviennent pêchés.
Ce n'est pas un homme qui va mourir, c'est un genre humain...
Il ne nous ne reste que l'arme de l'écriture qui ne cherche plus à être littérature. Mais à décrire le présent au réel et le réel au présent pour signer cet acte de révolte ultime. Jour pour jour. Au présent du rêve et réel de l'imaginaire. Rédigé par les grands notaires d'une haute rationalité, d'une moralité à toute épreuve : l'inutilité de la vie se rend à l'existence et dépose les armes au pied du Destin pour mieux l'approcher, l'atteindre et l'assassiner puisqu'il est seul Roi en ce bas monde et qu'il préside à nos volontés.
Le Diable lui-même ; qui s'est penché sur mon cas, petit prince capricieux et têtus de cette terre, y est soumis.
Le mot de « suicide » est insuffisant, celui de « sacrifice » est excessif. Rendre l'existence au vivant et la vie à l'être – Ne se suicident que les optimistes, les optimistes qui ne peuvent plus l’être. Les autres, n’ayant aucune raison de vivre, pourquoi en auraient-ils de mourir ? Emil Cioran
Ce « roman » proposera peu de descriptions de lieus et de paysages, de détails sur les formes et les objets. Nous ne vivons que de nerveuses et chimiques sensations, à l'intérieur d'un corps dont les intelligences de l'âme et de l'esprit ne remuent que très rarement – nous allierons donc l'effort au doute pour situer l'endroit et l'envers de notre petite tragédie.
L'illusion du mouvement, animée par la divine magie de l'onde primordiale ; ordonnatrice d'une nature cosmique et universelle que les sens ne peuvent totalement concevoir, est la réalité des comédies dramatiques et des tragédies humaines.
Tout est invisible.
Nous prétendons voir et avoir le pouvoir de décrire notre condition ; nous nous réfugions dans la description des images et des souvenirs pour ne pas affronter l'éventualité de la Nuit. D'une Nuit plus noire que la nuit. De l’éternelle nuit du présent, des instants de ténèbres qui se succèdent pour former une belle histoire. Une histoire douteuse et hésitante, vécue comme une incompréhension de chaque instants mais que nous essayons, malgré tout, de rendre intelligible. Si nous ne pouvons nommer et décrire Dieu, il en va de même pour tous les beaux restes de sa création.
C'est la Nuit.
Rien ne vous sera montrer que vous ne voudriez pas voir ; vous n'y verrez que ce que vous avez envie de voir ou ce que vous pouvez. Et, un auteur ne devrait par dire ceci : mais ce que le lecteur va trouver là-dedans m’intéresse peu. Je ne suis pas là pour séduire ni convaincre personne. Même pas pour me faire plaisir. Je n'ai rien à vendre. Je témoigne. Je franchis la ligne. Je meurs.
Vous descendrez abruptement dans les souterrains d'un homme par ses organes fatigués, épuisés d'attendre un pardon ; de la même manière qu'il attendait chaque jour le retour de sa vandale. Blonde sauvageonne, blonde d'un feu d'automne. Blanche sicilienne aux yeux verts lacérés d'argent, au regard strié d'or. Enchaîné au sommet de cette attende ; dévoré. Une attente qui attendait déjà dans une prison dorée ; et qui aujourd'hui n'attend plus. On pourrait alors penser au dénouement et à la rédemption ?... Mais c'est mal connaître l'amour. Il n'en serait rien sans son pardon qui ne viendra pas. Il ne suffit pas d'ouvrir la porte de cette prison, n'y même d'en sortir pour pouvoir s'en évader. Le pardon est la clef qui ouvre la porte de la trahison...
Cependant, dans l'imperfection de cette humble littérature de combat, la présence médiumnique du concept absolu « Jean Parvulesco », avec qui nous entretenons un rapport particulier, n'est pas feinte.
Dans le récit de nos anciennes et récentes aventures, intérieures, ici romancées, entre rêve et réalité de ce qu'elles furent pour ne pas être, l'apport magique, celui-là bien réel, central, polaire, magnétique, pendulaire qui rythme notre vie – et notre obligation d'écriture au carrefour de celle-ci – s'est imposé à travers l'œuvre de « Jean Parvulesco » – essentiellement par la voix du Gué des Louves –, qui s'est entremêlée à notre expérience somnambulique, hypnagogique, mediumnique. La présence que nous évoquons n'y figure pas pour donner des lettres de noblesse à un récit que nous considérons pour ce qu'il est et qu'il ne nous appartient pas de nous-même qualifier. Nous ne possédons le style, la puissance littéraire, pour retranscrire l'intensité de ces minutes en dehors du temps tel que nous les avons vécu, mais nous nous y serons employés au maximum de nos capacités.
Une étoile tombée de nuit, pluie de lune, de blanc feu, d'incandescentes scories : quelques pages manuscrites, écrites dans un état second, semi-éveillé et semi-conscient, réminiscence et remontée en puissance d'une intuition ancienne.
Des pages volantes et tournevirantes dans lesquelles nous avons dû remettre de l'ordre, citer les extraits qui ont rythmé cette correspondance intérieure pour souligner ce rêve, ce cauchemar, les songes de midi, alternance et concordance de lecture ténébreuse et d'écriture nerveuse. Bibliomancie, instinctive, intuitive, suractivée par la volonté de ne pas mourir. Des pages exaltées écrites hors du temps, que nous avons eu grande peine à déchiffrer, à remettre chronologiquement dans leur contexte vécu pour en produire un objet littéraire (à peu près cohérent). Nous n'étions que le réceptacle d'une rencontre entre un rêve et une vision, creuset d'une transmutation médiumnique. D'une épreuve nous empêchant de mourir d'une insondable mélancolie.
Voilà le sujet de ce récit crucifié qui est à lui-même sa propre expérience littéraire tout-à-fait intérieure, souterraine, abyssale, pour paraphraser « Jean Parvulesco ». Cher Jean...
Nous détestons habituellement et publiquement nous épancher, exposer notre vie privée, et ne l'avons jamais fait auparavant sinon à titre justificatif et discret, par respect pour nos rares lecteurs, afin d'expliquer nos retards sur telle promesse que nous ne pouvions tenir sans vos soutiens. Nous le faisons ici, ultimement – et égoïstement –, pour nous adresser à une femme que nous aimerons fidèlement jusqu'à la fin, une femme que nous aimons fraternellement dans les confins d'une rencontre qui n'a pas eu lieu et une femme que nous aimions amoureusement contre toute attente. Et, sans doute, pour interpeller une femme que nous aurions du aimer ou que nous ne connaissons pas encore... Mais, à travers ces actes, nous ne nous adressons qu'à une seule et même femme qui n'est à seule que cette seule et même femme.
Nous l'avions en point de mire. Nous l'avons perdu ; ne la verrons plus.
Que la fin soit proche est notre seule et unique, notre grande et absolue ambition, notre seule espoir, ce qui, dans une joyeuse mélancolie, nous rassure. Bientôt.
Comme premier roman, que romancer d'autre que notre petit drame ? Un drame personnel qui, certes, ne peut atteindre la dignité des grandes œuvres et tragédies...
S'il s'agit d'une vision romancée, expressément naïve, de notre sordide réalité sentimentale, nous tenterons d'approcher fidèlement une certaine vérité sur notre expérience amoureuse. Nous « luttions » contre ce faire et avons longuement hésité à publier cet écrit. Il nous a semblé devoir le faire. Nous le ferons donc avec pudeur et retenue, autant que faire se peut lorsque s'exprime ce genre d'état d'âme. Nous parlerons donc d'amour ; si Dieu le veut. Peut-être aussi nous cherchons-nous quelques excuses pour justifier notre honte, notre humiliation, et le déshonneur, pour aller au bout de ce qui a « toujours déjà été trop loin ».
« Je n'écris donc que pour mourir, pour mourir à moi-même qui, pourtant, je suis mort depuis je ne sais même plus quand, pour mourir à la mort qui n'en finit plus de se mourir en moi et avec moi. (…) Comment ai-je dit, des aventures sentimentales ? Bien sûr, des aventures sentimentales et rien d'autre. » Gué des Louves, pp. 179-180
(...)
Je n'ai jamais envoyé ces « lettres d'amour » de la Fin, d'amours impossibles. Des « lettres » qui ne s'adressait qu'à N. et ne paralit que d'Elle, conclu de poltrons adieux.
Des lettres écrites simultanément ce mois d'avril 2022, entre deux rêves. Et plus tard, pour le « Lettre à C. » venant clore le chapitre...
J'aurai apporté quelques précisions à la « lettre à V. », ce mois d'avril 2023.
Ces lettres étant devenues les « lettres ouvertes » d'une histoire romancée, N. les lira peut-être ; elle n'aurait pu que les lire si j'avais été plus courageux... Et elle moins lâche.
L'honneur et la Fidélité déjà loin. La Trahison a gagné.
J'étais déjà mort, la tête posée sur elle, ce 21 juin 2021. Elle a fuit. Je suis parti. Rien de plus à ajouter.
***
« Qu'ai-je à dire d'autre ? Toute une vie de honte, de désespoir et de malheur absolu, et aussi abject qu'absolu, toute une vie de déchirement et de ténèbres et d'impuissance, toute une vie de mort au bord de la mort, sur la bordure délictueuse et la plus écœurante de la mort, soudain n'est plus rien devant la seule joie de cet instant, de cet instant seul, où il m'est donné de savoir ce que peut vouloir dire ce rêve, la seule joie de me dire à moi-même que je comprends, au réveil, quel peut bien être le sens du message qu'il véhicule à mon intention, ou qu'il véhicule même pas si, après tout, un rêve peut aussi n'être qu'un rêve.
Fidèle, elle m'aura été fidèle au-delà de tout, et elle m'aura donc amoureusement attendu au-delà de toute attente concevable, au-delà de toute trahison et de tout oubli, fidèle, dans son sommeil, au de-là même de sa mort et de la mienne, confiante et certaine et limpide en elle-même comme seule sait l'être la lumière intérieure du cristal de roche emprisonnée, pour des millénaires chaotiques et nuls, dans les ténèbres de sa propre attente, oublieuse, éternelle, heureuse attente du retour du jour le plus ancien qui l'aura connue.
La vie, désormais, ne m’intéresse plus, ni ma vie, ni rien. La seule chose qu'il m'avait importé d'avoir, à présent je l'ai. Je sais de quoi l'éternité est faite, et la joie de cette science secrète me brûle l'être comme le feu même du centre du soleil glaciaire des libérés dans la vie. La liberté absolue, cette nuit, moi, je l'ai connue. Comment la conquérir ? Elle n'est donnée, et pour rien. Mais dans le rêve seulement, et non dans la vie. Une tristesse m'en vient, et le cœur de cette tristesse, son cœur noir, est fait de la mort elle-même, de cette mort que l'on sait faite d'une éternité de ténèbres sans mémoire ni fin. » Gué des Louves, pp. 79
Fin.
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14/02/2025
Prophètes contre Magiciens (Raymond Abellio)
Raymond Abellio, Vers un nouveau prophétisme – Essai sur le rôle politique du sacré et la situation de Lucifer dans le monde moderne, Chapitre cinquième : Prophètes contre Magiciens, pp. 111/127, nrf (Gallimard), 1950
I. La nouvelle Magie de l'utilisation politique des techniques modernes des sciences métapsychiques ou occultes mises au point par les Technocrates occidentaux agissant en tant que précurseurs des Américains et des Russes
La diversité même des mobiles initiaux qui, dans les différents pays, ont conduit à la première manifestation de la caste guerrière (vocation messianique du prolétariat, en Russie, de la Race, en Allemagne, de l’État, en Italie, de la société socialiste libertaire, en France, sauvetage du capitalisme libérale et de vocation moraliste aux U.S.A.) implique visiblement l'existence d'une cause commune plus profonde. Nous savons que ce commun dénominateur est constitué par la réaction des forces telluriques. On pressent déjà que ce réveil rendu nécessaire, pour la première fois, non seulement par la crise des pouvoirs sociaux, mais par l'aboutissement de la descente involutive de l'Esprit, va donner au régime de la dualité des pouvoirs un caractère entièrement nouveau. Toutes les autres motivations, variables selon les pays, ne sont que des causes secondes, ou plutôt des symboles, car il ne peut s’agir ici de causalités univoques, mais de correspondances agissant sur un plan encore ésotérique. Ces motivations diverses une fois amorties, d'autres vont naître, agissant dans le même sens, n'ayant pas encore conscience de leur communauté de signification, mais agissant toujours dans le sens de leur réduction à deux facteurs simples, parallèles, opposés, complices, soumis à un éclairage de plus en plus brutal. J'ai déjà dit que s'exalteront finalement ainsi l'une par l'autre deux conceptions du monde, toute deux universalistes et totalitaires : une conception marxiste, une conceptions capitaliste à tendances chrétiennes tamasiques, également sectaires : Lénine contre Calvin, tous deux encore embrumés par un commun « rousseauisme ». Les rameaux actuels de ces deux troncs mélangent parfois leurs frondaisons, peu importe. La logique même de leur croissance conduit les deux castes maîtresses à se fermer et à se servir pour le surplus de toutes les armes de propagande de masses, dans le seul but de provoquer l'assoupissement intellectuel (mais non tellurique) de la quatrième caste.
Comme technocrates et guerriers sont, dans leur ordre, les plus intransigeants des dogmatiques, on peut être sûr qu'ils pousseront les mythologies telluriques de la classe, de la Nation (ou de l'Empire) et de la Race à leurs conséquences extrêmes, y compris leur subversion. Même la Race, certes. Car c'est le propre des aristocraties guerrières d'aboutir à des modes de sélection par le Sang et de prétendre créer une race par des moyens eugéniques. Je viens de prononcer le mot de mythologie ; je lui donne son sens plein. Il s'agit pour ces deux castes non seulement d'ériger en mythes leurs instruments de combat, leurs outils ou leur palladium (cela ne serait qu'une forme de narcissisme propre à toute communauté conquérante), il s'agit surtout de donner son complément polaire au tellurisme originel et ce complément est païen, c'est-à-dire mythologique. Au début, elles pourront se contenter de donner le primat à l'action, comme dans toute les périodes de conquête du pouvoir.L'action, cela voudra dire souvent l'aventure : l e « colonialisme » des constructions est l'aventure propre au technicien. Mais c'est ici que je voudrais faire une remarque essentielle :
Le chef technocrate européen ne dispose plus d'un réservoir tellurique suffisant, ou même lui appartenant en propre. Il va donc se détourner des moyens de domination tellurique de quantité (arguments de la Classe, de la Nation, de la Race, agitation-propagande) au profit des moyens de qualité. Ceux-ci ne peuvent consister que dans la mise au point des techniques d'utilisation politiques des sciences métapsychiques ou occultes. Le Technocrate européen sera donc l'initiateur des nouvelles formes de domination magicienne qui auront cours aux U.S.A. et en Russie, à la fin des temps prédiluviens.
Il est désormais évident qu'en Europe, l'idolâtrie de la technique industrielle ne peut plus avoir qu'un temps. Disons d'abord pourquoi, nous verrons ensuite sur quoi se fera le transfert du besoin de mythologie. Pourquoi ? C'est aisé à comprendre. On a souvent reconnu que l'Occidental se caractérise, dans toutes ses créations, par la manie du petit et de la précision. On s'est toujours moqué, en Europe, du goût allemand pour le « colossal » (un petit colossal d'ailleurs, vu d'Amérique ou de Russie) et le produit le plus spécifiquement européen, et à jamais, est la finesse, l'acuité morale et psychologique de la littérature française. A cet égard, on peut être sûr que les techniciens occidentaux ne suivront les techniciens russes ou américains qu'avec l'arrière pensée de les laisser s'épuiser dans leurs constructions géantes et de les surclasser dans le fini. Cela ne va pas loin, certes, mais prêtons encore attention à ceci : dans la construction industrielle, le technocrate occidental un peu dégrossi ne peut vraiment être animé par aucune passion d'artiste ; il ne peut pas transférer sur le chantier ou la machine son besoin de création, d'ouverture ou d'aération spirituelles. Ce n'est pas là qu'il cherchera l'intégralité obscurément ressentie comme perdue. Je parle de l'élite marchande, bien sûr, de celle qui pénètre en avant-garde dans l'avenir et non de la moyenne grégaire qui s'est américanisée et va, de même, se russifier. Dans son subconscient, cette élite ne se satisfait plus de vivre comme Ford-Prométhée ou Lindberg-Icare, la psychologie des grands constructeurs lui apparaît marquée d'une simplicité un peu rustique, d'une horrifiante naïveté. Que lui reste-t-il ? D'imaginer avec nostalgie la vie des grands capitaines guerriers ou industriels qui, eux, ne commandent pas à des machines, mais à des hommes, par millions. De l'imaginer, oui, mais de l'imaginer seulement, car les places sont prises, et les Européens en sont exclus, eux dont les terres aussi sont trop petites et les peuples trop peu nombreux ; ils ne sont plus que des rois déchus. Pourtant, rien n'empêchera le technocrate occidental cultivé de ressentir cette éviction comme une suprême injustice. Car il sait, sans qu'on le lui ait jamais appris, et parce que l'inconscient collectif de toute l'Europe le lui crie, que c'est ici, en Europe, qu'on possède à jamais la meilleure connaissance de l'homme, dans sa variété, son unicité, et que seule la connaissance légitime la puissance. Qu'un autre que lui y prétende, et il se sent frustré : il ne doit pas être de pire supplice que celui du vampire qui se sent vampirisé. Ma conclusion va alors presque de soi : la seule voie qui reste ouverte aux chefs de la Technocratie européenne, c'est l'exploitation technique de la métapsychique et des dérivations des sciences occultes à des fins de puissance humaine. Un courant profond, et qu'il serait puéril de considérer comme fortuit, pousse l'avant-garde de nos techniciens utilitaires vers l'exploration des nouvelles sciences de l'âme et de tous les phénomènes de suggestion, métagnomie, télépsychie provoquée, et même de dédoublement, sans compter les immenses possibilités de l'astrologie ; et ils ne vont pas seulement y entrer en savants précis et positifs, mais en homme de puissance ambitieux, mordus par l faim tellurique. Il est prématuré de rechercher dans quelle mesure la métapsychique pourra satisfaire ces appétits ; seuls les spécialistes pourraient le dire. On n'en est encore qu'à la sélection des capacités utilitaires par la psychotechnique ou l'astrologie. Mais jusqu'à quel point des volontés telluriques peuvent-elles résister aux influences psychiques exercées sur elles ? Il ne nous appartient pas de le dire, mais sans doute suffira-t-il de rappeler deux faits précis, dans des ordres différents : le premier, c'est la perfection déjà atteinte par les techniques de la suggestion, en matière de propagande ou d'agitation des masses ; la deuxième, la précision déjà obtenue dans l'établissement des tests qui servent à situer les caractéristiques de tel ou tel ouvrier ; si l'âme inférieur se révèle sous l'action de certains tests, il est évident que l'action répétée d'autres tests pourra faire varier la nature des réflexes de cette âme, donc les ériger comme on fait varier et dirige celle des corps « exercés ». Cela laisse à penser que l'âge des sorciers n'est pas tout entier derrière nous. Le peuple (quatrième caste) va devenir le champ d'application de la Magie fascinatrice tendant à inventorier, sélectionner, rassembler, perfectionner et manier des êtres et des groupes différenciés selon leurs aptitudes utilitaires, par une sorte d'élevage savant, hiérarchique et dynamique quant aux fonctions corporelles, mais statique et niveleur quant aux âmes. On ne cherchera pas à développer les sattwiques, considérés comme « amorphes » ou « inadaptés sociaux » , mais les tamasiques. Chez les meneurs, nulle angoisse métaphysique ne se cachera évidement dans cette revitalisation de la Magie, et pas l'ombre d'une pensée panthéistique ou la croyance à de mystérieux démons : il s'agira de Magie positive, d'une vision précise de l'âme considérée en apparence comme un simple émetteur ou récepteur d'ondes dans l'astral, mais en réalité comme une proie. D'après les meilleures interprétations, on sait d'ailleurs que la télépathie ne consiste pas, pour le percipient, à recevoir une pensée ou une impression d'autrui, mais à la prendre dans l'âme de l'agent.
« Que signifie cette nouvelle tendance des technocrates et jusqu'où va-t-elle, déjà, inconsciemment ? Il y a trop de déjà-vu dans la technique, pour que l'élite occidentale, même si ce n'est qu'une élite biologique et tellurique, se contente longtemps de ses fades jouissances : l'occidental veut posséder des hommes, non des machines. Même peuplée de machines géantes et des demi-dieux qui les commandent, la terre tourne dans un panthéisme sans issue et tous ces demi-dieux réunis ne font pas un Dieu. Or l'Occidental veut être Dieu depuis longtemps, et le chef russe ou américain veut l'être après lui, mais comme lui, et avec infiniment plus de puissance entre ses mains. L'anthropocentrisme radical de la fin de l'involution trouve ici son expression tellurique la plus forte : pour un chef du type tellurique monté dans la première caste, divinisation ne signifie pas comme pour le mystique « possibilité d'une suprême qualification de l'amour de Dieu », mais polairement, « possibilité d'une suprême dégradation de l'amour pour l'homme ». Cela, inconsciemment, bien entendu. D'où une réaction ambivalente d'amour et de nihilisme qui caractérise la possession vampirique. Le technocrate à aspirations magiciennes ne se contente plus de commander à la Matière inerte car on ne satisfait aucun nihilisme par ce commandement : il veut le contact direct, la possession amoureuse des hommes. Et il y parviendra par delà la technique ey avec son aide, pour peu que la métapsychique élargisse ses explications positives et, à plus forte raison encore, si le nombre des sujets doués pour l'exercice de ces facultés ou la mise en œuvre de ces puissances se multiplie : or, cela est hautement probable. Toute science qui se crée fait naître, on le sait, ses propres sujets d'expérience à une vitesse qui croit avec son développement même, et l'ascèse magiste aussi deviendra une technique banale et accessible à une minorité assez nombreuse, dans la mesure même où la démocratisation du luxe donnera moins de prix à la vie facile. »
Il devient tout à fait inutile de souhaiter que le prestige du Sacré soit réservé à une élite plus exigeante que celle qui se borne à vivre sur le plan des effets. Demain, les Magiciens-Technocrates et leurs associés-dirigés, les guerriers, vont se multiplier, et le moindre pourra, s'il le veut, acquérir la force d'un Titan prométhéen et d'un Asura. Demain, le Sacré sera à la disposition de presque tous les Savants, et non d'un seul. J'ai rappelé que, déjà, la propagande est une science, celle du mensonge par suggestion (par « réflexes dirigés »). Dans un livre intitulé L'Humanisme économique, le Français Coutrot a parlé des « mitrailleuses de la suggestion » : cette image guerrière vient juste en son temps. Il n'est pas sans intérêt de rappeler que Coutrot se voulait chef occidental des Technocrates issus de la troisième caste et qu'avec une intuition géniale du sens de l'époque, il a essayé d'organiser ces Technocrates en caste internationale pour essayer de faire survivre le capitalisme sur un plan supérieur. Tel est le sens de cette curieuse expérience dite de la « Synarchie », dont on n'a d'ailleurs pas fini d'explorer les arrières plans théurgiques (voir à ce sujet les curieux documents concernant « l'Archétype social » tel que la Synarchie l'imaginait : elle met les théurges au sommet de la hiérarchie mondiale). Les idées de Coutrot constituent le prototype des seules importations que l'Amérique accepte aujourd'hui de l'Europe. Un des meilleurs expérimentateurs de la propagande par l'affiche, la réunion de masse et le chant, nomme celle-ci, sans ambages, le « viol des foules » et il écrit sur ce thème simple et déjà dépassé dans le sens de l'action occultiste un livre extraordinaire et resté presque inconnu puisqu'il faut bien que les « menés » refusent de démonter le mécanisme du « meneur ».
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Contrairement à l'apparence, le rationalisme des temps modernes n'a pas affermi les âmes contre la Magie. Que ce soit chez les chrétiens de la masse ou les marxistes qui se croient éclairés, leur réaction d'effroi et d'admiration, différemment nuancée, restera foncièrement la même et produira la même soumission.
Les effets du pouvoir des Magiciens sont matériels et psychiques. Je ne veux pas en rechercher ici le « mécanisme », mais leur réalité ne sera bientôt plus contestable, même si ce mécanisme lui-même reste hypothétique. Rien n'empêchera les ésotéristes qui ont besoin d'explications simples, ainsi que les âmes ébranlées, de recourir au vieil animisme des sociétés dites primitives (dont le spiritisme n'est qu'une résurgence naïve). Ne jugeons ici les choses que du dehors ; la disposition psychique qui permet à ces pouvoirs de se manifester peut apparaître spontanément chez certains sujets doués ou résulter d'une ascèse consciemment entreprise et poursuivie ; peu importe. Il s'agit visiblement, dans tous les cas, d'une concentration, au niveau de l'âme, de forces spirituelles, et de leur utilisation sous une forme dégradée. L'âme du Magicien, en tant que transformateur d'énergie, s'oriente vers le champ de la Matière et non vers celui de l'Esprit. Le lama tibétain qui se livre à la lévitation et provoque une hallucination collective, même s'il capte des forces par ascèse, ne les dégrade pas moins.
En tant que détenteurs de forces élevées, les Magiciens peuvent agir sur les âmes des autres hommes, dans la mesure même où celles-ci sont incapables de réagir, soit qu'une volonté trop faible les habite, soit, si cette volonté est forte, qu'elle n'émette pas une qualité d'énergie suffisamment haute. Au contraire, le Sage peut assimiler l'énergie ennemie ou la neutraliser, en émettant une énergie de qualité supérieure ou de qualité égale mais dirigée en sens inverse ; on peut même dire que l'obstacle élevé par le Magicien devant le Sage se trouve, une fois de plus, créer l'effort demandé à celui-ci. En provoquant le passage de l'état de Sage à celui de Prophète, le Magicien aplanit, sans paradoxe, le sentier de Dieu.
Ce qui précède me conduit à une observation inattendue, mais essentielle. C'est, en effet, à mon avis, une erreur complète de penser que les temps modernes, en détruisant peu à peu la crainte de certains phénomènes magiques (sorcellerie, envoûtement, etc.), aient affermi et armé les âmes jusqu'à leur permettre de résister à ce danger par le manque même de sa représentation. Naturellement cette affirmation va de soi pour les chrétiens tamasiques : ils n'ont jamais cherché à dévaloriser les « mystères » ; avec la double et classique réaction d'effroi et d'admiration qu'elle suscite, la Magie, en tant que moyen de gouvernement, ne fait que prolonger le sillon des religions d'autorité. Mais, malgré l'apparence, je veux montrer qu'elle vaut également pour les rationalistes vulgaires qui se croient éclairés sur les « superstitions », notamment les marxistes de la masse. Ceux-là seront encore mieux vampirisés que les autres, car, si les chrétiens se trouvent ainsi confirmés dans leur crainte générale du « pêché » de connaissance, les marxistes vont y voir une preuve de plus de la puissance de l'homme maîtrisant la nature par la science, à condition de rester fidèles serviteurs de celle-ci. Au bout de ces deux démarches, il y a la même obéissance grégaire et la même activation des masses.
Évidement, la Magie saura choisir des voies moins grossières qu'autrefois ; mais contre elle, seule la vraie foi est active, pas la simple croyance. Or, nous avons justement noté que les temps modernes furent bovarystes (imagination exaltée, coupée de toute possibilités de réalisation, faute de volonté claire). Les temps modernes créèrent bien une foi, mais matérialiste. Même dans ses formes agressives, une telle foi fut passive, faute de pouvoir mettre en jeu une énergie de qualité assez haute. A ce moment-là, une telle situation faisait suffisamment l'affaire des Magiciens pour que ceux-ci n'eussent pas besoin de se multiplier et surtout de se manifester par des phénomènes « a-normaux » ; la foule innombrable des indifférents et des incroyants se trouva même agir à la place des Magiciens pour promouvoir l'Involution. Ce n'est donc pas la cessation de la croyance qui a dévitalisé les Magiciens ou « interrompu leur règne », c'est la réduction du nombre des Magiciens conscients et visibles et la multiplication de leur auxiliaires inconscients et invisibles (ceci explique incidemment que le rationalisme est le produit des époques d'unité ou de multiplicité du pouvoir et pas de dualité). Au surplus, la croyance également aveugle et généralisée au « hasard » conduisit beaucoup de Savants « raisonnables » à accepter sans autre étonnement des faits qui, dans l'avenir, se verront inclure dans des ensembles de correspondances ou d'interactions fort précis.
Aujourd'hui, les masses marxistes ne sont pas moins matérialistes ou scientistes, au contraire. Alors il est fatal que toute technique de domestication de l'homme soit classée par elles comme victoire de la science, admirée et obéie comme telle. Toujours la même surestimation, puis le même sacrifice de l'intellect. La spiritualité ne peut plus avoir aucune prise sur ces masses. En effet, intégrant ce qui constitue un progrès et enfouissant le reste au cimetière des erreurs inutiles, la spiritualité commence à proposer à l'homme une nouvelle conception de Dieu, débarrassé de toute notion dégradante de crainte – dégradante pour l'homme et pour Dieu. En apparence, cette masse, libérée depuis longtemps de toute crainte du « surnaturel », devrait donc suivre spontanément le fil de ce courant. Eh bien, nullement ! On peut même prédire à coup sûr que les Sages, par ce propos, réunissent toutes les chances d'échec social. Pourquoi ? Simplement parce que les masses, en pleine effervescence, sont en train, dans tous les domaines, de conjoindre à nouveau la notion de grandeur et la notion de crainte. Déjà, elles érigent des pouvoirs disproportionnés dans le social, et, ne pouvant y renier leur œuvre, préfèrent les trouver admirables pour n'avoir pas à les juger écrasants. Dans tous les âges profondément telluriques, l'admiration ne va ainsi qu'à la grandeur insondable, parce qu'il est dans la nature profonde de l'homme tellurique d'admirer ses propres monstres pour se cacher de les craindre, en effet, que ce soit pour le Diable que l'homme nourrit ou pour Dieu qu'il voudrait nourrir. A partir d'ici, inutile de distinguer davantage chrétiens et marxistes : sous des emblèmes et des vocabulaires différents, ils vont du même pas.
Toutes les religions dites « de l'Esprit » ont été dans le passé qualifiées d'hérésies parce qu'elles tendaient à effacer la colère du visage de Dieu. Tel était pourtant le sens profond du coup de génie de saint Paul et de Marcion lorsqu'ils fondèrent le christianisme sur l'amour d'un Dieu bon et non la colère de Iaweh, le Dieu juif. Mais l'involution éteignit cette flamme et les « hérésies » furent combattues en réalité, non pas au nom de la vérité, mais de l'ordre, non pas au nom de l'homme, mais de la société. On voit que cet argument de l'utilité sociale perd aujourd'hui toute valeur ; les masses ne peuvent et ne veulent recevoir de longtemps une idée rassurante de Dieu ou de l'homme. Elles sont même si réellement intoxiquées, et ensemble mithridatisées, par cette admiration et cette crainte, que même l'excès d'effroi que devrait provoquer le Prophétisme diluvien glissera sur elles sans les toucher. Qu'un morceau de la planète saute, on l'envisage, on puise une étrange douceur dans cette avenir si brusquement peuplé, si brusquement désert ; et ce sera l’œuvre des hommes, après tout : un destin. Les Prophètes peuvent donc affronter sans scrupule excessif de conscience cette idées que leurs prophéties risquent de « détraquer » la masse : nous ne sommes plus en l'an mil, ils ne seront pas spécialement entendus, et en tout cas, concernant la nouvelle Alliance de Dieu et de l'homme, pas du tout compris.
Certes, la conception d'un Dieu original et tatillon, vengeur et jaloux – le Dieu-instituteur – est formellement dépassée dans les masses marxistes ou rationalistes ; mais jamais la formule de la dialectique de Hegel ne fut plus vraie : dépassée et conservée. Et ces caractères humains, trop humains, de l'ancien Dieu, se sont simplement reportés sur d'autres figures où les masses les adorent naïvement en les craignant dans une stupeur admirative. Car le néo-paganisme des masses, qu'apporte fatalement, comme je l'ai dit, l'ère guerrière, a déjà créé sa mythologie, dieux, demi-dieux, héros ou démons, mais on ne le sait pas. Il en est de toute grandeur, universels ou fonctionnels, comme dans l'Olympe : en haut, ceux dont j'ai parlé, la Nation, la Classe, et la Race, dont l'obédience est stricte et étendue (qu'est-ce que l'empire russe pour les communistes de tous les pays, sinon le Dieu suprême?). Ces dieux se battent, comme dans toute mythologie, et font battre les hommes qui ne les en admirent que davantage. L'homme ne connut jamais dieux plus impératifs, n'accorda jamais à aucun autre tant de droits de police sur l'intime de sa vie et surtout ne crut jamais plus qu'aujourd'hui à une Providence incluse dans ces collectivités immanentes, omniprésentes, inépuisables dans leurs tours de faveur ou de priorité. Peu importe que les artistes ou les esthètes transposent cette mythologie dans des symboles rétrogrades ou des mythes imagés, ou même que ce panthéisme retrouve la nature, elle aussi divinisée. Ce ne sont là qu'épiphénomènes de la solide réalité, couleurs diverses jouant sur le même objet, variations mineures.
On comprend alors combien les religions d'autorité à tendances morales viennent renforcer la position des Magiciens. Le grand effroi du monde en guerre a rempli les églises et les temples et il faudra, en effet, dégrader le double sens de ce fait essentiel de l'époque : la recatholicisation rapide de l'Occident eurasien avec établissement d'un rapport d'influence, moitié pour moitié, avec le marxisme, spécialement en France. Dans la mesure où cette évolution touche l'élite, elle collabore au renouveau spirituel ; lorsqu'elle anime les masses, elle renforce le courant magique, et, avec le marxisme, écartèle l'Occident. C'est le culte des Saints qui est ici corrélatif du culte des héros et on voit comment, à ce niveau, spiritualité et néopaganisme s'affrontent. Aux premiers siècles, les Saints chrétiens héritèrent des divinités païennes. J. Carcopino raconte dans les Aspects mystiques de la Rome païenne, l'histoire de santa Lucia, patronne chrétienne de Syracuse, se substituant à Déméter – Koré, jusqu'à prendre les jours de leurs fêtes, les fameuses Thesmosphorie éleusiniennes, leurs fonctions, leurs rites mêmes et leur distribution, certains jours, de gâteaux cuits au miel. La logique de cette succession apparaît encore mieux aujourd'hui. Pour la mentalité magiste, le Saint (comme jadis le héro païen) est détenteur de forces, instrument de puissance, relais entre Dieu et l'homme pour le bénéfice de celui-ci. Au contraire, pour le Prophète, il est un modèle plus haut placé que lui sur l'échelle de la connaissance. Le Prophète n'appelle pas le Saint à lui, il va au Saint. La prière participe de ces deux conceptions. On peut dire que la « prière » du Prophète n'est pas une demande, mais une invocation ; il prie Dieu moins qu'il ne l'écoute. Par contre, toute prière en vue de quelque avantage spirituel ou matériel se trouve présenter une fondamentale ambiguïté : elle contient une part positive et une part négative dont la comparaison, quant à leurs valeurs absolues, pose, pour déterminer la qualité d'un homme, le problème des problèmes. Où s'arrête le domaine de la Peur et de la Faim originelles, toujours associées ? Où commence le royaume de l'homme intérieur statique ? Quand l'homme se pose ce problème pour lui-même, il est presque sauvé, il monte sûrement, il s'est éveillé à la notion d'un vrai déterminisme.
Socialement, on a faime (de sang), parce qu'on a peur (de l'insécurité). D'où les guerres, l’ambiguïté de l’héroïsme. Mais on a peur (de Dieu), parce qu'on a faim (de Terre, de « péché »). La peur du péché apparaît dans la masse comme un des corrélatifs de la faim de sang. C'est ici que les survivances magiques, païennes et sacrificielles, incluses dans le christianisme apparaissent intimement liées à ses conceptions morales, comme le totem au tabou : tel est le double sens, profondément ressenti, des rites de communion eucharistique en tant que rites théophaniques de participation.
La spiritualité ne gagnerait aujourd'hui les masses qu'en leur faisant surmonter cette peur du « péché », cette faim de puissance et de jouissance, réciproquement liées ; c'est une impossibilité absolue : les masses ne se sont constituées que par elles. Autrement dit, la spiritualité a ceci de commun avec la Magie qu'elle ne peut jaillir qu'au niveau de l'individu, non du groupe, qu'elle ressortit à l'esprit aristocratique de caste ou d'ordre, mais que, contrairement à ce qui se passe pour les Magiciens qui se collet vampiriquement à la masse après avoir été appelés par elle, les Guides spirituels sont rejetés à leur isolement.
III. Le prophète refuse de lutter contre le Magicien avec les armes de la Magie, sinon il commet le « péché contre l'esprit ».
Une fois entré dans la voie de la sanctification, c'est-à-dire dans le domaine du Sens, le Prophète refuse de dégrader l'énergie de haute qualité dont il est porteur. C'est pour lui la loi du Bien Suprême, au delà du Bien et du Mal, et au delà même de toute victoire. A elle seule, cette règle remet à leur place toutes les morales usuelles, car toute morale appelle la punition, elle équilibre le Mal par le Mal, mais par cela même elle descend le punisseur au niveau du puni. Nonobstant toutes précautions d'ordre érigées en dogmes au nom de l'utilité sociale, il n'est pas de parole qui détruise mieux la morale que celle-ci, à savoir, qu'au nom même de la justice de Dieu, les juges aussi devraient être jugés.
Un Saint et un vrai Prophète refusent donc d'employer contre un Magicien les armes de la Magie qu'ils pourraient, s'ils voulaient, manier aussi bien que lui. L'acte du Magicien éclairé qui dégrade volontairement une certaine quantité d'énergie donne l'idée du Mal absolu ; contre ce Mal, la contrainte de l'homme ne sert à rien. A quoi tiendrai-elle en effet ? A neutraliser dans l'âme du Magicien l'énergie qu'il tourne vers le mal ; mais le Sage qui viserait ce but devrait lui-même dégrader en force de contrainte une certaine énergie. Ainsi le monde ne reculerait pas, c'est vrai, mais ce calcul serait fallacieux, car avec cette même quantité d'énergie maintenue à sa haute qualité, le Sage participe à l'avancement du monde plus que le Magicien ne participe à son recul. Seule d'ailleurs cette méthode possède valeur exemplaire. Cet avancement du monde s'impose au Magicien avec une force irrésistible, il ne se fait pas contre lui, il se fait sans lui. Un homme peut toujours espérer vaincre une contrainte qui ne vise que lui, et sa vanité même viendra s'y buter, mais ce monde sûr de soi, qui le dédaigne et avance sans le voir ?
Toute autre attitude du Prophète constitue le fameux « pêché contre l'Esprit » dont parle l'Ecriture, et dont il est dit qu'il est le seul qui ne puisse être remis. Seule la conception du cycle d'Involution-Evolution de chaque homme permet de comprendre ces paroles sibyllines où nous voyons une des clefs de voûte du Nouveau Testament. Que dit le Christ ? « Si je n'étais pas venu et que je ne leur eusse point parlé, ils n'auraient pas de pêché. Mais maintenant ils n'ont pas d'excuses à leur pêché. » (Jean, XV). Mais indépendamment de l'aspect qu'elle prend sur le plan cosmique, qu'est-ce que la venue du Christ ? C'est l'apparition en chaque homme de l'Homme intérieur. Tant que l'Homme intérieur ne s'est pas éveillé, le Christ n'a pas parlé, l'homme est dans cet état de non-accomplissement qu'on peut appeler l'état de pêché, mais il ne pêché pas activement, on ne peut dire d'aucun de ses actes qu'il est un pêché irrémissible. A ce moment-là, dit l'Evangéliste, même le pêché contre le Christ sera remis. Mais dés qu'en devenant Homme intérieur, l'homme s'éveille à la notion de sa vraie liberté, il remonte des Enfers, avec le Fils de Dieu, sa nature est transfigurée, et pas plus qu'Orphée ou la femme de Loth il n'a le droit de se retourner. Tandis que le destin des tamasiques-rajasiques et des lucifériens est de s'accomplir par une destruction préalable inéluctable, celui du Prophète est normalement de s'accomplir par élévation. Dieu a pourtant voulu réserver le cas de la « trahison » des Prophètes, c'est-à-dire de ceux qui, revenant en arrière, de bonne foi, pour disputer avec Lucifer, seront détruits avec lui. Cette « trahison », elle aussi, fait partie du plan divin. Par cet exemple, Dieu veut faire progresser encore les autres Prophètes et ceux-là même qu'il détruit, en leur montrant que la supra-conscience ne s'acquiert pas sans que soit éprouvé, devant lui, la vanité de toute science et la folie qui habite aussi dans la sagesse.
Et, en effet, lorsque l'Homme intérieur s'éveille, toutes les ambiguïtés de l'Homme extérieur ne sont pas encore mortes. C'est dans la période pré-diluvienne, au moment où le Prophète commence à se connaître en tant que tel et où son propre Déluge est e partie accompli, avant que le Déluge planétaire ait eu lieu, que sonne pour lui l'heure de la plus grande « tentation ». Il peut croire alors accomplir sa mission en allant au secours des âmes retardataires prises dans le cercle, et, comme l'Eloa, de Vigny, il croira se sacrifier pour elles. Mais la notion de sacrifice « par amour » est obscure. La volonté même de se sacrifier falsifie le sacrifice, y introduit un retour égoîste sur soi ; une petite morale se cache sous ce grand mot. Nulle introspection banale ne permettra de répondre à cette question, si elle n'est pas éclairée par la supra-conscience du Prophète vraiment sanctifié. L'apprenti-Prophète croit se mettre devant des responsabilités terrestres inconnues de lui en se disant qu'elles lui ont été justement réservées pour parfaire sa connaissance. Comme il est normal, à l'heure où tout l'Homme extérieur doit être épuisé et transmué, le moment du plus grand orgueil coïncidera en lui avec celui de la plus grande humilité : seul le véritable Saint a surmonté l'ambivalence du prosélytisme. Ce Prophète insuffisamment éclairé croit se trouver devant sa dernière marche d'ignorance (et en un sens c'est vrai), alors qu'il est devant son dernier barrage d'orgueil (et c'est vrai aussi) ; moins sage que Jacob, il refusera d'exorciser l'ange qu'il porte en lui ; il refusera d'imiter Jacob au risque d'imiter Lucifer. Tel est le véritable sens du pêché d'angélisme. Il n'est pas de se croire ange, mais de se tromper sur le rôle de l'ange et de croire que l’atmosphère terrestre respirable pour lui. Jacob, parce qu'il avait vaincu l'ange qu'il portait en lui, rentrait à l'aube avec des forces décuplées : il était plus qu'ange et plus qu'homme ; mais le nerf de sa hanche s'était desséché et Jacob boitait : il ne savait plus marcher dans le monde. Le « pêché contre l'Esprit » c'est, aujourd'hui, quand on a pris conscience du déterminisme divin, de ne pas tout abandonner pour fonder l'humanité future et elle seule. Mais il faut que ce « pêché » aussi soit accompli. Et le prophète qui le commet, lorsqu'un jour rentrera dans le sein de Dieu, y sera accueilli comme le plus aimé de ses fils, car dans ce retard même, il aura puisé un surcroît de connaissance. Tel est le sens profond de la parabole du retour de l'enfant prodigue.
S'il peut donc y avoir des Prophètes qui se battent isolément, entre la caste magicienne et l'Ordre spirituel proprement dit qui rassemble les Prophètes, il n'y a pas à proprement parler de combat visible. La force magicienne nourrit, le long de la circonférence de base, sa propre force antagoniste, car les Magiciens se battent entre eux. La force du Prophète, bien que mesurable à tout instant par cette force antagoniste, ne s'emploie pas dans le même plan. Elle se résume dans la force verticale du Fils de Dieu, opposée à celle de Lucifer ; alors que les Magiciens se battent au sein même de Lucifer, les Prophètes sont le corps mystique du Christ.
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