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15/02/2025

Brouillon et médiocres premières pages d'un roman/essai qui ne verra jamais le jour

De la Fidélité – Journal d'une trahison

 

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Introduction à la mise-au-jour ; la mise-à-nu, de notre pardon qui soulève le voile isiaque de nos propres trahisons intérieures et antérieures

 

« (189) Je conçois fort bien qu'il puisse y avoir des aveux comme intrinsèquement suspects, des aveux paraissant inviter à des compromissions des plus honteuses, entachés de je ne sais quel sentimentalisme bas et comme souillé d'avance, d'une fracture triviale, romantique et féminisante, réputée non-supérieure, déchirante, et tout à fait suicidaire (…), je sais que je me place de moi-même dans une posture intenable, je me sens coupable, et pourtant sans trop le reconnaître, d'une sorte de crime obscur, indéchiffrable et singulièrement malsain contre l'esprit du temps. Mais c'est ainsi. » Gué des Louves, p. 107

 

Tous les hommes attendent un pardon.

 

Celui de l'unique amour. Dernier souffle de leur existence lorsqu'ils croisèrent, pour l'unique fois, son regard. Visage immobile de leur paradis retrouvé, l'histoire d'une seconde. Enfer à raz-de-terre, du souffre dans un air d'oubli.

 

Les affranchis – ceux qui ont « franchis la ligne » – attendent sans espérer. L’espérance condamnerait la divine patience du souvenir, réduirait ses multiples états à un minable et méprisable « espoir » au détriment de leur fidélité. De la Fidélité forme supérieure de l'attente, et de la patience qui se nourrit de l'absence. Une patience qui n'attend plus.

 

Tous les hommes, sans exception, attendent l'éternel retour de l'amour absolu ; que l'on aime une unique fois d'un absolu amour. L'espace de quelques instants. Du fond des âges. Des temps fleuris des chaotiques origines que l'on touche du bout des doigts à cet instant précis, peau douce, avant de retomber dans la matière solidifiée, triste comme les pierres. Comprendront-ils avant de trépasser que « toute leur vie » s'est jouée en cette éternelle fraction de seconde ; qui a décidé de tout ?

 

Un paysage étrange, une odeur d'herbe fraîche, des arbres inquiets, un chant lointain que l'on rejoint à tire d'ailes lorsque, autour, tout s'éteint sur un couché rose. La route. Et, à l'horizon, une voûte de briques rouges. Les longs et pénibles retours vers une maison comme un bouge ; palais des ombres. Ses cheveux et sa moue royale. Le temps qui se roule. Le bitume. Et sa main posée sur ma main le temps du voyage... Où d'autre rencontrer Dieu que dans ce défilé de paysages muets où il n'y avait qu'elle et moi ?

 

J'avais vingt-huit ans lorsque je l'ai rencontré, qu'elle est venue à moi et que je l'ai reconnu. Nous n'étions pas d'ici. Elle avait trente-six ans et des lumières. Notre première nuit fut la dernière. Atteint de la folie d'écrire, j'étais pauvre. J'avais faim. Elle est arrivée, soir tombé, pour m'apporter un plat de pâtes. Nous ne nous sommes jamais quittés. Le 21 juin 2021 je me suis réveillé, sorti de ce rêve, de cette douzaine d'années de trêve. Je suis parti, laissant derrière moi guerres et paix. Mort. Elle n'était plus là, avait fuit mon départ. Nous ne nous sommes jamais revus.

 

J'ai quarante-trois ans, voilà bientôt deux ans que je vis dans la patiente attende de son pardon, sans aucun espoir. Affranchi. Le pardon. Tout ce qui manque. Tout ce qui a sans doute manqué ; il ne manquait pas d'amour. Mais l'amour ne suffit pas et il n'y a que des preuves d'amour...

 

J'ai perdu, dans ces années naïves et innocentes où je n'avais Dieu et qu'elle, le goût de tous les sels et sucres de l'existence dont le temps de la vie n'est le recueil que de quelques battements de cœur. J'existais, quelque part, avant de faire l'expérience du vivant. Je ne suis descendu sur terre que pour la rencontrer – pour quoi d'autre ? Je n'ai vécu qu'à travers elle. Avant elle, je n'étais qu'une ombre. Après elle, je n'en ai plus. Plus rien d'obscure ou d'occulte ne traîne derrière moi.

 

J'écris donc l'ombre de moi-même absente aux ailes calcinées, et serais bien en peine de le mentir. Mon ange... On ne tombe que pour aimer, se rassembler. Aux confins de l'univers, je poursuivais ton étoile tombée sur terre, fine poussière, et nous sommes nés pour nous retrouver. Se retrouver, se rencontrer et se reconnaître est une grâce accordée par le destin, par le plus grand des hasards. Le genre de hasard qui fait rougir les coïncidences et pâlir les intuitions les plus élevées. Ah !... ces orgueilleuses intuitions des prophètes et des poètes qui les ronges.

 

Elle naquit et fit l'expérience de la vie avant que mon âme ne s'effondre et que mon corps ne la recherche. J'hésitais à m'y glisser, dans cet peau d'homme. Ma sœur, je t'ai cherché, durant vingt-huit années, je t'ai cherché. Tu leur diras que je n'étais pas un faible ni un vaincu. Ce récit n'est pas celui de la défaite mais celui d'une victoire, d'une grâce et d'un miracle.

 

Je crois en la mort du roman et aux hommes qui arrêtent d'écrire. Mes prétentions d'écrivain de la fin du roman sont modestes ; cette première épreuve s'est forgée dans l'épreuve du feu.

 

Je n'écris pas un roman ni une confession, un essai ni un testament... J'écris mes heures sans elle.

 

Alors, j'écris sur l'amour et la mort, sans étude, sans autre référence que celle de ma pathétique expérience, de ma rencontre amoureuse avec Dieu. Cette imprudence révélera pour les uns de la naïveté, pour d'autres quelque chose d'abjecte. De l'impudeur. Je l'entends. Je perçois toute l'insignifiance de mes mots simples. Toute la complainte derrière.

 

***

 

Bien entendu, il faudra aux lecteurs lire entre les lignes de ce mélodrame sentimental parfois fort prosaïque. Votre serviteur ne prétend pas être un écrivain. C'est le silence qui écrit nos jours et qui s'exprime ici. Les mots sont l'écho de ceux que nous ne prononçons pas, que nous ne prononcerons plus, des lettres que nous n'envoyons pas, de tout ce que nous ne dirons plus. Le silence, et rien que le silence.

 

Tout a été écrit. Nous décrivons. Tout a été dit. Nous décrions. Pour mieux taire ce silence.

 

Ce texte, celui d'une vie intérieure, est la tentative imposée d'un – à un – essayiste dans les tumultes de la médiocrité postmoderne qui se reflète dans nos interactions, nos relations et nos réalisations. Dans d'énigmatiques expériences qui contrebalancent, contrastent, cette médiocrité des temps à laquelle nous sommes soumis, dans laquelle nous sommes emprisonnés, internés, le rêve comme dernier refuge, le vert recours aux forêts de l'Esprit. Des expériences au-delà de la réalité qui, irréversiblement, l'espace du rêve, nous rendent libres de conspirer contre le réel, de comploter d'imaginaire contre la réalité invertébrée que nous avons imaginé, créé, provoqué.

 

Seule la vérité de la seconde existence dans les continents engloutis du monde imaginal – qui ne serait nullement être synonyme de l'arrière-monde nietzschéen – peut combattre la réalité d'une vie primaire, enfuie à la surface des eaux froides du monde réel, des déserts de glace, brûlants de froid, sans mirage ni oasis, sans espoirs.

 

Cloîtrés dans le confort de nos cellules capitonnées de mensonges molletonnés, le retour à la réalité du non-sens et du non-être qu'est devenue le quotidien sans présent des hommes existants et vivants dans la permanence de la matière solidifiée est mollement douloureux, durement acceptable. C'est trop ou pas assez. Une guerre sourde, muette et aveugle. La pire des guerres. L'avantage, dans l'asile cybernétique des fous-à-lier de la postmodernité, c'est que nous pouvons nous taper la tête au mur sans nous ouvrir le crane. C'est la ouate ; même pas mal.

 

Le mensonge s'est donc mis à se mentir à lui-même... Le faux gagne sur la mort elle-même. La mort ne meurt plus. N'en finit plus de mourir. Les hybrides veulent prendre aux hommes ce qui réduisait la peine, contenait les fureurs, diminuait les vices, la seule raison qui rendait les dieux jaloux et donnait du sens. La douleur, la mort. Ce n'est pas un homme qui va mourir, c'est un genre humain.

 

Il ne nous ne reste que l'arme d'un écrit qui ne cherche plus à être littérature mais le présent au réel et le réel au présent pour signer cet acte. Jour pour jour. Au présent du rêve et réel de l'imaginaire. Rédigé par les grands notaires d'une haute rationalité : l'inutilité de la vie se rend à l'existence et dépose les armes au pied du destin. Le mot de « suicide » est insuffisant, celui de « sacrifice » est excessif. Rendre l'existence au vivant et la vie à l'être – Ne se suicident que les optimistes, les optimistes qui ne peuvent plus l’être. Les autres, n’ayant aucune raison de vivre, pourquoi en auraient-ils de mourir ? Emil Cioran

 

Ici, peu de descriptions de paysages, de lieues. Nous ne vivons que de nerveuses et chimiques sensations, à l'intérieur d'un corps, d'une âme et d'un esprit dont les intelligences ne remuent que très rarement – nous allierons donc l'effort au doute.

 

L'illusion du mouvement animée par la divine magie de l'onde primordiale ; ordonnatrice d'une nature cosmique et universelle que les sens ne peuvent totalement concevoir, est la réalité des comédies et tragédies humaines.

 

Tout est invisible.

 

Vous descendrez dans les souterrains d'un homme par ses organes fatigués, épuisé d'attendre un pardon comme il attendait, chaque jour, le retour de sa vandale, blonde sauvageonne, d'un feu d'automne, blanche sicilienne aux yeux verts lacérés d'argent, au regard strié d'or qui n'avait pas vu Venise ni le Tibet.

 

Cependant, dans l'imperfection de cette humble littérature de combat, la présence médiumnique du concept absolu « Jean Parvulesco », avec qui nous entretenons un rapport particulier, n'est pas feinte.

 

Dans le récit de nos récentes aventures, intérieures, ici romancées, entre rêve et réalité de ce qu'elles furent pour ne pas être, l'apport magique, celui-là bien réel, central, polaire, magnétique, pendulaire qui rythme notre vie – et notre obligation d'écriture au carrefour de celle-ci – s'est imposé à travers l'œuvre de Parvulesco – essentiellement par la voix du Gué des Louves –, qui s'est entremêlée à notre expérience somnambulique. La présence que nous évoquons n'y figure pas pour donner des lettres de noblesse à un récit que nous considérons pour ce qu'il est et qu'il ne nous appartient pas de qualifier. Nous ne possédons pas la puissance littéraire pour retranscrire l'intensité de ces minutes en dehors du temps tel que nous les avons vécu mais nous nous y serons employés au maximum de nos capacités.

 

Une étoile tombée de nuit, pluie de lune, de blanc feu, d'incandescentes scories, quelques pages manuscrites, écrites dans un état semi-conscient, réminiscence et remontée en puissance d'une intuition ancienne. Des pages volantes et tournevirantes dans lesquelles nous avons dû remettre de l'ordre, citer les extraits qui ont rythmé cette correspondance intérieure, ce rêve, alternance et concordance de lecture ténébreuse et d'écriture nerveuse. Des pages exaltées écrites hors du temps, que nous avons eu grande peine à déchiffrer, à remettre chronologiquement dans leur contexte vécu pour en produire un objet littéraire (à peu près cohérent). Nous n'étions que le réceptacle d'une rencontre entre un rêve et une vision, creuset d'une fusion. D'une épreuve nous empêchant de mourir d'une insondable mélancolie.

 

Voilà le sujet de ce récit crucifié qui est à lui-même sa propre expérience littéraire tout-à-fait intérieure, souterraine, abyssale, pour paraphraser Jean Parvulesco. Cher Jean...

 

Nous détestons nous épancher, exposer notre vie privée, et ne l'avons jamais fait auparavant sinon à titre justificatif, par respect pour nos rares lecteurs. Nous le faisons ici, ultimement – et égoïstement –, pour nous adresser à une femme que nous aimerons fidèlement jusqu'à la fin, une femme que nous aimons fraternellement dans les confins d'une rencontre qui n'a pas eu lieu et une femme que nous aimions amoureusement contre toute attente. Et, sans doute, pour interpeller une femme que nous aurions du aimer ou que nous ne connaissons pas encore...

 

Nous l'avions en point de mire. Nous ne la verrons plus.

 

Comme premier roman, que romancer d'autre que notre drame ? Un drame personnel qui, certes, ne peut atteindre la dignité des grandes tragédies... S'il s'agit d'une vision romancée, expressément naïve, de notre sordide réalité sentimentale, nous tenterons d'approcher fidèlement une certaine vérité sur notre expérience amoureuse. Nous « luttions » contre ce faire et avons longuement hésité à publier cet écrit. Il nous a semblé devoir le faire. Nous le ferons donc avec pudeur et retenue, autant que faire se peut lorsque s'exprime un état d'âme nostalgique et mélancolique. Nous parlerons donc d'amour ; si Dieu le veut. Peut-être aussi nous cherchons-nous quelques excuses pour justifier la honte, l'humiliation et le déshonneur, pour aller au bout de ce qui a déjà été trop loin.

 

« Je n'écris donc que pour mourir, pour mourir à moi-même qui, pourtant, je suis mort depuis je ne sais même plus quand, pour mourir à la mort qui n'en finit plus de se mourir en moi et avec moi. (…) Comment ai-je dit, des aventures sentimentales ? Bien sûr, des aventures sentimentales et rien d'autre. » Le Gué des Louves, pp. 179-180

 

(...)

 

Je n'ai jamais envoyé ces lettres – ces poltrons adieux –, écrites simultanément ce mois d'avril 2022, entre deux rêves. J'y aurai apporté quelques précisions, ce mois d'avril 2023, ces lettres étant devenues les « lettres ouvertes » d'une histoire romancée. Elle les lira peut-être, elle n'aurait pu que les lire si j'avais été courageux. Des mots faciles, qui me dégoûtent. Je n'étais rien avant, je ne suis plus rien après. Le rêve a essayé de me sauver, de me redonner vie, de me rendre un peu de dignité avant de mourir. L'honneur étant déjà loin. Mais j'étais déjà mort, la tête posée sur elle, ce 21 juin 2021. Elle a fuit, ne m'a pas retenu, je suis parti, me suis perdu. Rien de plus à ajouter.

 

***

 

« Qu'ai-je à dire d'autre ? Toute une vie de honte, de désespoir et de malheur absolu, et aussi abject qu'absolu, toute une vie de déchirement et de ténèbres et d'impuissance, toute une vie de mort au bord de la mort, sur la bordure délictueuse et la plus écœurante de la mort, soudain n'est plus rien devant la seule joie de cet instant, de cet instant seul, où il m'est donné de savoir ce que peut vouloir dire ce rêve, la seule joie de me dire à moi-même que je comprends, au réveil, quel peut bien être le sens du message qu'il véhicule à mon intention, ou qu'il véhicule même pas si, après tout, un rêve peut aussi n'être qu'un rêve.

 

Fidèle, elle m'aura été fidèle au-delà de tout, et elle m'aura donc amoureusement attendu au-delà de toute attente concevable, au-delà de toute trahison et de tout oubli, fidèle, dans son sommeil, au de-là même de sa mort et de la mienne, confiante et certaine et limpide en elle-même comme seule sait l'être la lumière intérieure du cristal de roche emprisonnée, pour des millénaires chaotiques et nuls, dans les ténèbres de sa propre attente, oublieuse, éternelle, heureuse attente du retour du jour le plus ancien qui l'aura connue.

 

La vie, désormais, ne m’intéresse plus, ni ma vie, ni rien. La seule chose qu'il m'avait importé d'avoir, à présent je l'ai. Je sais de quoi l'éternité est faite, et la joie de cette science secrète me brûle l'être comme le feu même du centre du soleil glaciaire des libérés dans la vie. La liberté absolue, cette nuit, moi, je l'ai connue. Comment la conquérir ? Elle n'est donnée, et pour rien. Mais dans le rêve seulement, et non dans la vie. Une tristesse m'en vient, et le cœur de cette tristesse, son cœur noir, est fait de la mort elle-même, de cette mort que l'on sait faite d'une éternité de ténèbres sans mémoire ni fin. » Gué des Louves, pp. 79

 

Fin.

14/02/2025

Prophètes contre Magiciens (Raymond Abellio)

Raymond Abellio, Vers un nouveau prophétisme – Essai sur le rôle politique du sacré et la situation de Lucifer dans le monde moderne, Chapitre cinquième : Prophètes contre Magiciens, pp. 111/127, nrf (Gallimard), 1950

 

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I. La nouvelle Magie de l'utilisation politique des techniques modernes des sciences métapsychiques ou occultes mises au point par les Technocrates occidentaux agissant en tant que précurseurs des Américains et des Russes

 

La diversité même des mobiles initiaux qui, dans les différents pays, ont conduit à la première manifestation de la caste guerrière (vocation messianique du prolétariat, en Russie, de la Race, en Allemagne, de l’État, en Italie, de la société socialiste libertaire, en France, sauvetage du capitalisme libérale et de vocation moraliste aux U.S.A.) implique visiblement l'existence d'une cause commune plus profonde. Nous savons que ce commun dénominateur est constitué par la réaction des forces telluriques. On pressent déjà que ce réveil rendu nécessaire, pour la première fois, non seulement par la crise des pouvoirs sociaux, mais par l'aboutissement de la descente involutive de l'Esprit, va donner au régime de la dualité des pouvoirs un caractère entièrement nouveau. Toutes les autres motivations, variables selon les pays, ne sont que des causes secondes, ou plutôt des symboles, car il ne peut s’agir ici de causalités univoques, mais de correspondances agissant sur un plan encore ésotérique. Ces motivations diverses une fois amorties, d'autres vont naître, agissant dans le même sens, n'ayant pas encore conscience de leur communauté de signification, mais agissant toujours dans le sens de leur réduction à deux facteurs simples, parallèles, opposés, complices, soumis à un éclairage de plus en plus brutal. J'ai déjà dit que s'exalteront finalement ainsi l'une par l'autre deux conceptions du monde, toute deux universalistes et totalitaires : une conception marxiste, une conceptions capitaliste à tendances chrétiennes tamasiques, également sectaires : Lénine contre Calvin, tous deux encore embrumés par un commun « rousseauisme ». Les rameaux actuels de ces deux troncs mélangent parfois leurs frondaisons, peu importe. La logique même de leur croissance conduit les deux castes maîtresses à se fermer et à se servir pour le surplus de toutes les armes de propagande de masses, dans le seul but de provoquer l'assoupissement intellectuel (mais non tellurique) de la quatrième caste.

 

Comme technocrates et guerriers sont, dans leur ordre, les plus intransigeants des dogmatiques, on peut être sûr qu'ils pousseront les mythologies telluriques de la classe, de la Nation (ou de l'Empire) et de la Race à leurs conséquences extrêmes, y compris leur subversion. Même la Race, certes. Car c'est le propre des aristocraties guerrières d'aboutir à des modes de sélection par le Sang et de prétendre créer une race par des moyens eugéniques. Je viens de prononcer le mot de mythologie ; je lui donne son sens plein. Il s'agit pour ces deux castes non seulement d'ériger en mythes leurs instruments de combat, leurs outils ou leur palladium (cela ne serait qu'une forme de narcissisme propre à toute communauté conquérante), il s'agit surtout de donner son complément polaire au tellurisme originel et ce complément est païen, c'est-à-dire mythologique. Au début, elles pourront se contenter de donner le primat à l'action, comme dans toute les périodes de conquête du pouvoir.L'action, cela voudra dire souvent l'aventure : l e « colonialisme » des constructions est l'aventure propre au technicien. Mais c'est ici que je voudrais faire une remarque essentielle :

 

Le chef technocrate européen ne dispose plus d'un réservoir tellurique suffisant, ou même lui appartenant en propre. Il va donc se détourner des moyens de domination tellurique de quantité (arguments de la Classe, de la Nation, de la Race, agitation-propagande) au profit des moyens de qualité. Ceux-ci ne peuvent consister que dans la mise au point des techniques d'utilisation politiques des sciences métapsychiques ou occultes. Le Technocrate européen sera donc l'initiateur des nouvelles formes de domination magicienne qui auront cours aux U.S.A. et en Russie, à la fin des temps prédiluviens.

 

Il est désormais évident qu'en Europe, l'idolâtrie de la technique industrielle ne peut plus avoir qu'un temps. Disons d'abord pourquoi, nous verrons ensuite sur quoi se fera le transfert du besoin de mythologie. Pourquoi ? C'est aisé à comprendre. On a souvent reconnu que l'Occidental se caractérise, dans toutes ses créations, par la manie du petit et de la précision. On s'est toujours moqué, en Europe, du goût allemand pour le « colossal » (un petit colossal d'ailleurs, vu d'Amérique ou de Russie) et le produit le plus spécifiquement européen, et à jamais, est la finesse, l'acuité morale et psychologique de la littérature française. A cet égard, on peut être sûr que les techniciens occidentaux ne suivront les techniciens russes ou américains qu'avec l'arrière pensée de les laisser s'épuiser dans leurs constructions géantes et de les surclasser dans le fini. Cela ne va pas loin, certes, mais prêtons encore attention à ceci : dans la construction industrielle, le technocrate occidental un peu dégrossi ne peut vraiment être animé par aucune passion d'artiste ; il ne peut pas transférer sur le chantier ou la machine son besoin de création, d'ouverture ou d'aération spirituelles. Ce n'est pas là qu'il cherchera l'intégralité obscurément ressentie comme perdue. Je parle de l'élite marchande, bien sûr, de celle qui pénètre en avant-garde dans l'avenir et non de la moyenne grégaire qui s'est américanisée et va, de même, se russifier. Dans son subconscient, cette élite ne se satisfait plus de vivre comme Ford-Prométhée ou Lindberg-Icare, la psychologie des grands constructeurs lui apparaît marquée d'une simplicité un peu rustique, d'une horrifiante naïveté. Que lui reste-t-il ? D'imaginer avec nostalgie la vie des grands capitaines guerriers ou industriels qui, eux, ne commandent pas à des machines, mais à des hommes, par millions. De l'imaginer, oui, mais de l'imaginer seulement, car les places sont prises, et les Européens en sont exclus, eux dont les terres aussi sont trop petites et les peuples trop peu nombreux ; ils ne sont plus que des rois déchus. Pourtant, rien n'empêchera le technocrate occidental cultivé de ressentir cette éviction comme une suprême injustice. Car il sait, sans qu'on le lui ait jamais appris, et parce que l'inconscient collectif de toute l'Europe le lui crie, que c'est ici, en Europe, qu'on possède à jamais la meilleure connaissance de l'homme, dans sa variété, son unicité, et que seule la connaissance légitime la puissance. Qu'un autre que lui y prétende, et il se sent frustré : il ne doit pas être de pire supplice que celui du vampire qui se sent vampirisé. Ma conclusion va alors presque de soi : la seule voie qui reste ouverte aux chefs de la Technocratie européenne, c'est l'exploitation technique de la métapsychique et des dérivations des sciences occultes à des fins de puissance humaine. Un courant profond, et qu'il serait puéril de considérer comme fortuit, pousse l'avant-garde de nos techniciens utilitaires vers l'exploration des nouvelles sciences de l'âme et de tous les phénomènes de suggestion, métagnomie, télépsychie provoquée, et même de dédoublement, sans compter les immenses possibilités de l'astrologie ; et ils ne vont pas seulement y entrer en savants précis et positifs, mais en homme de puissance ambitieux, mordus par l faim tellurique. Il est prématuré de rechercher dans quelle mesure la métapsychique pourra satisfaire ces appétits ; seuls les spécialistes pourraient le dire. On n'en est encore qu'à la sélection des capacités utilitaires par la psychotechnique ou l'astrologie. Mais jusqu'à quel point des volontés telluriques peuvent-elles résister aux influences psychiques exercées sur elles ? Il ne nous appartient pas de le dire, mais sans doute suffira-t-il de rappeler deux faits précis, dans des ordres différents : le premier, c'est la perfection déjà atteinte par les techniques de la suggestion, en matière de propagande ou d'agitation des masses ; la deuxième, la précision déjà obtenue dans l'établissement des tests qui servent à situer les caractéristiques de tel ou tel ouvrier ; si l'âme inférieur se révèle sous l'action de certains tests, il est évident que l'action répétée d'autres tests pourra faire varier la nature des réflexes de cette âme, donc les ériger comme on fait varier et dirige celle des corps « exercés ». Cela laisse à penser que l'âge des sorciers n'est pas tout entier derrière nous. Le peuple (quatrième caste) va devenir le champ d'application de la Magie fascinatrice tendant à inventorier, sélectionner, rassembler, perfectionner et manier des êtres et des groupes différenciés selon leurs aptitudes utilitaires, par une sorte d'élevage savant, hiérarchique et dynamique quant aux fonctions corporelles, mais statique et niveleur quant aux âmes. On ne cherchera pas à développer les sattwiques, considérés comme « amorphes » ou « inadaptés sociaux » , mais les tamasiques. Chez les meneurs, nulle angoisse métaphysique ne se cachera évidement dans cette revitalisation de la Magie, et pas l'ombre d'une pensée panthéistique ou la croyance à de mystérieux démons : il s'agira de Magie positive, d'une vision précise de l'âme considérée en apparence comme un simple émetteur ou récepteur d'ondes dans l'astral, mais en réalité comme une proie. D'après les meilleures interprétations, on sait d'ailleurs que la télépathie ne consiste pas, pour le percipient, à recevoir une pensée ou une impression d'autrui, mais à la prendre dans l'âme de l'agent.

 

« Que signifie cette nouvelle tendance des technocrates et jusqu'où va-t-elle, déjà, inconsciemment ? Il y a trop de déjà-vu dans la technique, pour que l'élite occidentale, même si ce n'est qu'une élite biologique et tellurique, se contente longtemps de ses fades jouissances : l'occidental veut posséder des hommes, non des machines. Même peuplée de machines géantes et des demi-dieux qui les commandent, la terre tourne dans un panthéisme sans issue et tous ces demi-dieux réunis ne font pas un Dieu. Or l'Occidental veut être Dieu depuis longtemps, et le chef russe ou américain veut l'être après lui, mais comme lui, et avec infiniment plus de puissance entre ses mains. L'anthropocentrisme radical de la fin de l'involution trouve ici son expression tellurique la plus forte : pour un chef du type tellurique monté dans la première caste, divinisation ne signifie pas comme pour le mystique « possibilité d'une suprême qualification de l'amour de Dieu », mais polairement, « possibilité d'une suprême dégradation de l'amour pour l'homme ». Cela, inconsciemment, bien entendu. D'où une réaction ambivalente d'amour et de nihilisme qui caractérise la possession vampirique. Le technocrate à aspirations magiciennes ne se contente plus de commander à la Matière inerte car on ne satisfait aucun nihilisme par ce commandement : il veut le contact direct, la possession amoureuse des hommes. Et il y parviendra par delà la technique ey avec son aide, pour peu que la métapsychique élargisse ses explications positives et, à plus forte raison encore, si le nombre des sujets doués pour l'exercice de ces facultés ou la mise en œuvre de ces puissances se multiplie : or, cela est hautement probable. Toute science qui se crée fait naître, on le sait, ses propres sujets d'expérience à une vitesse qui croit avec son développement même, et l'ascèse magiste aussi deviendra une technique banale et accessible à une minorité assez nombreuse, dans la mesure même où la démocratisation du luxe donnera moins de prix à la vie facile. »

 

Il devient tout à fait inutile de souhaiter que le prestige du Sacré soit réservé à une élite plus exigeante que celle qui se borne à vivre sur le plan des effets. Demain, les Magiciens-Technocrates et leurs associés-dirigés, les guerriers, vont se multiplier, et le moindre pourra, s'il le veut, acquérir la force d'un Titan prométhéen et d'un Asura. Demain, le Sacré sera à la disposition de presque tous les Savants, et non d'un seul. J'ai rappelé que, déjà, la propagande est une science, celle du mensonge par suggestion (par « réflexes dirigés »). Dans un livre intitulé L'Humanisme économique, le Français Coutrot a parlé des « mitrailleuses de la suggestion » : cette image guerrière vient juste en son temps. Il n'est pas sans intérêt de rappeler que Coutrot se voulait chef occidental des Technocrates issus de la troisième caste et qu'avec une intuition géniale du sens de l'époque, il a essayé d'organiser ces Technocrates en caste internationale pour essayer de faire survivre le capitalisme sur un plan supérieur. Tel est le sens de cette curieuse expérience dite de la « Synarchie », dont on n'a d'ailleurs pas fini d'explorer les arrières plans théurgiques (voir à ce sujet les curieux documents concernant « l'Archétype social » tel que la Synarchie l'imaginait : elle met les théurges au sommet de la hiérarchie mondiale). Les idées de Coutrot constituent le prototype des seules importations que l'Amérique accepte aujourd'hui de l'Europe. Un des meilleurs expérimentateurs de la propagande par l'affiche, la réunion de masse et le chant, nomme celle-ci, sans ambages, le « viol des foules » et il écrit sur ce thème simple et déjà dépassé dans le sens de l'action occultiste un livre extraordinaire et resté presque inconnu puisqu'il faut bien que les « menés » refusent de démonter le mécanisme du « meneur ».

 

  1. Contrairement à l'apparence, le rationalisme des temps modernes n'a pas affermi les âmes contre la Magie. Que ce soit chez les chrétiens de la masse ou les marxistes qui se croient éclairés, leur réaction d'effroi et d'admiration, différemment nuancée, restera foncièrement la même et produira la même soumission.

     

Les effets du pouvoir des Magiciens sont matériels et psychiques. Je ne veux pas en rechercher ici le « mécanisme », mais leur réalité ne sera bientôt plus contestable, même si ce mécanisme lui-même reste hypothétique. Rien n'empêchera les ésotéristes qui ont besoin d'explications simples, ainsi que les âmes ébranlées, de recourir au vieil animisme des sociétés dites primitives (dont le spiritisme n'est qu'une résurgence naïve). Ne jugeons ici les choses que du dehors ; la disposition psychique qui permet à ces pouvoirs de se manifester peut apparaître spontanément chez certains sujets doués ou résulter d'une ascèse consciemment entreprise et poursuivie ; peu importe. Il s'agit visiblement, dans tous les cas, d'une concentration, au niveau de l'âme, de forces spirituelles, et de leur utilisation sous une forme dégradée. L'âme du Magicien, en tant que transformateur d'énergie, s'oriente vers le champ de la Matière et non vers celui de l'Esprit. Le lama tibétain qui se livre à la lévitation et provoque une hallucination collective, même s'il capte des forces par ascèse, ne les dégrade pas moins.

 

En tant que détenteurs de forces élevées, les Magiciens peuvent agir sur les âmes des autres hommes, dans la mesure même où celles-ci sont incapables de réagir, soit qu'une volonté trop faible les habite, soit, si cette volonté est forte, qu'elle n'émette pas une qualité d'énergie suffisamment haute. Au contraire, le Sage peut assimiler l'énergie ennemie ou la neutraliser, en émettant une énergie de qualité supérieure ou de qualité égale mais dirigée en sens inverse ; on peut même dire que l'obstacle élevé par le Magicien devant le Sage se trouve, une fois de plus, créer l'effort demandé à celui-ci. En provoquant le passage de l'état de Sage à celui de Prophète, le Magicien aplanit, sans paradoxe, le sentier de Dieu.

 

Ce qui précède me conduit à une observation inattendue, mais essentielle. C'est, en effet, à mon avis, une erreur complète de penser que les temps modernes, en détruisant peu à peu la crainte de certains phénomènes magiques (sorcellerie, envoûtement, etc.), aient affermi et armé les âmes jusqu'à leur permettre de résister à ce danger par le manque même de sa représentation. Naturellement cette affirmation va de soi pour les chrétiens tamasiques : ils n'ont jamais cherché à dévaloriser les « mystères » ; avec la double et classique réaction d'effroi et d'admiration qu'elle suscite, la Magie, en tant que moyen de gouvernement, ne fait que prolonger le sillon des religions d'autorité. Mais, malgré l'apparence, je veux montrer qu'elle vaut également pour les rationalistes vulgaires qui se croient éclairés sur les « superstitions », notamment les marxistes de la masse. Ceux-là seront encore mieux vampirisés que les autres, car, si les chrétiens se trouvent ainsi confirmés dans leur crainte générale du « pêché » de connaissance, les marxistes vont y voir une preuve de plus de la puissance de l'homme maîtrisant la nature par la science, à condition de rester fidèles serviteurs de celle-ci. Au bout de ces deux démarches, il y a la même obéissance grégaire et la même activation des masses.

 

Évidement, la Magie saura choisir des voies moins grossières qu'autrefois ; mais contre elle, seule la vraie foi est active, pas la simple croyance. Or, nous avons justement noté que les temps modernes furent bovarystes (imagination exaltée, coupée de toute possibilités de réalisation, faute de volonté claire). Les temps modernes créèrent bien une foi, mais matérialiste. Même dans ses formes agressives, une telle foi fut passive, faute de pouvoir mettre en jeu une énergie de qualité assez haute. A ce moment-là, une telle situation faisait suffisamment l'affaire des Magiciens pour que ceux-ci n'eussent pas besoin de se multiplier et surtout de se manifester par des phénomènes « a-normaux » ; la foule innombrable des indifférents et des incroyants se trouva même agir à la place des Magiciens pour promouvoir l'Involution. Ce n'est donc pas la cessation de la croyance qui a dévitalisé les Magiciens ou «  interrompu leur règne », c'est la réduction du nombre des Magiciens conscients et visibles et la multiplication de leur auxiliaires inconscients et invisibles (ceci explique incidemment que le rationalisme est le produit des époques d'unité ou de multiplicité du pouvoir et pas de dualité). Au surplus, la croyance également aveugle et généralisée au « hasard » conduisit beaucoup de Savants « raisonnables » à accepter sans autre étonnement des faits qui, dans l'avenir, se verront inclure dans des ensembles de correspondances ou d'interactions fort précis.

 

Aujourd'hui, les masses marxistes ne sont pas moins matérialistes ou scientistes, au contraire. Alors il est fatal que toute technique de domestication de l'homme soit classée par elles comme victoire de la science, admirée et obéie comme telle. Toujours la même surestimation, puis le même sacrifice de l'intellect. La spiritualité ne peut plus avoir aucune prise sur ces masses. En effet, intégrant ce qui constitue un progrès et enfouissant le reste au cimetière des erreurs inutiles, la spiritualité commence à proposer à l'homme une nouvelle conception de Dieu, débarrassé de toute notion dégradante de crainte – dégradante pour l'homme et pour Dieu. En apparence, cette masse, libérée depuis longtemps de toute crainte du « surnaturel », devrait donc suivre spontanément le fil de ce courant. Eh bien, nullement ! On peut même prédire à coup sûr que les Sages, par ce propos, réunissent toutes les chances d'échec social. Pourquoi ? Simplement parce que les masses, en pleine effervescence, sont en train, dans tous les domaines, de conjoindre à nouveau la notion de grandeur et la notion de crainte. Déjà, elles érigent des pouvoirs disproportionnés dans le social, et, ne pouvant y renier leur œuvre, préfèrent les trouver admirables pour n'avoir pas à les juger écrasants. Dans tous les âges profondément telluriques, l'admiration ne va ainsi qu'à la grandeur insondable, parce qu'il est dans la nature profonde de l'homme tellurique d'admirer ses propres monstres pour se cacher de les craindre, en effet, que ce soit pour le Diable que l'homme nourrit ou pour Dieu qu'il voudrait nourrir. A partir d'ici, inutile de distinguer davantage chrétiens et marxistes : sous des emblèmes et des vocabulaires différents, ils vont du même pas.

 

Toutes les religions dites « de l'Esprit » ont été dans le passé qualifiées d'hérésies parce qu'elles tendaient à effacer la colère du visage de Dieu. Tel était pourtant le sens profond du coup de génie de saint Paul et de Marcion lorsqu'ils fondèrent le christianisme sur l'amour d'un Dieu bon et non la colère de Iaweh, le Dieu juif. Mais l'involution éteignit cette flamme et les « hérésies » furent combattues en réalité, non pas au nom de la vérité, mais de l'ordre, non pas au nom de l'homme, mais de la société. On voit que cet argument de l'utilité sociale perd aujourd'hui toute valeur ; les masses ne peuvent et ne veulent recevoir de longtemps une idée rassurante de Dieu ou de l'homme. Elles sont même si réellement intoxiquées, et ensemble mithridatisées, par cette admiration et cette crainte, que même l'excès d'effroi que devrait provoquer le Prophétisme diluvien glissera sur elles sans les toucher. Qu'un morceau de la planète saute, on l'envisage, on puise une étrange douceur dans cette avenir si brusquement peuplé, si brusquement désert ; et ce sera l’œuvre des hommes, après tout : un destin. Les Prophètes peuvent donc affronter sans scrupule excessif de conscience cette idées que leurs prophéties risquent de « détraquer » la masse : nous ne sommes plus en l'an mil, ils ne seront pas spécialement entendus, et en tout cas, concernant la nouvelle Alliance de Dieu et de l'homme, pas du tout compris.

 

Certes, la conception d'un Dieu original et tatillon, vengeur et jaloux – le Dieu-instituteur – est formellement dépassée dans les masses marxistes ou rationalistes ; mais jamais la formule de la dialectique de Hegel ne fut plus vraie : dépassée et conservée. Et ces caractères humains, trop humains, de l'ancien Dieu, se sont simplement reportés sur d'autres figures où les masses les adorent naïvement en les craignant dans une stupeur admirative. Car le néo-paganisme des masses, qu'apporte fatalement, comme je l'ai dit, l'ère guerrière, a déjà créé sa mythologie, dieux, demi-dieux, héros ou démons, mais on ne le sait pas. Il en est de toute grandeur, universels ou fonctionnels, comme dans l'Olympe : en haut, ceux dont j'ai parlé, la Nation, la Classe, et la Race, dont l'obédience est stricte et étendue (qu'est-ce que l'empire russe pour les communistes de tous les pays, sinon le Dieu suprême?). Ces dieux se battent, comme dans toute mythologie, et font battre les hommes qui ne les en admirent que davantage. L'homme ne connut jamais dieux plus impératifs, n'accorda jamais à aucun autre tant de droits de police sur l'intime de sa vie et surtout ne crut jamais plus qu'aujourd'hui à une Providence incluse dans ces collectivités immanentes, omniprésentes, inépuisables dans leurs tours de faveur ou de priorité. Peu importe que les artistes ou les esthètes transposent cette mythologie dans des symboles rétrogrades ou des mythes imagés, ou même que ce panthéisme retrouve la nature, elle aussi divinisée. Ce ne sont là qu'épiphénomènes de la solide réalité, couleurs diverses jouant sur le même objet, variations mineures.

 

On comprend alors combien les religions d'autorité à tendances morales viennent renforcer la position des Magiciens. Le grand effroi du monde en guerre a rempli les églises et les temples et il faudra, en effet, dégrader le double sens de ce fait essentiel de l'époque : la recatholicisation rapide de l'Occident eurasien avec établissement d'un rapport d'influence, moitié pour moitié, avec le marxisme, spécialement en France. Dans la mesure où cette évolution touche l'élite, elle collabore au renouveau spirituel ; lorsqu'elle anime les masses, elle renforce le courant magique, et, avec le marxisme, écartèle l'Occident. C'est le culte des Saints qui est ici corrélatif du culte des héros et on voit comment, à ce niveau, spiritualité et néopaganisme s'affrontent. Aux premiers siècles, les Saints chrétiens héritèrent des divinités païennes. J. Carcopino raconte dans les Aspects mystiques de la Rome païenne, l'histoire de santa Lucia, patronne chrétienne de Syracuse, se substituant à Déméter – Koré, jusqu'à prendre les jours de leurs fêtes, les fameuses Thesmosphorie éleusiniennes, leurs fonctions, leurs rites mêmes et leur distribution, certains jours, de gâteaux cuits au miel. La logique de cette succession apparaît encore mieux aujourd'hui. Pour la mentalité magiste, le Saint (comme jadis le héro païen) est détenteur de forces, instrument de puissance, relais entre Dieu et l'homme pour le bénéfice de celui-ci. Au contraire, pour le Prophète, il est un modèle plus haut placé que lui sur l'échelle de la connaissance. Le Prophète n'appelle pas le Saint à lui, il va au Saint. La prière participe de ces deux conceptions. On peut dire que la « prière » du Prophète n'est pas une demande, mais une invocation ; il prie Dieu moins qu'il ne l'écoute. Par contre, toute prière en vue de quelque avantage spirituel ou matériel se trouve présenter une fondamentale ambiguïté : elle contient une part positive et une part négative dont la comparaison, quant à leurs valeurs absolues, pose, pour déterminer la qualité d'un homme, le problème des problèmes. Où s'arrête le domaine de la Peur et de la Faim originelles, toujours associées ? Où commence le royaume de l'homme intérieur statique ? Quand l'homme se pose ce problème pour lui-même, il est presque sauvé, il monte sûrement, il s'est éveillé à la notion d'un vrai déterminisme.

 

Socialement, on a faime (de sang), parce qu'on a peur (de l'insécurité). D'où les guerres, l’ambiguïté de l’héroïsme. Mais on a peur (de Dieu), parce qu'on a faim (de Terre, de « péché »). La peur du péché apparaît dans la masse comme un des corrélatifs de la faim de sang. C'est ici que les survivances magiques, païennes et sacrificielles, incluses dans le christianisme apparaissent intimement liées à ses conceptions morales, comme le totem au tabou : tel est le double sens, profondément ressenti, des rites de communion eucharistique en tant que rites théophaniques de participation.

 

La spiritualité ne gagnerait aujourd'hui les masses qu'en leur faisant surmonter cette peur du « péché », cette faim de puissance et de jouissance, réciproquement liées ; c'est une impossibilité absolue : les masses ne se sont constituées que par elles. Autrement dit, la spiritualité a ceci de commun avec la Magie qu'elle ne peut jaillir qu'au niveau de l'individu, non du groupe, qu'elle ressortit à l'esprit aristocratique de caste ou d'ordre, mais que, contrairement à ce qui se passe pour les Magiciens qui se collet vampiriquement à la masse après avoir été appelés par elle, les Guides spirituels sont rejetés à leur isolement.

 

III. Le prophète refuse de lutter contre le Magicien avec les armes de la Magie, sinon il commet le « péché contre l'esprit ».

 

Une fois entré dans la voie de la sanctification, c'est-à-dire dans le domaine du Sens, le Prophète refuse de dégrader l'énergie de haute qualité dont il est porteur. C'est pour lui la loi du Bien Suprême, au delà du Bien et du Mal, et au delà même de toute victoire. A elle seule, cette règle remet à leur place toutes les morales usuelles, car toute morale appelle la punition, elle équilibre le Mal par le Mal, mais par cela même elle descend le punisseur au niveau du puni. Nonobstant toutes précautions d'ordre érigées en dogmes au nom de l'utilité sociale, il n'est pas de parole qui détruise mieux la morale que celle-ci, à savoir, qu'au nom même de la justice de Dieu, les juges aussi devraient être jugés.

 

Un Saint et un vrai Prophète refusent donc d'employer contre un Magicien les armes de la Magie qu'ils pourraient, s'ils voulaient, manier aussi bien que lui. L'acte du Magicien éclairé qui dégrade volontairement une certaine quantité d'énergie donne l'idée du Mal absolu ; contre ce Mal, la contrainte de l'homme ne sert à rien. A quoi tiendrai-elle en effet ? A neutraliser dans l'âme du Magicien l'énergie qu'il tourne vers le mal ; mais le Sage qui viserait ce but devrait lui-même dégrader en force de contrainte une certaine énergie. Ainsi le monde ne reculerait pas, c'est vrai, mais ce calcul serait fallacieux, car avec cette même quantité d'énergie maintenue à sa haute qualité, le Sage participe à l'avancement du monde plus que le Magicien ne participe à son recul. Seule d'ailleurs cette méthode possède valeur exemplaire. Cet avancement du monde s'impose au Magicien avec une force irrésistible, il ne se fait pas contre lui, il se fait sans lui. Un homme peut toujours espérer vaincre une contrainte qui ne vise que lui, et sa vanité même viendra s'y buter, mais ce monde sûr de soi, qui le dédaigne et avance sans le voir ?

 

Toute autre attitude du Prophète constitue le fameux « pêché contre l'Esprit » dont parle l'Ecriture, et dont il est dit qu'il est le seul qui ne puisse être remis. Seule la conception du cycle d'Involution-Evolution de chaque homme permet de comprendre ces paroles sibyllines où nous voyons une des clefs de voûte du Nouveau Testament. Que dit le Christ ? « Si je n'étais pas venu et que je ne leur eusse point parlé, ils n'auraient pas de pêché. Mais maintenant ils n'ont pas d'excuses à leur pêché. » (Jean, XV). Mais indépendamment de l'aspect qu'elle prend sur le plan cosmique, qu'est-ce que la venue du Christ ? C'est l'apparition en chaque homme de l'Homme intérieur. Tant que l'Homme intérieur ne s'est pas éveillé, le Christ n'a pas parlé, l'homme est dans cet état de non-accomplissement qu'on peut appeler l'état de pêché, mais il ne pêché pas activement, on ne peut dire d'aucun de ses actes qu'il est un pêché irrémissible. A ce moment-là, dit l'Evangéliste, même le pêché contre le Christ sera remis. Mais dés qu'en devenant Homme intérieur, l'homme s'éveille à la notion de sa vraie liberté, il remonte des Enfers, avec le Fils de Dieu, sa nature est transfigurée, et pas plus qu'Orphée ou la femme de Loth il n'a le droit de se retourner. Tandis que le destin des tamasiques-rajasiques et des lucifériens est de s'accomplir par une destruction préalable inéluctable, celui du Prophète est normalement de s'accomplir par élévation. Dieu a pourtant voulu réserver le cas de la « trahison » des Prophètes, c'est-à-dire de ceux qui, revenant en arrière, de bonne foi, pour disputer avec Lucifer, seront détruits avec lui. Cette « trahison », elle aussi, fait partie du plan divin. Par cet exemple, Dieu veut faire progresser encore les autres Prophètes et ceux-là même qu'il détruit, en leur montrant que la supra-conscience ne s'acquiert pas sans que soit éprouvé, devant lui, la vanité de toute science et la folie qui habite aussi dans la sagesse.

 

Et, en effet, lorsque l'Homme intérieur s'éveille, toutes les ambiguïtés de l'Homme extérieur ne sont pas encore mortes. C'est dans la période pré-diluvienne, au moment où le Prophète commence à se connaître en tant que tel et où son propre Déluge est e partie accompli, avant que le Déluge planétaire ait eu lieu, que sonne pour lui l'heure de la plus grande « tentation ». Il peut croire alors accomplir sa mission en allant au secours des âmes retardataires prises dans le cercle, et, comme l'Eloa, de Vigny, il croira se sacrifier pour elles. Mais la notion de sacrifice « par amour » est obscure. La volonté même de se sacrifier falsifie le sacrifice, y introduit un retour égoîste sur soi ; une petite morale se cache sous ce grand mot. Nulle introspection banale ne permettra de répondre à cette question, si elle n'est pas éclairée par la supra-conscience du Prophète vraiment sanctifié. L'apprenti-Prophète croit se mettre devant des responsabilités terrestres inconnues de lui en se disant qu'elles lui ont été justement réservées pour parfaire sa connaissance. Comme il est normal, à l'heure où tout l'Homme extérieur doit être épuisé et transmué, le moment du plus grand orgueil coïncidera en lui avec celui de la plus grande humilité : seul le véritable Saint a surmonté l'ambivalence du prosélytisme. Ce Prophète insuffisamment éclairé croit se trouver devant sa dernière marche d'ignorance (et en un sens c'est vrai), alors qu'il est devant son dernier barrage d'orgueil (et c'est vrai aussi) ; moins sage que Jacob, il refusera d'exorciser l'ange qu'il porte en lui ; il refusera d'imiter Jacob au risque d'imiter Lucifer. Tel est le véritable sens du pêché d'angélisme. Il n'est pas de se croire ange, mais de se tromper sur le rôle de l'ange et de croire que l’atmosphère terrestre respirable pour lui. Jacob, parce qu'il avait vaincu l'ange qu'il portait en lui, rentrait à l'aube avec des forces décuplées : il était plus qu'ange et plus qu'homme ; mais le nerf de sa hanche s'était desséché et Jacob boitait : il ne savait plus marcher dans le monde. Le « pêché contre l'Esprit » c'est, aujourd'hui, quand on a pris conscience du déterminisme divin, de ne pas tout abandonner pour fonder l'humanité future et elle seule. Mais il faut que ce « pêché » aussi soit accompli. Et le prophète qui le commet, lorsqu'un jour rentrera dans le sein de Dieu, y sera accueilli comme le plus aimé de ses fils, car dans ce retard même, il aura puisé un surcroît de connaissance. Tel est le sens profond de la parabole du retour de l'enfant prodigue.

 

S'il peut donc y avoir des Prophètes qui se battent isolément, entre la caste magicienne et l'Ordre spirituel proprement dit qui rassemble les Prophètes, il n'y a pas à proprement parler de combat visible. La force magicienne nourrit, le long de la circonférence de base, sa propre force antagoniste, car les Magiciens se battent entre eux. La force du Prophète, bien que mesurable à tout instant par cette force antagoniste, ne s'emploie pas dans le même plan. Elle se résume dans la force verticale du Fils de Dieu, opposée à celle de Lucifer ; alors que les Magiciens se battent au sein même de Lucifer, les Prophètes sont le corps mystique du Christ.

14/11/2024

Gauche/Droite, tentative de définition - avec Ugo et Laurent

 


 

 

J'avais préparé cette introduction pour me présenter ; ainsi que mes « postulats de départ » concernant le clivage Gauche/Droite, mais sa lecture aurait été quelque peu laborieuse et ennuyante pour les auditeurs. Néanmoins, je la restitue intégralement ici.

 

Gauche/Droite, tentative de définition :

 

Je remercie Pierre-Yves pour son invitation et suis ravi de la présence d'Ugo.

 

Je remercie également Pierre-Yves pour sa confiance et de s’intéresser ; je dirais, à ma « vision du monde ».

 

Mon actualité se résume à la volonté de créer une revue métapolitique et à l'écriture d'un essai sur le prométhéisme.

 

Je n'ai pas l'habitude de prendre la parole et remercie d'avance les auditeurs pour leur bienveillance.

 

***

 

Je me définirais avant tout partisan de la Quatrième théorie politique et du Monde multipolaire plutôt qu' « eurasiste » même si, en effet, la lecture de Jean Parvulesco et d'Alexandre Douguine ont fortement influencé ma pensée.

 

Il n'existe de toutes façons pas d' « eurasisme français » ni d' « eurasisme européen », pour la bonne raison que les divers oppositions au globalisme ont précisément « raté le tournant eurasiste » ; préférant à cette orientation soit le souverainisme soit l'occidentalisme, il serait donc incongru de se définir « eurasiste » en tant qu'européen et occidental, et particulièrement dans la sphère française et dans le monde francophone.

 

Comme j'ai coutume de l'affirmer : Vous n'avez pas voulu de l'Eurasisme, vous aurez l'Occidentalisme !

 

Mon domaine de compétence ; si je peux l’appeler ainsi, est celui de la Métapolitique au sens que lui donnait Joseph de Maistre, je cite :

 

« J'entends dire que les philosophes allemands ont inventé le mot métapolitique, pour être à celui de politique ce que le mot métaphysique est à celui de physique. Il semble que cette nouvelle expression est fort bien inventée pour exprimer la métaphysique de la politique, car il y en a une, et cette science mérite toute l'attention des observateurs. »

 

Mon point de vue se borne donc à une approche métapolitique et se cantonne à la question :

 

Qu'entendons-nous aujourd'hui par « Métapolitique » ?

 

Et nous verrons que cette première question est intimement liée au sujet qui nous intéresse aujourd'hui. C'est, selon moi, le réel enjeu pour une redéfinition claire de la Droite.

 

Avant de tenter de définir (ou de redéfinir) la Droite, rétablissons la fonction première de la métapolitique dans le contexte actuel.

 

En effet, la réduction de la métapolitique à l'application des « méthodes gramsciennes » d'analyse et d'action, essentiellement d'entrisme culturel, explique le problème psychologique de la « Droite française » qui se pense comme une « Gauche » qui n'a pas réussit. Il y a déjà un premier biais dans la réflexion des droites alternatives, pour le moins celles se revendiquant de Gramsci.

 

Résumons rapidement les grandes théories de Gramsci : hégémonie culturelle, parti médiatique, intellectuel organique, éducation des travailleurs, distinction entre la société politique et la société civile, historicisme absolu, critique du déterminisme économique, critique du matérialisme.

 

Je trouve naïf de diminuer l'exercice et de rabaisser la fonction même de la métapolitique à l'expression de « guérilla culturelle » (qui se limite la plupart du temps à du journalisme ou du commentaire d'actualité, dans les deux cas, par des applications qui participent directement au spectacle et au divertissement).

 

La fonction de la métapolitique ne devrait-elle pas être celle de remporter cette première bataille pour la redéfinition de la Droite pour la dépasser, avant même de prétendre affronter la Gauche sur son terrain ?  

 

Le thème de ce soir est donc celui de la « Droite » davantage que celui de la Gauche.

 

Thème d'autant plus difficile à traiter que nous assistons actuellement – et ce de façon marquée depuis les années 30 – à une guerre idéologique et doctrinal pour la redéfinition de la « Droite » que se mènent les « tiers partis », les « avants-gardes » et « groupuscules » identifiés « à Droite » de grès ou de force.

 

Avants-gardes et groupuscules parfois, et même souvent, radicalement opposés sur les principes qui qualifient ou disqualifient une théorie et une pratique politiques comme étant « plutôt de droite » ou « plutôt de gauche » sur des critères historiques de légitimité. Ces « principes » et « critères » existent pourtant bel et bien, mais la démocratie d'opinion et les réseaux sociaux, qui permettent à tout le monde de donner son avis, rendent compliqué quelque chose qui pourrait être simple.

 

Aussi, c'est un exercice périlleux que d’interpeller un sujet au centre de toutes les attentions des plus bruyantes et, à cause de ce vacarme des modérés autour de lui, sourd à tous les murmures qui voudraient se faire entendre... Se faire entendre pour prévenir du triomphe du Libéralisme et de sa première conséquence qui est d'avoir éradiqué le clivage traditionnel entre la Gauche et la Droite.

 

Je diffuse ; sur mon blog et sous forme d'articles, un essai : La grande trahison métapolitique de la Droite, qui traite spécifiquement des droites alternatives et tente principalement à démontrer que le « mouvement occidentaliste » et la « tendance prométhéenne », à défaut d'autres propositions, représentent actuellement la « Droite » idéologique et doctrinale.

 

Je pars du postulat qu'il n'existe de « Droite » que les différents courants et mouvements qui partagent, à minima, une vision réaliste de l'Europe, non seulement en tant que civilisation mais également, dans un monde globalisé, en tant que puissance continentale potentielle entre les États-Unis et la Russie.

 

Ce que nous désignons ici de « civilisation » serait cet imperium indo-européen mouvant et intemporel dont le centre spirituel nomade se déplace sur le grand continent eurasiatique originel. Ce qui, de très longue mémoire, perpétue les « traditions » de plus ancienne civilisation des pierres levées à nos jours...

 

Sans cette volonté de dépasser les « nationalismes », il me semble difficile de parler de « Droite » aujourd'hui ; il faut bien mettre le curseur quelque part.

 

La « Droite » ne peut se contenter du Nationalisme westphalien ou du Souverainisme postmoderne « comme volonté et représentation » ; la questions de l'identité (et, par extension, celle de l'immigration) ne se suffit pas à elle-même ni ne permet de définir la « Droite ». Quelle identité pour quelle Droite ?

 

Les droites partisanes et électoralistes – autrement dit, ce que j'appelle les « extrêmes-centres de la subversion » ; « extrême-droite » et « extrême-gauche » comprises –, qui s'inscrivent exclusivement dans le cadre démocratique, républicain et laïque m'intéressent finalement très peu, et je ne pense pas qu'il soit nécessaire de refaire ici l'historique de ce qu'est la Droite et de ce que sont les divers droites franco-françaises à travers l'Histoire.

 

La diversité n'est pas quelque chose de négatif en soi mais il doit exister une certaine cohérence entre ses différentes parties idéologiques et doctrinales qui s'opposent pour maintenir un certain équilibre des forces au sein de la « Droite » et au sein de l'arc démocrate et républicain de la France comme royaume, nation et empire.

 

Ce qui rassemble ces « divers droites » est uniquement et exclusivement le fait d'être : « critique de » ou « contre » l'immigration. C'est une proposition négative et insuffisante pour justifié et qualifié une quelconque Droite sur la base de « grands principes ». Les incompréhensions entre ces « divers droites » commencent dés l'instant où la question de l'identité est évoquée, ce qui est un comble lorsque l'on parle de « Droite »... Et il n'est même pas nécessaire de la posée clairement pour que les problèmes commencent ; et que la Droite disparaisse comme par enchantement. Mais la malédiction de la Droite se trouve ailleurs encore...

 

Finalement, en France, les « royalistes » ou « monarchistes » sont sans doute les seuls à témoigner de certains principes traditionnels dans leur pratique politique, essentiellement spéculative, et peut-être les seuls à porter légitiment le titre de « Droite » au sens français et historique du terme. Il est à noter que le terme philosophique et idéologique de « Libéralisme » n'a pas exactement le même sens dans le monde latin que dans le monde anglo-saxon. Mais opérer cette distinction n'aurait, en effet, plus de sens, à l'heure de la globalisation et dans l'ère postlibérale.

 

Selon moi, la compréhension de la Tradition des royalistes et catholiques traditionalistes est littéraliste et profane ; davantage liée à une nostalgie de certaines traditions précises et particulières – je dirais folkloristes, historicistes et figées –, et que, par conséquent, leur « théorie politique » est inopérative – je fais la faute volontairement, il aurait fallu dire « inopérante », cela est un « élément de langage » relatif à l'opposition opératif/spéculatif et, par extension, à la question de la théorie et de la pratique.

 

Quant au Souverainisme, il est pour nous l'expression politique du complotisme et du puritanisme ambiants – « ces deux plaies de la postmodernité » comme le dit Laurent James –, la quintessence même de la subversion à Droite. Ce qu'il y a de pire à Gauche – la vision civique de l'identité et l’assimilationnisme paternaliste (qui est selon moi la forme la plus vicieuse de « racisme ») – et de ce qu'il y a de pire à Droite – le « chauvinisme » dans ce qu'il a de plus « jacobin » et « collaborateur ».

 

Pour rappel, le Souverainisme est historiquement un courant de pensée qui nous vient du Québec et sa traduction fhexagonale revient à une « haine de soi » en tant que nous sommes et restons des européens et des occidentaux en Europe avant d'être des français, des allemands ou encore des italiens... Il n'y a rien de plus mortifère que cette « haine de soi », d'autant plus quand elle se cache derrière le masque du « patriotisme ».

 

Ce néo-souverainisme, que Parvulesco qualifiait d' « opposition nationale de pure frime » et que Thomas Ferrier qualifie de « chauvino-mondialisme », est le premier ennemi sur notre route et donc le premier à abattre. Certes, les résultats souverainistes aux élections sont faibles mais le souverainisme pèse dans l'opposition idéologique au globalisme où aucune opposition politique ne peut naître, ou renaître. Si nous devions faire un choix immédiat, nous ferions le choix de l'orientation occidentaliste si celui-ci permettait d'en finir avec le souverainisme et tout ce qu'il véhicule de « tiersmondisme ». Les souverainistes rabaissent la perspective eurasiste à un tiersmondisme ; ce que l'eurasisme n'est pas.

 

De plus, les positions pro-russes, tiersmondistes, activement complotistes et honteusement puritaines de la plupart des souverainistes brouillent les cartes concernant le rôle de la France, voir de sa mission métahistorique, et dénature la « position eurasiste » qui n'est pas une allégeance idiote et crétine au Kremlin !

 

Je citerai Parvulesco pour bien me faire comprendre sur ce sujet du « souverainisme », qui n'est pas nouveau :

 

« Et il n'est même pas impossible que l'épreuve de force entre la social-démocratie au pouvoir et les forces de contestations qui vont s'élever alors contre l'état de fait puisse prendre aussitôt les allures d'une guerre civile, les choses apparaissant ainsi d'autant plus étranges que les forces de contestations se levant contre la dictature à la fois sournoise et totalitaire de la social-démocratie seront tout à fait inconnues, n'ayant encore fait état, ouvertement, de leur existence, et ne manifestant donc aucune relation avec ce que l'on appelle, sans doute par dérision, l' « opposition nationale » soi-disant « gaulliste » et autres formations de la même frime, salement complice, à la traîne, et dans l'imitation honteuse du pouvoir en place « opposition nationale » dont les positions affichées font ouvertement  assaut d'allégeance aux mot d'ordre de la conspiration mondialiste se tenant présente dans l'ombre. » (Jean Parvulesco, La confirmation boréale, La Stratégie contre-mondialiste de l'Axe Paris-Berlin-Moscou, Une « opposition nationale » inexistante, de pure frime, pp. 307 à 308, aux éditions Alexipharmaque)

 

Nous arrivons ici à ce qui est, selon moi et actuellement, le problème fondamental de la Droite  : l'impossibilité de se définir (?). Parce ce qu'elle est tout et rien en même temps et ne se situe que par rapport à la Gauche ou pour l'exprimer plus subtilement : aux différents centres globalistes.

 

Je m'explique :

 

Nous conviendrons pour dire que nous parlerons aujourd'hui de la Droite avec un grand « D » et des grandes tendances qui se dégagent des droites dites « alternatives », des « idées en mouvement », pour avoir une vision dynamique de la « Droite ».

 

De la même manière, la « Gauche », le gauchisme ou encore le wokisme ne sont pas du tout mes sujets. J'entends parler de « guérilla culturelle » – sur la base des travaux marxistes et communistes de Gramsci – mais je ne vois pas grand chose qui ressemble à de la « guérilla » ni à de la « culture » à Droite. Les « droitards » devraient relire « Pour une critique positive » de Dominique Venner qui a beaucoup inspiré mes propres travaux.

 

En somme, il y a autant d'idéologies que d'idéologues, autant d'idéologues que d'influenceurs, autant d'influenceurs que de multitudes anonymes hyperconnectées aux écrans superposés du Spectacle de la marchandise et du Faux omniprésent mais, finalement, d'aucun ne peut démontrer son influence supposée.

 

En effet, il n'existe, à ma connaissance, aucun instrument pour mesurer l' « influence réelle». L' « influence » reste un concept très vague d'un point de vue métapolitique.

 

Les « droites alternatives » sont enfermées dans le commentaire d'actualité comme divertissement ; entre complotisme et puritanisme. Certes, quelques associations et instituts – comme l'Institut Iliade –, mènent un certain combat « métapolitique » par les formations et conférences qu'ils proposent mais je pense que, malheureusement, leurs choix éditoriaux ne permettent pas de sortir de l'action spéculative et virtualiste pour se diriger vers une action opérative et réaliste. De faire ce que j'appelle de la « métapolitique appliquée » ou du « terrorisme métapolitique » pour paraphraser Abellio. Quand je parle d'action, je ne parle pas d'action illégale mais d'action coercitive au sens légal du terme.

 

La métapolitique c'est de la « métaphysique appliquée » au monde triste et froid des idées.

 

De toutes façons, je dirais que nous avons davantage besoin d'ingénieurs – je pense à des codeurs en informatique (hacking, astroturfing, etc) et d'artistes ou d'artisans que d'essayistes et que de « futurs cadres » d'hypothétiques partis politiques...

 

D'ailleurs, « futurs cadres » de quoi ? Pour quel grand Parti européen ? C'est précisément à ces questions que les intellectuels de Droite alternative ne répondent jamais. Et ça n'est pas la faute de leur avoir posé.

 

Et « Civilisation européenne » ou « Monde blanc » ne sont pas des réponses acceptables : pour aller où ?

 

Je veux dire que la réponse ne se justifie que par les « prises de position » et les « grandes orientations » que nous jouent les différents acteurs de ce Grand Jeu, pas par la théorie ou encore la transmission de concepts philosophiques d'un autre siècle.

 

Encore une fois, la construction d'une colonne vertébrale et un minimum de culture générale sont évidement nécessaires mais nous voyons bien que la Droite est incapable d'elle-même se définir et donc tenue en échec malgré son travail de mémoire. Puisqu'elle ne sait plus se définir que par rapport à la Gauche. Bref. Je citerai un extrait de Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke :

 

« Le temps, ici, n'est pas une mesure. Un an ne compte pas : dix ans ne sont rien. Être artiste, c'est ne pas compter, c'est croître comme l'arbre qui ne presse pas sa sève, qui résiste, confiant, aux grands vents du printemps, sans craindre que l'été puisse ne pas venir. L'été vient. Mais il ne vient que pour ceux qui savent attendre, aussi tranquilles et ouverts que s'ils avaient l'éternité devant eux. »

 

Une remise en contexte est sans doute nécessaire avant de poursuivre et de poser la question telle que je l'entends :

 

La démocratisation d'internet a radicalement changé notre rapport à la politique et, surtout, à notre pratique du Politique (ou de la Politique) avec un grand « P ». Le militantisme ou l'activisme se limitent ; à quelques exceptions près, à des expressions virtualistes et se résument à de la communication sans réel recherche de sens.

 

Généralement, les « droitards » donnent trop d'importance au rôle actuel de l’État et ont une vision réductrice et caricatural de ce qu'ils appellent « État profond »exprimant une continuité et une intervention de l’État dans tous les domaines de l'existence. Nous nous dirigeons vers une société globale dirigée par des Corporations et de grands monopoles (GAFAM). Le pouvoir de la Banque lui-même ni résistera pas (cryptomonnaie) et la face du Capitalisme va lui-même radicalement changé (Great Reset).

 

D'ailleurs, à ce propos, petite digression : On dit de Marx qu'il est le grand penseur du Communisme. Je pense qu'il est le grand penseur inavoué du Capitalisme, que sa « critique » du Capitalisme et l'anticipation de ses crises, sur la base d'un raisonnement essentiellement « matérialiste » et lié à l'aspect socio-économique du Capitalisme (démonie de l'économie), participe de la « pensée mondialiste » (messianisme politique) et du système économique mondial qui est une forme hybride de capitalisme et de communisme (et, plus précisément, de libéralisme et de collectivisme). Je pense la même chose au sujet de Gramsci dont les leçons servent la « métapolitique du postlibéralisme » (NetFlix, etc) davantage qu'elle n'a servit aucun « Grand Soir ».

 

Je vais avoir un problème pour me faire comprendre aujourd'hui, c'est que nous ne partageons pas de définition commune de l'idéologie ; ou de la philosophie-politique, du globalisme.

 

Premièrement, ce que beaucoup appellent « mondialisme » nous l’appelons « globalisme ». Cela est important et regarde les « métamorphoses du Libéralisme ». C'est ici que la notion de « postlibéralisme » entre en jeu.

 

Je ne vais pas pouvoir définir ce que Douguine et les eurasistes entendent exactement par « postlibéralisme » dans cette émission. Plusieurs extraits de la « Quatrième théorie politique » d'Alexandre Douguine sont disponibles sur mon blog à ce sujet, je vous y renvoie.

 

Deuxièmement, je citerai rapidement Laurent James (ainsi j'aurai terminé mon petit exposé et aurai posé ce que j'estime être les deux problématiques principales « pour une redéfinition de la Droite ») :

 

« Il est encore trop tôt pour que se lève le combat définitif, celui qui réglera tout car il touchera au nœud du problème, et qui n'aura pas lieu entre droite et gauche (évidement), ni entre patriotes et mondialistes (ce que pense Soral), mais entre nationalistes (de gauche comme de droite) et impérialistes. L'histoire du monde montre que la naissance des nations s'est faite avec celle de la modernité. L'effondrement des empires – ET DONC des spiritualités authentiques – est le corollaire de ce mouvement historique. Il n'y avait que 80 pays en 1920, et aujourd'hui plus de 200 ! ».

 

Voilà.

 

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