15/02/2025
Brouillon et médiocres premières pages d'un roman/essai qui ne verra jamais le jour
De la Fidélité – Journal d'une trahison
Introduction à la mise-au-jour ; la mise-à-nu, de notre pardon qui soulève le voile isiaque de nos propres trahisons intérieures et antérieures
« (189) Je conçois fort bien qu'il puisse y avoir des aveux comme intrinsèquement suspects, des aveux paraissant inviter à des compromissions des plus honteuses, entachés de je ne sais quel sentimentalisme bas et comme souillé d'avance, d'une fracture triviale, romantique et féminisante, réputée non-supérieure, déchirante, et tout à fait suicidaire (…), je sais que je me place de moi-même dans une posture intenable, je me sens coupable, et pourtant sans trop le reconnaître, d'une sorte de crime obscur, indéchiffrable et singulièrement malsain contre l'esprit du temps. Mais c'est ainsi. » Gué des Louves, p. 107
Tous les hommes attendent un pardon.
Celui de l'unique amour. Dernier souffle de leur existence lorsqu'ils croisèrent, pour l'unique fois, son regard. Visage immobile de leur paradis retrouvé, l'histoire d'une seconde. Enfer à raz-de-terre, du souffre dans un air d'oubli.
Les affranchis – ceux qui ont « franchis la ligne » – attendent sans espérer. L’espérance condamnerait la divine patience du souvenir, réduirait ses multiples états à un minable et méprisable « espoir » au détriment de leur fidélité. De la Fidélité forme supérieure de l'attente, et de la patience qui se nourrit de l'absence. Une patience qui n'attend plus.
Tous les hommes, sans exception, attendent l'éternel retour de l'amour absolu ; que l'on aime une unique fois d'un absolu amour. L'espace de quelques instants. Du fond des âges. Des temps fleuris des chaotiques origines que l'on touche du bout des doigts à cet instant précis, peau douce, avant de retomber dans la matière solidifiée, triste comme les pierres. Comprendront-ils avant de trépasser que « toute leur vie » s'est jouée en cette éternelle fraction de seconde ; qui a décidé de tout ?
Un paysage étrange, une odeur d'herbe fraîche, des arbres inquiets, un chant lointain que l'on rejoint à tire d'ailes lorsque, autour, tout s'éteint sur un couché rose. La route. Et, à l'horizon, une voûte de briques rouges. Les longs et pénibles retours vers une maison comme un bouge ; palais des ombres. Ses cheveux et sa moue royale. Le temps qui se roule. Le bitume. Et sa main posée sur ma main le temps du voyage... Où d'autre rencontrer Dieu que dans ce défilé de paysages muets où il n'y avait qu'elle et moi ?
J'avais vingt-huit ans lorsque je l'ai rencontré, qu'elle est venue à moi et que je l'ai reconnu. Nous n'étions pas d'ici. Elle avait trente-six ans et des lumières. Notre première nuit fut la dernière. Atteint de la folie d'écrire, j'étais pauvre. J'avais faim. Elle est arrivée, soir tombé, pour m'apporter un plat de pâtes. Nous ne nous sommes jamais quittés. Le 21 juin 2021 je me suis réveillé, sorti de ce rêve, de cette douzaine d'années de trêve. Je suis parti, laissant derrière moi guerres et paix. Mort. Elle n'était plus là, avait fuit mon départ. Nous ne nous sommes jamais revus.
J'ai quarante-trois ans, voilà bientôt deux ans que je vis dans la patiente attende de son pardon, sans aucun espoir. Affranchi. Le pardon. Tout ce qui manque. Tout ce qui a sans doute manqué ; il ne manquait pas d'amour. Mais l'amour ne suffit pas et il n'y a que des preuves d'amour...
J'ai perdu, dans ces années naïves et innocentes où je n'avais Dieu et qu'elle, le goût de tous les sels et sucres de l'existence dont le temps de la vie n'est le recueil que de quelques battements de cœur. J'existais, quelque part, avant de faire l'expérience du vivant. Je ne suis descendu sur terre que pour la rencontrer – pour quoi d'autre ? Je n'ai vécu qu'à travers elle. Avant elle, je n'étais qu'une ombre. Après elle, je n'en ai plus. Plus rien d'obscure ou d'occulte ne traîne derrière moi.
J'écris donc l'ombre de moi-même absente aux ailes calcinées, et serais bien en peine de le mentir. Mon ange... On ne tombe que pour aimer, se rassembler. Aux confins de l'univers, je poursuivais ton étoile tombée sur terre, fine poussière, et nous sommes nés pour nous retrouver. Se retrouver, se rencontrer et se reconnaître est une grâce accordée par le destin, par le plus grand des hasards. Le genre de hasard qui fait rougir les coïncidences et pâlir les intuitions les plus élevées. Ah !... ces orgueilleuses intuitions des prophètes et des poètes qui les ronges.
Elle naquit et fit l'expérience de la vie avant que mon âme ne s'effondre et que mon corps ne la recherche. J'hésitais à m'y glisser, dans cet peau d'homme. Ma sœur, je t'ai cherché, durant vingt-huit années, je t'ai cherché. Tu leur diras que je n'étais pas un faible ni un vaincu. Ce récit n'est pas celui de la défaite mais celui d'une victoire, d'une grâce et d'un miracle.
Je crois en la mort du roman et aux hommes qui arrêtent d'écrire. Mes prétentions d'écrivain de la fin du roman sont modestes ; cette première épreuve s'est forgée dans l'épreuve du feu.
Je n'écris pas un roman ni une confession, un essai ni un testament... J'écris mes heures sans elle.
Alors, j'écris sur l'amour et la mort, sans étude, sans autre référence que celle de ma pathétique expérience, de ma rencontre amoureuse avec Dieu. Cette imprudence révélera pour les uns de la naïveté, pour d'autres quelque chose d'abjecte. De l'impudeur. Je l'entends. Je perçois toute l'insignifiance de mes mots simples. Toute la complainte derrière.
***
Bien entendu, il faudra aux lecteurs lire entre les lignes de ce mélodrame sentimental parfois fort prosaïque. Votre serviteur ne prétend pas être un écrivain. C'est le silence qui écrit nos jours et qui s'exprime ici. Les mots sont l'écho de ceux que nous ne prononçons pas, que nous ne prononcerons plus, des lettres que nous n'envoyons pas, de tout ce que nous ne dirons plus. Le silence, et rien que le silence.
Tout a été écrit. Nous décrivons. Tout a été dit. Nous décrions. Pour mieux taire ce silence.
Ce texte, celui d'une vie intérieure, est la tentative imposée d'un – à un – essayiste dans les tumultes de la médiocrité postmoderne qui se reflète dans nos interactions, nos relations et nos réalisations. Dans d'énigmatiques expériences qui contrebalancent, contrastent, cette médiocrité des temps à laquelle nous sommes soumis, dans laquelle nous sommes emprisonnés, internés, le rêve comme dernier refuge, le vert recours aux forêts de l'Esprit. Des expériences au-delà de la réalité qui, irréversiblement, l'espace du rêve, nous rendent libres de conspirer contre le réel, de comploter d'imaginaire contre la réalité invertébrée que nous avons imaginé, créé, provoqué.
Seule la vérité de la seconde existence dans les continents engloutis du monde imaginal – qui ne serait nullement être synonyme de l'arrière-monde nietzschéen – peut combattre la réalité d'une vie primaire, enfuie à la surface des eaux froides du monde réel, des déserts de glace, brûlants de froid, sans mirage ni oasis, sans espoirs.
Cloîtrés dans le confort de nos cellules capitonnées de mensonges molletonnés, le retour à la réalité du non-sens et du non-être qu'est devenue le quotidien sans présent des hommes existants et vivants dans la permanence de la matière solidifiée est mollement douloureux, durement acceptable. C'est trop ou pas assez. Une guerre sourde, muette et aveugle. La pire des guerres. L'avantage, dans l'asile cybernétique des fous-à-lier de la postmodernité, c'est que nous pouvons nous taper la tête au mur sans nous ouvrir le crane. C'est la ouate ; même pas mal.
Le mensonge s'est donc mis à se mentir à lui-même... Le faux gagne sur la mort elle-même. La mort ne meurt plus. N'en finit plus de mourir. Les hybrides veulent prendre aux hommes ce qui réduisait la peine, contenait les fureurs, diminuait les vices, la seule raison qui rendait les dieux jaloux et donnait du sens. La douleur, la mort. Ce n'est pas un homme qui va mourir, c'est un genre humain.
Il ne nous ne reste que l'arme d'un écrit qui ne cherche plus à être littérature mais le présent au réel et le réel au présent pour signer cet acte. Jour pour jour. Au présent du rêve et réel de l'imaginaire. Rédigé par les grands notaires d'une haute rationalité : l'inutilité de la vie se rend à l'existence et dépose les armes au pied du destin. Le mot de « suicide » est insuffisant, celui de « sacrifice » est excessif. Rendre l'existence au vivant et la vie à l'être – Ne se suicident que les optimistes, les optimistes qui ne peuvent plus l’être. Les autres, n’ayant aucune raison de vivre, pourquoi en auraient-ils de mourir ? Emil Cioran
Ici, peu de descriptions de paysages, de lieues. Nous ne vivons que de nerveuses et chimiques sensations, à l'intérieur d'un corps, d'une âme et d'un esprit dont les intelligences ne remuent que très rarement – nous allierons donc l'effort au doute.
L'illusion du mouvement animée par la divine magie de l'onde primordiale ; ordonnatrice d'une nature cosmique et universelle que les sens ne peuvent totalement concevoir, est la réalité des comédies et tragédies humaines.
Tout est invisible.
Vous descendrez dans les souterrains d'un homme par ses organes fatigués, épuisé d'attendre un pardon comme il attendait, chaque jour, le retour de sa vandale, blonde sauvageonne, d'un feu d'automne, blanche sicilienne aux yeux verts lacérés d'argent, au regard strié d'or qui n'avait pas vu Venise ni le Tibet.
Cependant, dans l'imperfection de cette humble littérature de combat, la présence médiumnique du concept absolu « Jean Parvulesco », avec qui nous entretenons un rapport particulier, n'est pas feinte.
Dans le récit de nos récentes aventures, intérieures, ici romancées, entre rêve et réalité de ce qu'elles furent pour ne pas être, l'apport magique, celui-là bien réel, central, polaire, magnétique, pendulaire qui rythme notre vie – et notre obligation d'écriture au carrefour de celle-ci – s'est imposé à travers l'œuvre de Parvulesco – essentiellement par la voix du Gué des Louves –, qui s'est entremêlée à notre expérience somnambulique. La présence que nous évoquons n'y figure pas pour donner des lettres de noblesse à un récit que nous considérons pour ce qu'il est et qu'il ne nous appartient pas de qualifier. Nous ne possédons pas la puissance littéraire pour retranscrire l'intensité de ces minutes en dehors du temps tel que nous les avons vécu mais nous nous y serons employés au maximum de nos capacités.
Une étoile tombée de nuit, pluie de lune, de blanc feu, d'incandescentes scories, quelques pages manuscrites, écrites dans un état semi-conscient, réminiscence et remontée en puissance d'une intuition ancienne. Des pages volantes et tournevirantes dans lesquelles nous avons dû remettre de l'ordre, citer les extraits qui ont rythmé cette correspondance intérieure, ce rêve, alternance et concordance de lecture ténébreuse et d'écriture nerveuse. Des pages exaltées écrites hors du temps, que nous avons eu grande peine à déchiffrer, à remettre chronologiquement dans leur contexte vécu pour en produire un objet littéraire (à peu près cohérent). Nous n'étions que le réceptacle d'une rencontre entre un rêve et une vision, creuset d'une fusion. D'une épreuve nous empêchant de mourir d'une insondable mélancolie.
Voilà le sujet de ce récit crucifié qui est à lui-même sa propre expérience littéraire tout-à-fait intérieure, souterraine, abyssale, pour paraphraser Jean Parvulesco. Cher Jean...
Nous détestons nous épancher, exposer notre vie privée, et ne l'avons jamais fait auparavant sinon à titre justificatif, par respect pour nos rares lecteurs. Nous le faisons ici, ultimement – et égoïstement –, pour nous adresser à une femme que nous aimerons fidèlement jusqu'à la fin, une femme que nous aimons fraternellement dans les confins d'une rencontre qui n'a pas eu lieu et une femme que nous aimions amoureusement contre toute attente. Et, sans doute, pour interpeller une femme que nous aurions du aimer ou que nous ne connaissons pas encore...
Nous l'avions en point de mire. Nous ne la verrons plus.
Comme premier roman, que romancer d'autre que notre drame ? Un drame personnel qui, certes, ne peut atteindre la dignité des grandes tragédies... S'il s'agit d'une vision romancée, expressément naïve, de notre sordide réalité sentimentale, nous tenterons d'approcher fidèlement une certaine vérité sur notre expérience amoureuse. Nous « luttions » contre ce faire et avons longuement hésité à publier cet écrit. Il nous a semblé devoir le faire. Nous le ferons donc avec pudeur et retenue, autant que faire se peut lorsque s'exprime un état d'âme nostalgique et mélancolique. Nous parlerons donc d'amour ; si Dieu le veut. Peut-être aussi nous cherchons-nous quelques excuses pour justifier la honte, l'humiliation et le déshonneur, pour aller au bout de ce qui a déjà été trop loin.
« Je n'écris donc que pour mourir, pour mourir à moi-même qui, pourtant, je suis mort depuis je ne sais même plus quand, pour mourir à la mort qui n'en finit plus de se mourir en moi et avec moi. (…) Comment ai-je dit, des aventures sentimentales ? Bien sûr, des aventures sentimentales et rien d'autre. » Le Gué des Louves, pp. 179-180
(...)
Je n'ai jamais envoyé ces lettres – ces poltrons adieux –, écrites simultanément ce mois d'avril 2022, entre deux rêves. J'y aurai apporté quelques précisions, ce mois d'avril 2023, ces lettres étant devenues les « lettres ouvertes » d'une histoire romancée. Elle les lira peut-être, elle n'aurait pu que les lire si j'avais été courageux. Des mots faciles, qui me dégoûtent. Je n'étais rien avant, je ne suis plus rien après. Le rêve a essayé de me sauver, de me redonner vie, de me rendre un peu de dignité avant de mourir. L'honneur étant déjà loin. Mais j'étais déjà mort, la tête posée sur elle, ce 21 juin 2021. Elle a fuit, ne m'a pas retenu, je suis parti, me suis perdu. Rien de plus à ajouter.
***
« Qu'ai-je à dire d'autre ? Toute une vie de honte, de désespoir et de malheur absolu, et aussi abject qu'absolu, toute une vie de déchirement et de ténèbres et d'impuissance, toute une vie de mort au bord de la mort, sur la bordure délictueuse et la plus écœurante de la mort, soudain n'est plus rien devant la seule joie de cet instant, de cet instant seul, où il m'est donné de savoir ce que peut vouloir dire ce rêve, la seule joie de me dire à moi-même que je comprends, au réveil, quel peut bien être le sens du message qu'il véhicule à mon intention, ou qu'il véhicule même pas si, après tout, un rêve peut aussi n'être qu'un rêve.
Fidèle, elle m'aura été fidèle au-delà de tout, et elle m'aura donc amoureusement attendu au-delà de toute attente concevable, au-delà de toute trahison et de tout oubli, fidèle, dans son sommeil, au de-là même de sa mort et de la mienne, confiante et certaine et limpide en elle-même comme seule sait l'être la lumière intérieure du cristal de roche emprisonnée, pour des millénaires chaotiques et nuls, dans les ténèbres de sa propre attente, oublieuse, éternelle, heureuse attente du retour du jour le plus ancien qui l'aura connue.
La vie, désormais, ne m’intéresse plus, ni ma vie, ni rien. La seule chose qu'il m'avait importé d'avoir, à présent je l'ai. Je sais de quoi l'éternité est faite, et la joie de cette science secrète me brûle l'être comme le feu même du centre du soleil glaciaire des libérés dans la vie. La liberté absolue, cette nuit, moi, je l'ai connue. Comment la conquérir ? Elle n'est donnée, et pour rien. Mais dans le rêve seulement, et non dans la vie. Une tristesse m'en vient, et le cœur de cette tristesse, son cœur noir, est fait de la mort elle-même, de cette mort que l'on sait faite d'une éternité de ténèbres sans mémoire ni fin. » Gué des Louves, pp. 79
Fin.
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