Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

27/08/2025

Gnon et Ooon (Nick Land)

Nick Land, Xenosystems – Qu'est-ce que la Néoréaction ?, Chapitre III – Extérieur, Gnon et Ooon, pp. 184-187, aux éditions du Royaume

 

photo-1523486230352-65ff5222cea4.jpg

 

13 Septembre 2013

 

Twitter incite ses utilisateurs à compter les caractères, numérisant ainsi le langage. Bien que ce phénomène ne bascule que rarement dans les extravagances plus poussées du qabbalisme exotique, il oriente subtilement l'intelligence dans cette direction. Même lorsque la question posée est purement booléenne – le message rentre-t-il dans un tweet, ou non ? – les mots acquièrent une signification supplémentaire, liée uniquement à leurs propriétés numériques. De cette façon, une expression est temporairement quantifiée de manière élémentaire, le compteur de la zone de tweet agissant comme un compte à rebours vers zéro, avant de passer en négatif en cas de dépassement. Twitter encourage donc une pratique sémiotique hautement codifiée, tout en la dissimulant sous une couche technologique, incarnant de façon précise un analogue du rituel hermétique.

 

Le qabbalisme, science des mystères, apparaît comme un compagnon naturel de toute incursion dans l’horreur. Il possède aussi une inclination intrinsèquement réactionnaire, en raison de son ultra-traditionalisme et de son attachement au principe de révélation hiérarchique. Son histoire concrète constitue un exemple inégalé d'auto-catalyse spontanée née de conventions arithmétiques disparates. Toutefois, cet article se limite à une introduction sommaire à sa supposition intellectuelle fondamentale, comme si elle avait émergé d'une philosophie implicite (ce qui n'est pas le cas). Nous essaierons de rendre cela cohérent, malgré l'essence même de sa nature dissidente.

 

Dans la tradition abrahamique, la Parole de Dieu précède la création. Dans la mesure où les Écritures consignent fidèlement cette Parole, elles représentent un niveau de réalité plus fondamental que celui de la nature, que le « livre de la nature » référence comme la clé de sa signification ultime. Le déroulement de la création dans le temps reflète un récit tracé dans l'éternité, où l'histoire et providence divine sont inextricablement liées. Il ne saurait y avoir d'accidents ou de coïncidences véritables.

 

Le Livre de la Création est à la fois lisible et intelligible. Il peut être déchiffré, et il raconte une histoire. Les querelles acerbes entre orthodoxie religieuse et science naturelle qui ont émergé à l'époque moderne risquent d'occulter ces continuités profondes, présentant le conflit entre « croyance » et « incrédulité » comme une querelle familiale. Cela est illustré de manière éclatante dans la célèbre déclaration de Francis Bacon : «  Mon unique souhait terrestre est... d'étendre les frontières désespérément étroites de la domination l'homme sur l'univers jusqu'à leurs limites promises... [la nature sera] asservie, traquée dans ses retraites, mise en accusation et torturée pour dévoiler ses secrets. » Il est indéniable que la nature peut parler et a une histoire à raconter.

 

Sans prendre parti dans cette querelle, nous nous référons de façon neutre à Gnon (« nature ou Dieu de la nature »), mettant de côté toute dialectique, pour nous orienter dans une direction différente. La distinction à établir n'oppose pas croyance et incrédulité, mais différencie plutôt religion exotérique et ésotérique.

 

Tout système de croyance (ou d'incrédulité complémentaire) qui revendique une adhésion universelle est nécessairement de nature exotérique. A l'instar des chasseurs de sorcières ou de Francis Bacon, il déclare la guerre au secret au nom d'un culte public, dont les convictions centrales sont universellement partagées. Le Pape est le Pape, et Einstein est Einstein, parce que leur accès à la vérité que les distingue des autres hommes est – dans son essence – une propriété partagée par tous. Le sommet de la compréhension s'atteint à travers une formule publique, une véritable démocratie, au sens le plus profond et doctrinale du terme.

 

La religion ésotérique, pour sa part, reconnaît tout cela dans la religion exotérique. Elle valide la solidarité entre autorités doctrinales et croyances populaires, tout en se dispensant, dans la sphère privée, du culte public. Son attention discrète se détourne du masque exotérique de Gnon, pour se diriger vers l'OOon (Ordre Occulte de la nature).

 

L'OOon n'a pas besoin d'être gardé secret : il est secret par sa nature intrinsèque et inviolable Une simple incursion qabbalistique devrait suffire à le démontrer.

 

Imaginons, de manière hypothétique, qu'une intelligence surnaturelle ou des complexités obscures dans la structure topologique de terme aient imprégné d’abîmes de signification les événements apparemment superficiels du monde. Le « Livre de la Création » est alors lisible à de très nombreux niveaux différents, chaque détail insignifiant ou aléatoire des caractéristiques exotériques servant de base à des systèmes d'information plus « profonds ». Plus on creuse dans le « chaos insignifiant » de la communication exotérique, plus on accède aux signaux provenant de l'Ultime Extériorité. Puisque l' « être » est, dans son essence, un produit signalétique, cette entreprise cryptographique est inévitablement un voyage, une transmutation, et une désillusion.

 

L'exemple le plus documenté est l’interprétation ésotérique de la Bible hébraïque, que nous mentionnons ici dans ses caractéristiques les plus générales. L'alphabet hébreu, servant à la fois de système phonétique et de notation numérique, confère à chaque mot une valeur numérique précise. Un mot est simultanément exotérique et ésotérique, à la fois langage et nombre. Rien n'empêche un locuteur ordinaire de coder délibérément de manière numérique en écrivant ou en parlant. La clé de ce déchiffrement numérique n'est pas un secret, mais une ressource culturelle largement partagée et accessible à toute personne lettrée. Pourtant, les aspects linguistiques et arithmétiques sont souvent strictement séparés, car penser simultanément en mots et en chiffres est difficile, maintenir cette double intelligibilité prolongée est quasi impossible, et parce que cet effort semble (exotériquement) absurde. Ainsi, la praticité prévaut. Le domaine ésotérique n'est pas interdit, mais simplement supeflu.

 

Que la Bible hébraïque n'ai pas été intentionnellement conçue comme une composition cryptographique numérique complexe par des auteurs humains est un fait empirique que l'on peut accepter avec une confiance raisonnable. Son canal ésotérique pourrait, bien entendu, n'être rempli que de bruit, mais il est tout aussi clair qu'il est ouvert. Tout ce qui y transite, et qui n'est pas néant, ne peut provenir que de l'Extérieur. C'est précisément cette distinction réelle entre niveaux exotérique et ésotérique qui permet d'envisager l'OOon. Seules les dimensions inaccessibles à l'exotérique peuvent être exploitées par l'ésotérique pour établir une communication et se constituer. La rareté est une condition sine qua non du qabbalisme, qui ne cherche pas à convaincre les masses de quoi que ce soit, sinon peut-être de son propre non-sens. Comprendre cela est difficile dans un contexte où l'exotérisme domine.

Écrire un commentaire