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09/07/2021

Les sources de la guerre (Dominique Venner)

(Je ne suis pas spécialement amateur d'armes, davantage fasciné par leur esthétique que par leur usage, et je n'y connais rien à la chasse et ses traditions, mais je tiens à souligner la remarquable qualité de cette œuvre, tant sur la forme que sur le fond. Une véritable encyclopédie, largement et élégamment illustrée, d'une précision rare et qui touche sa cible. Je pense pouvoir dire, sans me tromper, que ces différents tomes sur les armes sont des références intemporelles que ça soit d'un point de vue technique ou historique, voir philosophique...)

 

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Dominique Venner, Le Livre des Armes, Tome III : Armes de combat individuelles, Première partie : L'arme individuelle dans la guerre, Chapitre I : Les sources de la guerre – Les armes et le besoin de violence, pp. 9 à 17, aux Éditions de la Pensée Moderne (1974)

 

Que serait notre langage sans le souvenir de la guerre et des armes ? Nous continuons à faire flèche de tout bois, à rechercher le défaut de la cuirasse chez un adversaire, ou à nous coucher en chien de fusil, en attendant de passer l'arme à gauche... Pour un rien, nous sommes sur le qui-vive, quand ce n'est pas sur la brèche ou sur le pied de guerre. Les intellectuels qui affectent de mépriser les militaires, aiment se dire d'avant-garde par des prises de position évidemment percutantes.

 

Pour ne pas se trouver pris entre deux feux, un politicien avisé changera son fusil d'épaule et cela, d'autant plus facilement qu'il a plusieurs cordes à son arc. Il conduira sa campagne tambour battant et promettra de sabrer les budgets impopulaires.

 

D'un projet qui fait long feu, on dira qu'il a du plomb dans l'aile, quelqu'un ayant vendu la mèche.

 

Si le bœuf mironton est le cheval de bataille d'un aubergiste qui ne pratique pas le coup de fusil, le frou-frou révolutionnaire sera le fer de lance d'un jeune couturier qui veut opérer une percée dans le prêt-à-porter.

 

Quand notre ministre de l'Agriculture ne peut s'opposer à nos partenaires européens, il livre à Bruxelles un baroud d'honneur et chacun va répétant, à l'image d'un célèbre militaire, que l'Intendance suivra.

 

Une feinte candeur peut donner à une jeune femme ses meilleurs armes et faire d'elle le point de mire d'une soirée ; si la belle est une vedette, elle sera surveillée par les journalistes qui l'attendent l'arme au pied pour la soumettre au feu roulant de questions posées à brûle-pourpoint.

 

On parlera de l'impact d'une information qui éclate comme une bombe et se répand comme une traînée de poudre. Tout le contraire d'un pétard mouillé.

 

En s'armant de patience, un policier qui n'a pas inventé la poudre, peut découvrir la mèche d'un complot ourdi par quelques drôles pistolets et autres individus de même calibre.

 

Nous savons tous que la vie quotidienne est faite d'une suite de petites victoires sur les embarras de la circulation, les tapeurs, les rages de dents, les trop bons repas et les médiocres, les remarques acides de belle-maman et les rappels intempestifs d'un percepteur qui nous a dans le collimateur.

 

D'un fils de famille contraint de brûler ses dernières cartouches (mais pas ses vaisseaux) avant de disparaître sans tambour ni trompettes, on remarquera qu'il s'était lancé dans les affaires la fleur au fusil et n'était pas armé dans la lutte pour la vie.

 

Qu'une explosive présidente locale du M.L.F. décide de manifester dans le costume d'Eve, la presse dira qu'elle utilise une arme à double tranchant. J'ajouterai que, même si les adhérents décident de marcher au canon, cela ne risque pas de faire parler la poudre.

 

Ce n'est pas un grand fait d'arme que d'avoir rassemblé cette collection de poncifs qui traînent à longueur de colonnes dans tous les journaux. Pourtant, j'ai fait une pierre deux coups. Je me suis diverti, et de but en blanc, j'ai amorcé mon sujet.

 

***

 

Oui, sans y prendre garde, le langage traduit notre ancestrale intimité avec les armes. Ancestrale, c'est peu dire.

 

Le premier outil dans la main de l'homme fut une arme. Mieux, si l'on en croit la paléontologie moderne, ce n'est pas l'homme qui a créé l'arme, mais plutôt l'arme qui a créé l'homme. Cette thèse, à première vue surprenante, n'est pas un paradoxe d'universitaire en goguette. Elle est admise par de nombreux hommes de science depuis que le professeur Raymond Dart a renouvelé la connaissance de l'homme et de ses origines.

 

C'est dans une retentissante communication présentée en 1953, que Dart avait tiré la leçon de ses recherches. Sa conclusion pouvait se résumer ainsi : notre premier ancêtre fut un tueur armé.

 

Le propos scandalisa, mais l'argumentation était imparable.

 

En trente ans de travaux, avec une équipe de chercheurs, Dart avait mis à jour plusieurs milliers de fossiles dans les fouilles particulièrement fécondes d'Afrique australe, les plus riches en vestiges pré-humains. Le classement systématique de ces fossiles fut une révélation, celle d'une armurerie datant d'un demi-million d'années. Une armurerie à la mesure des primates anthropoïdes qui nous ont précédé dans l'évolution : os-massues, cornes-poignards, demi-mâchoires-couteaux. La destination de ces objets e faisait aucun doute.

 

Dans la seule grotte de Makopan, Dart exhuma quarante-deux crânes de babouins défoncés par un humérus d'antilope, arme de prédilection des primates hominiens.

 

Devant les pièces à conviction de ces meurtres en série remontant à cinq cent mille ans, n'importe quelle Cour d'Assise aurait répondu comme Raymond Dart : l'ancêtre de l'homme était un tueur armé. Un tueur qui n'était pas encore un homme, mais qui allait le devenir sur quelques centaines de milliers d'années, et grâce à l'arme. Arme que les anthropologues, par pudeur ou culpabilité, continuent de désigner sous l'euphémisme rassurant d'outil.

 

La recherche et l'utilisation de l'arme, les communications que celle-ci imposait entre les membres des sociétés d'hominiens supposaient, en effet, une meilleure coordination de l'esprit et de la main, ainsi que des centres nerveux plus actifs. Ce fut l’œuvre de l'impitoyable sélection naturelle qui favorisa la reproduction des mieux doués pour cette nouvelle compétition. On estime que durant cette lente évolution, le volume cérébral passa de 500 cm3 à 1300 cm3 , pour atteindre ensuite 1500 ou 1600 cm3, avec l'homme de Néanderthal.

 

Une chose est certaine : depuis que le premier homme, avec son gros cerveau élargi et sa moderne pierre taillée, a tué l'anthropoïde armé de l'archaïque os d'antilope, son histoire n'a cessé de se confondre avec le perfectionnement des armes et si, inversement, un déclin militaire annonce infailliblement une décadence culturelle, sociale, politique.

 

...

 

Dans son immaturité ou dans sa mauvaise foi, l'homme a toujours accusé l'autre de la course aux armements et de la guerre. « Les rois veulent la guerre » assuraient les républicains sous la monarchie. « La République c'est la guerre » leur répondront, en échos, les royalistes après l'avènement de la démocratie. A toutes les époques, les partisans politiques, religieux ou philosophiques ont dénoncé le caractère bélligène de leurs adversaires. Les catholiques comme les protestants, les anticléricaux comme les sectateurs de la théocratie, les vieux empires et les jeunes nationalismes, les communistes et les capitalistes, les libéraux et les totalitaires. Cette unanimité retire évidement du crédit aux solennelles théories tour à tour édifiées pour la condamnation de l'autre.

 

Quand bien même nous ne saurons rien de l'instinct qui pousse l'homme à s'armer, cette observation détachée devrait éveiller notre esprit critique et notre ironie. Affirmer que la course aux armement est le fruit du système social ou politique que l'on condamne – et de lui seul – est une explication qui a trop servi, et de tous les côtés, pour être encore prise au sérieux.

 

Peut-être serait-il temps, devant un phénomène aussi grave, aussi mortellement grave désormais pour l'ensemble de l'humanité, de l'aborder avec lucidité.

 

La vérité, aussi désagréable fût-elle, c'est que la recherche frénétique d'arme toujours plus efficaces, plus meurtrières, est une caractéristique de l'espèce tout entière. Elle est apparue et s'est maintenue par sélection. C'est donc une nécessité biologique. Les groupes humains qui n'ont pu y faire face ont tous disparu ou sont tombés en servitude.

 

Est-ce déplaisant ? Sans doute. Est-ce contestable ? J'attends qu'on le démontre.

 

Les traités de paix – les hommes en ont beaucoup conclu en 5000 ans – n'ont jamais enrayé ni le perfectionnement des armes, ni le retour des guerres. Ils sanctionnaient un équilibre provisoire, jusqu'au moment où celui-ci se trouvait rompu. Alors, comme les feuilles mortes, s'envolaient les traités, vite oubliés.

 

Seul, le progrès monstrueux de l'arme a détruit l'arme.

 

Depuis l'explosion d'Hiroshima, la guerre qui, de tous temps avait procuré à l'espèce sa principale stimulation, apparaît dépassée dans les sociétés industrielles avancées. L'excès de la guerre a aboli la guerre.

 

Mais pas la violence.

08/07/2021

Le centre suprême caché pendant le «Kali-Yuga» (René Guénon)

René Guénon, Le Roi du Monde, Chapitre VIII Le ventre suprême caché pendant le «Kali-Yuga», pp. 30 à 3, aux éditions Gallimard

L'Agarttha, dit-on en effet, ne fut pas toujours souterraine, et elle ne le demeurera pas toujours; il viendra un temps où, suivant les paroles rapportées par M. Ossendowski, «les peuples d'Agharti sortiront de leurs cavernes et apparaîtront sur la surface de la terre1». Avant sa disparition du monde visible, ce centre portait un autre nom, car celui d'Agarttha, qui signifie «insaisissable» ou «inaccessible» (et aussi «inviolable», car c'est le «séjour de la Paix», Salem), ne lui aurait pas convenu alors; M. Ossendowski précise qu'il est devenu souterrain «il y a plus de six mille ans», et il se trouve que cette date correspond, avec une approximation très suffisante, au début du Kali-Yuga ou «âge noir», l'«âge de fer» des anciens Occidentaux, la dernière des quatre périodes en lesquelles se divise le Manvantara2; sa réapparition doit coïncider avec la fin de la même période.

Nous avons parlé plus haut des allusions faites par toutes les traditions à quelque chose qui est perdu ou caché, et que l'on représente sous des symboles divers; ceci, quand on le prend dans son sens général, celui qui concerne tout l'ensemble de l'humanité terrestre, se rapporte précisément aux conditions du Kali-Yuga. La période actuelle est donc une période d'obscurcissement et de confusion3; ses conditions sont telles que, tant qu'elles persisteront, la connaissance initiatique doit nécessairement demeurer cachée, d'où le caractère des «Mystères» de l'antiquité dite «historique» (qui ne remonte pas même jusqu'au début de cette période)4 et des organisations secrètes de tous les peuples: organisations donnant une initiation effective là où subsiste encore une véritable doctrine traditionnelle, mais qui n'en offrent plus que l'ombre quand l'esprit de cette doctrine a cessé de vivifier les symboles qui n'en sont que la représentation extérieure, et cela parce que, pour des raisons diverses, tout lien conscient avec le centre spirituel du monde a fini par être rompu, ce qui est le sens plus particulier de la perte de la tradition, celui qui concerne spécialement tel ou tel centre secondaire, cessant d'être en relation directe et effective avec le centre suprême.

On doit donc, comme nous le disions déjà précédemment, parler de quelque chose qui est caché plutôt que véritablement perdu, puisqu'il n'est pas perdu pour tous et que certains le possèdent encore intégralement; et, s'il en est ainsi, d'autres ont toujours la possibilité de le retrouver, pourvu qu'ils le cherchent comme il convient, c'est-à-dire que leur intention soit dirigée de telle sorte que, par les vibrations harmoniques qu'elle éveille selon la loi des «actions et réactions concordantes5», elle puisse les mettre en communication spirituelle effective avec le centre suprême6. Cette direction de l'intention a d'ailleurs, dans toutes les formes traditionnelles, sa représentation symbolique; nous voulons parler de l'orientation rituelle: celle-ci, en effet, est proprement la direction vers un centre spirituel, qui, quel qu'il soit, est toujours une image du véritable « Centre du Monde»7.

Mais, à mesure qu'on avance dans le Kali-Yuga, l'union avec ce centre, de plus en plus fermé et caché, devient plus difficile, en même temps que deviennent plus rares les centres secondaires qui le représentent extérieurement8; et pourtant, quand finira cette période, la tradition devra être manifestée de nouveau dans son intégralité, puisque le commencement de chaque Manvantara, coïncidant avec la fin du précédent, implique nécessairement, pour l'humanité terrestre, le retour à l' «état primordial»9.

En Europe, tout lien établi consciemment avec le centre par le moyen d'organisations régulières est actuellement rompu, et il en est ainsi depuis déjà plusieurs siècles; d'ailleurs, cette rupture ne s'est pas accomplie d'un seul coup, mais en plusieurs phases successives10.

La première de ces phases remonte au début du XIVe siècle; ce que nous avons déjà dit ailleurs des Ordres de chevalerie peut faire comprendre qu'un de leurs rôles principaux était d'assurer une communication entre l'Orient et l'Occident, communication dont il est possible de saisir la véritable portée si l'on remarque que le centre dont nous parlons ici a toujours été décrit, au moins en ce qui concerne les temps «historiques», comme situé du côté de l'Orient. Cependant, après la destruction de l'Ordre du Temple, le Rosicrucianisme, ou ce à quoi l'on devait donner ce nom par la suite, continua à assurer la même liaison, quoique d'une façon plus dissimulée11.

La Renaissance et la Réforme marquèrent une nouvelle phase critique, et enfin, d'après ce que semble indiquer Saint-Yves, la rupture complète aurait coïncidé avec les traités de Westphalie qui, en 1648, terminèrent la guerre de Trente Ans. Or il est remarquable que plusieurs auteurs aient affirmé précisément que, peu après la guerre de Trente Ans, les vrais Rose-Croix ont quitté l'Europe pour se retirer en Asie; et nous rappellerons, à ce propos, que les Adeptes rosicruciens étaient au nombre de douze, comme les membres du cercle le plus intérieur de l'Agarttha, et conformément à la constitution commune à tant de centres spirituels formés à l'image de ce centre suprême.

A partir de cette dernière époque, le dépôt de la connaissance initiatique effective n'est plus gardé réellement par aucune organisation occidentale; aussi Swedenborg déclare-t-il que c'est désormais parmi les Sages du Thibet et de la Tartarie qu'il faut chercher la «Parole perdue»; et, de son côté, Anne-Catherine Emmerich a la vision d'un lieu mystérieux qu'elle appelle la «Montagne des Prophètes», et qu'elle situe dans les mêmes régions. Ajoutons que c'est des informations fragmentaires que Mme. Blavatsky put recueillir sur ce sujet, sans d'ailleurs en comprendre vraiment la signification, que naquit chez elle l'idée de la «Grande Loge Blanche», que nous pourrions appeler, non plus une image, mais tout simplement une caricature ou une parodie imaginaire de l'Agarttha12.

Notes:

1 Ces mots sont ceux par lesquels se termine une prophétie que le «Roi du Monde» aurait faite en 1890, lorsqu'il apparut au monastère de Narabanchi.

2 Le Manvantara ou ère d'un Manu, appelé aussi Mahâ-Yuga, comprend quatre Yugas ou périodes secondaires: Krita-Yuga (ou Satya-Yuga), Trêta-Yuga, Dwâpara-Yuga et Kali-Yuga, qui s´identifient respectivement à l' «âge d'or», à l' «âge d'argent», à l' «âge d'airain» et à l' «âge de fer» de l'antiquité grécolatine. Il y a, dans la succession de ces périodes, une sorte de matérialisation progressive, résultant de l'éloignement du Principe qui accompagne nécessairement le développement de la manifestation cyclique, dans le monde corporel, à partir de l' «état primordial».

3 Le début de cet âge est représenté notamment, dans le symbolisme biblique, par la Tour de Babel et la «confusion des langues». On pourrait penser assez logiquement que la chute et le déluge correspondent à la fin des deux premiers âges; mais, en réalité, le point de départ de la tradition hébraïque ne coïncide pas avec le commencement du Manvantara. Il ne faut pas oublier que les lois cycliques sont applicables à des degrés différents pour des périodes qui n'ont pas la même étendue, et qui parfois empiètent les unes sur les autres, d'où des complications qui, au premier abord, peuvent sembler inextricables, et qu'il n'est effectivement possible de résoudre que par la considération de l'ordre de subordination hiérarchique des centres traditionnels correspondants.

4 Il ne semble pas qu'on ait jamais remarqué comme convient l'impossibilité presque générale où se trouvent les historiens d'établir une chronologie certaine pour tout ce qui est antérieur au VIe siècle avant l'ère chrétienne.

5 Cette expression est empruntée à la doctrine taoïste; d'autre part, nous prenons ici le mot «intention» dans un sens qui est très exactement celui de l'arabe niyah, que l'on traduit habituellement ainsi, et ce sens est d'ailleurs conforme à l'étymologie latine (de in-tendere, tendre vers).

6 Ce que nous venons de dire permet d'interpréter dans un sens très précis ces paroles de l'Évangile: «Cherchez et vous trouverez; demandez et vous recevrez; frappez et il vous sera ouvert.» -On devra naturellement se reporter ici aux indications que nous avons déjà données à propos de l' «intention droite» et de la «bonne volonté»; et on pourra sans peine compléter par là l'explication de cette formule: Pax in terra hominibus bonae voluntatis

7 Dans l'Islam, cette orientation (qiblah) est comme la matérialisation, si l'on peut s'exprimer ainsi, de l'intention (niyah). L'orientation des églises chrétiennes est un autre cas particulier qui se rapporte essentiellement à la même idée.

8 II ne s'agit, bien entendu, que d'une extériorité relative, puisque ces centres secondaires sont eux-mêmes plus ou moins strictement fermés depuis le début du Kali-Yuga.

9 C'est la manifestation de la Jérusalem céleste, qui est, par rapport au cycle qui finit, la même chose que le Paradis terrestre par rapport au cycle qui commence, ainsi que nous l'avons expliqué dans L'Ésotérisme de Dante.

10 De même, à un autre point de vue plus étendu, il y a po,-l'humanité des degrés dans l'éloignement du centre primordial, et c'est à ces degrés que correspond la distinction des différents Yugas.

11 Sur ce point encore, nous sommes obligé de renvoyer à notre étude sur L'Ésotérisme de Dante, où nous avons donné toutes les indications permettant de justifier cette assertion.

12 Ceux qui comprendront les considérations que nous exposons ici verront par là même pourquoi il nous est impossible de prendre au sérieux les multiples organisations pseudo-initiatiques qui ont vu le jour dans l'Occident contemporain: il n'en est aucune qui, soumise à un examen quelque peu rigoureux, puisse fournir la moindre preuve de «régularité».

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Livre des Miracles de Sainte Foy

Livre des Miracles de Sainte Foy – Post Scriptum, pp. 50 à 54

 

(Le « Livre des Miracles » est un carnet de pèlerinage écrit par « La Grande Touriste » ; Claire, et il est introuvable, je fais partie des heureux élus qui en possèdent un des rares exemplaires...)

 

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23 mai

 

A l'aube, je vois un moine. Il sourit et demande :

 

« Ça va ? Vous n'avez pas eu froid ? »

 

Je dis que non et le prie de m'excuser d'être en chaussettes. Il rit et me demande d'où je viens. Je lui raconte toute l'histoire et il rit encore :

 

« J'ai la clé. Je pourrais vous ouvrir maintenant ! Mais attendez encore un peu. Le Trésor ouvre à neuf heures et demie. Bon, je vous laisse, il faut que j'aille ouvrir l'abbatiale. »

 

« Mais je ne veux PAS PAYER ! » ne lui dis-je pas, car je suis blasée. Je le regarde s'éloigner en me tournant le dos.

 

J'appelle un ami :

 

« Jérémie, viens me chercher, s'il te plaît. Bess est crevée. Pas la peine de lui infliger une journée de plus. »

 

Un peu plus tard, je revois le moine passer sa figure joviale par la porte e la librairie où je suis allée flâner par dépit. Le monde est petit. Surtout à Conques.

 

« Alors ? » claironne-t-il. « On y va ? »

 

Aujourd'hui, c'est une demoiselle qui garde le Trésor. Frère Cyrille (c'est son nom) lui demande si elle veut bien s'occuper de Bess pendant qu'il me fait la visite. Elle accepte très volontiers. Et enfin, j'entre.

 

Au fond d'une salle noire et feutrée, au centre d'un jeu de rideaux et d'éclairages et dans un coffre de verre, voici la Majesté de Sainte Foy. Je suis muette d'émotion. Frère Cyrille est quant à lui d'humeur bavarde :

 

« Le Trésor de Conques est le seul qui ait échappé aux Guerres de religion et à la Révolution. Ce sont les habitants qui l'on caché dans leurs granges et leurs murs. On a critiqué à tort, je pense, les richesses de l’Église, elles étaient, en quelque sorte... à tout le monde. Et maintenant, bon, ça se passe plutôt bien entre notre communauté et les services de la Mairie. Nous avons la clé et nous pouvons aller et venir. L'un de nous a même la fenêtre de sa chambre qui donne sur le Trésor. Vous savez, quand on la sort pour la procession tous les ans, il y a les gendarmes ! »

 

Je rappelle à Frère Cyrille le « vol pieux » d'Aronisde. Il fait la moue :

 

« Oui, enfin c'était surtout pour la protéger des Normands. Conques est un village très retiré, on ne peut pas en dire autant d'Agen qui a subi toutes les invasions. »

 

C'est un petit personnage assis sur un trône, sculpté dans un bois d'if et martelé d'or massif. Le crâne de la Sainte est dans sa poitrine. La tête, disproportionnée, est celle d'un quelconque empereur romain dont l'Histoire a perdu le souvenir. On l'a soudée de manière à ce qu'elle soit un peu renversée en arrière, ce qui confère à son égard une étrange intensité et une autorité incontestable. Le tout est hérissé e pierres précieuses et de joyaux divers, « et même de médailles païennes », me fait observer Frère Cyrille. En effet, elle a sous le genou droit un bijou gravé d'une Diane chasseresse.

 

Je la trouve plus belle e vrai qu'en photo. Plus subtile. Ses mains surtout sont d'une finesse à ravir. Elles tiennent précieusement deux fourreaux d'or où l'on insère deux roses, lors des processions annuelles.

 

« On l'invoque pour la cécité, la stérilité et l'emprisonnement. C'est drôle, ici entre nous on l'appelle la petite Sainte Foy. Et vous, vous venez de Sainte-Foy-la-Grande ! Il faudrait faire un jumelage. »

 

Frère Cyrille évoque trois autres Saintes de la fin de l'empire qui portaient comme elle une valeur chrétienne en guise de prénom : Agnès, Agathe et Irénée. L'agneau, le Bien et la Paix.

 

Puis il repart vaquer à ses occupations et me laisse seule avec elle. Enfin, presque seule. Il y a des visiteur qui déambulent dans la salle.

 

Alors, je fais le tour de l'idole pour me cacher derrière. J'appuie ma bouche sur la vitre, à hauteur de sa nuque, et je chuchote, par trois fois, cette courte prière :

 

« Cœur sacré de Jésus, que ton règne arrive. »

 

Mon haleine brouille un instant la transparence de l'écran.

 

En sortant je fais la conversation à la guichetière qui s'appelle Céline et qui trouve Bess « vraiment adorable ».

 

Dehors, le Soleil brille entre deux averses.

 

Je flâne dans le cloître, cause avec les pélérins, autorise une Anglaise d'un certain age à prendre Bess en photo. « Hao, je l'eï vou passeï plousieurs fois dans le village, elle eï telliment joulie ! »

 

J'envoie un texto à Bruno : « Mission accomplie ». Il me félicite et me demande si j'aurais le temps et l'énergie d'aller à Salles-la-Source. Je lui promets d'essayer.

 

Installée sous une arcade, j'ouvre le livre que j'ai acheté à la librairie. Il est signé du Père Michel-Marie Zanotti-Sorkine. C'est un ancien chanteur de cabaret avec une tête de beau gosse d'Hollywodd, mais du genre qui finit par ne plus jouer que des rôles taillés sur mesure, par les plus grands cinéastes.

 

Dans son livre, le célèbre prêtre raconte un rêve qu'il fit une nuit. Il voyait la Vierge Marie marcher lentement au milieu des voitures et des mouvements de la ville. Bousculée de toutes parts par la foule empressée, elle semblait vieille et fatiguée, et elle chantait :

 

« Douce France, cher pays de mon enfance, bercée de tendre insouciance, je t'ai gardée dans mon cœur... »

 

Puis, le père Zanotti vit Jésus en personne débouler dans son rêve. Sa mère l'embrassa sur la main et redevint une fraîche jeune fille.

 

Le Seigneur s'assit ensuite sur un capot de voiture, et murmura dans sa barbe :

 

« Rien n'est jamais perdu. »

 

Et il sortit de son sac bleu, car il avait un sac bleu, un portrait de sa mère, un Nouveau testament en lambeaux et une colombe vivante qui s'envola et revint se poser sur son épaule. Et il dit :

 

« Moi aussi, je rêve... »

 

Mon téléphone sonne. C'est Jérémie.

 

Je le rejoins sous le tympan de l'abbatiale, l'invite à manger au restaurant et lui propose d'aller se ballader en dehors de Conques. Il a emmené avec lui sa louve tchèque qui s'appelle Sungmanitu Tanka Wacipi et qui est très copine avec Bess. Or elle ne se sont pas vues depuis trois semaines, et qaund Sung est trop excitée ça dégénère vite entre elles. Il y a ici trop de piétons. Il ne faudrait qu'elle fassent tomber une vieille dame en se bagarrant.

 

A vingt-cinq kilomètres de là, le village de Salles-la-Source est niché dans une falaise aux reliefs tourmentés. La cascade est fabuleuse. Des tonnes d'eau s'écrasent avec un fracas terrible dans une cuvette agitée de bouillons fumants. Jérémie et moi sommes trempés et hurlons pour nous entendre. Mon ombre sur la brume est couronnée d'un arc-en-ciel circulaire. Phénomène optique.

 

Sur le parvis de la cascade, un artiste métallier a installé trois œuvres : une fourmi géant en un dragon ailé qui semble absorbé dans la contemplation des eaux en furie et une espèce de chevalier mécanique agenouillé face aux visiteurs, les mains sur son épée. Titre de cette dernière : « L'Honneur ».

 

Plus bas, la cascade ressort non moins vivement de sous un petit pont. Des flots blanchis par les microbulles émergent trois arbrisseaux vacillants. Je m'étonne qu'il aient pu pousser là.

 

Je lis un panneau où il est expliqué que la cascade de Salles-la-Source est artificiellement restreinte et ne retrouve sa pleine puissance qu'après les fortes pluies. En cause, une centrale hydroélectrique vétustes et dangereuse (j'aperçois en effet une énorme conduite en fonte passant sous une maison méchamment lézardée).

 

La centrale n'emploie qu'un retraité à mi-temps, alors que la cascade pourrait attirer le tourisme et dynamiser l'économie de la commune, si l'on voulait bien la libérer. Signez la pétition, merci.

 

Ceci explique cela.

 

Sur la route du retour Bess peut enfin dormir plus d'une heure d’affilée. Quant à moi j'engueule Jérémie qui a manqué de nous faire tuer et d'autres avec nous, en passant à Decazeville. Il est complètement con ou quoi ? S'il veut mourir comme ça qu'il s'arrange pour que je sois ni dans sa voiture ni dans celle d'en face. Et vu comme il conduit, ça n'est pas étonnant qu'il se soit fracassé le crâne en tombant d'un toit, il y a trois mois !

 

« Bah ! » finit-il par lâcher. « Comme dit mon frère, si je m'en suis sorti sans séquelle, c'est parce que je ne suis pas tombé sur un organe vital ! »

 

En rentrant je croise Laurence, ma voisine.

 

« C'est drôle ! » me dit-elle. « Quand j'ai reçu ton message vendredi, la nuit d'après je n'ai pas pu dormir. Alors j'ai regardé la télé, et je suis tombé sur un documentaire sur Conques ! »

 

Enfin Bess et moi nous écroulons de concert et de fatigue, elle dans son canapé et moi dans mon lit.