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08/07/2021

Le centre suprême caché pendant le «Kali-Yuga» (René Guénon)

René Guénon, Le Roi du Monde, Chapitre VIII Le ventre suprême caché pendant le «Kali-Yuga», pp. 30 à 3, aux éditions Gallimard

L'Agarttha, dit-on en effet, ne fut pas toujours souterraine, et elle ne le demeurera pas toujours; il viendra un temps où, suivant les paroles rapportées par M. Ossendowski, «les peuples d'Agharti sortiront de leurs cavernes et apparaîtront sur la surface de la terre1». Avant sa disparition du monde visible, ce centre portait un autre nom, car celui d'Agarttha, qui signifie «insaisissable» ou «inaccessible» (et aussi «inviolable», car c'est le «séjour de la Paix», Salem), ne lui aurait pas convenu alors; M. Ossendowski précise qu'il est devenu souterrain «il y a plus de six mille ans», et il se trouve que cette date correspond, avec une approximation très suffisante, au début du Kali-Yuga ou «âge noir», l'«âge de fer» des anciens Occidentaux, la dernière des quatre périodes en lesquelles se divise le Manvantara2; sa réapparition doit coïncider avec la fin de la même période.

Nous avons parlé plus haut des allusions faites par toutes les traditions à quelque chose qui est perdu ou caché, et que l'on représente sous des symboles divers; ceci, quand on le prend dans son sens général, celui qui concerne tout l'ensemble de l'humanité terrestre, se rapporte précisément aux conditions du Kali-Yuga. La période actuelle est donc une période d'obscurcissement et de confusion3; ses conditions sont telles que, tant qu'elles persisteront, la connaissance initiatique doit nécessairement demeurer cachée, d'où le caractère des «Mystères» de l'antiquité dite «historique» (qui ne remonte pas même jusqu'au début de cette période)4 et des organisations secrètes de tous les peuples: organisations donnant une initiation effective là où subsiste encore une véritable doctrine traditionnelle, mais qui n'en offrent plus que l'ombre quand l'esprit de cette doctrine a cessé de vivifier les symboles qui n'en sont que la représentation extérieure, et cela parce que, pour des raisons diverses, tout lien conscient avec le centre spirituel du monde a fini par être rompu, ce qui est le sens plus particulier de la perte de la tradition, celui qui concerne spécialement tel ou tel centre secondaire, cessant d'être en relation directe et effective avec le centre suprême.

On doit donc, comme nous le disions déjà précédemment, parler de quelque chose qui est caché plutôt que véritablement perdu, puisqu'il n'est pas perdu pour tous et que certains le possèdent encore intégralement; et, s'il en est ainsi, d'autres ont toujours la possibilité de le retrouver, pourvu qu'ils le cherchent comme il convient, c'est-à-dire que leur intention soit dirigée de telle sorte que, par les vibrations harmoniques qu'elle éveille selon la loi des «actions et réactions concordantes5», elle puisse les mettre en communication spirituelle effective avec le centre suprême6. Cette direction de l'intention a d'ailleurs, dans toutes les formes traditionnelles, sa représentation symbolique; nous voulons parler de l'orientation rituelle: celle-ci, en effet, est proprement la direction vers un centre spirituel, qui, quel qu'il soit, est toujours une image du véritable « Centre du Monde»7.

Mais, à mesure qu'on avance dans le Kali-Yuga, l'union avec ce centre, de plus en plus fermé et caché, devient plus difficile, en même temps que deviennent plus rares les centres secondaires qui le représentent extérieurement8; et pourtant, quand finira cette période, la tradition devra être manifestée de nouveau dans son intégralité, puisque le commencement de chaque Manvantara, coïncidant avec la fin du précédent, implique nécessairement, pour l'humanité terrestre, le retour à l' «état primordial»9.

En Europe, tout lien établi consciemment avec le centre par le moyen d'organisations régulières est actuellement rompu, et il en est ainsi depuis déjà plusieurs siècles; d'ailleurs, cette rupture ne s'est pas accomplie d'un seul coup, mais en plusieurs phases successives10.

La première de ces phases remonte au début du XIVe siècle; ce que nous avons déjà dit ailleurs des Ordres de chevalerie peut faire comprendre qu'un de leurs rôles principaux était d'assurer une communication entre l'Orient et l'Occident, communication dont il est possible de saisir la véritable portée si l'on remarque que le centre dont nous parlons ici a toujours été décrit, au moins en ce qui concerne les temps «historiques», comme situé du côté de l'Orient. Cependant, après la destruction de l'Ordre du Temple, le Rosicrucianisme, ou ce à quoi l'on devait donner ce nom par la suite, continua à assurer la même liaison, quoique d'une façon plus dissimulée11.

La Renaissance et la Réforme marquèrent une nouvelle phase critique, et enfin, d'après ce que semble indiquer Saint-Yves, la rupture complète aurait coïncidé avec les traités de Westphalie qui, en 1648, terminèrent la guerre de Trente Ans. Or il est remarquable que plusieurs auteurs aient affirmé précisément que, peu après la guerre de Trente Ans, les vrais Rose-Croix ont quitté l'Europe pour se retirer en Asie; et nous rappellerons, à ce propos, que les Adeptes rosicruciens étaient au nombre de douze, comme les membres du cercle le plus intérieur de l'Agarttha, et conformément à la constitution commune à tant de centres spirituels formés à l'image de ce centre suprême.

A partir de cette dernière époque, le dépôt de la connaissance initiatique effective n'est plus gardé réellement par aucune organisation occidentale; aussi Swedenborg déclare-t-il que c'est désormais parmi les Sages du Thibet et de la Tartarie qu'il faut chercher la «Parole perdue»; et, de son côté, Anne-Catherine Emmerich a la vision d'un lieu mystérieux qu'elle appelle la «Montagne des Prophètes», et qu'elle situe dans les mêmes régions. Ajoutons que c'est des informations fragmentaires que Mme. Blavatsky put recueillir sur ce sujet, sans d'ailleurs en comprendre vraiment la signification, que naquit chez elle l'idée de la «Grande Loge Blanche», que nous pourrions appeler, non plus une image, mais tout simplement une caricature ou une parodie imaginaire de l'Agarttha12.

Notes:

1 Ces mots sont ceux par lesquels se termine une prophétie que le «Roi du Monde» aurait faite en 1890, lorsqu'il apparut au monastère de Narabanchi.

2 Le Manvantara ou ère d'un Manu, appelé aussi Mahâ-Yuga, comprend quatre Yugas ou périodes secondaires: Krita-Yuga (ou Satya-Yuga), Trêta-Yuga, Dwâpara-Yuga et Kali-Yuga, qui s´identifient respectivement à l' «âge d'or», à l' «âge d'argent», à l' «âge d'airain» et à l' «âge de fer» de l'antiquité grécolatine. Il y a, dans la succession de ces périodes, une sorte de matérialisation progressive, résultant de l'éloignement du Principe qui accompagne nécessairement le développement de la manifestation cyclique, dans le monde corporel, à partir de l' «état primordial».

3 Le début de cet âge est représenté notamment, dans le symbolisme biblique, par la Tour de Babel et la «confusion des langues». On pourrait penser assez logiquement que la chute et le déluge correspondent à la fin des deux premiers âges; mais, en réalité, le point de départ de la tradition hébraïque ne coïncide pas avec le commencement du Manvantara. Il ne faut pas oublier que les lois cycliques sont applicables à des degrés différents pour des périodes qui n'ont pas la même étendue, et qui parfois empiètent les unes sur les autres, d'où des complications qui, au premier abord, peuvent sembler inextricables, et qu'il n'est effectivement possible de résoudre que par la considération de l'ordre de subordination hiérarchique des centres traditionnels correspondants.

4 Il ne semble pas qu'on ait jamais remarqué comme convient l'impossibilité presque générale où se trouvent les historiens d'établir une chronologie certaine pour tout ce qui est antérieur au VIe siècle avant l'ère chrétienne.

5 Cette expression est empruntée à la doctrine taoïste; d'autre part, nous prenons ici le mot «intention» dans un sens qui est très exactement celui de l'arabe niyah, que l'on traduit habituellement ainsi, et ce sens est d'ailleurs conforme à l'étymologie latine (de in-tendere, tendre vers).

6 Ce que nous venons de dire permet d'interpréter dans un sens très précis ces paroles de l'Évangile: «Cherchez et vous trouverez; demandez et vous recevrez; frappez et il vous sera ouvert.» -On devra naturellement se reporter ici aux indications que nous avons déjà données à propos de l' «intention droite» et de la «bonne volonté»; et on pourra sans peine compléter par là l'explication de cette formule: Pax in terra hominibus bonae voluntatis

7 Dans l'Islam, cette orientation (qiblah) est comme la matérialisation, si l'on peut s'exprimer ainsi, de l'intention (niyah). L'orientation des églises chrétiennes est un autre cas particulier qui se rapporte essentiellement à la même idée.

8 II ne s'agit, bien entendu, que d'une extériorité relative, puisque ces centres secondaires sont eux-mêmes plus ou moins strictement fermés depuis le début du Kali-Yuga.

9 C'est la manifestation de la Jérusalem céleste, qui est, par rapport au cycle qui finit, la même chose que le Paradis terrestre par rapport au cycle qui commence, ainsi que nous l'avons expliqué dans L'Ésotérisme de Dante.

10 De même, à un autre point de vue plus étendu, il y a po,-l'humanité des degrés dans l'éloignement du centre primordial, et c'est à ces degrés que correspond la distinction des différents Yugas.

11 Sur ce point encore, nous sommes obligé de renvoyer à notre étude sur L'Ésotérisme de Dante, où nous avons donné toutes les indications permettant de justifier cette assertion.

12 Ceux qui comprendront les considérations que nous exposons ici verront par là même pourquoi il nous est impossible de prendre au sérieux les multiples organisations pseudo-initiatiques qui ont vu le jour dans l'Occident contemporain: il n'en est aucune qui, soumise à un examen quelque peu rigoureux, puisse fournir la moindre preuve de «régularité».

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Livre des Miracles de Sainte Foy

Livre des Miracles de Sainte Foy – Post Scriptum, pp. 50 à 54

 

(Le « Livre des Miracles » est un carnet de pèlerinage écrit par « La Grande Touriste » ; Claire, et il est introuvable, je fais partie des heureux élus qui en possèdent un des rares exemplaires...)

 

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23 mai

 

A l'aube, je vois un moine. Il sourit et demande :

 

« Ça va ? Vous n'avez pas eu froid ? »

 

Je dis que non et le prie de m'excuser d'être en chaussettes. Il rit et me demande d'où je viens. Je lui raconte toute l'histoire et il rit encore :

 

« J'ai la clé. Je pourrais vous ouvrir maintenant ! Mais attendez encore un peu. Le Trésor ouvre à neuf heures et demie. Bon, je vous laisse, il faut que j'aille ouvrir l'abbatiale. »

 

« Mais je ne veux PAS PAYER ! » ne lui dis-je pas, car je suis blasée. Je le regarde s'éloigner en me tournant le dos.

 

J'appelle un ami :

 

« Jérémie, viens me chercher, s'il te plaît. Bess est crevée. Pas la peine de lui infliger une journée de plus. »

 

Un peu plus tard, je revois le moine passer sa figure joviale par la porte e la librairie où je suis allée flâner par dépit. Le monde est petit. Surtout à Conques.

 

« Alors ? » claironne-t-il. « On y va ? »

 

Aujourd'hui, c'est une demoiselle qui garde le Trésor. Frère Cyrille (c'est son nom) lui demande si elle veut bien s'occuper de Bess pendant qu'il me fait la visite. Elle accepte très volontiers. Et enfin, j'entre.

 

Au fond d'une salle noire et feutrée, au centre d'un jeu de rideaux et d'éclairages et dans un coffre de verre, voici la Majesté de Sainte Foy. Je suis muette d'émotion. Frère Cyrille est quant à lui d'humeur bavarde :

 

« Le Trésor de Conques est le seul qui ait échappé aux Guerres de religion et à la Révolution. Ce sont les habitants qui l'on caché dans leurs granges et leurs murs. On a critiqué à tort, je pense, les richesses de l’Église, elles étaient, en quelque sorte... à tout le monde. Et maintenant, bon, ça se passe plutôt bien entre notre communauté et les services de la Mairie. Nous avons la clé et nous pouvons aller et venir. L'un de nous a même la fenêtre de sa chambre qui donne sur le Trésor. Vous savez, quand on la sort pour la procession tous les ans, il y a les gendarmes ! »

 

Je rappelle à Frère Cyrille le « vol pieux » d'Aronisde. Il fait la moue :

 

« Oui, enfin c'était surtout pour la protéger des Normands. Conques est un village très retiré, on ne peut pas en dire autant d'Agen qui a subi toutes les invasions. »

 

C'est un petit personnage assis sur un trône, sculpté dans un bois d'if et martelé d'or massif. Le crâne de la Sainte est dans sa poitrine. La tête, disproportionnée, est celle d'un quelconque empereur romain dont l'Histoire a perdu le souvenir. On l'a soudée de manière à ce qu'elle soit un peu renversée en arrière, ce qui confère à son égard une étrange intensité et une autorité incontestable. Le tout est hérissé e pierres précieuses et de joyaux divers, « et même de médailles païennes », me fait observer Frère Cyrille. En effet, elle a sous le genou droit un bijou gravé d'une Diane chasseresse.

 

Je la trouve plus belle e vrai qu'en photo. Plus subtile. Ses mains surtout sont d'une finesse à ravir. Elles tiennent précieusement deux fourreaux d'or où l'on insère deux roses, lors des processions annuelles.

 

« On l'invoque pour la cécité, la stérilité et l'emprisonnement. C'est drôle, ici entre nous on l'appelle la petite Sainte Foy. Et vous, vous venez de Sainte-Foy-la-Grande ! Il faudrait faire un jumelage. »

 

Frère Cyrille évoque trois autres Saintes de la fin de l'empire qui portaient comme elle une valeur chrétienne en guise de prénom : Agnès, Agathe et Irénée. L'agneau, le Bien et la Paix.

 

Puis il repart vaquer à ses occupations et me laisse seule avec elle. Enfin, presque seule. Il y a des visiteur qui déambulent dans la salle.

 

Alors, je fais le tour de l'idole pour me cacher derrière. J'appuie ma bouche sur la vitre, à hauteur de sa nuque, et je chuchote, par trois fois, cette courte prière :

 

« Cœur sacré de Jésus, que ton règne arrive. »

 

Mon haleine brouille un instant la transparence de l'écran.

 

En sortant je fais la conversation à la guichetière qui s'appelle Céline et qui trouve Bess « vraiment adorable ».

 

Dehors, le Soleil brille entre deux averses.

 

Je flâne dans le cloître, cause avec les pélérins, autorise une Anglaise d'un certain age à prendre Bess en photo. « Hao, je l'eï vou passeï plousieurs fois dans le village, elle eï telliment joulie ! »

 

J'envoie un texto à Bruno : « Mission accomplie ». Il me félicite et me demande si j'aurais le temps et l'énergie d'aller à Salles-la-Source. Je lui promets d'essayer.

 

Installée sous une arcade, j'ouvre le livre que j'ai acheté à la librairie. Il est signé du Père Michel-Marie Zanotti-Sorkine. C'est un ancien chanteur de cabaret avec une tête de beau gosse d'Hollywodd, mais du genre qui finit par ne plus jouer que des rôles taillés sur mesure, par les plus grands cinéastes.

 

Dans son livre, le célèbre prêtre raconte un rêve qu'il fit une nuit. Il voyait la Vierge Marie marcher lentement au milieu des voitures et des mouvements de la ville. Bousculée de toutes parts par la foule empressée, elle semblait vieille et fatiguée, et elle chantait :

 

« Douce France, cher pays de mon enfance, bercée de tendre insouciance, je t'ai gardée dans mon cœur... »

 

Puis, le père Zanotti vit Jésus en personne débouler dans son rêve. Sa mère l'embrassa sur la main et redevint une fraîche jeune fille.

 

Le Seigneur s'assit ensuite sur un capot de voiture, et murmura dans sa barbe :

 

« Rien n'est jamais perdu. »

 

Et il sortit de son sac bleu, car il avait un sac bleu, un portrait de sa mère, un Nouveau testament en lambeaux et une colombe vivante qui s'envola et revint se poser sur son épaule. Et il dit :

 

« Moi aussi, je rêve... »

 

Mon téléphone sonne. C'est Jérémie.

 

Je le rejoins sous le tympan de l'abbatiale, l'invite à manger au restaurant et lui propose d'aller se ballader en dehors de Conques. Il a emmené avec lui sa louve tchèque qui s'appelle Sungmanitu Tanka Wacipi et qui est très copine avec Bess. Or elle ne se sont pas vues depuis trois semaines, et qaund Sung est trop excitée ça dégénère vite entre elles. Il y a ici trop de piétons. Il ne faudrait qu'elle fassent tomber une vieille dame en se bagarrant.

 

A vingt-cinq kilomètres de là, le village de Salles-la-Source est niché dans une falaise aux reliefs tourmentés. La cascade est fabuleuse. Des tonnes d'eau s'écrasent avec un fracas terrible dans une cuvette agitée de bouillons fumants. Jérémie et moi sommes trempés et hurlons pour nous entendre. Mon ombre sur la brume est couronnée d'un arc-en-ciel circulaire. Phénomène optique.

 

Sur le parvis de la cascade, un artiste métallier a installé trois œuvres : une fourmi géant en un dragon ailé qui semble absorbé dans la contemplation des eaux en furie et une espèce de chevalier mécanique agenouillé face aux visiteurs, les mains sur son épée. Titre de cette dernière : « L'Honneur ».

 

Plus bas, la cascade ressort non moins vivement de sous un petit pont. Des flots blanchis par les microbulles émergent trois arbrisseaux vacillants. Je m'étonne qu'il aient pu pousser là.

 

Je lis un panneau où il est expliqué que la cascade de Salles-la-Source est artificiellement restreinte et ne retrouve sa pleine puissance qu'après les fortes pluies. En cause, une centrale hydroélectrique vétustes et dangereuse (j'aperçois en effet une énorme conduite en fonte passant sous une maison méchamment lézardée).

 

La centrale n'emploie qu'un retraité à mi-temps, alors que la cascade pourrait attirer le tourisme et dynamiser l'économie de la commune, si l'on voulait bien la libérer. Signez la pétition, merci.

 

Ceci explique cela.

 

Sur la route du retour Bess peut enfin dormir plus d'une heure d’affilée. Quant à moi j'engueule Jérémie qui a manqué de nous faire tuer et d'autres avec nous, en passant à Decazeville. Il est complètement con ou quoi ? S'il veut mourir comme ça qu'il s'arrange pour que je sois ni dans sa voiture ni dans celle d'en face. Et vu comme il conduit, ça n'est pas étonnant qu'il se soit fracassé le crâne en tombant d'un toit, il y a trois mois !

 

« Bah ! » finit-il par lâcher. « Comme dit mon frère, si je m'en suis sorti sans séquelle, c'est parce que je ne suis pas tombé sur un organe vital ! »

 

En rentrant je croise Laurence, ma voisine.

 

« C'est drôle ! » me dit-elle. « Quand j'ai reçu ton message vendredi, la nuit d'après je n'ai pas pu dormir. Alors j'ai regardé la télé, et je suis tombé sur un documentaire sur Conques ! »

 

Enfin Bess et moi nous écroulons de concert et de fatigue, elle dans son canapé et moi dans mon lit.

05/07/2021

La vie monastique en Occident

Les principaux faits de l'histoire de l’Église catholique par l'Abbé L. Bataille, IIIme Époque. Chute de l'Empire romain d'Occident. Charlemagne empereur (an 476-800)., Chapitre II. La vie monastique en Occident, S.Benoît. (6e siècle). Utilité des ordres religieux, pp. 56-61, Éditions Casterman, Tournai – Paris, 1929

 

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Saint Benoît en prière, 1530, huile sur bois, 106 × 75 cm, Maître de Meßkirch, Staatsgalerie (Stuttgart)

 

Déjà, à partir du Ive siècle, la vie monastique était connue et pratiquée en Occident. S. Athanase, exilé d'Alexandrie dans les Gaules, l'avait fait connaître et goûter partout sur son passage. S. Ambroise et S. Jérôme l'avaient raffermie en Italie ; S. Augustin l'avait établie en Afrique ; S. Martin dans le Nord des Gaules ; Cassien dans le Midi. –– Mais les différents monastères, fondés par ces saints personnages, manquaient de règle fixe et bien déterminée. La règle de S. Basile, rop sévère pour le climat le plus rigoureux des pays Occidentaux, n'avait pu être suivie dans son entier. Il avait fallu la modifier en bien des points, et, dans l'application, il en était résulté une sorte d'arbitraire qui, au milieu des invasions barbares, devait presque nécessairement amener la ruine des institutions monastiques. Pour éviter ce danger, Dieu suscita S. Benoît.

 

S. Benoît, natif de Nursia (royaume de Naples), appartenait à une famille riche. Vers l'age de 16 ans, dégoutté du monde à la vue des mœurs dissolues dont il était témoin à Rome, il se retira dans une caverne des Apennins, pour y vivre en ermite. Au bout de 3 ans, il y fut découvert, et bientôt de nombreux disciples vinrent pour vivre sous sa direction. Ceux-ci devinrent même si nombreux, que le saint patriarche dut bâtir pour les loger jusqu'à 12 monastère. Le principal fut celui du Mont-Cassin, qui devint comme la souche et le centre de l'ordre des Bénédictins. – Saint Benoît comprit alors la nécessité d'une règle fixe pour soumettre et diriger tant d'existences diverses. A cet effet, il composa son admirable Règle de vie monastique. (Rohrb. IX, 69, 219.)

 

Cette règle contient comme disposition fondamentale : I° Un an de noviciat, temps d'épreuves solennelle et sérieuse ; 2° les trois vœux solennels et perpétuels de chasteté, pauvreté et obéissance ; 3° la distribution du temps entre la prière, l'étude, les travaux manuels, la culture du sol et les fonctions du ministère ecclésiastique. –– S. Benoît mourut vers le milieu du VIe siècle (543), comblé de mérites et laissant à la postérité un ordre religieux qui se répandit dans tout l'Occident. Cet ordre des Bénédictins a la gloire d'avoir existé seul jusqu'au XIIe siècle et de subsister encore aujourd'hui, d'avoir servi de modèle aux autres, d'avoir fourni à l’Église 35 papes, un nombre extraordinaire d'évêques et de saints, d'avoir en un mot, rendu d'immenses services à la religion et à la société. C'est donc à juste titre, que l'histoire a décerné à S. Benoît le nom de père ou patriarche de la vie monastique en Occident (V. Dezobry, art. Bénédictins).

 

C'est peut-être ici le lieu de dire quelques mots de l'utilité des ordres monastiques, si violemment attaqués, si méchamment calomniés de nos jours par tous les ennemis de l’Église.

 

Remarquons d'abord que les moines ne sont pas seuls en butte aux attaques de l'impiété. Tous les membres du clergé tant régulier que séculier partagent cet honneur. Et la raison en est simple. Les uns et les autres sont les disciples plus particuliers du divin crucifié : comme Lui et à cause de Lui ils doivent être hais, méprisés, persécutés. –– Au surplus, le clergé est par caractère et par l'état, l'ennemi de l'erreur et du vice. Que peut-il recevoir de tous les artisans de mensonge et d'iniquité, sinon la haine et la persécution ? C'est toujours le combat entre Dieu et Satan.

 

Cette double observation fait assez connaître la raison réelle des attaques, dont la vie religieuse et la vie sacerdotale sont sans cesse l'objet. Elle suffit même pour en faire justice. Toutefois, voyons quelques-unes de ces attaques et ce que l'histoire impartiale y répond.

 

–– D'abord, on se plaît à se représenter la vie monastique ou religieuse comme une vie de fainéantise, une plaie e la société, une honte pour l'humanité, etc.

 

D'après les vrais historiens catholiques ou non catholiques mais sincères, il est hors de doute que les moines furent, surtout à l’époque où ils parurent, les plus grands bienfaiteurs de l'humanité. Sans eux, en effet, que fut devenue, sous l'avalanche des barbares, la civilisation chrétienne, non moins que les débris de l'antique civilisation de Rome et d’Athènes ? Les lettres, les sciences, les arts, la morale, la religion ne trouvèrent plus d'asile que dans les monastères. –– De plus que ne firent pas les moines, à cette époque douloureuse, pour la formation des nouvelles sociétés européennes ? Ne furent-ils pas les plus intelligents comme les plus actifs coopérateurs de l’Église dans cette œuvre si difficile ? N'est-ce pas eux, tour à tour missionnaires, agriculteurs et écrivains, que revient directement la gloire d'avoir adouci, converti, civilisé les peuples barbares dont l'Europe était couverte pendant les premiers siècles du moyen-âge ; de leur avoir apprit à défricher le sol et à puiser les moyens d'existence qu'ils avaient jusqu'alors cherchés dans le pillage et les combats ; enfin, de nous avoir légué, avec les chefs-d’œuvre artistiques et littéraires des temps anciens, des œuvres étonnantes et souverainement utiles sorties de leurs propres mains ? Quel corps savant ou enseignant a jamais eu et rempli une mission plus noble et plus utile ? Si notre époque jouit de la civilisation, n'est-ce pas en grande partie aux moines qu'elle est redevable ?

 

–– Et si les ordres religieux furent utiles autrefois à l’Église et à la société, croit-on qu'ils furent moins dans la suite, croit-on qu'ils le sont moins aujourd'hui ? Ils sont dégénérés, dit-on et ont été pour le monde un objet de scandale ! –– Que certains ordres religieux aient, par la suite des temps et sous influence de causes multiples déchu de leur ferveur primitive, nous ne le contesterons pas ; qu'il y ait eu parfois dans le cloître, des prévarications comme il y en a dans le monde, nous sommes loin de le nier : car, il n'est que trop vrai que l'homme porte partout avec lui les faiblesses de sa nature et que les vœux de religion ne rendent pas impeccable celui qui les prononce. Il ne faut donc pas être étonné si, dans la multitude de religieux qui ont peuplé les cloîtres depuis treize siècles, il y en eut qui se montrèrent indignes de leur vocation. –– Mais à coup sûr, on a beaucoup exagéré sur ce point. L’Église et ses défenseurs ont toujours eu devant eux des ennemis acharnés, calomniateurs, sans cesse à l’affût d'un grief à articuler, élevant de suite à la hauteur d'un scandale public ce qui, bien souvent avait à peine l'apparence du mal. Le principal d'entre eux, Voltaire, n'a-t-il pas : «  Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose ! » Cet ordre infernal a été exécuté de son temps, comme il l'est encore aujourd'hui par tous les porte-voix de la libre-pensée et de la libre-jouissance.

 

De fait, dans les masses crédules et ignorantes il en reste toujours quelque chose. Mais pour quiconque réfléchit, il y a d'autres voix bien autrement puissantes que toutes ces voix de la haine et de la calomnie. Il y a les voix pleines d'amour et de reconnaissance de ces milliers d’infortunés : enfants, vieillards, pauvres, orphelins, infirmes, pestiférés, victimes de la guerre et du vice, qui, trouvant dans le religieux un dévouement qu'aucune ingratitude ne peut lasser, dans la religieuse une tendresse qu'aucune misère ne peut rebuter, proclament à la face du monde que les ordres religieux sont non seulement utiles, mais nécessaires à la société. Oui, nécessaires ! Car l'expérience a été faite plus d'une fois. Récemment encore, en Allemagne, on a voulu s'en passer : on les a bannis, exilés. Ensuite on a dû reconnaître que leur départ avait laissé un vide qu'aucune combinaison laïque ne pouvait combler. Ils sont rentrés ! –– Mais au moins, la vie contemplative, à quoi peut-elle servir ? –– Un écrivain peu suspect d'être trop favorable à l’Église, V ; Hugo, l'a dit : «  A soutenir le monde accablé sous le poids de ses crimes ! » C'est, qu'en effet, il faut l'équilibre dans le monde moral, comme dans le monde physique. Il faut donc qu'il y ait dans la société que Dieu dirige, des cœurs purs, qui prient pour ceux qui ne prient pas ; des innocents qui expient pour les coupables ; des victimes qui s'immolent et réparent pour ceux qui outragent Dieu par leurs crimes incessants. Sans quoi, le monde périrait, frappé par la colère divine.

 

Une dernière réflexion : Quel refuge donnera-t-on contre les passions si l'on ferme les cloîtres ! Il y a des âmes qui ne peuvent trouver que là le calme, le bonheur et la vertu. Tel saint fut devenu le fléau de l'humanité au lieu d'en être le bienfaiteur, s'il n'avait été moine. –– Au reste, se dépouiller de ses biens et quitter le monde, se réfugier dans la solitude et n'y vivre que pour Dieu et son salut, n'est-ce pas, au point de vue social, l'usage le plus innocent que l'on puise faire de sa liberté ? Qui peut s'en offenser et le critiquer, sinon ceux qui sont animés par le mauvais esprit et qui, semblables à Satan, haïssent le bien et la vertu sous quelque forme que ce soit ?