13/01/2020
L'essence du nihilisme (Dominique Venner)
Dominique Venner, Histoire et tradition des Européens (30000 ans d'identité), L'essence du nihilisme, pp. 16-18, aux éditions du Rocher
La domination universelle du nihilisme fait qu'un Européen conscient de sa tradition – un traditionaliste donc – se retrouvera des points d'accord et de complicité avec des Chinois, des Hindous, des Africains qui pensent et vivent également selon leur tradition spécifique. En dépit de tout ce qui les différencie, ils ont en commun de ne pas croire aux illusions du Progrès.
Si la tradition fait bon ménage avec des progrès spécifiques, elle se gausse de la religion du progrès et de sa croyance en une amélioration constante de l'humanité par la raison, par la science et le « développement ». Ce en quoi elle rejoint les tendances les plus modernes. On a découvert par exemple que, si les Sioux et les Cheyennes d'autrefois n'avaient pas inventé le chemin de fer, ils possédaient par contre une sagesse leur commandant de ne pas saccager la nature ni de massacrer les bisons. De là, on peut induire que la sagesse se place plus haut dans l'ordre de la transcendance que les chemins de fer. Ce qui revient à dire que la spiritualité liée à la sagesse – autres mots pour la tradition – devrait inspirer les choix de la vie, de préférence à la logique matérialiste et provisoire des chemins de fer.
Si une telle réflexion est à prendre au sérieux, c'est qu'elle éclaire la fonction de la tradition, son rôle générateur qui est de donner du sens Politique, science, création artistique, et même religion, n'ont pas en elles leur finalité. Au sein de chaque culture, tant que règne l'harmonie, ces catégories prennent leur sens par rapport à la finalité supérieure de la tradition.
Le contraire de la tradition, n'est pas la « modernité », notion confuse et limitée, mais le nihilisme. Nietzsche définissait celui-ci comme la conséquence de la mort de Dieu, ce qui était restrictif. Il serait plus exact de parler de la disparition du sacré dans la nature, la vie, l'amour, le travail, l'action. Autrement dit la disparition du sens qui hiérarchise les valeurs de la vie, en plaçant ce qui est supérieur au-dessus de ce qui est inférieur.
Au mois de juillet 1914, peu avant que la guerre n'éclate entre l'Autriche-Hongrie et la Serbie, l’empereur François-Joseph eut un geste qui donne à réfléchir. Le hasard avait voulu que la crise ait surpris le commandant en chef de l'armée serbe, le général Putnic, dans l'une des villes d'eaux de la Double monarchie. A la vielle d'un conflit avec la Serbie, l'occasion s'offrait d'une capture propre à désorganiser le dispositif ennemi. Aussi, quand le général Putnic fut rappelé par son gouvernement, les autorités austro-hongroises prirent sur elles de l'arrêter. Mais sur intervention personnelle de l'empereur, le généralissime serbe fut libéré et reconduit jusqu'à a frontière de son pays avec les honneurs dus à son rang.
François-Jospeh avait estimé qu'il y avait une valeur supérieure à l'utilité. Préserver l'esprit de chevalerie, l'esprit même de l'Europe, était la priorité. Dans son choix, il avait soumis inférieure au supérieur. Il ne s'était pas laissé dominer par l'esprit du nihilisme.
Voulant peindre ce qu'il entendait par nihilisme, Dostoïevski imagina dans Crime et châtiment le personnage de Raskolnikov. Celui-ci se veut une sorte de surhomme nietzschéen. Il estime que les hommes d’exception ont tous les droits, jusqu'à celui de crime. « Si un jour, dit-il, Napoléon n'avait pas eu le courage de mitrailler une foule désarmée, nul n'aurait fait attention à lui et il serait demeuré inconnu. »
La grandeur napoléonienne commence donc par un crime que justifie une ambition démesurée. Le fait de tout subordonner à soi et d'ériger son ego en valeur suprême est en effet une manifestation du nihilisme, sans pour autant e dévoiler l'essence.
Jünger a suggéré que, pour se représenter le nihilisme, il faut moins penser à des poseurs de bombes ou à des jeunes activistes lecteurs de Nietzsche, qu'à des hauts fonctionnaires glacés, des savants ou des financier dans l'exercice de leur fonction. Le nihilisme n'est rien d'autre en effet que l'univers mental requis par leur état, celui de la rationalité et de l'efficacité comme valeurs suprêmes. Dans le meilleur des cas, il se manifeste par la volonté de puissance et, le plus souvent, par la plus sordide trivialité. Dans le monde du nihilisme, tout est soumis à l'utilitaire et au désir, autrement dit à ce qui est, qualitativement, inférieur. Le monde du nihilisme est celui qui nous a été fabriqué. C'est l'amour travesti en consommation sexuelle, les mystères de la personnalité expliqués par la libido, et ceux de la société élucidés par la lutte des classes, l'éducation ravalée en fabrique de spécialistes, l'enflure morbide de l'information substituée à la connaissance la politique rétrogradée en auxiliaire de l'économie, le bonheur ramené à l'idée qu'en donne le tourisme de masse, et, quand les choses tournent mal, la glissade sans frein vers la violence. Ce paysage est cependant parsemé de nombreux îlots préservés – y compris, bien entendu, chez des hauts fonctionnaires, des savants et des financiers, prouvant la perpétuelle aptitude à renaître de la tradition.
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22/09/2019
Trois interventions fondamentales de Laurent James pour un Eurasisme européen
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27/02/2019
Le corps comme machine à rêver (Michel Clouscard)
Michel Clouscard, Le capitalisme de la séduction – critique de la social-démocratie libertaire, Première partie : L'initiation mondaine à la civilisation capitaliste, Chapitre 5 : Quatrième niveau initiatique, subversive et institutionnelle. – Le hasch et un certain usage de la pilule, A. – LE CORPS AUTONOME DU MANNEQUIN, 1. Du sensualisme à l'intégration institutionnelle – Le corps comme machine à rêver, pp. 155 à 119, éditions Delga
La dynamique de groupe et l'animation sonore ont donné au corps un équipement machinal tel qu'il peut fonctionner de lui-même. La statue dispose, maintenant, rappelons-le, d'un savoir organique mais aussi psychologique et sociologique. L'automate est devenu autonome. Il devient adulte.
Il reste un automate : il ne sait que ce qu'il a appris par la bande et le machinal. Il ne peut que fonctionner selon la programmatique acquise. Il la répète machinalement. Mais à un certain moment de cette création « continuée », l'intervention constante des stimulateurs, ne sera même plus nécessaire.
Au début, le mannequin n'était que pulsions, gestes saccadés, rythme fébrile. Son intimité intérieure n'était que la projection de l'intimité extérieure inventée par le capitalisme. L'univers du stroboscope et du synthétiseur – l'animation machinale – est aussi l'univers mentale du robot humain parfaitement dressé. Les pulsions ne sont pas des conduites. Encore moins des actes. Mais quand il n'y a que pulsions, le psychisme n'est qu'un jeu de lumières et de bruits, de gestes qui ne peuvent se continuer, d'intentions aussi tôt oubliées. Et tout cela inlassablement, inexorablement répété.
Le premier sensualisme – de la statue – n'est que jeu de machine. L'être machinal, l'être des pulsions. Le bruit et la mièvre fureur de la gesticulation. La statue de Pompidou accède à une animation spécifique, propre au rythme du capitalisme. Inédite. La statue de Condillac disposait, elle, d'un sensualisme... des sens. Celle de Pompidou a le sensualisme du psy., que seul le capitalisme pouvait inventer et déverser dans la statue. Nouvelle innervation, qui écoule et inocule dans le plus intime du non-être organique les significations intimistes de l'animation machinale.
L'être psychologique est celui du sensualisme. Et celui-ci est l'être du psychédélique. Le mannequin a bien la dimension « psychologique » de sa nature. Celle qu'il mérite. Ce psy. Est le résidu d'une sensation. Et celle-ci le résidu d'une consommation. Le tout est un dressage. De l'être machinal.
A la fin de la culture par la bande – de groupe et sonore – le corps dépasse ce premier conditionnement. Maintenant, le robot dispose d'une mémoire. C'est un robot à la coule, qui sait vivre. Cette mémoire est très sophistiquée, très élaborée. Le mannequin mondain peut répondre aux stimuli mondains – et à eux seuls – selon un choix. Et il peut proposer ce qui ressemble à l'improvisation : de nouvelles combinaisons, plus stigmatisées. Il peut puiser dans un énorme arsenal de signes, de gestes, de formes et proposer même des conduites très complexes, quasi imprévisibles tant les matériaux acquis sont multiples et divers. Le robot devient un extraordinaire montage de séries gestuelles et sonores qui s'articulent pour proposer un discours machinal. Celui de la mondanité capitaliste.
Le mannequin « s'humanise ». Sa machination ressemble de plus en plus au gestuel humain. Comme ces robots qui, au dernier moment de leur récitation, proposent un geste inédit, surprenant tant il imite la vie. Geste qui paraît même plus vivant que le vécu organique. La statue, alors, semble vraiment s'animer. Comme si elle échappait à son mécanisme. Pour vivre d'elle-même. Libre. D'une vie née de la perfection du geste. Hoffman a pu s'y laisser prendre. Mais cet humain est un top humain inexorablement dénoncé par on ne sait quelle imperceptible fébrilité.
Ce corps parfait du machinal va pouvoir s'élancer vers des conduites mondaines encore plus perfectionnées. Vers une définitive intégration corporelle au système. Le mannequin mondain va accéder à des conduites adultes. Celles de l'initiation mondaine mixte, subversive et institutionnelle.
Mais alors son passé devient son inconscient. Comme pour l'humain. La statue aura un inconscient : le psychédélique, l'univers pulsionnel de la première animation machinale. Le rêve capitaliste peuplera le rêve de l'animal-machine. D'elle-même, maintenant, la statue devient ce que le capitalisme l'a faite. Ce qu'elle rêve, c'est ce qu'il y a de plus machinal, de plus extérieur. Ce sera son intimité, son moi profond. Son « ça ». Ce qui est au fond de la profondeur mondaine : le machinal. Profondeur du superficiel : la machination capitaliste.
Ce rêve est bien ce qu'il y a de plus superficiel. Cette vie des sens est le non-sens de la vie : l'élan pulsionnel qui retombe en même temps qu'il s'élance, la répétition fébrile, les discontinuités sans fin, dissonances et discordances. Le rêve est mécanique car il n'est que jeu de machine. Le corps sans l'autre. Mais hanté par l'autre. Il est l'organique en son impuissance d'être sans l'autre. Il est l'organique en son impuissance d'être sans l'autre. Et c'est son seul message. L'interprétation du rêve doit être l’interprétation de la matière : un non-sens hanté par le sens que la culture et la raison imposent.
Cet inconscient fait du corps une machine à rêver. Rêver de machine. De la machination capitaliste. Rêve, psychédélique, hallucinogène sont les trois aspects de cette animation machinale. Le dressage du corps est celui de l'intimité, de l'inconscient, de l'âme du mannequin mondain.
Deux automatismes vont se confondre : celui de l'animation capitaliste et celui du corps. Les programmations de ces deux machines à rêver vont s'identifier pour proposer le même scénario du même rêve.
L'univers du synthétiseur et du stroboscope sont mélangés, confondus en une totale fête des sens du machinal. Plus haut moment du rêve – par le syncrétisme de tous ses constituants – et plus haut moment de l'animation machinale – par l'extrême sophistication de l'appareillage. Le psychédélique est alors la projection spatiale, colorée, de la temporalité brisée d'un rythme sans swing. La fébrilité hachée de ce rythme reprend et répète la décomposition spectrale de la lumière. Imaginaire de pacotille, richesse de l'animation capitaliste. Le corps comme machine à rêver est le prêt-à-porter du rêve bourgeois.
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