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13/09/2021

Les fondements de la géopolitique transcendantale (Jean Parvulesco)

Jean Parvulesco, Les fondements géopolitiques du "Grand Gaullisme", Les fondements de la géopolitique transcendantale, pp. 85 à 88, aux éditions Guy Trédaniel Éditeur

 

Encore une fois, "les forces de poussées s'exercent toujours dans le même sens". Or, là où la géopolitique conventionnelle ne  se met en marche que par la seule dialectique immanente de sa propre fatalité originaire, la géopolitique transcendantale fait révolutionnairement appel à l'immanente conception d'une volonté de changement et de poussée virginales, dont la fondations actives sont et, à chaque fois, se veulent, d'ordre transhistorique, venant d'en dehors et comme au-delà de l'histoire pour émerger dans l’histoire dans les termes d'un projet et d'une décision résolue (Entwurf, dirait Heidegger, et aussi Entschlosseheit), projet et décision résolue qui, ensemble, recommencement l'histoire mondiale à partir de sa négation et de sa suspension phénoménologiques, à travers le processus même de l'interruption catastrophique de l'histoire et de son auto-anéantissement. Longtemps, et dans bien longtemps seulement après les tumultes hallucinés et le vide final du sombre Ragnarök, la frêle petite pousse nouvelle reverdira, pullis pullique pulolorum.

 

Au-delà donc du niveau analytique des forces objectivement historiques et historiquement objectives mobilisées à l'intérieur d'une conjecture planétaire d'ensemble, au-delà de tout Weltage pourrait-on dire, en reprenant la terminologie majeure de Ratzel, au-delà donc du matérialisme dialectique de ce qui se cantonnerait au seul niveau de la réalité dite objective, la géopolitique transcendantale introduit abruptement et comme à partir de rien le front des poussées révolutionnaires fondées en conscience, le front des courants et des forces de mobilisation transhistorique dont l'histoire mondiale dans sa marche se trouve traversée comme par des éclairs, et souvent même mise à feu et plongée dans l'embrasement général.

 

Le premier christianisme occidental dans sa saison d'expansion mystique et combattante, transmigratoire, l'Islam dans la gloire incendiaire et hallucinée des grands Khâlifats, l'éblouissant eschaton impérial de Frédéric II Hohnenstaufen et, ensuite, la conjuration gibeline au cœur du Moyen-Age déjà crépusculaire, mais aussi l'eidos révolutionnaire impérial du dernier Occident, l'Occident au-delà, déjà, de tout Occident, se jetant en avant, par quatre fois, à la recherche de son identité planétaire finale - par quatre fois, et à chaque fois à travers l'existence d'un homme agissant au-delà de lui-même, en tant que concept absolu de l'histoire, l'homme du grand soleil blanc d'Austerlitz, l'homme des hautes clameurs sidérales et polaires, des plus hautes clameurs galactiques de la Ultima Thulé hyperboréenne, de la Thulé Sarmatica, et celui, enfin, que l'on avait nommé "l'homme des tempêtes" alors qu'il aurait fallu qu'on l'appelât l'homme des "profondeurs sans visage" d'Ingolstadt - apparaissent ainsi, et deviennent, dans le ciel pourpre et noir de la grande tragédie historique occidentale, comme autant de raisons irrationnellement agissantes de la géopolitique transcendantale dans son analyse du combat permanent, ou plutôt indéfiniment repris pour la domination planétaire, du combat pour le sens final de l'histoire.

 

Ces dénominations chiffrées, emblématiquement codées, de "l'homme agissant au-delà de lui-même", du "concept absolu", je les ai empruntées, dans un dessein précis, à une brochure activiste, récente, et des plus subversives, et que je ne saurais citer ici parce que trop compromettante, mais on aura, je suppose, déjà reconnu que "l'homme du grand soleil blanc d'Austerlitz" est Napoléon, que "l'homme des hautes clameurs sidérales et polaires, des plus grandes clameurs galactiques de la Ultima Thulé hyperboréenne" est Adolf Hitler, que "l'homme des silences nocturnes, œcuméniques et sanglantes de la Thulé Sarmatica" est I.V Staline, et que celui, enfin, que l'on avait nommé "l'homme des tempêtes" alors qu'il aurait fallut qu'on l'appelât l'homme des "profondeurs sans visages d'Ingoldstadt" n'est autre que Charles de Gaulle.

 

Et ne peut-on aussi très considérer que, dans le devenir tumultueux et qui sans cesse voudrait s’effacer de cette histoire qui reste nôtre qu'on le veuille ou non, tous ces noms ne font qu'un seul nom, que tous ceux que l'on a ainsi convoqués ici ne font à la fin qu'un seul personnage, innommable et innommé, un seul "visage immobile" - comme l'eût dit Raymod Abellio - face à la tâche pré-ontologique impériale qu'il nous est demandé de poursuivre jusqu'à la fin de l'histoire et au-delà même de l'histoire, la tâche qui fait de nous les porteurs médiumniques de la figure vivante de l'Imperium et de l'immémorable abyssale de celui-ci ?

 

Et au-delà de toute fidélité, notre honneur ne s'appelle-t-il pas recommencement ?

 

Pour la géopolitique conventionnelle, tout, dans l'histoire, est réussite, accomplissement, destin se refermant sur lui-même, parce que tout appartient à l'histoire, tout vient de l'histoire et va, retourne l'histoire, dans la "grande histoire", ne saurait parvenir à la réussite totale, accomplie, de son unique projet originaire, parce que, dans l'histoire, rien n'appartient en propre à l'histoire, rien ne vient de l'histoire elle-même, et rien n'y va et, en tout cas, jamais rien n'y retourne plus une fois que les temps sont révolus. L'histoire dévore, anéantit : rien n'y revient ni ne revivra plus, une fois le processus achevé du projet qui, dans les termes d'une décision résolue, aura choisi de venir aventureusement à l'histoire, et même, en quelque sorte de se rendre à l'histoire, et de s'y perdre. Tout ce qui revient est autre.

 

Encore une fois donc, Rome, le soleil et la mort, même si le Général de Gaulle ne fut point le Connétable de Bourbon, ni moi-même sur les traces de Cornelius Agrippa.

 

Notre honneur, je viens de le dire, s'appelle recommencement. A condition, toutefois, que l'on eût compris que tout ce qui revient est autre.

 

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08/09/2021

La fin du monde unipolaire plutôt que la fin de l'histoire (Alexandre Douguine)

(Source : Katheon)

 

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Francis Fukuyama a récemment écrit un article assez objectif et équilibré sur la fin de l'hégémonie américaine.

Au début des années 90, Fukuyama s'est empressé d'annoncer la victoire mondiale du libéralisme et la fin de l'histoire. Il a ensuite corrigé sa position. Au cours de mes conversations personnelles avec lui, j'ai acquis la conviction qu'il comprend de nombreux processus mondiaux de manière assez réaliste et qu'il peut admettre des erreurs dans ses prévisions - un trait rare chez les politologues, généralement narcissiques, qui se trompent tous les jours et sont encore plus arrogants à cause de cela.

Maintenant, ce que Fukuyama dit est ceci. Le retrait d'Afghanistan n'est pas seulement la cause de l'effondrement de l'hégémonie américaine, mais seulement son point final. Cette hégémonie a commencé à s'effilocher il y a dix ans, lorsqu'il est devenu évident que la stratégie américaine au Moyen-Orient, mise en oeuvre au début des années 2000, avait échoué, et que la crise financière a sapé la confiance dans la stabilité de l'économie américaine.

Mais la chose la plus effrayante pour les États-Unis, ces derniers temps, a été le profond clivage public sur la politique intérieure, et surtout sur Trump. Cette fois, non seulement le transfert pacifique du pouvoir des républicains aux démocrates n'a pas eu lieu, mais la polarisation des partisans et des opposants de Trump a amené le pays au bord de la guerre civile. Par conséquent, selon Fukuyama, ce qui fait peur, ce n'est pas le retrait des troupes d'Afghanistan, qui était attendu depuis longtemps, mais la situation dans laquelle il s'est produit sur fond de processus politiques intérieurs aux États-Unis.

Biden, qui, à l'origine, n'était pas considéré comme un président légitime par les républicains, apparaît désormais comme un parfait perdant et un idiot impuissant. À cela s'ajoutent les critiques des néoconservateurs, qui fondaient de grands espoirs sur Biden, critiques suivies de celles formulées par les alliés britanniques. Aujourd'hui, il est considéré, même par ses partisans, comme un vieil homme dément à qui tout échappe - mêmes les Afghans cachés dans les trains d'atterrissage des avions américains.

    Fukuyama déclare : les Etats-Unis ne sont plus l'hégémon de la politique mondiale. La multipolarité est un fait accompli.

Cependant, Fukuyama propose de ne pas peindre le tableau en des tons trop criards. Les États-Unis sont toujours la plus grande puissance mondiale. Mais désormais, elle doit chercher des alliés et compter avec d'autres puissances.

Il convient d'examiner ce que le conseiller de l'administration Fukuyama conseille à l'administration Biden en matière de politique étrangère. Le tableau est le suivant: le monde unipolaire est passé entre 1989 à 2008 à une nouvelle bipolarité, et maintenant le déclin de l'unipolarité en direction de la multipolarité a commencé.

Et maintenant, les principaux adversaires de l'Occident ne sont pas tant les extrémistes islamiques (bien que Fukuyama lui-même, au moment de la montée de l'unipolarité, ait formulé une thèse plutôt idiote sur l'islamo-fascisme comme principal ennemi), mais les nouveaux pôles que sont la Russie et la Chine. Pour les combattre - c'est nous ! - Fukuyama invite à se concentrer sur ces deux môles de puissance tellurique. Tout est de retour à la case départ, mais dans de nouvelles conditions et de nouvelles proportions.

Et par conséquent, comprend Fukuyama, sans la finaliser, nous devrions revenir à la pratique consistant à opposer les radicaux islamiques à la Russie et à la Chine. Par conséquent, il ne considère pas le fait même du retrait de l'Afghanistan comme une grande tragédie. Elle libère les mains de Washington pour retourner l'agression des talibans (hors-la-loi en Russie) contre la Russie et la Chine.

Les militants pachtounes ne seraient pas vraiment intéressés par la construction d'une nation (par un "nation building"). Cela ne fait pas partie de leurs objectifs historiques. Les Pachtounes sont un peuple de guerriers. Presque personne ne les a jamais maîtrisés, sauf brièvement. D'ailleurs, nos Cosaques russes nous rappellent cela: campagnes militaires, attaques, avancées et retraites rapides, utilisation parfaite du paysage pour la guérilla - voilà la vie des Cosaques russes. La guerre comme vocation. Un travail paisible pour les autres.

    Les Pachtounes sont les cosaques afghans, mais multipliés par un million. Et si oui, quel genre d'état...

C'est sur cela que Fukuyama et apparemment Biden comptent. S'ils réussissent à nouveau, comme à l'époque du monde bipolaire, à opposer les radicaux islamiques à la Russie et à la Chine, les États-Unis auront encore un peu de temps pour exister historiquement. Ils espèrent se reconstruire pendant cette période, consolider leurs positions et panser leurs plaies.

La conclusion est simple : l'essentiel pour la Russie est de ne pas laisser cela se produire. Et ici - parce que c'est une question de vie ou de mort - tous les moyens sont bons. Si Moscou et Pékin élaborent une stratégie efficace pour faire face à la nouvelle réalité de l'Afghanistan et du monde islamique en général, nous pourrions non seulement garantir nos intérêts, mais rendre irréversible l'effondrement de l'hégémonie occidentale.

Fukuyama lui-même n'écrit rien sur ce sujet, bien sûr, espérant que nous ne lisons pas assez attentivement son texte qui s'adresse aux stratèges de la Maison Blanche. Mais nous l'avons lu assez attentivement. Et nous sommes d'accord avec lui : l'Occident s'effondre. Ce qui signifie qu'il faut pousser ce qui tombe (Nietzsche: "Was fällt soll man noch stossen"). Et mettre en exergue certaines des faiblesses que Fukuyama lui-même nous a suggérées.

02/09/2021

Mab

« Alors, je vois que la Reine Mab t'est apparue.

C'est l'accoucheuse des fées et elle vient,

Pas plus grosse qu'une agate

Au doigt d'un échevin,

Tirée par un attelage de tout petits atomes,

Se poser sur le nez des hommes endormis.

Son carrosse est une coquille de noisette vidée

Par l'écueil menuisier ou un ver endurci,

Qui sont depuis toujours les carrossiers des fées.

Les rayons de ses roues sont des pattes de faucheux,

La capote tissée d'ailes de sauterelles,

Les rênes sont faites de fins fils de la Vierge,

Le collier un humide éclat de lune,

Le fouet une patte de grillon, la lanière un fil d'araignée,

Le cocher un moucheron vêtu de gris,

Pas plus gros que le quart du petit poil rond

Qu'on tire à la main des filles paresseuses.

C'est ainsi que nuit après nuit elle galope

Dans la cervelle des amoureux qui rêvent alors d'amour,

Sur les genoux des courtisans qui rêvent alors de révérences,

Sur les doigts des robins qui rêvent aussitôt d’honoraires,

Sur les lèvres des dames qui rêvent aussitôt de baisers,

Ces lèvres que Mab en sa colère afflige

De boutons parce qu'elles sentent trop les bonbons.

Tantôt elle galope sur le nez d'un courtisan,

Et le voilà qui rêve qu'il flaire une requête.

Tantôt avec la queue d'un cochon de la dîme

Elle chatouille les narines d'un chanoine endormi

Qui rêve alors d'un nouveau bénéfice.

Tantôt elle s'aventure sur le cou d'un soldat,

Et le voilà qui rêve d'ennemis égorgés,

D'assauts et d'embuscades et d'épées de Tolède,

De rasades profondes de cinq brasses, et puis, bien vite,

Elle bat le tambour à son oreille, sur quoi il sursaute et s'éveille,

Et, ainsi effrayé, lâche une ou deux prières,

Et puis il se rendort. C'est cette même Mab

Qui va la nuit tresser la crinière des chevaux,

Collant les poils follets en paquets répugnants,

En nœud qui, démêlés, annoncent le malheur.

C'est elle, la sorcière, qui pèse sur les vierges, quand elles sont sur le dos,

Et leur enseigne à porter leur tout premier fardeau,

Faisant d'elles de bonnes bêtes de somme.

C'est elle... »

 

Shakespear, Roméo et Juliette, Acte I, Scène 4, Monologue de Mercutio « Le discours de la Reine Mab » (Nouvelle traduction de François Laroque et Jean-Pierre Villquin aux éditions Livre de poche)

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Fairy Mab - Johann Heinrich Füssli