Les sources de la guerre (Dominique Venner) (09/07/2021)

(Je ne suis pas spécialement amateur d'armes, davantage fasciné par leur esthétique que par leur usage, et je n'y connais rien à la chasse et ses traditions, mais je tiens à souligner la remarquable qualité de cette œuvre, tant sur la forme que sur le fond. Une véritable encyclopédie, largement et élégamment illustrée, d'une précision rare et qui touche sa cible. Je pense pouvoir dire, sans me tromper, que ces différents tomes sur les armes sont des références intemporelles que ça soit d'un point de vue technique ou historique, voir philosophique...)

 

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Dominique Venner, Le Livre des Armes, Tome III : Armes de combat individuelles, Première partie : L'arme individuelle dans la guerre, Chapitre I : Les sources de la guerre – Les armes et le besoin de violence, pp. 9 à 17, aux Éditions de la Pensée Moderne (1974)

 

Que serait notre langage sans le souvenir de la guerre et des armes ? Nous continuons à faire flèche de tout bois, à rechercher le défaut de la cuirasse chez un adversaire, ou à nous coucher en chien de fusil, en attendant de passer l'arme à gauche... Pour un rien, nous sommes sur le qui-vive, quand ce n'est pas sur la brèche ou sur le pied de guerre. Les intellectuels qui affectent de mépriser les militaires, aiment se dire d'avant-garde par des prises de position évidemment percutantes.

 

Pour ne pas se trouver pris entre deux feux, un politicien avisé changera son fusil d'épaule et cela, d'autant plus facilement qu'il a plusieurs cordes à son arc. Il conduira sa campagne tambour battant et promettra de sabrer les budgets impopulaires.

 

D'un projet qui fait long feu, on dira qu'il a du plomb dans l'aile, quelqu'un ayant vendu la mèche.

 

Si le bœuf mironton est le cheval de bataille d'un aubergiste qui ne pratique pas le coup de fusil, le frou-frou révolutionnaire sera le fer de lance d'un jeune couturier qui veut opérer une percée dans le prêt-à-porter.

 

Quand notre ministre de l'Agriculture ne peut s'opposer à nos partenaires européens, il livre à Bruxelles un baroud d'honneur et chacun va répétant, à l'image d'un célèbre militaire, que l'Intendance suivra.

 

Une feinte candeur peut donner à une jeune femme ses meilleurs armes et faire d'elle le point de mire d'une soirée ; si la belle est une vedette, elle sera surveillée par les journalistes qui l'attendent l'arme au pied pour la soumettre au feu roulant de questions posées à brûle-pourpoint.

 

On parlera de l'impact d'une information qui éclate comme une bombe et se répand comme une traînée de poudre. Tout le contraire d'un pétard mouillé.

 

En s'armant de patience, un policier qui n'a pas inventé la poudre, peut découvrir la mèche d'un complot ourdi par quelques drôles pistolets et autres individus de même calibre.

 

Nous savons tous que la vie quotidienne est faite d'une suite de petites victoires sur les embarras de la circulation, les tapeurs, les rages de dents, les trop bons repas et les médiocres, les remarques acides de belle-maman et les rappels intempestifs d'un percepteur qui nous a dans le collimateur.

 

D'un fils de famille contraint de brûler ses dernières cartouches (mais pas ses vaisseaux) avant de disparaître sans tambour ni trompettes, on remarquera qu'il s'était lancé dans les affaires la fleur au fusil et n'était pas armé dans la lutte pour la vie.

 

Qu'une explosive présidente locale du M.L.F. décide de manifester dans le costume d'Eve, la presse dira qu'elle utilise une arme à double tranchant. J'ajouterai que, même si les adhérents décident de marcher au canon, cela ne risque pas de faire parler la poudre.

 

Ce n'est pas un grand fait d'arme que d'avoir rassemblé cette collection de poncifs qui traînent à longueur de colonnes dans tous les journaux. Pourtant, j'ai fait une pierre deux coups. Je me suis diverti, et de but en blanc, j'ai amorcé mon sujet.

 

***

 

Oui, sans y prendre garde, le langage traduit notre ancestrale intimité avec les armes. Ancestrale, c'est peu dire.

 

Le premier outil dans la main de l'homme fut une arme. Mieux, si l'on en croit la paléontologie moderne, ce n'est pas l'homme qui a créé l'arme, mais plutôt l'arme qui a créé l'homme. Cette thèse, à première vue surprenante, n'est pas un paradoxe d'universitaire en goguette. Elle est admise par de nombreux hommes de science depuis que le professeur Raymond Dart a renouvelé la connaissance de l'homme et de ses origines.

 

C'est dans une retentissante communication présentée en 1953, que Dart avait tiré la leçon de ses recherches. Sa conclusion pouvait se résumer ainsi : notre premier ancêtre fut un tueur armé.

 

Le propos scandalisa, mais l'argumentation était imparable.

 

En trente ans de travaux, avec une équipe de chercheurs, Dart avait mis à jour plusieurs milliers de fossiles dans les fouilles particulièrement fécondes d'Afrique australe, les plus riches en vestiges pré-humains. Le classement systématique de ces fossiles fut une révélation, celle d'une armurerie datant d'un demi-million d'années. Une armurerie à la mesure des primates anthropoïdes qui nous ont précédé dans l'évolution : os-massues, cornes-poignards, demi-mâchoires-couteaux. La destination de ces objets e faisait aucun doute.

 

Dans la seule grotte de Makopan, Dart exhuma quarante-deux crânes de babouins défoncés par un humérus d'antilope, arme de prédilection des primates hominiens.

 

Devant les pièces à conviction de ces meurtres en série remontant à cinq cent mille ans, n'importe quelle Cour d'Assise aurait répondu comme Raymond Dart : l'ancêtre de l'homme était un tueur armé. Un tueur qui n'était pas encore un homme, mais qui allait le devenir sur quelques centaines de milliers d'années, et grâce à l'arme. Arme que les anthropologues, par pudeur ou culpabilité, continuent de désigner sous l'euphémisme rassurant d'outil.

 

La recherche et l'utilisation de l'arme, les communications que celle-ci imposait entre les membres des sociétés d'hominiens supposaient, en effet, une meilleure coordination de l'esprit et de la main, ainsi que des centres nerveux plus actifs. Ce fut l’œuvre de l'impitoyable sélection naturelle qui favorisa la reproduction des mieux doués pour cette nouvelle compétition. On estime que durant cette lente évolution, le volume cérébral passa de 500 cm3 à 1300 cm3 , pour atteindre ensuite 1500 ou 1600 cm3, avec l'homme de Néanderthal.

 

Une chose est certaine : depuis que le premier homme, avec son gros cerveau élargi et sa moderne pierre taillée, a tué l'anthropoïde armé de l'archaïque os d'antilope, son histoire n'a cessé de se confondre avec le perfectionnement des armes et si, inversement, un déclin militaire annonce infailliblement une décadence culturelle, sociale, politique.

 

...

 

Dans son immaturité ou dans sa mauvaise foi, l'homme a toujours accusé l'autre de la course aux armements et de la guerre. « Les rois veulent la guerre » assuraient les républicains sous la monarchie. « La République c'est la guerre » leur répondront, en échos, les royalistes après l'avènement de la démocratie. A toutes les époques, les partisans politiques, religieux ou philosophiques ont dénoncé le caractère bélligène de leurs adversaires. Les catholiques comme les protestants, les anticléricaux comme les sectateurs de la théocratie, les vieux empires et les jeunes nationalismes, les communistes et les capitalistes, les libéraux et les totalitaires. Cette unanimité retire évidement du crédit aux solennelles théories tour à tour édifiées pour la condamnation de l'autre.

 

Quand bien même nous ne saurons rien de l'instinct qui pousse l'homme à s'armer, cette observation détachée devrait éveiller notre esprit critique et notre ironie. Affirmer que la course aux armement est le fruit du système social ou politique que l'on condamne – et de lui seul – est une explication qui a trop servi, et de tous les côtés, pour être encore prise au sérieux.

 

Peut-être serait-il temps, devant un phénomène aussi grave, aussi mortellement grave désormais pour l'ensemble de l'humanité, de l'aborder avec lucidité.

 

La vérité, aussi désagréable fût-elle, c'est que la recherche frénétique d'arme toujours plus efficaces, plus meurtrières, est une caractéristique de l'espèce tout entière. Elle est apparue et s'est maintenue par sélection. C'est donc une nécessité biologique. Les groupes humains qui n'ont pu y faire face ont tous disparu ou sont tombés en servitude.

 

Est-ce déplaisant ? Sans doute. Est-ce contestable ? J'attends qu'on le démontre.

 

Les traités de paix – les hommes en ont beaucoup conclu en 5000 ans – n'ont jamais enrayé ni le perfectionnement des armes, ni le retour des guerres. Ils sanctionnaient un équilibre provisoire, jusqu'au moment où celui-ci se trouvait rompu. Alors, comme les feuilles mortes, s'envolaient les traités, vite oubliés.

 

Seul, le progrès monstrueux de l'arme a détruit l'arme.

 

Depuis l'explosion d'Hiroshima, la guerre qui, de tous temps avait procuré à l'espèce sa principale stimulation, apparaît dépassée dans les sociétés industrielles avancées. L'excès de la guerre a aboli la guerre.

 

Mais pas la violence.

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