20/03/2018
Le symbole "Dieu unique" (Paul Diel)
Paul Diel, Le symbolisme dans la bible - sa signification psychologique, Première partie, 1. L'histoire de l'image Divinité, 2. Les cultures mythiques, B. Le monothéisme, 1) Le symbole "Dieu unique", pp. 34 - 38, aux éditions petite bibliothèque payot
Le monothéisme est une forme évoluée du polythéisme.
Ce qui a évolué, c'est, en premier lieu, le symbole "Divinité". Tous les autres traits différentiels n'en sont que la conséquence. La différence ne concerne pas la signification sous-jacente de la symbolique, mais uniquement la façade narrative où les divinités multiples sont condensés en un Dieu unique, les démons et les monstres en un seul adversaire de Dieu, l'esprit déchu, figuré par Satan.
La persistance d'une commune signification sous-jacente - l'immuable vérité éthique - invariable dés l'animisme a été le thème central des précédents développements.
A notre époque, il parait évident que les divinités des mythologies polythéistes n'étaient pas - comme les anciens l'ont cru - des personnages réels. Pourtant, nous croyons encore à l'existence personnelle d'un Dieu unique.
L'antiquité, à la différence de notre époque, connut deux formes de théologie ; l'une, destinée à la croyance populaire ; l'autre, réservé à de rares initiés.
Des centres d’initiations appelés "Mystères" existaient en Égypte, en Grèce et chez tous les peuples de haute culture. Le terme "Mystères" indique que l'enseignement avait pour but de réveiller l'émotion devant le mystère de l'harmonie universelle, à laquelle l'homme, pour son propre bien essentiel, doit s'incorporer par voie d’auto-harmonisation, d'où s'ensuit le sentiment vivant de l’ÉTHIQUE IMMANENTE, véritable religiosité.
Assumant leur responsabilité et leur vocation, les prêtres des Mystères d'Éleusis, par exemple, révélèrent - aux hommes capables d'entendre - le fondement véritable de la symbolique des mythes : le mystère de la mort et de la vie, l'inexistence personnelle des divinités, leur signification concernant les intentions positives de l'âme humaine. Certes les prêtres n'expliquèrent pas le mystère (ce que précisément la théologie populaire prétend faire) et même le sens éthique ne fut pas conceptuellement explicité. Leur méthode d'enseignement, faute d'une connaissance détaillée du langage symbolique, puisait dans la survivance de l'émotion qui sut anciennement créer les fabulations mythiques, ce qui leur permit de saisir intuitivement l'énigme du sens caché et de leur transmettre à l'aide d'allusion suggestives (I).
A notre époque n'existent plus d'initiés, ni de prêtres initiateurs. Rien n'existe que les croyances populaires fondées sur l’interprétation littérale des Textes ou le scepticisme provoqué par l'erreur interprétative. L'exégèse symbolique s'oppose autant aux croyances qu'au doute sceptique, ce qui ne facilite guère l'approche de la vérité cachée, d'autant plus qu'en elle se trouvent mythiquement condensés non seulement le sens, mais encore l'insensé de notre vie, l'un et l'autre (selon la symbolique) immanents à la nature humaine. Ce fait - ou devrait dégager - le désir authentique d’approfondissements, mais risque aussi d'être dérangée par le dévoilement du tréfonds psychique.
Notre culture fondée sur les textes bibliques s'est toujours crue - et se croit - supérieure aux anciennes cultures polythéistes. Elle l'est, du fait que sa symbolique est plus évoluée. Elle ne l'est pas, du fait de l'absence d'un approfondissement initiatique. La théologie populaire et profane (profanation de la vérité sous-jacente) impose de croire verbalement en l'affirmation des Textes selon lesquels Dieu en personne, prenant forme humaine, est descendu des Cieux sous la forme de son Fils unique pour apporter aux mortels le message du salut. Comment ne pas admettre que ce sont uniquement des symboles, d'autant plus que déjà les anciennes divinités, prenant forme humaine, descendaient sur terre et parlaient aux mortels, leur révélant ce qu'ils devaient faire pour assurer leur salut.
Une chose est certaine ou devrait l'être : l’interprétation théologique est fondée sur la incompréhension du très ancien symbole "Fils de Dieu". Tout homme est symboliquement "fils de Dieu". Mais aucun homme et aucun dieu ne peut être à la fois entièrement dieu et entièrement homme. Même réellement existant, un Dieu tout-puissant ne pourrait faire pareil miracle. Car il s'agit d'une définition irréversible : un homme qui serait Dieu ne serait pas un homme comme tous les autres hommes. Qu'on l'admette ou non, l'affirmation des Textes est un symbole. Elle participe à la vérité et à la beauté de tous les symboles.
Toutefois, LES ERREURS LES PLUS DÉCISIVES DE LA THÉOLOGIE POPULAIRE ne sont pas dues à l’interprétation littérale, mais à la nécessité de la défendre par l'invention de dogmes qui n'ont plus rien à voir avec les Textes. Or, la plus éclatante des erreurs dogmatiques - il importe de le souligner dés à présent - concerne le SALUT, LE MESSAGE DE JOIE APPORTÉ PAR LE MESSIE. D'après l'interprétation littérale de la théologie, le message de joie - thème central des Évangiles - serait la promesse de SURVIE APRÈS LA MORT AUPRÈS DE DIEU, ACCORDÉE AUX CROYANTS, PROMESSE DONT SERAIENT EXCLUES TOUTES LES GÉNÉRATIONS AYANT VÉCU AVANT L’AVÈNEMENT DU CHRIST. De ce dogme résultent des conclusions aberrantes, d'autant plus inadmissibles qu'elles sont en pleine contradiction avec les révélations prophétiques de l'Ancien Testament. Passe encore l'injustice de Dieu à l'égard des peuples polythéistes qui ont vécu avant l'avènement du Christ. Ils restent, d'après le dogme, éternellement exclus de la promesse d'immortalité auprès de Dieu, quelle qu'ait été la vie, souvent très méritoire, des hommes d'alors. Le fait surprenant est ici - en dehors de toute discussion possible - que Dieu unique, s'il existe personnellement, A DÉJÀ EXISTE A L’ÉPOQUE DU PAGANISME. Se serait-il volontairement caché tout en voyant l'égarement de l'humanité païenne ? Et les Prophètes de l'Ancien Testament, et le peuple élu, sont-ils également exclus pour avoir vécu avant l'avènement du Christ ? Selon l’interprétation textuelle, dieu a personnellement parlé du haut du ciel et de bouche à l'oreille aux Prophètes. Pourquoi les Prophètes auxquels Dieu a révélé ses volontés ne parlent-ils pas de l'immortalité (inconnue de tout l'Ancien Testament)? Pourquoi parlent-ils exclusivement de la menace du châtiment temporel du peuple désobéissant ? La menace de l'Ancien Testament est un symbole à signification sous-jacente, tout comme le message de salut du Nouveau Testament, message qui n'est point la promesse d'immortalité.
Tout le problème se résume dans la compréhension du sens du message de joie des Évangiles, problème essentiel englobant le destin de l'humanité. QUEL EST LE SENS SYMBOLIQUE DU MESSAGE DE JOIE ? C'est bien là le problème central de l'étude du symbolisme.
Ainsi se pose le dilemme : ou bien, tous les passages illogiques depuis l’histoire de la Genèse jusqu'à l'affirmation que Dieu en personne est descendu sur terre sous la forme de son Fils (tout en restant sous la forme du Père dans les Cieux) et que les hommes ayant tué Dieu sont assurés d'une grâce surabondante, doivent être textuellement compris parce que inaccessible à toute critique par la raison humaine. Dans ce cas, le système dogmatique s'effondre. C'est sans doute ce que les croyants craignent le plus, préférant la pseudo-profondeur du miraculeux à toute recherche de vérité. Mais la recherche ne compte pas trop parvenir à convaincre les croyants. Le problème est de portée bien plus vaste. Il convient d'insister, non point pour accuser affectivement, mais pour accuser - mettre à jour - l'erreur millénaire. Mettre le doigt sur la plaie, si douloureux que cela soit, en diagnostiquant les causes et les effets pour chercher le remède qui montrera ce que l'homme doit faire pour assurer lui-même son propre salut durant la vie, sans l'aide du prêtre ni du dogme, mais en conformité avec la vérité mythique.
Si le système dogmatique est erroné - et comment ne le serait-il pas - la piété pour la vérité des Textes devrait l'emporter sur la piété pour l'erreur quelle que soit la longueur de son règne et le nombre de ses fidèles. L'émotion devant le mystère est un sentiment religieux infiniment plus profond et viril que les délectations affectives cherchées dans les rapports cérémoniels et sentimentaux entre l'homme-enfant et le "Père des Cieux", vestige des croyances magiques et animistes. Et comment donc l'amour de la vérité ne serait-il pas plus réjouissant que l'amour de l'absurde ?
La théologie a manqué sa tentative d'unification en imposant la croyance en l'absurde ("credo quia absurdum") et en la recommandant comme suprême vertu. Elle n'a provoqué que la dissociation des croyances. La situation actuelle en est la preuve. Aucune religion ne fut jamais scindée en autant de sectes, pourvue chacune de sa propre théologie et n'ayant pour seul lien que le dogme de la réalité personnelle de Dieu. La dissociation se fait jour au sein même de l’Église-mère. Aucun remède ne peut exister que l'abandon des dogmes, tout au plus nécessaires à tenir la foule en laisse. Mais la foule même ne croit plus aux dogmes. Elle s'y soumet - faute de mieux - comme elle se soumet à n'importe qu'elle convention.
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Du découragement (Cercle Proudhon)
Jean Darville - Les cahiers du Cercle Proudhon - Premier cahier : janvier-février 1912 - Proudhon - pp. 201 à 202 - aux éditions Kontre Kulture (Précédé du mémoire de Pierre de Brague Le Cercle Proudhon ou l'existence d'une révolution conservatrice française.)
Écoutez plutôt l'accent de ces lignes, que j'extrais d'une admirable lettre écrite à un ami qui se décourageait (Correspondance, t. XIII, p; 217) : "...Seriez-vous donc de ces gens pour qui l'existence de l'homme n'a qu'une fin : produire, acquérir et jouir ? Ni l'un ni l'autre. Il faut travailler, parce que c'est notre loi, parce que c'est à cette condition que nous apprenons, que nous fortifions, disciplinons et assurons notre existence et celle des nôtres. Mais ce n'est pas là notre fin, je ne dis pas transcendante, religieuse ou surnaturelle, je dis même fin terrestre, fin actuelle et tout humaine. Être Homme, nous élever au-dessus des fatalités d'ici-bas, reproduire ne nous l'image divine, comme dit la Bible, réaliser enfin sur terre le règne d el'esprit, voilà notre fin. Or, ce n'est ni dans la jeunesse, ni même dans la virilité, ce n'est point par les grands travaux de la production et les luttes d'affaires que nous pouvons y atteindre ; c'est, je vous le répète, à la complète maturité, quand les passions commencent à faire silence, et que l'âme, de plus en plus dégagée, étend ses ailes vers l'infini... Songez donc que quand je vous parlé de votre rôle dernier, de votre destinée supérieure, de votre fin dans l'humanité, je ne parie pas seulement au point de vue de votre perfectionnement individuel ; j'ai surtout dans l'esprit l'amélioration de notre espèce. Mieux qu'un autre, vous savez combien elle est dure de tête et de cœur ; croyez-vous donc que ce' soit une excuse à votre défaillance ? Non, non, il faut aider cette humanité vicieuse et méchante, comme vous faites pour vos propres enfants ; il faut bien vous dire que votre gloire et votre félicité se composent de la répression des méchants, de l'encouragement des bons, de l'amélioration de tous. C'est la loi de l’Évangile, aussi bien que celle de la philosophie et vous êtes ici responsable devant le Christ et devant les hommes... J'ai vu ma femme, attaquée par le choléra, quérir tout à coup, quand elle me vit frappé de l'affreux mal ; l'idée de sauver son mari l'éleva au-dessus d'elle même et vainquit le fléau. C'est ainsi que tous nous devons être jusqu'à épuisement du fluide vital. Vous vous devez, comme tout homme de bien, à la réforme de vos semblables ; et croyez-vous que je me soucie de la vie d'un tas d'égoïstes et de coquins ! Si vous saviez combien je suis impitoyable pour ces fils du diable ! Combien est faible ma charité pour ces âmes pourries ! Non seulement, je ne demande pas qu'elles vivent, je me réjouis de leur consomption et de leur mort. Écoutez et méditez ce mot : vous croyez sans doute à l'immortalité de votre âme ? Eh bien ! sachez que votre foi doit exercer son influence dés la vie présente, que votre immortalité future ne forme pas scission avec votre passage sur la terre et que si votre âme est vraiment de qualité, elle doit soutenir votre corps. Ceci va vous paraître étrange, mais je suis logique jusqu'au bout. Vous perdrez mon estime, si vous vous laisser aller, je vous en préviens. Au contraire, plus vous durerez, plus je vous aimerai."
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La peur comme émotion (Alexandre Douguine)
Décrivant le phénomène du sacré (Le Saint, Das Heilige), l'historien des religions et théologien Rudolf Otto soulignait que toutes les émotions contradictoires de l'homme se fondent dans ce sentiment: l'admiration, l’excitation, l'amour et l'horreur, le frémissement, la panique. De plus, tout cela ne s'analyse pas en composantes, il est impossible de séparer la peur de la joie et du plaisir.
Selon la mesure dans laquelle il existe chez chaque peuple une sacralisation du pouvoir, de l’État, de la politique et des institutions sociales, cet ensemble complexe d'émotions violentes s'étend aussi sur lui. Il est impossible de distinguer le facteur de la peur comme quelque chose d'isolé. L'horreur face à l'institution politique sacralisée est inséparable de l'amour et de la vénération/ par conséquent, ce phénomène apparaît particulièrement complexe et pour l'étudier correctement, il est indispensable de d'écrire au préalable la structure du sacré.
Indubitablement, le plus souvent, tant le pouvoir politique que l’État dans l'histoire russe ont été ressentis comme quelque chose de sacré, bien que cette sacralité ait pu revêtir des formes différentes à diverses époques. C'est pour quoi la peur du pouvoir se manifestait le plus souvent dans un ensemble complexe comprenant la libération, l'amour et la dévotion. Dans certains cas seulement, par exemple chez les vieux-croyants et d'autres groupes non-conformistes, la structure de la peur est vite apparue quelque peu différente dans la mesure où, après le schisme, l’État a été ressenti par ces groupes comme " pouvoir de l'antéchrist ". Il s'agit là également d'une forme de sacralisation mais, dans ce cas précis, négative.
Dans ce livre, nous laisserons de côté la peur liée au sacré et nous nous concentrerons sur un phénomène plus simple : la peur en tant que telle dans le contexte politique, ce que traite habituellement la politologie occidentale qui, de façon traditionnelle opère avec des phénomènes désacralisés et sécularisés."
Alexandre Douguine - La Quatrième théorie politique: La Russie et les idées politiques du XXIième siècle - Chapitre XIII Le Léviathan russe - p. 291 à 292
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