28/05/2015
Les abeilles (Léon Bloy)
Léon Bloy, L’Âme de Napoléon, VI Les abeilles, pp. 73-75 , aux éditions tel Gallimard
« Le 27 mai 1653, près de Tournai, dans cette partie des Pays-bas que la France, depuis si longtemps, enviait à l'Espagne, on découvrit le tombeau authentique de Childéric Ier. Les magistrats eurent grand-peine à prendre possession des objets dont les assistants avaient rapidement enlevé une partie déjà. De deux cents bijoux singuliers qui avaient été vus lors des fouilles, restait une trentaine environ. C'étaient des abeilles d'or, aux ailes garnies d'un verre rouge montée en cloisonné. Le petit a anneau de métal que quelques-unes avaient conservé indiquait qu'elle avait dû être attachées à une étoffe. Un savant déclara qu'elles avaient orné le manteau du roi, soutenant que les fleurs de Lys du blason de la France n'auraient été qu'une déformation de ces abeilles. Or, Napoléon Ier qui aimait à parler de ses plus lointains prédécesseurs et qui voulut, le jour de la distribution des aigles à Boulogne, s’asseoir sur le trône de Dagobert, s'était intéressé aux reliques de Childéric Par ses ordres les abeilles du tombeau de Tournai furent imitées pour remplacer sur le Manteau du Sacre impérial le semis de fleurs de lys qui avait décoré le manteau des rois capétiens. Singulière fortune de cet ornement mérovingien.
Après quatorze siècles, il n'y a pas grand-chose à dire de ce père de Clovis que fut Childéric Ier. Tout ce qu'on sait de lui, c'est qu'il scandalisa les Francs « par sa luxure », ce qui ne devait pas être facile, et que ces chastes barbares l'ayant expulsé pour quelque temps, le remplacèrent par le général romain Aegidius. On sait aussi, d'après le bon saint Grégoire de Tours, que la reine Basine l'épousa « pour son mérite et son grand courage ».
Dagobert est sans doute plus intéressant et on arrive à comprendre que Napoléon ait eu le désir de s’asseoir sur le trône millénaire et inconfortable de ce grand Mérovingien. Mais Childéric avait pour lui, à ses yeux, d'avoir été retrouvé dans son tombeau avec des abeilles d'or mêlées à sa très ancienne poussière. Il y avait encore ceci, très certainement, que les abeilles devait convenir à son âme de latin, beaucoup plus virgilienne au fond que cornelienne, malgré son goût décidé pour la draperie tragique.
Saint Bernard, je crois, comparait, avec plus d'agrément que de profondeur, Jésus-Christ, en tant que roi, à une abeille « ayant le miel de la miséricorde et le dard de la justice ». Mais saint Bernard ne prévoyait pas Napoléon et Napoléon, assurément, ne lut jamais saint Bernard. La célèbre parabole du lion de Samson, faiblement répercutée dans la gable des taureaux d'Aristée, lui allait mieux et lui était, je pense, moins inconnue.
Quoiqu'il en soit, les abeilles du fils de Mérovée lui plurent et il les porta sur ses épaules, à travers le monde en feu, jusqu'au jour où ces mouches irritées enfin contre leur maître et traîtresses autant que les hommes, le transpercèrent. Elles moururent, il est vrai, en même temps que lui, et la même expérience tentée par son neveu, six lustres plus tard, ne parut pas moins funeste.
Car c'est un danger terrible que de toucher aux symboles. « Devine ou je te dévore », semblent-ils dire comme le Sphynx aux voyageurs assez audacieux pour s'aventurer sur la route de Thèbes, capitale énigmatique de la Boétie. C'est un chemin qu'il faut éviter quand on n'y est pas, ainsi que le premier Napoléon, poussé invinciblement.
Dieu me préserve de tenter une explication quelconque. Les abeilles du manteau impérial sont aussi mystérieuse pour moi qu'elles durent l'être pour le poussiéreux Childéric et pour Napoléon lui-même, aussi parfaitement indevinables que les énigmes de Salomon ou les paraboles de L’Évangile. Il suffit d’espérer avec certitude que nous saurons un jour ce qu'elles furent dans la destinée du grand Empereur et dans celle de notre vieux monde qui ne s'arrête pas de descendre dans les ténèbres depuis qu'il a disparu.
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27/05/2015
La mission de la France (Jean-Louis Loubet Del Bayle)
Jean-Louis Del Bayle, Les non-conformistes des années 30 - Une tentative de renouvellement de la pensée politique française, II. « L'esprit de 1930 » : Essai de synthèse idéologique, 2. La Révolution Nécessaire, 5. La mission de la France, PP. 345- , aux éditions Points, collection Histoire
Ainsi, aussi séduits qu'ils aient pu l'être par certains aspects des expériences russe, italienne ou allemande, les mouvements de jeune des années 1930 considéraient, sans équivoque possible, que ces « révolutions manquées » ne pouvaient indiquer à la France les voies du salut. « La désastreuse inertie des nôtres, notait Thierry Maulnier, ne doit pas pourtant suffire à nous faire applaudir le désastreux enthousiasme des autres peuples : il serait souhaitable que les jeunes Français, le jour où ils se réveilleront, prissent d'autres chemins que les chemins qui leur sont indiqués par l'Europe d'aujourd'hui (...) Une attitude révolutionnaire doit essentiellement comporter, non seulement la défiance, mais encore l'hostilité directe à l'égard des doctrines sociales contemporaines. »
Ces tendances révolutionnaires à l’œuvre dans l'Europe entière leur semblaient bien souvent plus exacerber les défauts du monde qu'ils rejetaient qu'apporter des solutions neuves aux problèmes de leur temps. Basculant de l'individualisme au collectivisme, de l'idéalisme au matérialisme, du rationalisme à un vitalisme sans frein, elles leur apparaissaient aussi destructrices de l'homme ne trouvait pas son compte : « Les trois grandes révolutions, nationales, socialistes : la révolution bolchévik (nationale, socialiste, étatiste), la révolution fasciste (nationale, socialiste, étatiste), la révolution hitlérienne (nationale, socialiste et raciste), ont, constatait Alexandre Marc, trop sacrifié à la révolte et à la réforme, trop souvent asservi et mutilé l'homme au lieu de l'enrichir et de le libérer. »
L'homme sacrifié à la masse, l'homme identifié à son seul destin social, l'homme ignoré dans sa personnalité unique et irremplaçable, l'homme méconnu dans sa liberté et sa spontanéité, l'homme englouti par le Léviathan collectif, telle était la tare fondamentale, essentielle, sans rémission, de toutes ces « révolutions ». C'est peut-être sous la plume de Thierry Maulnier que l'on trouvait l’expression la plus éloquente de cette protestation de l'homme dressé contre les idoles collectives dont le prestige allait grandissant en ces années 1930 : « Mythe de la cité socialiste, mythe de l'impérium fasciste, mythe de la germanité, les buts proposés à l'action la plus énergique et au dévouement absolu des hommes européens consistent, somme toute, dans l'organisation de la vie collective ; on ne propose rien à l'homme qu'une certaine forme de société comme seul objet de son action et comme seul espoir possible d'une vie supérieure : rien au-delà. L'idée de l'homme disparaît comme valeur éternelle et irréductible : les cultes du socialisme et du néonationalisme sont des cultes, vulgaires parce qu'ils se fondent implicitement sur cette appréciation de la foule qui ne définit l'homme que par sa place dans la société et son rôle dans la communauté (...) Dans le national-socialisme et dans le fascisme, tout autant que dans le collectivisme russe, c'est le bien-être ou les cultes de la masse qui réclament à leur bénéfice les démarches suprêmes de la sainteté, de l'héroïsme et de la méditation. La cité socialiste, la race, l’État, redoutables idoles apprêtées pour les communions collectives, valeurs pour le grand nombre et faites à la mesure du grand nombre, sont ainsi érigées en cultes absolus (...) Ces nouvelles disciplines exigent le dévouement total de la foi et de l'action à des notions abstraites, vides, grossières, privées de tout contenu éthique et spirituel. Le fascisme italien et, plus encore, les mouvements allemands et russes prétendent créer leur propre éthique et leur propre mystique sur l'infériorité essentielle de l'individu en face de la communauté. »
Ce diagnostic établi, Thierry Maulnier concluait : « Socialisme, étatisme, racisme renoncent à jouer un rôle dans l’œuvre d'une civilisation désintéressée : entre eux et l'humanisme il faut choisir. » La France était à ses yeux le lieu privilégié de ce choix décisif entre les révolutions de masse et ce qu'il appelait la « révolution spirituelle » ou la « révolution aristocratique » ? « Nous sommes, écrivait-il, à un carrefour, et à l'un des plus importants de l'histoire du monde, Saurons-nous choisir ? Il s'agit de décider si la jeunesse française, imitant aveuglément ses voisins, suivant la voie tracée par deux siècles d'erreurs, cherchera dans la démocratie, dans le collectivisme, dans les mythes d'un capitalisme ou d'un nationalisme vulgaire, de grossières communions ou si, seule dans le monde, elle restituera à leur place les plus hautes créations de la personne humaine (...) De l’Italie à l'Allemagne, du fordisme ou stalinisme, l'univers semble tout entier conquis par les masses. La civilisation française, dans son principe, est une civilisation aristocratique. Il n'y a rien à espérer pour l'homme du culte du travail (...) La France jusqu'ici s'est tenue dans le monde moderne sur la réserve. Elle n'a pas joué sa partie. Il serait bon qu'elle songeât avant que les jeux ne soient faits. »
L'analyse de Thierry Maulnier se terminait donc par un appel à la France pour qu'elle retrouve sa plus authentique tradition et qu'elle soit, par là, le « dernier modèle de l'Occident » : « Elle occupe entre les nations une certaine place qu'aucune autre nation n'est en mesure de tenir. Ses ennemis la condamnent en affirmant que notre civilisation sa fonde sur des principes contraires à l'évolution présente qu'elle peut éviter à ces peuples de se perdre. La France ne doit plus être aujourd'hui seulement la France, mais la meilleure part des espoirs présente du monde. La révolution nécessaire est la révolution aristocratique. La France est-elle capable de se réveiller pour la faire ? Elle a devant elle la plus belle phase de son destin. »
Cette idée d'une mission de la France n'était pas la résurgence dans la seule Jeune Droite d'un nationalisme hérité de la tradition à laquelle elle se rattachait. C'était un thème que l'on retrouvait dans tous les groupes de jeunes de ces années. L'Ordre Nouveau, par exemple, considérait, lui aussi que la France avait une sorte de vocation universelle et que le désordre contemporain était en partie le fruit de la « décadence de la nation française » et de sa démission devant les exigences de son destin : « Si la décadence de la nation française, écrivaient Robert Aron et Arnaud Dandieu, n’intéressait qu'elle et ses nationaux, il ne s'agirait que d'une de ces anecdotes historiques sans portée, sans prolongement, qui occupent les contemporains et qui, n'ayant aucune importance spirituelle ou morale, n'attirent pas plus l'attention des historiens futurs qu'une révolution de palais ou un partage de petit État. Mais, quoi que l'on dise, quoi que l'on fasse, quoi qu'elle ait dit ou fait elle-même, c'est peut-être la seul raison d'être et le seul espoir de salut de la France que toute question qui se pose pour elle la dépasse immédiatement et intéresse l'humanité. A tord ou à raison, malgré ses dirigeants et ses représentants actuels, l'existence de la France se trouve encore liée à une certaine conception du rôle de l'individu dans la société et le monde, à certaines préoccupations morales et métaphysiques (...) Ainsi toute question qui se pose à son propos devient, au sens le plus précis et le plus implacable du mot, une question d'humanité. Et le malaise dont souffre en ce moment la nation française nous intéresse à déceler et, le cas échéant, à réduire dans la mesure où il condense et précise un malaise plus général et plus profond. »
En face de ce qu'il tenait pour l'échec des tentatives russe, italiennes et allemande, l'Ordre Nouveau considérait, comme Thierry Maulnier, que ce qui était apparemment la faiblesse de la France en était peut-être aussi la chance. Il pensait, en effet, que le fait pour la France d'avoir été jusque-là épargnée par les bouleversements violents qui secouaient l'Europe était une sorte de répit providentiel lui permettant de mûrir une véritable révolution « à la mesure de l'homme ». « La révolution qui se prépare, déclarait Aron et Dandieu, et dont les mouvements russe, italien et allemand ne sont que les Prodromes imparfait sera réalisée par la France. » Se référant à la vocation permanente de la France à « proposer infatigablement au monde des valeurs neuves de portée universelle », l'Ordre Nouveau, définissait ainsi sa mission dans les années 1930 : « En face des révolutions manquées, , se hâter de dresser la véritable doctrine révolutionnaire que notre époque réclame. » Dans un univers en crise, la France restait donc, pour l'Ordre Nouveau, malgré la médiocrité de ses représentants officiels, la « terre décisive ». C'est ce qu'Aron et Dandieu proclamaient à la fin de leur livre la Révolution nécessaire : « Ce qui est beau, c'est la lutte la mort. Ce qui est grandiose, c'est la victoire de l'homme. Le long des côtes de la Méditerranée et la mer du Nord, remontant le Danube ou le Rhin, s'avance l'antique ennemi de l'homme. On l'appellera l'État, matérialisme, racisme ou tyrannie ; mais son essence est plus profonde et n'a de nom en aucune langue, surtout pas en français. Ce n'est pas notre faute si la France est en effet, aujourd'hui comme hier, la dernière écluse. Ce n'est pas notre faute si le pays des petits rentiers du Traites de Versailles est tout de même aussi le dernier refuge continental des hommes libres. Ce n'est pas notre faute si, pour sauver l'Occident et l'Europe nous devons d'abord, aujourd'hui, nous appuyer sur la France. Il ne s'agit pas de défendre une citée ou une idée. Il ne s'agit pas de défense, mais de choix, d'affirmation, de création, de Révolution. Nous sommes sur la terre décisive. L'heure est venue, allons-y.
La notion d'une mission de la France, si caractéristique de ces mouvements, se retrouvait enfin dans Esprit, pourtant méfiant à l'égard de tout ce qui pouvait ressembler à une quelconque exaltation nationaliste. Pour lui aussi, en face des expériences étrangères, la France devait être la gardienne de certaines valeurs essentielles et trouver dans sa propre tradition les racines de la révolution à réaliser, une révolution qui lui paraissait devoir représenter un caractère exemplaire et universel. Après avoir analysé les conceptions fasciste, Mounier notait ainsi : « Ce n'est pas dans de semblables caricatures que nous irons, nous Français, interroger la mission de la France, mais dans une résurrection de sa très ancienne vocation qui est de purifier les instincts du monde. » Tout en mettant en garde contre « la canonisation des raideurs nationales », il rappelait aussi : « Il y a une manière d'intelligence et de culture et de vision française du monde. ceux-là même qui le nient y participent. Il doit donc y avoir un aspect singulier de la révolution spirituelle où ressortiront des intuitions, des manières plus proprement françaises : sens de la liberté individuelle, de la responsabilisé, de la résistance aux pesanteurs sociales, aux mystiques irrationnelles. » Dés le premier numéro d'Esprit, Jean Lacroix voyait lui aussi « l'apport propre de notre pays aux constructions sociales de demain » dans « le sens de l'éminente dignité de la personne humaine ». Sur le même thème, Georges Izard lançait un vibrant appel à la France pour « qu'elle redevienne elle-même (...), qu'elle rappelle au monde écrasé sous l'affreuse discipline des théories quelques-unes des revendications de notre nature ; qu'elle s'identifie de nouveau avec la liberté dans une Europe qui en a perdu le souvenir ! Liberté de l'homme contre la dictature de la nation et d'une classe, contre les puissances économiques, liberté dans l'épanouissement de la personne, toute une reconstructions de la société tient en ces quelques mots. Ainsi la tâche de la France ne sera pas finie tant que celle de l'homme durera »... à suivre...
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25/05/2015
Le tombeau du roi Childéric (Jean Phaure)
Jean Phaure, La France Mystique - Réflexions méta-historiques sur l'histoire de France, Chapitre I. Les Racines De La France, Le tombeau du roi Childéric, pp. 29 - 32, aux éditions Dervy-Livres, Les guildes de la Tradition
« (...) Donc Jusqu'à Louis XIV, l'archéologie était uniquement tournée vers l'antiquité gréco-romaine. Ronsard et d'autres allèrent jusqu'à trouver des racines à nos rois dans la guerre de Troie. Cela ne veut pas dire que ce soit entièrement faux mais cela relève d'une idéalisation qui tourne presque à l'idéologie quant à la suppression de la plupart de nos racines « barbares » pour ne privilégier que ce qui est flatteur... Il est flatteur de descendre d'Achille, de Priam, de Mars ou de Jupiter et il l'est moins de descendre de « barabres » qui ont passé le Rhin, qui ont des cheveux longs, etc.
On en était là lorsque le 27 mai 1653, il se passa quelques chose. Voici ce que dit Régine Pernoud (Les Gaulois, p. 6) :
« Le 27 mai 1653, creusant à Tournai les fondations d'un hospice, les ouvriers mirent à jour une excavation qui, dégagée, révéla d'éblouissantes richesses : un grand personnage avait été enterré là, vêtu de soie, enveloppé d'un vaste manteau de pourpre sur lequel étincelaient plus de trois cents abeilles d'or. »
Remarquons que quand on dessine de façon héraldique un crapaud, une abeille ou une fleur de lys – et ce sont successivement les symboles de nos royautés – cela donne toujours une étoile à six branches. Je reprends Régine Pernoud :
« A ses côtés, une épée dont le pommeau s'ornait encore de verres de couleurs cloisonnés, un globe de métal et d'autres armes : la francisque ou la hache des « barbares », la lance ou framée. Suspendue à un ceinturon à clous d'or, une bourse contenait une centaine de pièces de monnaie ; enfin, passé au doigt du squelette une bague sur laquelle on déchiffrait l'inscription : « Childérici Regis ». Les pièces d'or étaient à l'effigie d'Anastase et c'était la tombe de Childéric, fils de Mérovée et père de Clovis. »
C'était donc le père fondateur de la Monarchie française et du cycle de 1296 ans.
« Le précieux trésor fut envoyé à Vienne au Cabinet Impérial. L'Empereur Léopold en fit cadeau à l'électeur de Mayence et celui-ci à son tour l'offrit à Louis XIV. Ce trésor vint enrichir le Cabinet Royal devenu lors de la Révolution le Cabinet des Médailles à la Bibliothèque Nationale. »
Napoléon se souviendra du père de Clovis pour trouver un équivalent impérial à la fleur de lys : les abeilles.
Mais cette découverte n'a été vraiment étudiée qu'en 1869, plus de deux siècles après 1653, par l'abbé Cochet. Lorsque l'Académie des Inscriptions et Belle-Lettres fut fondée en 1679, Colbert conçu le dessein de faire relever et publier tous les monuments de France, les monuments romains. Nous étions à l'époque où le vandalisme royal sévissait et sous ma plume cela peut étonner car je passe mon temps à vitupérer contre les révolutionnaires qui ont détruit à partir de 1792 270 églises, rien qu'à Paris et plusieurs milliers d'abbayes dans toute la France. Il n'empêche que le vandalisme a sévi constamment et on peut dire que c'est le principal obstacle à la recherche de nos racines. Car enfin, nos racines passent par la découverte de tombes (très aléatoires) et surtout de monument debout, tout au moins sous la terre, ou des médailles, des pièces de monnaie ; bref, il faut que tout n'ait pas été détruit. Or l'époque de Louis XIV ne jurait que par les Grecs et les Romains. C'est ainsi qu'on vit détruire le phare celte de Boulogne (tour de dix étages) qui était parmi les édifices les plus imposants de l'Occident. Rendons-nous compte que les Français (oui, à partir de Clovis, ils s'appellent Français) ont détruit les 9/10e de leur patrimoine architectural, ne voulant garder que ce qui ressemblait aux Grecs et aux Romains ! D'ailleurs en fait le plan Jacobin de destruction des cathédrales n'est qu'une exacerbation fanatique du désir, disons des XVIIe et XVIIIe siècles, d'effacer toute trace gothique, c'est-à-dire « barbare » de la surface de la France. La Révolution sur ce plan est une conséquence. Nous sommes vraiment un pays d'intolérance et de saccage... Les étrangers cultivés le savent et ils nous regardent à la fois avec sympathie et horreur en disant : « Il n'y a pas de peuple au monde qui ait plus construit et plus détruit que vous. » Et cela à toutes les époques, même au Moyen Age car chaque fois que nous pouvons admirer une église gothique, c'est qu'il y avait eu une église romane à la place, qui a été détruite. Là, encore, on peut le comprendre, c'est pour des questions de géométrie sacrée, ce qui est extrêmement respectable. Mais le reste ! Comme cette tour de dix étages à Boulogne, le temple de Tutella à Bordeaux, la tour et le mausolée du palais comtal d'Aix-en-Provence ; plus près de nous dans le temps : Cluny, la plus grande église du monde ; et enfin à Paris, le château des Tuilleries détruit non en 1871 par la Commune mais en 1883 par la Chambre des députés avec M.Clémenceau en fer de lance !...
Nos racines sont donc très éparpillées et il faut énormément de patience pour les retrouver. Je cite maintenant un des livres qui n'est pas seulement l'ornement de ma bibliothèque mais de ma mémoire. Il s'agit d'un de ces grands historiens à la Fustel de Coulanges qui ont justement depuis la grande École de Saint-Germain-des-Près au XVIIIe siècle, essayé de combattre l'amnésie flatteuse des Français et de leur rappeler qu'ils sont une race très compliquée où bien des sources o,nt alimenté le fleuve... Ce livre, c'est le premier tome des « Origines de la France » de Ferdinand Lot et le livre que je citerai plus loin est celui de Camille Jullian, « De la Gaule à la France ». Tous deux sont des références fondamentales, on le sait ; de même qu'on ne pourra plus écrire désormais sur le Moyen Age sans citer Régine Pernoud, Georges Duby ou Jacques Le Goff.
Ferdinand Lot nous donne un certain nombre de précisions et il pose la question fondamentale : « Entre la Gaule et la France, y a-t-il eu rupture ou continuité ? Nos prédécesseurs ne se posaient pas la question. Ils ignoraient tout de leur passé et ne se souciaient pas de le connaître. La culture sous toutes ses formes provenait, devait provenir de l'Antiquité. Ils ne la connaissaient guère que sous sa forme latine. Ils s'appliquaient à apprendre le latin au collège, et n'apprenaient guère que cela. Ce qui avait précédé n'avait aucune valeur, aucun intérêt. Ils se rendaient compte que la langue qu'ils parlaient provenait du latin, idiome altéré, patois dont on eut honte jusqu'à ce que des écrits en langue vulgaire eussent forcé l'admiration même des plus férus d'antiquité. »
D'ailleurs, les règles de la linguistique n'étaient pas encore fondées. Il est certain que maintenant on s'aperçoit que les racines du français sont extrêmement complexes. Je continue avec Ferdinand Lot :
« Rupture linguistique, c'est évident, puisque les Gaulois ont adopté la langue parlée par les Romains, leurs vainqueurs, et n'ont conservé sous une forme latinisée qu'un nombre insignifiant de mots. »
Il parle ici du langage courant. Mais où le Celte a transmis énormément de racines langagières, c'est dans les patronymes et dans la topologie ; et là on retrouve un celte, un gaulois qui est extrêmement proche dans sa morphologie, du grec qui est une langue sœur, branche des langues indo-européennes , Grande est la parenté spirituelle entre le gaulois et le grec, beaucoup plus qu'entre le gaulois et le romain.
Les Bretons ont apporté eux-mêmes leur langage parce que dans leur immense majorité, les Bretons actuels sont le fruit de la migration (aux Vie et VIIe siècles) venue d'Irlande et de Bretagne (c'est-à-dire la Grande-Bretagne) lorsqu’ils ont été chassés par les Anglo-Saxons. Tout cela me concerne fortement car ma mère était poitevine et ma grand-mère paternelle était originaire de la Cornouaillles « anglaise ». Donc, à l’intérieur de mes propres chromosomes, je tiens aux deux côtés de la Manche... »
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