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15/08/2020

Un geste de Dieu par les Francs (Léon Bloy - L’Âme de Napoléon)

Léon Bloy, L’Âme de Napoléon, introduction, pp. 30-32, éditions Tel Gallimard

 

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Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard par Jacques-Louis David (musée du château de Malmaison)

 

III

 

Il est vrai que le monde n'est pas difficile à étonner. Il est si médiocre et si bas, cet apanage de Satan, qu'un semblant de force ou de grandeur suffit ordinairement. On l'a beaucoup vu de nos jours où des politiciens et des écrivais, capables tout au plus de piquer des bœufs ou des assiettes, ont pu faire admirer par des multitudes.

 

Napoléon doué de force et de grandeur plus qu'aucun homme ne l'avait jamais été, dut lui-même s'étonner beaucoup plus que tous ceux qu'il éblouissait. Aborigène d'une région spirituelle inconnue, étranger de naissance et de carrière en quelques pays que ce fût, il s'étonna réellement toute sa vie, comme Gulliver à Lilliput, de l'excessive infériorité des contemporains, et ses dernières paroles recueilles à Saint-Hélène prouvent que cet étonnement, devenu un parfait mépris, fut emporté par lui dans la tombe et devant le tribunal de son Juge.

 

Qu'était-il donc venu faire en cette France du XVIIIe siècle qui ne le prévoyait certes pas et l'attendait moins encore ? Rien d'autre que ceci : Un geste de Dieu par les Francs, pour que les hommes de toute la terre n'oubliassent pas qu'il y a vraiment un Dieu et qu'il doit venir comme un larron, à l'heure qu'on ne sait pas, en compagnie d'un Étonnement définitif qui procurera l'exinanition de l'univers. Il convenait sans doute que ce geste fût accompli par un homme qui croyait à peine en Dieu et ne connaissait pas ses Commandements. N'ayant pas l'investiture d'un Patriarche ni d'un Prophète, il importait qu'il fût inconscient de sa Mission, autant qu'une tempête ou un tremblement de terre, au point de pouvoir être assimilé par ses ennemis à un Antéchrist ou à un démon. Il fallait surtout et avant tout que, par lui, fût consommée la Révolution française, l'irréparable ruine de l'Ancien monde. Évidement, Dieu n'en voulait plus de cet ancien monde. Il voulait des choses nouvelles et il fallait un Napoléon pour les instaurer. Exode qui coûta la vie à des millions d'hommes.

 

J'ai beaucoup étudié cette histoire. Je l'ai étudiée en priant, en pleurant de joie ou de peine, bien souvent, me demandant, combien de fois ! Si ce n'était pas insensé de la liure dans des vues humaines, comme on peut lire l'histoire de Cromwell ou de Frédéric le Grand, les seuls chefs, je pense, qui puissent être supposés, depuis Annibal ou depuis César, dans un voisinage quelconque de Napoléon, et j'ai fini par sentir que j'étais en présence d'un des mystères les plus redoutables de l'Histoire.

 

IV

 

Un jeune homme vient qui ne se connaît pas lui-même et qui doit se croire infiniment éloigné d'une mission surnaturelle – si toutefois l'idée d'une telle mission peut tomber dans son esprit. Il a le sens de la guerre et ambitionne une situation militaire. Après beaucoup de misères et d'humiliations, on lui donne une pauvre armée et, tout de suite, se révèle en lui le plus audacieux, le plus infaillible des capitaines. Le miracle commence et ne finit plus.

 

L'Europe qui n'avait jamais rien vu de pareil se met à trembler. Ce soldat devient le Maître. Il devient l'Empereur des Français, puis l'Empereur d'Occident – l'EMPEREUR, simplement et absolument pour toute la durée des siècles. Il est obéi par six cent mille guerriers qu'on ne peut pas vaincre et qui l'adorent. Il fait ce qu'il veut, renouvelle comme il lui plaît la face de la terre. A Erfurt, à Dresde surtout, il a l'air d'un Dieu. Les potentats lui lèchent les pieds. Il a éteint le soleil de Louis XIV, il a épousé la plus haute fille du monde ; L'Allemagne sourcilleuse et parcheminée n'a pas assez de cloches, de canons ou de fanfares pour honorer ce Xerxès qui se souvient avec orgueil d'avoir été sous-lieutenant d'artillerie, vingt-cinq ans auparavant, de n'avoir possédé ni sou ni maille et qui traîne maintenant vingt peuples à la conquête de l'Orient.

 

Une saison s'écoule et voici « le froid Aquilon qui dévore les montagnes, sicut igne », dit l'Ecclésiastique. Le sous-lieutenant de 1785 s'en retourne à pied dans la neige, appuyé sur un bâton, suivit de quelques agonisants. Mais il n’est vaincu que par le ciel, ne devant pas encore être vaincu par les hommes.

 

Dieu aime ce superbe et l'afflige par amour, sans vouloir tout à fait l'abattre. Dieu a regardé dans les sang liquide des carnages et ce miroir qui a renvoyé la face de Napoléon. Il l'aime comme sa propre image ; il chérit ce Violent comme il chérit ses Apôtres, ses Martyrs, ses Confesseurs les plus doux ; il le caresse tendrement de ses puissantes mains, tel qu'un maître impérieux caressant une vierge farouche qui refuserait de se dévêtir. Il le dépouillera certainement à la fin et d'une manière si complète que les rois seront occupés, trente ou quarante ans, à se disputer ses lambeaux. Mais il ne veut pas que ce soit du premier coup. Il s'y reprendra même à trois fois. 1813, 1814, 1815, trois Épiphanies de douleur !

 

La première, et non pas la moins terrible, est ce qui ressemble le plus au déluge du Ve siècle. Les colossales armées de Coalition suprême renouvellent assez bien les Huns, les Sarmates, les Suèves, les Alains, les Saxons, les Goths et les Vandales de la Punition de Rome. Toute cette chiennaille barbare est aux flancs du Lion mutilé, mais invaincu. Il se retire en rugissant de douleur et d'orgueil, et revient en France où il fait combattre un contre dix, des enfants transformés par lui en légionnaire. L'Olympe ou le Wallalah de dieux imbéciles tremble derechef. Trahi enfin des lieutenants qu'il avaitconçus et enfantés, on le relègue dans l'île dérisoire de Sancho Pança. Tout semblait fini. Un vieillard fratricide et libertin essayait de manger la France avec ses gencives. L’Invincible reparaît une dernière fois, combien prodigieux !

 

Le Royaume de Jésus-Christ et de sa Mère épuisée de sang, perclus de douleurs, se précipite aussitôt vers lui en poussant des cris d'allégresse. C'est 1825, hélas ! Et Waterloo ! On se bat comme des anges au désespoir. On se bat contre toute l'Histoire, on se bat contre soixante siècles. C'est le désastre, et Jeanne d'Arc pleur sur tous les chemins. Napoléon qui apportait la victoire est forcé de la cacher dans les buissons de la déroute, ne voulant être vaincu que par lui-même. Incompréhensiblement il abdique une seconde fois, dégoûté de tout, et finit à Sainte-Hélène au milieu des rats et des scorpions d'Angleterre...

Hérisson (Dictionnaire des Symboles)

Jean Chevalier/Alain Gheerbrant, Dictionnaire des Symboles, Hérisson, p. 575, aux éditions Robert Laffont/Jupiter, collection Bouquins

 

Cet animal, qui occupait une place éminente dans la mythologie des anciens Iraniens, se rencontre également dans de nombreux mythes d'Asie centrale. Chez les Bouriates, il est considéré comme l'inventeur du feu ; le porc-épic joue le même rôle dans un mythe des Kikuyu d'Afrique orientale. Il est le conseiller écouté des hommes, qui retrouvent grâce à lui le Soleil et la Lune, un temps disparus ; on lui attribue également l'invention de l'agriculture. Il est donc, en résumé, un héros civilisateur, lié au début de la sédentarisation des anciens nomades turco-mongols. La brûlure provoquée par ses piquants est sans doute à l'origine de ce symbolisme igné, solaire, et donc civilisateur.

 

L'iconographie médiévale a fait du hérisson un symbole de l'avarice et de la gourmandise, en raison sans doute de l'habitude qu'on lui prête de se rouler sur les figues, les raisins et les pommes, qu'il rencontre ou fait tomber et, tout couvert de ces fruits au bout de ses piquants, d'aller se cacher au creux des arbres, pour entasser ses richesses et en nourrir ses petits.

 

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13/08/2020

Des Druides en congrès – Une triade païenne et trois saints

Alexis Charniguet/Anne Lombard-Jourdan, Cernunnos, dieu Cerf des Gaulois, Chapitre IV Des Druides en congrès, Une triade païenne et trois saints, pp. 108/110, aux éditions Larousse Dieux, mythe & Héros

 

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Au cœur de la Plaine Saint-Denis, au lieu-dit du Lendit, se dressait donc un tumulus. Son occupant aurait été l'ancêtre protecteur du pays. Ce lieu sanctuaire se situait sur le passage de l'une des plus grandes voies commerciales protohistoriques. Nous en déduisons l'existence à l'aide de sources rares qui, souvent, furent déformées, soit par l'oubli, soit par le désir monastique d'adapter les croyances anciennes aux interprétations religieuses et politiques nouvelles. Malgré tout, des informations complémentaires nous sont données par plusieurs documents.

 

Vient en premier lieu un texte latin, bien connu dés lors qu'il s'agit d'approcher la religion gauloise. Il s'agit de quelques passages dans la Pharsale de Lucain, auxquels nous avons déjà fait allusion. Lucain cite nommément les trois principales divinités de la Celtique et de la Belgique : Teutatès le Tribal, Ésus le Bon et Taranis le Tonnerre. Teutatès domine cette triade où la « bonté » d’Ésus ne doit pas nous tromper : il est « bon » par antiphrase, car son pouvoir s'exerce lui aussi dans les inquiétantes profondeurs souterraines. De même les Grecs nomment-ils « Bienveillantes » les furies qui président à la vengeance. Au moins reconnaissons-nous chez lui, comme chez Teutatès, des homologies avec Cernunnos.

 

C'est là qu'il faut reparler de saint Denis. Selon Grégoire de Tours, qui écrit trois siècles plus tard, l'évangélisateur – premier évêque de Paris – avait été envoyé non seulement convertir les Gaulois de la Seine et de la Marne, mais surtout christianiser le haut lieu, comme plus tard Patrick ira affronter le pouvoir druidique à Tara, au cœur de leur territoire symbolique.

 

Contrairement à Patrick, historiquement attesté, nous ne disposons d'aucun renseignement dur Denis. La tradition dit seulement qu'il arrive en Gaule au milieu du IIIe siècle. Rien d'autre. Il aurait été victime soit de la persécution de Dèce (250), soit de celle de Valérien (258), en compagnie du prêtre Éleuthère et du diacre Rustique, dont on ne sait, là encore, que leurs noms et leurs fonctions. L'évêque, selon la tradition, est décapité sur le « mont de Mercure » (mons Mercurii) qui devient alors « mont des Martyrs » (mons Martyrum), notre Montmartre. Ensuite, tenant sa tête coupée entre ses mains il chemine jusqu'au lieu de sa sépulture. Le tumulus tant disputé de Protège-pays est désormais chrétien.

 

Peu de choses, donc, mais chaque détail compte. Auquel s'en ajoute un dernier, qui a son importance. Tout cela nous serait en effet inconnu sans l'intervention de sainte Geneviève (v. 422-v. 502), la noble et pieuse femme dont les prières ont détourné de Lutèce le redoutable Attila.

 

Nanterroise, Geneviève avait une telle vénération pour le saint du Lendit qu'elle aurait obtenu du clergé parisien la constrcution d'une église sur le domaine de Catullius, le vicus Catulliacus (le futur Saint-Denis) déjà cité. La sainte avait bien perçu la dangerosité « païenne » du Lendit et la nécessité d'y élever un « contre-feu » chrétien car, disait-elle, « il n'est douteux pour personne que le lieu même où il se trouve est redoutable ».

 

Ainsi serait née la première église Saint-Denis. Et les premiers récits. Où l'on voit l'importance économique et politique de l'espace reliant Nanterre à la plaine du Lendit, alors que Lutèce n'est encore qu'une ville administrative en voie d'affermissement, élevée sur l'imperturbable plan en rectangles et carrés cher aux Romains : un camp de légionnaires construit en dur.

 

La première Vie de saint Denis (écrite vers 500) évoque elle aussi une triade au Lendit, à savoir les trois saints martyrs, Denis, Rustique et Éleuthère. Les retouches successives apportées au texte ne suffisent pas à masquer l'héritage païen du lieu. Souvenons-nous du triple visage de «  stèle aux trois divinités », trouvée aux Bolards, et de la triade évoquée par Lucain. Cette permanence suggère que le martyre de Denis, Rustique et Éleuthère ne serait pas sans relation avec un « vénérable lieu triple », expression qui désignerait le sanctuaire autrefois dédié à la triade gauloise décrite par Lucain.