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24/08/2022

Charles de Gaulle et la Glazialkosmogonie – I. Le retour de l'Homme de Fer (Jean Parvulesco)

Jean Parvulesco, La spirale prophétique, Un enseignement d'origine suprahumaine, Le retour de l'Homme de Fer, pp. 57-61, Guy Trédaniel Éditeur

 

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Le jeune Charles de Gaulle© Hikari / Pictanovo / FTV

 

Auteur de deux ouvrages fort remarqués sur René Guénon, à savoir René Guénon, Témoin de la Tradition, et René Guénon, la dernière chance de l'Occident, parus, respectivement, en 1978 et 1983 chez le même éditeur parisien, Guy Trédaniel, auquel on ne saura jamais assez reconnaître tout ce lui doit, en France, l'actualité d'une certaine pensée traditionnelle, Jean Robin est, à ce qu'il me semble, le premier à avoir abordé, de plein front le problème, de toute évidence absolument fondamental, qui est celui de l'influence de René Guénon sur Charles de Gaulle et partant sur les plus profondes destinées du gaullisme présent et à venir.

 

Et dans un important article publié par Aurores d'avril 1983, article intitulé René Guénon, un appel aux nouvelles générations, Jean Robin n'hésitera pas à écrire : « Redoublons d'audace : faut-il accorder quelque importance au fait que le générale de Gaulle ait désigné Guénon comme maître spirituel à ses « Compagnons secrets », auxquels il assigna une mission en rapport direct avec ce que nous appellerons la fonction eschatologique de la France ? Cette mission concernait entre autres la réconciliation ultime du spirituel et du temporel, la synthèse finale réalisée par cet Imperium pérenne enfin descendu de la sphère des archétypes, après avoir connu au cours des siècles quelques préfigurations avortées. Sa légitimation spirituelle reviendrait alors, dans cette perspective, à l’Église Gallicane dont de Gaulle appelait de ses vœux la renaissance. L’Église de saint Louis, qui refusait de prendre position contre l'empereur Frédéric II de Hohenstuafen, excommunié par le pape Grégoire IX ». Et ensuite : « Ce renouveau gallican ne saurait être fortuit, surtout si l'on sait l'écho qu'il rencontre dans sa jeunesse, grâce à sa double fidélité, d'une part à la tradition ecclésiale la plus antique, et d'autre part à l'ésotérisme chrétien. Et nous ne saurions mieux faire que de citer ici Michel Vâlsan, qui soulignait que le Gallicanisme, apparemment hétérodoxe, ne fut que l'expression sur le plan ecclésial du privilège qu'avait la France d'être un saint Royaume régi par un roi de droit divin, consacré comme tel par un Chrême céleste spécialement descendu pour assurer historiquement cette investiture ».

 

Or, en parlant de ces « compagnons secrets » de Charles de Gaulle, Jean Robin ne faisait qu'aller ouvertement vers l'ouvrage du R.P Martin (si R.P Martin il y a) intitulé, précisément, Le livre des Compagnons Secrets, ouvrage d'orientation et de travail gallicans avoués, et, ce faisant, renouer avec la tradition eschatologique impériale et solaire ayant trouvé son apogée à la fois le plus éclatant et le plus secret avec l'installation à Versailles de la royauté capétienne dite de droit divin.

 

D'autre part, mes propres habilitations dans le franchissement des cercles intérieurs et les plus interdits du « grand gaullisme » me permettent de faire état, ici, de la véritable emprise, confidentielle peut-être, mais profonde et persistante, exercée, sur le général de Gaulle, à Londres surtout, par Denis Saurat, dont on ne saurait ignoré la fidélité combattante, la fidélité suivie et créative aux thèses cosmologiques, aux cosmogonies différentielles du grandissime Hœrbiger, doctrinaire visionnaire de la Glazialkosomogonie.

 

Ayant fourni ses fondements cosmologiques – mais ne doit-on pas mieux parler, en l’occurrence, de ses fondations cosmologiques – à la géopolitique impériale de Karl Haushofer, et leur horizon cosmogonique de développement intérieur aux organisations de renforcement et de protection idéologique de celle-ci, la Glazialkosomogonie de Hœrbiger reste non seulement l'unique grande tentative de réintégration cosmogonique européenne de la fin de ce millénaire, mais aussi l'infrastructure mentale de l'approche essentiellement cosmologique caractérisant, pour ceux qui savent, l'ensemble de la vision géopolitique planétaire du général de Gaulle et, à partir de cela, la plus secrète intelligence de l'idée transcendantale que l' « homme des tempêtes » s'était forgée au sujet des destinées eschatologiques particulières de la France, ou plutôt de la Frankreich.

 

Hœrbiger, Haushofer, des noms qui sonnent comme le roulement de quatre dés de fer ayant régi le destin actuel du Grand Continent, des autre dés de fer dégageant, entre les Mains de l'Ombre, des irradiations occultes d'une charge de volonté, de puissance et de génie encore et toujours insoutenables : on se retrouve bien loin, en vérité, de l'univers mental débile des contemporains de Charles de Gaulle, l'homme le plus incompris, et, surtout, le plus trahi de son temps. Sait-on seulement que Charles de Gaulle fut, aussi, le trente-quatrième descendant 'en ligne directe authentique et authentifiée », ainsi que vint à l'attester très officiellement le Ministère des Affaires étrangères de Dublin, des anciens Rois d'Irlande, ligne de continuation royale qui, à travers la dynastie guerrière des Clana Rodry et, ensuite, des Mac Cartan, remonte au roi Rudricus le Grand, c'est-à-dire de deux millénaires en arrière de nous ? Et que l'identité confidentielle de la royauté extrême-occidentale de Rudricus le Grand continue à se perpétuer à travers la descendance de Charles de Gaulle ?

 

Enfin, pourquoi, en quittant le pouvoir en 1969, Charles de Gaulle a-t-il si farouchement tenu à se rendre en Irlande ? D'une assez mystérieuse façon, il se fait aussi que c'est en Allemagne qu'il faudrait essayer de trouver une réponse à cette question, une réponse qui fût vraiment décisive, libératrice de l'angoisse foncière de cette question dont la simple formulation, on s'en douterait à moins, gêne intolérablement certaines puissances nocturnes actuellement très e piste si ce n'est déjà en place, en France et ailleurs. Raison de plus pour que l'on y insistât, sachant, aussi, que le vent va bientôt tourner à nouveau.

 

Qui fut, en réalité, Charles de Gaulle ? Et qui était derrière lui, avant même qu'il ne fût lui-même ? Qui continue, aujourd'hui, dans les souterrains de la plus grande histoire, l’œuvre de salut et de délivrance cosmologique entamée par le géant des Deux Églises ? Le géant, je veux dire, dans le sens hœrbigerien du terme, ainsi que l'eût entendu Denis Saurat, c'est-à-dire quelqu'un qui émerge la réalité anthroposophique du cycle cosmologique précédent, et quant aux Deux Églises de sa prédestination de lieu d'accomplissement, songeons, surtout, à ce qui a été dit, ici même, sur les deux institutions occidentales, l’Église et la Maçonnerie, appelées à se perpétuer dans leurs identités propres jusqu'à la conclusion apocalyptique du cycle actuellement déjà si près de sa fin.

 

Et que l'on se rappelle donc, aussi, la série des faits suivants.

 

Durant sa captivité en Allemagne, de 1916 à 1918, le futur fondateur de la Ve République Française avait été détenu en haute Bavière, au camp de sécurité d'Ingolstadt (il avait à son actif cinq tentative d'évasion). Or, au camp de sécurité d'Ingolstadt, Charles de Gaulle eut pour compagnon de détention, entre autres, et je soulignerai fort cet entre autres, Rémy Roure, qui a laissé, sur Ingolstadt, un témoignage succinct mais tout à fait fascinant, ainsi que le futur maréchal de l'Union Soviétique Michaïl Toukhatchecsky, très haut initié de l'Organisation des Polaires et lui-même fondateur des Loges Polaires au sein de l'Armée Rouge. Mais le futur maréchal Michaïl Toukhachevsky devait être, surtout, l'artisan inspiré du grand Pacte Continental franco-soviétique, signé à Moscou par Staline et Laval. Et toujours à Ingolstadt, Charles de Gaulle allait rencontrer, par la suite, le Nonce à Berlin et futur pape Pie XII, Monseigneur Eugenio Pacelli (1876-1958), à ce moment-là, de par ses fonctions mêmes, visiteur apostolique des camps de prisonnier alliés.

 

Enfin, pour forts obscures raisons, et qui, pour bien longtemps encore, je le crains, vont devoir le rester, il est certain que les détenus du camp de sécurité d'Ingolstadt bénéficiaient de la haute et même, en quelque sorte, de la bienveillante attention du général Ludendorff (1857-1937), chef de l'état-major général de l'armée impériale et, par la suite, adjoint du vainqueur de Tannenberg, le feld-marcéhal von Hindenbourg (1847-1934). Sur les bords du Danube, à Ingoldstadt, les acteurs essentiels du prochain drame continental étaient donc rassemblés sur place, comme par l'exercice d'une volonté à la fois occulte et suprême, insaisissable, suprahumaine.

 

L'influence confidentielle de Denis Saurat et de René Guénon sur Charles de Gaulle commence donc à être connue, et l'on vient de laisser entrevoir, aussi, ses approches de la Glazialkosmogonie de Hœrbiger et, à travers celui-ci, de la géopolitique à fondations occultement cosmologiques de Karl Haushofer. A ce sujet, les archives réservées de l'Institut Hœrbiger de Vienne risquent de contenir, pour des chercheurs dûment habilités, un certain nombre de surprises de taille.

 

Il m'est également loisible de donner, ici et maintenant, les meilleures assurances quant au fait d'une prochaine mise à découverte intentionnée, et qui ne manquera pas d'être étayée par des preuves concluantes, des relations que Charles de Gaulle avait entretenu, aux alentours des années trente, avec la centrale parisienne des Loges Polaires, où, à ce que je crois m'être laissé confier par qui n'a pas à se tromper, aurait été conçu et préparé, du côté français, le projet de grand Pacte Continental Staline-Laval.

 

D'autre part, je ne pense pas qu'il faille un trop dur effort pour entrevoir la juste direction dans laquelle il s'agit d'investiguer pour trouver quelles durent être, dans les temps de son trempage théurgique, les relations de Charles de Gaulle avec les instances visibles et autres de l’Église, dont, pour avoir été, depuis toujours, un pratiquant très éclairé et très fidèle aux sacrements, des voies plus ardentes et plus dangereusement illuminantes et hautes n'eussent guère pu manquer de lui être laissées (son gallicanisme, on l'aura bien compris, n'ayant jamais été anti-romain, mais le chemin de la traversée vers l'intérieur caché et protégé de ce dont l’Église ne représenterait, dans ses actuels états, que l'enceinte immédiate et comme peut-être, déjà, partiellement sacrifiée).

 

On ne le voit que trop bien, cela fait beaucoup de logis philosophiques à visiter pour une seule existence et pour un seul ministère. Cependant, il ne faut pas confondre la puissance et ses attributs, lit-on dans Le fil de l’Épée.

 

Mais n'y a-t-il pas aussi une instance pontificale, la plus occulte de toutes, qui rassemblerait l'ensemble de cette quête occidentale en un seul refuge et donnerait à ce vertigineux tourbillons théurgique qu'aura été l'enclos des plus grandes fréquentations spirituelles de Charles de Gaulle le visage, fût-il par neuf fois voilé d'indigo, de son Unique Présentation ?

19/08/2022

Le Christ virtuel

Jean Parvulesco, Un retour en Colchide, Nous sommes déjà en Colchide, tout en n'y étant pas encore, pp. 109-110, Guy Trédaniel Éditeur  

 

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« (493) Avec Vladimir Dimitrijevic, dans le sous-sol conspiratif de la librairie de l'Age d'Homme, rue Férou. Il me fait part d'une troublante vision qu'il a eu il y a quelques jours à Martigny en Suisse, lors d'une exposition d'icônes russes présentée par Vladimir Volkoff à la fondation Pierre-Gianadda. Cela avait commencé par un malaise ; une nausée l'avait submergé quand il s'était remémoré la relative inutilité de « tous nos combats, toutes nos activités actuelles ».

 

En face de la Bête qui se dresse devant nous, immense, remplissant les cieux de ses tumultueuses ténèbres, nous ne faisons rien d'autre, disait-il, que l'agacer indéfiniment par des petites banderilles, alors que le moment de l'estocade décisive a sonné depuis longtemps déjà ; tous nos efforts actuels sont donc aussi dérisoires qu'imbéciles, et le plus souvent le produit d'une manipulation menée par l'ennemi lui-même, pour faire diversion ; parce qu'à présent ne compte plus que le coup final, l'épée placée directement dans la grosse veine du cœur ; la mort immédiate, fulgurante. Et personne – aucun des nôtres – ne s'avisait d'y penser, tenus, par le terrifiant travail hypnotique de la Bête, par l'embrassement hallucinatoire de son regard. «  Le commandement du moment présent : la Bête, il faut la frapper à mort. »

 

C'est sur le fond obscur de ce malaise (quant à notre paralysie actuelle face à la Bête) qu'il avait eu sa renversante révélation : à savoir que ce que l'on nous prépare à l'heure présente, c'est l'avènement prochain d'un Christ virtuel. Qui aurait toutes les apparences, voire toutes les qualités du Christ, sauf qu'il ne serait pas le Christ, mais qu'on nous l'imposerait comme s'il l'était. L'état suprême du mensonge fondamental. Car ce Christ virtuel ne serait en réalité que l'ombre portée de l'Antéchrist, tel que le « mystère d'iniquité nous le présente dans la IIe Épître de saint Paul aux Thessaloniciens. Le Christ virtuel est déjà agissant. « Il s'agit là d'un fait fait que, désormais, l'on ne saurait plus nier. L'avènement de ce Christ virtuel sera aussi le couronnement apocalyptique de l'actuelle conspiration menée par les États-Unis et par ce qui se tient derrière eux. Derrière la nativité du Christ virtuel, l'Antéchrist. Tel serait donc le secret de la virtualisation intensive du monde que poursuit le noyau central de la grande subversion satanique, installé au cœur du pouvoir mondialiste en expansion permanente. Le règne des ténèbres est là. » 

14/06/2022

Le mariage en rouge d'Auda Isarn

Saint-Loup, Nouveaux cathares pour Montségur, II Éclairage rouge, pp. 136-140, Presse de la Cité, 1969

 

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Auda Isarn et Barbaïra regagnèrent Carcassonne avant la chute du jour. L'automne, moins avancé en plaine que dans le haut pays ariégeois, donnait à leur course une saveur âpre et mélancolique. Le Languedoc s'endormait doucement dans toute sa gloire, comme à la veille de la Croisade. Dans un enchaînement d'images brèves s'élevaient les collines fauves et s'abaissaient les garrigues aux euphorbes rougies par la sécheresse... Vendanges éclatantes... Envols de perdreaux rouges dans les genévriers. Pluie de feuilles dorées tombant des figuiers las. Et l'air qu'ils respiraient possédait une saveur nourricière pour l'âme avec le parfum rare du thym et de la lavande subtilement alliés.

 

Barbaïra dit à sa compagne :

 

- Je n'ai pas assez de carburant pour t'accompagner jusqu'à Toulouse. Tu prendras le train de vingt-deux heures.

 

Auda Isarn travaillait dans un hôpital de la cité rose, après avoir servi comme ambulancière pendant la campagne de 1940. Elle suggéra :

 

- Et si nous faisions le tour de la Cité en attendant l'heure ?

 

Ils abandonnèrent Matràs «  le carreau d'arbalète » devant la porte d'Aude et s'engagèrent, à pied, sur les « lisses hautes ». C'est là que, d'ordinaire, les amoureux viennent rêver. Également contrariés dés qu'ils frôlèrent le premier couple qui leur rappelait brusquement le sens de ces promenades ; Barbaïra par crainte d'y croiser des personnes de sa connaissance ; Auda Isarn par la pensée qu'on pourrait la prendre pour la maîtresse de son camarade ; ils poursuivirent cependant, mais d'un pas rapide qui prétendait détruire tout équivoque.

 

Ils passèrent devant la tour wisigothe, les tours Ronde et Carrée de l'évêque, Cahuzac, Grand Canissou, Mipadre. L'herbe des lisses, en pleine mutation glissait du vert diurne au bleu crépusculaire que reprenait, au loin, la montagne, mais en plus léger, comme celui d'une aile d'oiseau suspendue entre le ciel et la plaine...

 

Les jeunes gens firent le tour de la Cité d'un pas olympique. Ils transpiraient en approchant du Château Comtal, leur point de départ, masse à la fois trapue et légère sur laquelle, déjà, pesait la nuit. Auda Isarn s'arrêta brusquement et désigna l'une de ses tours.

 

- C'est bien là, demanda-t-elle, que Simon de Montfort garda prisonnier Raymond Roger Trencavel après la chute de la cité ?

 

- Oui. Il mourut dans un cul-de-basse-fosse le 10 novembre 1209 après trois mois d'agonie. Les historiens ne sont pas d'accord sur sa fin... Empoisonnement disent les uns, dysenterie les autres ! C'est une sombre affaire !

 

Fatigués, ils s'assirent sur une dalle du chemin de ronde. La tête penchée vers le sol, Barbaïra semblait réfléchir et se taisait. Il tressaillit lorsque Auda Isarn lui prit le bras en le serrant avec force. Jamais d'ordinaire elle ne recherchait pareil contact.

 

- Roger, dit-elle de cette voix rauque q'uil n'entendait jamais sans inquiètude, tu finiras toi aussi prisonnier dans une tour de Carcassonne si tu te mêmes de tout ça ! Puis : – Je vous écoutais les uns les autres, à l'AJ... Les partisans du maquis... Les partisans de la Milice. Les malheureux ! Ils vont se mettre au service du mal !

 

Roger Barbaïra ne prêtait aucune attention aux paroles de la fille, tout entier livré au plaisir de sentir l'étreinte de cette main sur son bras. Mais Auda insistait d'une voix angoissée et pressante...

 

- Roger, je t'assure qu'il faut écouter notre ami Giono qui dit : l'intelligence c'est de se retirer du mal ! Soyons un peu intelligents tous les deux !

 

Il contemplait la main de lumière posée sur le cuir noir de son armure de motocycliste. Dans la nuit maintenant presque close elle prenait l'aspect évanescent de ces longues mains que la Renaissance italienne prêt aux aristocrates de la sainteté. Il inclina sur elle son visage, précautionneusement, et sa voix la prit à témoin en murmurant :

 

- Chère Auda, si tu ne veux pas qu'on me jette un jour dans la prison de Trencavel, c'est que tu tiens peut-être un peu à ton vieux copain « ajiste », non ?

 

Elle sourit – mais la nuit, déjà, effaçait le sourire – et dit :

 

- C'est la première fois que tu t'en aperçois ?

 

Il ne bougeait plus, la tête penchée sur la main, les lèvres à quelques centimètres de cette messagère lumineuse, n'osant traduire ses intentions profondes par le baiser qu'elles tenaient en réserve... Il dit d'une voix sourde.

 

- Mais tu ne tiens pas suffisamment à moi pour devenir comtesse de Miramont, n'est-ce pas ?

 

Un couple enlacé passa devant eux à petits pas, sans les voir. Barbaïra frissonna, par contraste avec la flambée de son sang brusquement allumée. Son visage se pencha un peu plus sur la main et ses lèvres se posèrent sur elle. Auda Isarn la retira, mais doucement, dans un mouvement mélancolique en soi et non avec la force du réflexe qu'elle opposait jusqu'ici à ce genre d'initiative.

 

- Je ne veux pas, dit-elle à voix basse, me laisser envoûter par la luxure, même et surtout dans le mariage...

 

Elle se tut pendant quelques minutes tandis que Barbaïra conservait la position prise pendant que fuyait la main de sa compagne.

 

- Je veux bien faire ma vie avec toi, Roger, reprit-elle, même en dehors du mariage ; mais à la condition que la luxure n'en soit pas la base. Je serais si herseuse si on pouvait s'associer pour construire une sorte de Panthéon pour deux âmes sauvées de la matière !

 

Barbaïra releva la tête, surpris par ces paroles qu'il entendait pour la première fois.

 

- Le mariage, reprit-elle ; le mariage tel que tu l'entends, hélas ! C'est le péché sans honte, l'encouragement officiel à la descente au sein de la matière. Je voudrais au contraire y trouver un affranchissement débouchant sur une vie plus lumineuse et pure...

 

Barbaïra frissonna. Les tours du Château Comtal prenaient devant lui une redoutable force de présence. Dans l'ombre se mouvaient les hommes d'armes de Simon de Montfort en train d'organiser le siège de la Cité. Il lui semblait apercevoir, derrière les vitraux du château, réfugiées sous la protection de Trencavel le preux, les belles châtelaines cathares qui le regardaient avec angoisse et lui parlaient.

 

- J'avais espéré te convaincre, reprit Auda, t'amener jusqu'à moi par le moyen d'une vérité qu'on ne découvre pas dans les auberges de la jeunesse ; afin que nous arrivions à vivre l'un près de l'autre sur la base d'une absence de tout désir.

 

- Mais tu ne m'as jamais parlé du mariage comme tu m'en parles ce soir, Auda ! Je ne suis pas d'accord ! Le mariage, pour moi, c'est la base même de la vie ! Je veux t'épouser pour assurer mon éternité par les enfants que tu me donneras. Car c'est la seule éternité qui ne relève pas de la fumisterie !

 

La fille se tordit les mains et gémit.

 

- Ah ! Tu veux des enfants pour en faire des guerriers, les jeter dans des aventures coupables comme celle que nous vivons maintenant, et perpétuer ainsi le mal !!!

 

Il haussa les épaules.

 

- L'état guerrier est le plus noble de tous ! Et si mes ancêtres avaient montré des vertus guerrières plus solides, je serais toujours comte de Miramont et le Languedoc libre !

 

Auda gémit de nouveau.

 

- Oh ! Mon pauvre Roger, tu parles le langage que le diable a mis dans la bouche des hommes pour les aider à se tromper sur eux-mêmes !

 

Elle posa de nouveau une main sur le bras du garçon, approcha sa bouche de son visage et Barbaïra se sentit pris de vertige, soulevé par un furieux désir de la saisir, la battre, avant de la posséder. Elle lui souffla au visage, parlant presque bouche à bouche :

 

- Cher Roger, je tiens suffisamment à toi pour te demander de me jurer que tu ne t'engageras jamais dans cette guerre !

 

La guerre battait furieusement le pied des murailles de Carcassonne autour d'eux. Simon de Montfort venait de se lancer à l'assaut du bourg au chant de « Veni Sancte Spiritus ». Faiblement protégé le bourg cédait malgré l'héroïsme du vicomte Trencavel et de ses chevaliers. Mais le Castellar, lui, repoussait l'assaut. L'odeur des corps en état de décompositions ajoutait aux effluves pestilentiels des grands marécages entourant la Cité, du côté de l'Aude... Mineurs au travail. Trébuchets en action. Chocs sourds des boulets de pierre. Cris exaltés des assaillants. Défis et injures des assiégés. Les cigales du 8 août produisaient ce bruit de vapeur surchauffée quand elles frottent leurs élytres avec un ensemble parfait...

 

Les hommes de Simon s'étaient introduits dans le Castellar en fin de journée, puis retirés, laissant derrière eux une faible garnison que Trencavel se hâtait d’anéantir pendant la nuit suivante pour reconquérir la position. Dans leur camp où le lin blanc des tentes, la soie des bannières allongeaient des parterres de fleurs pourpres ou bleues, les grands barons du Nord surveillaient les opérations.

 

Depuis les lisses hautes dont il dirigeait la défense, Roger Barbaïra, comte de Miramont, apercevait de temps à autre, groupés autour du légat du Pape, le comte de Saint-Pol, Henri IV de Nevers et Eudes de Bourgogne...

 

Derrière les barons francs, marchant dans la lancée de sept siècles de servitude, apparaissaient maintenant les grands barons germaniques : Von Rundstedt, Von Reichenau, Von Bock, entourés de leurs capitaines, Rommel, Guderian, Sepp Dietrich...

 

Roger Barbaïra dit à la fille :

 

- Tu n'as rien à craindre. Je ne m'engagerai pas dans cette guerre tant que l'Allemagne ne prendra pas position sur l'indépendance de notre pays. Mais je ne puis jurer, car je suis prêt à m'allier avec le diable pour reconquérir Carcassonne et Miramont.

 

Le froid les saisit. Les couples s'étaient dissous dans l'ombre mauve, puis noire. Auda Isarn avait retiré la main qu'elle venait de livrer comme un gage d'amour ineffable.

 

- Viens, dit Roger. Nous allons dîner à la maison. Tu as le temps. Et mon père sera heureux de te connaître. Car depuis des années que je lui parle de toi sans te présenter il doit penser que je suis amoureux du fantôme d'Esclarmonde !

 

Ils quittèrent l'assise du chemin de ronde devenue plus froide qu'une pierre de tombe. Barbaïra referma son armure de cuir et enfonça le casque heaume sur son chef.