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29/08/2022

L'écriture de Charles de Gaulle et le destin de la France (Dominique de Roux)

Dominique de Roux, L'écriture de Charles de Gaulle, Au-delà du déclin, pp. 32-37, Éditions du Rocher

 

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Quel mensonge ? Le mensonge qui jusqu'à la fin permettra à la parole de l'emporter sur l'être, que la lettre n'en finisse plus de l'emporter sur l'esprit, ni la honte sur la désespérance. A la limite, et en attendant que l'heure finale vienne, l'action n'est que le combat désespéré de celui qui se bat non pour vaincre mais pour continuer. A la limite, l'être c'est le courage de l'être. On songe pour une dernière fois aux Antimémoires d'André Malraux, au passage où il revient à la parole sacrée du Bhagavad Gîta : « Arjuna regarde ceux qui vont mourir, et Krishana lui rappelle que si la grandeur de l'homme est de se délivrer du destin, la grandeur du guerrier n'est pas de se délivrer du courage. »

 

Personnage symbolique, mémoires, avant de mourir, revoir une jeunesse française, phrase suspendue, avant les Grandes Invasions, l'heure est passée, le mensonge, se délivrer du destin ne pas se délivrer du courage : ce sont là, entre autres, entre des milliers d'autres, vivants et morts agonisants entre la vie et la mort, les signes, la liturgie de cette prédestination dont Charles de Gaulle n'en finit plus d'écrire le Livre de l'Absence, l'immortalité de la mort en attendant la mort de l'immortalité.

 

En dernière analyse, le problème de l'écriture de Charles de Gaulle apparaît non pas comme celui des rapports tragiques entre la parole et l'action, mais comme le cheminement prophétique de cette écriture à travers les mots qui la constituent et qu'elle dévaste, qui la font être et qu'elle illumine jusqu'au paroxysme avant qu'il ne la lui faille chaque fois rendre au néant, au rien de leur subordination infinie. Saisir, dans sa marche même, la dialectique opposant, dans cette écriture, cette écriture elle-même, en tant que signification immédiatement saisissable, aux mots dont elle se saisit et se dessaisit, c'est approcher le secret de de cette prédestination qui en fait l'horizon de sa rencontre avec l'histoire, y établit le champ clos de sa dévotion tragique envers le néant nécessaire des choses qui ne sont qu'en tant que dépassement, et, si comme le dit Hegel « ce que nous sommes, nous le sommes historiquement », parvient, ou parviendra, à l'heure voulue, au pouvoir d'être, elle-même, de par elle-même, le destin. L'écriture de Charles de Gaulle c'est l'écriture du destin.

 

Quel destin ? Une intelligence prophétique de l'Histoire, prenant à son compte les armes de la liberté la plus grande, assumant le devoir et la tragédie de la Grande Politique, ne saurait s'interroger ni ne peut s'accomplir que par une vision de le fin du monde, en tant que vision finale et action finale d'un monde. Une certaine idée de la France, qu'elle concerne une écriture, une certaine action, une certaine destinée, une certaine mission, mettra toujours en cause une certaine idée de l'Histoire universelle. Si la France a un destin, une vocation, une mission essentielle, l'histoire doit s'en trouver concernée et, plus encore, déterminée, à la fois dans sa marche vers la fin et dans l'accomplissement visible ou invisible de cette marche. Si l'histoire est l'histoire à sa fin, si la France a une destinée historique absolue, elle ne saurait concerner que la fin de l'histoire. Aussi peut-on dire : si dans sa démarche la plus profonde, l'écriture de Charles de Gaulle concerne une vision de la France, celle-ci se trouve posée secrètement en termes d'Apocalypse, et sa Grande Politique, et qui vise à lui donner ses armes, se pose alors en volonté de puissance.

 

Mais entre la vision d'une politique et les armes de sa puissance, il y a toujours l'ombre dont l'écriture rend compte sans trêve, l'ombre qui à la fois porte cette vision vers les armes de sa projection historique et ne cesse de les séparer, cette ombre, dont le nom est successivement le possible et l'impossible, « ... toute la vertu du monde ne prévaut point contre le feu » (La France et son armée). Aussi, la tragédie historique de l'aventure gaulliste est-elle peut-être tout entière dans l'inadéquation régnant entre le grand dessein d'un homme prédestinée et la substance même de son œuvre. Que celui-ci se fasse une certaine idée de la France n'implique pas, fatalement, qu'une certaine France historique en vienne à se faire une même idée d'elle-même ni du destin de Charles de Gaulle, et encore moins de sa prédestination. Mais qu'est-ce qu'une écriture sans l'ombre qu'elle porte en elle ? Et qu'est-ce que l'ombre intérieure de cette écriture sans l'ombre de cette ombre sur le front de l'écriture à travers laquelle se fait l'histoire dont toute écriture n'est que l'ombre ?

 

Car tout est dans le dédoublement.

La terre promise de Satan et la littérature française (Papini)

Papini, Le Diable, X. Le Diable et la littérature, 63. La terre promise de Satan, pp.220-227, aux édition Flammarion (1954)

 

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On a copieusement écrit, depuis Jules César, sur la « douce France », mais personne, je crois, n'a fait, sur ce pays, l'étrange découverte que j'énonce ici : La France est la terre promise du Satanisme.

 

Et je donne pas à cette expression un sens vulgaire, pittoresque et anecdotique. Je l'entends et je l'emploie dans un sens plus juste et plus profond : une complaisance parfaitement consciente du mal pour le mal, un goût pour la perversion cruelle, une théorie et une pratique de la révolte contre Dieu et contre toute loi morale, particulièrement la loi chrétienne.

 

Ce qui m'importe surtout, c'est l’épanouissement intellectuel ou, pour mieux dire, cérébral, de cette passion satanique ; mais il ne serait pas difficile de retrouver dans l'Histoire de France des exemples de « satanisme en action « , de férocité acharnée et triomphante. On pourrait rappeler les faits (nullement légendaires) de Gilles de Raiz et, en des temps plus récents, les supplices atroces de Damiens et de Ravaillac, les brigandages sanguinaires de Cartouche et de Mandrin et, pendant la Révolution, les massacres de septembre, les noyades de la Loire et les carnages de Lyon. Des horreurs du même genre, et peut-être même plus épouvantables, peuvent se retrouver dans les chroniques rouges et noires d'autres pays, mais ce qui est propre à la France, c'est la justification philosophique, la délectation littéraire, la glorification poétique de la cruauté pour la cruauté, du mal pour le mal, du crime gratuit et parfait.

 

J'aime immensément la France, son art, sa littérature et sa civilisation ; je n'ai donc aucune intention de la calomnier. Et, pour montrer que je ne parle ni par hasard ni par jeu, je vais être contraint de produire une longue énumération de noms et d'ouvrages.

 

Le premier écrivain qui ait énoncé d'une façon insistante, et même prolixe, la théorie de la supériorité du mal sur le bien et celle de la beauté de la cruauté, est un Français, le fameux marquis de Sade. Ses contemporains, nourris des sophismes de Rousseau, pensaient que le secret du bonheur et de la bonté consistait à suivre la nature. Le marquis de Sade les prit au mot et, avec une dialectique infernale, il démontra que dans la nature vivante on trouve constamment des exemples de luttes féroces, d'assassinats, de luxure. Dans ses romans et ses dialogues, dans ses œuvres de méditation, Sade se propose de montrer la légitimité des tourments et des meurtres, la supériorité du vice et du péché sur la vertu, le ridicule de tout principe moral, la volupté de faire souffrir ses semblables. Ces théories inhumaines et antichrétiennes ont été associées par lui, presque toujours, aux plaisirs sexuels ; mais, en réalité, sa conception de la vie comme exercice et satisfaction du mal dépasse, à l'évidence, les limites d'une simple luxure criminelle : c'est quelque chose de plus vaste et de plus général. La vraie substance du sadisme est le satanisme dans sa signification la plus radicale.

 

L'influence de Sade, bien que souterraine, a été profonde et est allée croissant de plus en plus.

 

Un contemporain du « divins marquis », Laclos, a pris comme personnage de ses Liaisons dangereuses (1782°, une femme vraiment satanisante : c'est la marquise de Marteuil, une sadique moins vulgaire, mais plus subtilement perverse que certaines héroïnes horribles des romans de Sade.

 

Julien Sorel, dans Le Rouge et le Noir (1830) de Stendhal, a lui aussi des reflets sataniques dans son sinistre machiavélisme d'ambitieux sans scrupules. Mais de tels reflets deviennent de plus en plus nets chez d'autres héros de la littérature française du XIXe siècle. Le Vautrin de Balzac, avant sa dernière et tardive incarnation, est une des plus célèbres manifestations du satanisme littéraire français : le mystérieux criminel personnifie la tendance au crime pour le crime, la vengeance diabolique contre le monde et la société. De ses discours à Rubempré et à Rastignac, on pourrait tirer un bréviaire de cynisme arrogant et démoniaque.

 

Il serait facile de retracer, dans les œuvres secondaires du romantisme français, d'autres incarnations du monstre sadique, qui ne sont pas non plus sans parenté avec les créations byroniennes, mais je ne veux mentionner ici, pour m'en tenir à des exemples manifestes, que les figures les plus significatives.

 

L'inspiration satanique serpente et affleure continuellement chez Baudelaire et, non seulement dans les Litanies de Satan des Fleurs du Mal, mais aussi dans certains apologues froids et cruels des Petits poèmes en proses : qu'on se rappelle, par exemple, la fantaisie cruelle du Vitrier. Baudelaire n'a pas eu seulement Sade pour maître, mais Edagr Poe dans L'Instinct de la Perversité.

 

Un écrivains catholique, mais non pas toujours conformistes, Barbey d'Aurevilly, a écrit un volume entier de nouvelles Les Diaboliques, et l'une des plus célèbres porte ce tire significatif : Le bonheur dans le crime.

 

Le poète épqiue du Satanisme français est l'infortuné Isidore Ducasse qui, très jeune encore, publia ses Chants de Maldoror (1869) sous le nom imaginaire de comte de Lautréamont. Ce poème en prose – considéré comme le bréviaire du Surréalisme – est une vraie sarabande de visions sataniques. Ducasse a une querelle personnelle avec Dieu et il le présente comme l'auteur ou l'inspirateur de turpitudes fantastiques, de barbaries éhontés, d'abominations atroces. Ce monde infernal d'un visionnaire arrogant et sacrilège fait du faux Lautréamont le plus grand héritier et continuateur du satanisme de type sadique.

 

L'odieux héros du mal, pour le mal reparaît, avec une violence moindre, mais unie à des intentions polémiques et satiriques, chez Villiers de l'Isle Adam, l'auteur de Contes cruels. Son Tribulat Bonhomet, « le tueur de cygnes », l'ennemi sadique de la beauté, de la liberté, de la vie, est un des ancêtres du burlesque mais bestial et féroce Ubu Roi de Jarry.

 

Le dernier poème de Raimbaud est Une Saison en enfer (1873) et, comme il fallait s'y attendre, le poète dialogue sans crainte avec le Roi des Ténèbres. « Tu resteras hyène.... », se récrie le Démon, qui me couronna de si aimables pavots. –« Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux ». – Ah ! J'en ai trop pris : mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! » Et ce poème ne couvre qu'un petit nombre de feuillets de son « carnet de damné ».

 

Un satanisme plus volontaire et, peut-on dire, du genre pédant a laissé des traces évidentes chez un écrivain célèbre qui, à la fin de sa vie, devint même catholique : le Huysmans d' À rebours et de Là-bas. Mais on trouve dans Les caves du Vatican de Gide un texte satanique plus authentique et plus original, avec sa théorie vraiment diabolique du « crime gratuit » accompli par son héros Lafcadio. Dans le dernier livre qu'ait écrit Gide, on relève cette étrange confession : « Si je croyais au Diable (j'ai fait parfois semblant d'y croire : c'est si commode!) je dirais que je pactise aussitôt avec lui ».

 

Mais l'attraction démoniaque est, en France, si vive et si tenace qu'elle n'épargne même pas, nous l'avons dit, les écrivains catholiques. Georges Bernanos qui devint célèbre avec son roman Sous le soleil de Satan (1926), est obsédé par les incubes et par les malices diaboliques tout au long de son œuvre. François Mauriac, le grand casuiste du péché, a créé, dans ses infernales histoires de famille, des personnages que domine une sauvage passion du mal.

 

Le pessimisme misogyne d'Henry de Montherlant est souvent imprégné d’esprit satanique, particulièrement dans Le Démon du Bien. Qu'il suffises de citer quelques lignes de ce livre où se trouve proclamée la supériorité de Satan : «Par tout ce que nous connaissons de Dieu, par les paroles, les sentiments, les actes, que lui ont prêtés toutes les religions, dans les siècles des siècles, nous savons que Dieu est bête. Le Démon étant son antithèse, on pouvait donc le croire intelligent ; et d'ailleurs il en multiplie les preuves ».

 

Le Diable n'apparaît pas dans L’Étranger de Camus (1942), mais son effrayant protagoniste Meursault, chez qui indifférence cynique aboutit au crime inutile et à un défi désespéré contre tout ce qui est humain, est la personnification la plus horrible du satanisme existentialiste. Bien que Meursault se meuve dans la banalité des scènes et des faits réalistes habituels au lieu de la sarabande fantasmagorique et romantique des Chants de Maldoror, « l'étranger » de Camus est encore plus démoniaque que le héros de Lautréamont et le Lactafio de Gide.

 

Satan apparaît seulement comme une ombre dans Le Diable et le Bon Dieu (1931) de J.-P. Sartre, mais Gotz, le condottière sans scrupules ni pitié, qui tente en vain de se convertir au bien, appartient à la famille des héros malfaisants et féroces qui sont sortis du giron obscène du marquis de Sade.

 

Le cartésien et mallarméen Paul Valéry ne s'est pas non plus tenu à l'abri de la fascination qui entraîne l'esprit français moderne vers le Diable. Dans son drame inachevé, publié en 1946, Mon Faust, il ne se contente pas de faire discourir le vieux Méphistophélès avec l'ironie goethéenne, mais introduit trois démons répugnants et vociférants, Belial, Astaroth, Goungoune qui vantent à plaisir leurs pouvoirs immondes et leurs rôles extravagants dans l'entreprise commune de la persécution quotidienne.

 

On pourrait trouver aussi, dans d'autres littératures, celles, en particulier, d'Angleterre, d'Allemagne et de Russie, des personnages plus ou moins consciemment sataniques ; mais aucune littérature ne manifeste, avec une continuité aussi insistante et pendant près de deux siècles, et chez tant d'écrivains tellement différents, le thème infernal de la malfaisance volontaire.

 

Quelles sont donc les causes qui font de la France, comme je l'ai dit tout d'abord, la terre promise du Satanisme ?

 

Il y a d'abord une cause ancienne, dans cette vague sympathie pour le péché et pour le crime qui se fait jour dans les ouvrages de Villon et Rabelais.. La polémique antireligieuse, surtout depuis le XVIIIe siècle, a encouragé et renforcé ces tendances, par hostilité à la morale chrétienne, et elle a été favorisée par l'esprit de fronde et de moquerie qu'on trouve si constamment chez les écrivains français et qui ne s'est point épuisé dans la verve de Diderot ou dans l'ironie de Renan. Cette liberté intellectuelle de jugement et de parole, qui est un des éléments les plus admirables de la littérature française, a entraîné beaucoup d'esprits jusqu'à l'admiration et l'apologie du grand Adversaire.

 

Mais il y a peut-être une autre cause, moins visible parce que plus profonde. La France est dominée depuis le XVIIe siècle par l'esprit critique qui tend à isoler les idées pures, poussées à l'extrême. Quand la foi en Dieu ou dans le Bien a vacillé et s'est presque éteinte – au XVIIIe siècle et après le Romantisme – les esprits français les plus inquiets et les plus téméraires se mirent à rechercher un produit de remplacement dans l'absolu des idées opposées, c'est-à-dire dans Satan et dans le mal. Cette analyse, étant donné l'amour des Français pour la rigueur de l'idée pure, ne s'est pas limitée aux seuls fantasmes poétiques, elle s'est poursuivie très logiquement jusqu'aux conséquences extrêmes, c'est-à-dire jusqu'à la théorie et à la pratique du Satanisme.

 

Le mot de l'énigme se trouve peut-être dans cette pensée lumineuse de Huysmans : «  Comme il est très difficile d'être un saint, il reste à devenir un satanique, l'un des deux extrêmes. L'exécration de l'impuissance, la haine du médiocre, c'est, peut-être, l'une des plus indulgentes définitions du Diabolisme. »

 

« On peut avoir l’orgueil de valoir, en crimes, ce qu'un saint vaut en vertus. »

 

Le désir d'une perfection à rebours, dû au penchant cartésien à bien distinguer et à bien définir, serait donc l'excuse logique de cette jalousie orgueilleuse qui a précipité tant d'esprits dans le sillage de Lucifer.

24/08/2022

Charles de Gaulle et la Glazialkosmogonie – I. Le retour de l'Homme de Fer (Jean Parvulesco)

Jean Parvulesco, La spirale prophétique, Un enseignement d'origine suprahumaine, Le retour de l'Homme de Fer, pp. 57-61, Guy Trédaniel Éditeur

 

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Le jeune Charles de Gaulle© Hikari / Pictanovo / FTV

 

Auteur de deux ouvrages fort remarqués sur René Guénon, à savoir René Guénon, Témoin de la Tradition, et René Guénon, la dernière chance de l'Occident, parus, respectivement, en 1978 et 1983 chez le même éditeur parisien, Guy Trédaniel, auquel on ne saura jamais assez reconnaître tout ce lui doit, en France, l'actualité d'une certaine pensée traditionnelle, Jean Robin est, à ce qu'il me semble, le premier à avoir abordé, de plein front le problème, de toute évidence absolument fondamental, qui est celui de l'influence de René Guénon sur Charles de Gaulle et partant sur les plus profondes destinées du gaullisme présent et à venir.

 

Et dans un important article publié par Aurores d'avril 1983, article intitulé René Guénon, un appel aux nouvelles générations, Jean Robin n'hésitera pas à écrire : « Redoublons d'audace : faut-il accorder quelque importance au fait que le générale de Gaulle ait désigné Guénon comme maître spirituel à ses « Compagnons secrets », auxquels il assigna une mission en rapport direct avec ce que nous appellerons la fonction eschatologique de la France ? Cette mission concernait entre autres la réconciliation ultime du spirituel et du temporel, la synthèse finale réalisée par cet Imperium pérenne enfin descendu de la sphère des archétypes, après avoir connu au cours des siècles quelques préfigurations avortées. Sa légitimation spirituelle reviendrait alors, dans cette perspective, à l’Église Gallicane dont de Gaulle appelait de ses vœux la renaissance. L’Église de saint Louis, qui refusait de prendre position contre l'empereur Frédéric II de Hohenstuafen, excommunié par le pape Grégoire IX ». Et ensuite : « Ce renouveau gallican ne saurait être fortuit, surtout si l'on sait l'écho qu'il rencontre dans sa jeunesse, grâce à sa double fidélité, d'une part à la tradition ecclésiale la plus antique, et d'autre part à l'ésotérisme chrétien. Et nous ne saurions mieux faire que de citer ici Michel Vâlsan, qui soulignait que le Gallicanisme, apparemment hétérodoxe, ne fut que l'expression sur le plan ecclésial du privilège qu'avait la France d'être un saint Royaume régi par un roi de droit divin, consacré comme tel par un Chrême céleste spécialement descendu pour assurer historiquement cette investiture ».

 

Or, en parlant de ces « compagnons secrets » de Charles de Gaulle, Jean Robin ne faisait qu'aller ouvertement vers l'ouvrage du R.P Martin (si R.P Martin il y a) intitulé, précisément, Le livre des Compagnons Secrets, ouvrage d'orientation et de travail gallicans avoués, et, ce faisant, renouer avec la tradition eschatologique impériale et solaire ayant trouvé son apogée à la fois le plus éclatant et le plus secret avec l'installation à Versailles de la royauté capétienne dite de droit divin.

 

D'autre part, mes propres habilitations dans le franchissement des cercles intérieurs et les plus interdits du « grand gaullisme » me permettent de faire état, ici, de la véritable emprise, confidentielle peut-être, mais profonde et persistante, exercée, sur le général de Gaulle, à Londres surtout, par Denis Saurat, dont on ne saurait ignoré la fidélité combattante, la fidélité suivie et créative aux thèses cosmologiques, aux cosmogonies différentielles du grandissime Hœrbiger, doctrinaire visionnaire de la Glazialkosomogonie.

 

Ayant fourni ses fondements cosmologiques – mais ne doit-on pas mieux parler, en l’occurrence, de ses fondations cosmologiques – à la géopolitique impériale de Karl Haushofer, et leur horizon cosmogonique de développement intérieur aux organisations de renforcement et de protection idéologique de celle-ci, la Glazialkosomogonie de Hœrbiger reste non seulement l'unique grande tentative de réintégration cosmogonique européenne de la fin de ce millénaire, mais aussi l'infrastructure mentale de l'approche essentiellement cosmologique caractérisant, pour ceux qui savent, l'ensemble de la vision géopolitique planétaire du général de Gaulle et, à partir de cela, la plus secrète intelligence de l'idée transcendantale que l' « homme des tempêtes » s'était forgée au sujet des destinées eschatologiques particulières de la France, ou plutôt de la Frankreich.

 

Hœrbiger, Haushofer, des noms qui sonnent comme le roulement de quatre dés de fer ayant régi le destin actuel du Grand Continent, des autre dés de fer dégageant, entre les Mains de l'Ombre, des irradiations occultes d'une charge de volonté, de puissance et de génie encore et toujours insoutenables : on se retrouve bien loin, en vérité, de l'univers mental débile des contemporains de Charles de Gaulle, l'homme le plus incompris, et, surtout, le plus trahi de son temps. Sait-on seulement que Charles de Gaulle fut, aussi, le trente-quatrième descendant 'en ligne directe authentique et authentifiée », ainsi que vint à l'attester très officiellement le Ministère des Affaires étrangères de Dublin, des anciens Rois d'Irlande, ligne de continuation royale qui, à travers la dynastie guerrière des Clana Rodry et, ensuite, des Mac Cartan, remonte au roi Rudricus le Grand, c'est-à-dire de deux millénaires en arrière de nous ? Et que l'identité confidentielle de la royauté extrême-occidentale de Rudricus le Grand continue à se perpétuer à travers la descendance de Charles de Gaulle ?

 

Enfin, pourquoi, en quittant le pouvoir en 1969, Charles de Gaulle a-t-il si farouchement tenu à se rendre en Irlande ? D'une assez mystérieuse façon, il se fait aussi que c'est en Allemagne qu'il faudrait essayer de trouver une réponse à cette question, une réponse qui fût vraiment décisive, libératrice de l'angoisse foncière de cette question dont la simple formulation, on s'en douterait à moins, gêne intolérablement certaines puissances nocturnes actuellement très e piste si ce n'est déjà en place, en France et ailleurs. Raison de plus pour que l'on y insistât, sachant, aussi, que le vent va bientôt tourner à nouveau.

 

Qui fut, en réalité, Charles de Gaulle ? Et qui était derrière lui, avant même qu'il ne fût lui-même ? Qui continue, aujourd'hui, dans les souterrains de la plus grande histoire, l’œuvre de salut et de délivrance cosmologique entamée par le géant des Deux Églises ? Le géant, je veux dire, dans le sens hœrbigerien du terme, ainsi que l'eût entendu Denis Saurat, c'est-à-dire quelqu'un qui émerge la réalité anthroposophique du cycle cosmologique précédent, et quant aux Deux Églises de sa prédestination de lieu d'accomplissement, songeons, surtout, à ce qui a été dit, ici même, sur les deux institutions occidentales, l’Église et la Maçonnerie, appelées à se perpétuer dans leurs identités propres jusqu'à la conclusion apocalyptique du cycle actuellement déjà si près de sa fin.

 

Et que l'on se rappelle donc, aussi, la série des faits suivants.

 

Durant sa captivité en Allemagne, de 1916 à 1918, le futur fondateur de la Ve République Française avait été détenu en haute Bavière, au camp de sécurité d'Ingolstadt (il avait à son actif cinq tentative d'évasion). Or, au camp de sécurité d'Ingolstadt, Charles de Gaulle eut pour compagnon de détention, entre autres, et je soulignerai fort cet entre autres, Rémy Roure, qui a laissé, sur Ingolstadt, un témoignage succinct mais tout à fait fascinant, ainsi que le futur maréchal de l'Union Soviétique Michaïl Toukhatchecsky, très haut initié de l'Organisation des Polaires et lui-même fondateur des Loges Polaires au sein de l'Armée Rouge. Mais le futur maréchal Michaïl Toukhachevsky devait être, surtout, l'artisan inspiré du grand Pacte Continental franco-soviétique, signé à Moscou par Staline et Laval. Et toujours à Ingolstadt, Charles de Gaulle allait rencontrer, par la suite, le Nonce à Berlin et futur pape Pie XII, Monseigneur Eugenio Pacelli (1876-1958), à ce moment-là, de par ses fonctions mêmes, visiteur apostolique des camps de prisonnier alliés.

 

Enfin, pour forts obscures raisons, et qui, pour bien longtemps encore, je le crains, vont devoir le rester, il est certain que les détenus du camp de sécurité d'Ingolstadt bénéficiaient de la haute et même, en quelque sorte, de la bienveillante attention du général Ludendorff (1857-1937), chef de l'état-major général de l'armée impériale et, par la suite, adjoint du vainqueur de Tannenberg, le feld-marcéhal von Hindenbourg (1847-1934). Sur les bords du Danube, à Ingoldstadt, les acteurs essentiels du prochain drame continental étaient donc rassemblés sur place, comme par l'exercice d'une volonté à la fois occulte et suprême, insaisissable, suprahumaine.

 

L'influence confidentielle de Denis Saurat et de René Guénon sur Charles de Gaulle commence donc à être connue, et l'on vient de laisser entrevoir, aussi, ses approches de la Glazialkosmogonie de Hœrbiger et, à travers celui-ci, de la géopolitique à fondations occultement cosmologiques de Karl Haushofer. A ce sujet, les archives réservées de l'Institut Hœrbiger de Vienne risquent de contenir, pour des chercheurs dûment habilités, un certain nombre de surprises de taille.

 

Il m'est également loisible de donner, ici et maintenant, les meilleures assurances quant au fait d'une prochaine mise à découverte intentionnée, et qui ne manquera pas d'être étayée par des preuves concluantes, des relations que Charles de Gaulle avait entretenu, aux alentours des années trente, avec la centrale parisienne des Loges Polaires, où, à ce que je crois m'être laissé confier par qui n'a pas à se tromper, aurait été conçu et préparé, du côté français, le projet de grand Pacte Continental Staline-Laval.

 

D'autre part, je ne pense pas qu'il faille un trop dur effort pour entrevoir la juste direction dans laquelle il s'agit d'investiguer pour trouver quelles durent être, dans les temps de son trempage théurgique, les relations de Charles de Gaulle avec les instances visibles et autres de l’Église, dont, pour avoir été, depuis toujours, un pratiquant très éclairé et très fidèle aux sacrements, des voies plus ardentes et plus dangereusement illuminantes et hautes n'eussent guère pu manquer de lui être laissées (son gallicanisme, on l'aura bien compris, n'ayant jamais été anti-romain, mais le chemin de la traversée vers l'intérieur caché et protégé de ce dont l’Église ne représenterait, dans ses actuels états, que l'enceinte immédiate et comme peut-être, déjà, partiellement sacrifiée).

 

On ne le voit que trop bien, cela fait beaucoup de logis philosophiques à visiter pour une seule existence et pour un seul ministère. Cependant, il ne faut pas confondre la puissance et ses attributs, lit-on dans Le fil de l’Épée.

 

Mais n'y a-t-il pas aussi une instance pontificale, la plus occulte de toutes, qui rassemblerait l'ensemble de cette quête occidentale en un seul refuge et donnerait à ce vertigineux tourbillons théurgique qu'aura été l'enclos des plus grandes fréquentations spirituelles de Charles de Gaulle le visage, fût-il par neuf fois voilé d'indigo, de son Unique Présentation ?