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21/06/2023

El Desdichado

 

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Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Étoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

 

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.

 

Suis-je Amour ou Phébus ?… Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène…

 

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

 

Gérard de Nerval

15/04/2023

Des milliards de mystères (Barjavel)

Barjavel, La nuit des temps, pp. 306-310, Presses de la Cité

 

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Le même jour, Coban ressuscité, Coban en danger de mort, l'équation de Zoran expliquée ou à jamais perdue. Les foules les plus obtuses comprirent que quelque chose de fabuleusement important pour elles était en train de se jouer près du pôle Sud, à l'intérieur d'un homme que la mort retenait par la main.

 

- Essayez de réaliser ce qui se passe à l'intérieur de cet homme. Le tissu de ses poumons est brûlé, en partie détruit. Pour qu'il puisse recommencer à respirer normalement, à survivre, et vivre, il faut que ce qui reste de ce tissu régénère ce qui n'existe plus. Lui dort encore. Il a commencé à dormir il y a 900 000 ans et il continue. Mais la chair de son corps est éveillée et se défend. Et s'il était lui-même éveillé, ça ne changerait rien. Il ne pourrait rien de plus. Ce n'est pas lui qui commande. Son corps n'a pas besoin de lui. Les cellules du tissu pulmonaire, les merveilleuses petites usines vivantes sont en train de fabriquer à toute vitesse de nouvelles usines qui leur ressemblent, pour remplacer celles que le froid ou la flamme a détruites. En même temps, elles font leur travail ordinaire, multiple, incroyablement complexe, dans les domaines chimique, physique, électronique, vital. Elles reçoivent, choisissent, transforment, fabriquent, détruisent, retiennent , rejettent, réservent, dosent, obéissent, ordonnent, coordonnent avec une sûreté et une intelligence stupéfiantes. Chacune d'elles sait plus que milles ingénieurs médecins et architectes. Ce sont des cellules ordinaires, d'un corps vivant. Nous sommes construits de milliards de cela, milliards de mystères, milliards de complexes microscopiques obstinés à leur tâche fantastiquement compliquée. Qui les commandes, ces merveilleuses petites cellules ? Est-ce que c'est vous, Vigmont ?

- Oh ! m'sieur...

- Alors, qui les commandes, vos petites cellules ? Qui leur ordonne de faire ce qu'elles ont à faire ? Qui les a construites comme il fallait pour qu'elles puissent le faire ? Qui les a mises chacune à sa place, dans votre foie, dans votre petite cervelle, dans la rétine de vos beaux yeux ? Qui ? Répondez, Vigmont, répondez !

- Je ne sais pas, m'sieur.

- Vous ne savez pas ?

- Non, m'sieur.

- Moi non plus, Vigmont. Et qu'est-ce que vous savez, à part ça ?

- Heu...

- Vous ne savez rien, Vigmont...

- Non, m'sieur.

- Dites-moi : « Je ne sais rien ».

- Je ne sais rien, m'sieur.

- Bravo ! Regardez-les les autres, ils irent, ils se moquent, ils croient savoir quelque chose. Qu'est-ce qu'ils savent, Vigmont ?

- Je ne sais pas, m'sieur.

- Ils ne savent rien, Vigmont. Qu'est-ce que je dessine au tableau, vous reconnaissez ?

- Oui, m'sieur.

- Qu'est-ce que c'est ? Dites-le.

- C'est l'équation de Zoban, m'sieur.

- Ecoutez-les rire, ces idiots parce que vous vous êtes trompé d'une consonne. Croyez-vous qu'ils en savent plus que vous ? Croyez-vous qu'ils savent la lire ?

- Non, m'sieur.

- Et pourtant ils sont fiers d'eux, ils rigolent, ils se moquent ; ils se croient intelligents, ils vous prennent pour un idiot. Est-ce que vous êtes idiot, Vigmont ?

- Je m'en fous, m'sieur.

- C'est très bien, Vgmont. Mais ce n'est pas vrai. Vous êtes inquiet. Vous vous dites : « Je suis peut-être idiot. » Je vous rassure : vous n'êtes pas diot ! Vous êtes fait des mêmes petites cellules que l'homme dont les poumons sont en train de saigner au point 612, exactement les mêmes que celles dont était fait Zoran, l'homme qui a trouvé la clé du champ universel. Des milliards de petites cellules suprêmement intelligentes. Exactement les mêmes que les miennes monsieur Vigmont, et les miennes sont agrégées de philosophie. Vous vpyez bien que vous n'êtes pas idiot !

- Oui, m'sieur.

- Tenez, le voilà l'idiot : Jules-Jacques Ardillon, premier partout depuis la sixième, grosse tête ! Il croit qu'il sait quelque chose, il croit qu'il est intelligent. Non, monsieur Ardillon, je crois et je sais que vous êtes idiot. Est-ce que vous savez lire l'équation de Zoran ?

- Non, monsieur.

- Et si vous saviez la lire, est-ce vous sauriez ce qu'elle signifie ?

- Je pense que oui, monsieur.

- Vous pensez !... Vous pensez !... Quelle chance ! Vous êtes un Ardillon pensant ! Vous auriez dans la poche la clé de la vie et de la mort. Qu'est-ce vous feriez, monsieur-Ardillon-pensant ?

- Heu...

- Voilà, monsieur Ardillon, voilà...

- Général, vous avez entendu les nouvelles ?

- Oui, monsieur le Président.

- Ce Co... comment ?

- Coban.

- ...Coban, ils l'ont réveillé.

- Ils l'ont réveillé...

- Ils vont peut-être le sauver ?

- Peut-être...

- Ils sont fous !

- Ils sont fous...

- Cette équation de machin, vous y comprenez quelque chose ?

- Moi, vous savez, les équations...

- Même au C.N.R.S, ils n'y comprennent rien !

- Rien !...

- Mais c'est pire que la Bombe !

- Pire...

- D'un autre côté, ça peut avoir du bon...

- Ça peut...

- Mais même ce bon, ça peut avoir du mauvais.

- Mauvais, mauvais.

- Pensez à la Chine !

- J'y pense.

- Mettez-vous à sa place !

- C'est un peu grand...

- Faites un effort ! Qu'est-ce que vous penseriez ? Vous penseriez. « C'est encore ces salauds de Blancs qui vont mettre la main sur ce truc. Au moment où nous allions les égaler, peut-être les dépasser, ils vont de nouveau prendre mille ans d'avance. Il faut pas. Il faut absolument pas. » Voilà ce que vous penseriez si vous étiez la Chine.

- Évidement... Vous croyez qu'ils vont saboter ?

- Saboter, enlever, attaquer, massacrer, je n'en sais rien. Peut-être rien du tout. Comment savoir avec les Chinois ?

- Comment savoir...

- Comment ! Comment savoir ? C'est votre métier de savoir ! Vous dirigez les S.R ! les S.R ce sont les Services de Renseignements ! On l'oublie un peu trop ! Vous tout le premier ! Surveillez la Chine, général ! Surveillez la Chine ! C'est de là que ça viendra...

 

La force internationale aéronavale stationnée au nord de Terre Adélie se déploya dans les trois dimensions en forme de bouclier, et resta en alerte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Elle avait des yeux en l'air et au-dessus de l'air, et des oreilles jusqu'au fond de l'océan

19/03/2023

La Russie (Gérard de Nerval)

 

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I.


Arrête, esprit sublime ! arrête !
Du sort crains de braver les lois !
Dieu qui commande à la tempête
L'agite sur le front des rois ;
Son bras pourra réduire en poudre
Ton laurier qu'on croit immortel,...
Et tu t'approches de la foudre,
En t'élançant aux champs du ciel.
Silence ! La Nuit veille encore ,
Les arrêts du Destin ne sont pas révolus :
Mais à l'ombre qui fuit succédera l'aurore,...
Et celle d'Austerlitz ne reparaîtra plus !



Dans le palais des Czars, Napoléon repose : —
Sans doute un songe heureux, sur ses ailes de rose,
D'héroïques tableaux vient bercer son espoir : —
Il est là ! dans Moscou soumis à son pouvoir !...
Mais ce n'est pas assez : quand pour lui tout conspire,
Quand d'un nouvel éclat tout son astre a relui,
Un destin plus brillant a de quoi le séduire...
Cet empire dompté... Qu'ai-je dit ? Un empire !
Le monde entier, le monde... et c'est bien peu pour lui.



II.



Mais, qu'il rêve d'éclat ! qu'il rêve de conquête !
Il ne dormira plus d'un semblable sommeil :
Près du chevet royal où repose sa tête,
Le malheur est debout,... et l'attend au réveil !



Le malheur ! il grandit à la faveur de l'ombre ;
Bientôt le sol gémit sous son colosse affreux,
Son œil rouge étincelle au sein de la nuit sombre,
Et sur son front cadavéreux,
Qu'un sanglant nuage environne,
Brille de longs éclairs, une horrible couronne.
Il vomit l'incendie ; aux traces de ses pas,
De sang noir un fleuve bouillonne,
Et ses bras sont chargés de neige et de frimas.



Il s'élance ! — On s'éveille, on voit,.... on doute encore !
D'un premier jour de deuil épouvantable aurore,
Quelle clarté soudaine a frappé tous les yeux ?
La flamme à longs replis s'élance vers les cieux,
Gronde, s'étend, s'agite, environne et dévore.
Oh ! de quelle stupeur Bonaparte est frappé,
Quand devant lui Moscou s'écroule, enveloppé
De l'incendie affreux, que chaque instant rallume !
Qu'un triste sentiment doit ; alors l'émouvoir !...
C'est son triomphe, hélas ! ses projets, son espoir,
Qu'emporte la fumée, et que le feu consume !



III.



Son front s'est incliné : d'un brillant souvenir
Il veut en vain flatter sa pensée incertaine...
Mais le passé n'est plus qu'une image lointaine
Qui s'abîme dans l'avenir !
Peut-être d'autres temps lui présentaient naguère
Du pouvoir des humains les splendeurs passagères,
Des sceptres, des bandeaux, sublimes attributs ;
Hélas ! au jour du deuil tout souvenir s'efface ;
Quand l'avenir est là, qui gronde, qui menace,
L'image du bonheur n'est qu'un tourment de plus !



Cet avenir,... ô France ! ô ma noble patrie !
Toute sa profondeur bientôt se déroula :
Quelle est la nation qui n'en fut attendrie ?
Quel est l'homme qui n'en trembla ?
Et tel fut le destin dont tu tombas victime,
Que l'on ignore encore si, du fond de l'abîme,
Jalouse de ta gloire, et croyant la ternir,
La haine de l'enfer amoncela l'orage,...
Ou, du trop de grandeur dont tu fis ton partage,
Si l'équité du ciel prétendit te punir !



IV.



Dans cette héroïque retraite,
Qui des guerriers français a moissonné la fleur,
L'enfer ou le ciel fut vainqueur...
Mais nul pouvoir humain n'eut part à leur défaite. —
C'est en vain que du Nord les hideux bataillons,
Palpitants d'une horrible joie,
Fondaient sur les mourants en épais tourbillons,
Comme des corbeaux sur leur proie : —
Ardents, ils s'élançaient : mais, au bruit de leurs pas,
De quelque arme usée ou grossière
L'agonie un instant armait son faible bras,
Par un dernier effort, s'arrachait à la terre,
Que de morts elle allait couvrir...
Et dans cette couche guerrière
Exhalait le dernier soupir !



Ô gloire ! À cet aspect de la mort ranimée,
Des preux, dont le trépas semble encore menacer,
L'ennemi dans ses rangs vient de laisser passer
Les lambeaux de la Grande Armée :
Tant qu'il reste des bras pour soutenir son poids,
La bannière voltige à l'entour de sa lance,
L'aigle triomphateur dans les airs se balance,
Et sa menace encore fait tressaillir les rois !
Ô Russes, déjà fiers des triomphes faciles
Que votre espoir s'était promis,
Il ose à vos regards surpris
Passer, toujours debout sur ses appuis mobiles ! —
Mais, hélas ! contre lui si vos efforts sont vains,
Bientôt votre climat vengera votre injure,
Rassurez-vous : celui qui vainquit les humains
Est sans pouvoir sur la nature !



V.



Eh bien ! c'en est donc fait !... Nos compagnons sont morts,
Ils dorment aux déserts de la froide Russie,
La neige des hivers sur eux s'est épaissie,
Et, comme un grand linceul, enveloppe leurs corps !
Bien peu furent sauvés : mais combien la patrie
Dut réveiller d'amour en leur âme attendrie !
Ils avaient vu sur eux tant de ciels étrangers,
Supporté tant de maux, couru tant de dangers,
Qu'ils durent bien sentir, en revoyant la France,
Si la terre natale est douce après l'absence ! —
Mais leur enchantement fut bientôt dissipé,
La haine, la discorde agitaient nos provinces,
D'autres temps en nos murs amenaient d'autres princes,
Et le présent payait les dettes du passé.

 

Gérard de Nerval