Le Grand Jeu (Jean Parvulesco) (08/01/2024)

Jean Parvulesco, Un Retour en Colchide, Acqua Alta, pp. 230/232, aux édition Guy Trédaniel Editeur

 

(620) Cet après-midi, j'ai pris un verre, au parc de la Muette, avec Cyril Loriot, le principal responsable des éditions parisiennes Le Grand Souffle. Sous l'influence directe et avouée de ce qu'avait été, dans son temps, Le Grand Jeu, les principaux protagonistes actuels du Grand Souffle semblent agir comme un groupe dont l'objectif premier serait celui de susciter des rencontres fertiles entre divers courants antagonistes de pensée, d'engagement, de doctrine, de « vision de la vie ». Des rencontres ne cherchant pas tellement à surmonter leurs oppositions foncières, mais à faire acte de leurs confrontations lucides, en vue de certaines constatations ultérieures, essentiellement imprévues pour le moment. Dans la « chaleur d'être là », écrit Cyril Loriot, Le Grand Souffle entend mener la « guerre sainte contre la pensée du monde moderne ».

 

Je sais qu'il vient de demander à Alain Santacreu d'être responsable d'une collection intitulée Contrelittérature. Ce dernier définit ainsi les buts de sa nouvelle charge missionnaire : «  De même que le Graal fut la pierre tissée – lapis textilis – de la littérature arthurienne, le Sacré-Cœur est le blason de la contrelittérature, sa mise en demeure ». (Léon XIII : «  Aujourd'hui, un autre symbole divin, présage très heureux, apparaît à nos yeux : c'est le Cœur très sacré de Jésus, resplendissant d'un éclat incomparable au milieu des flammes... »)

 

A la fin de notre entretien d'aujourd'hui, Cyril Loriot vint à me demander brusquement, comme s'il voulait conclure :

- Mais, en définitive, qui êtes-vous, Jean Parvulesco ? Qui êtes-vous, et qu'est-ce que vous êtes en train de vouloir faire ? Quels sont vos buts ultimes ?

J'ai répondu :

- Je suis un agent secret du Christ. Un agent secret de Jésus. Ce que j'entends faire, c'est ouvrir les chemins du Regnum Christi dont l'avènement, désormais, n'est plus tellement lointain ; dont il se pourrait même qu'il fut, en quelque sorte, imminent. Vous voyez, j'ose le dire.

 

- Est-ce possible ? Comment pouvez-vous penser un seul instant que l'hindouisme ; que le bouddhisme, que l'islamisme pourraient accepter la conception catholique de la personne humaine ? Pour toutes ces religions – pour toutes ces civilisations – la personne humaine n'existe pas, ne possède aucune espèce d'importance, car seule compte pour elles le « tout cosmique ».

 

- Elles finiront par y venir, ces religions du « tout cosmique ». Déjà saint Maximilien Kolbe avait réussi à installer au Japon, à Nagasaki – à Nagasaki justement – une communauté catholique extrêmement importante, de plus en plus active, dont seule la guerre a arrêté le développement. Souvenez-vous qu'il a eu la grâce de voir en avant les noces finales de l'hindouisme et du catholicisme. La visite en Inde de Jean-Paul II a constitué – confidentiellement peut-être, mais très certainement – un immense pas en avant quand une jeune prêtresse hindoue lui a tracé le « signe rouge », le « trident » sur le front. J'ai gardé une photo du moment extraordinairement significatif où cette jeune femme a marqué au rouge le front de Jean-Paul II, et je ne cesse de la regarder.

 

C'est alors que Cyril Loriot a fini par me poser la question qui le taraudait à mon égard :

- Mais, ainsi que l'on n'a pas cessé de me le répéter de tous les côtés, est-ce vrai que vous seriez d' « extrême droite » ?

 

- Moi, d'extrême droite ? Ah, la sordide blague ! Non, je ne suis pas et n'ai jamais été d'extrême droite. Je suis, et j'ai toujours été, de l'extrême droite de l'extrême droite... Car je tiens à me situer moi-même et c'est là qu'est vraiment ma place...

 

- Bon, maintenant je crois avoir compris... Je ne vous cache pas que cela me dérange, pour moi-même et pour le Grand Souffle...

 

- Ah ! Que non ! En réalité, vous n'avez pas, vous ne pouvez avoir compris rien du tout, parce que l'heure n'est pas encore venue pour cela... Mais je vous le dis : ma parole est la dernière parole de ce monde, et par cela même la parole nouvelle aussi, la parole absolument nouvelle, la toute première « parole nouvelle ». Ou, si l'on veut, l'outre-parole à venir...

 

Dehors il pleuvait à verse, une pluie raide et glacée d'hiver. A quatre heures de l'après-midi, il fait déjà nuit. Je bois du champagne, je suis autre et ailleurs. Derrière moi, devant moi, il n'y a plus qu'un désert immense et tranquille. Une morne aube s'élevant sur les marges incertaines d'une nuit incertaine, et maintenant il me faudra faire avec.

 

Cyril Loriot m'apprend que les jeunes gens du Grand Jeu étaient tous communistes, membres du PCF. (Les éditions du Grand Souffle ont récemment réédité Le Grand Jeu, Les enfants de Rimbaud, de Michel Random, ainsi que deux livres décisifs de Rolland de Renéville, L'expérience poétique, ou le feu secret du langage ainsi que Rimbaud le voyant).

 

(620)  « Au bout de sept cents ans le laurier reverdira. » Une longue, trop longue étape, vient d'être achevée, ou est en train de l'être. Le sommeil sacré – qui n'a jamais été qu'une demi-veille – n'est sans doute plus de mise. J'ai peut-être (en parlant ici de l'anti-parole à venir) dit plus que je n'avais le droit de dire déjà. Cette incontenance ne serait-elle pas une épreuve obligée, un seuil dangereux à franchir ? Une instance d'initiation spirituelle à prendre entièrement sur moi ? Le « mystérieux ruisseau interdit » dont parlait Regius Montanus, et qu'il faut enjamber à l'heure suprêmement décisive que je vois à présent ?

 

La rencontre de cet après-midi avec Cyril Loriot a-t-elle agi sur moi comme une provocation inattendue, comme une incitation à sauter le pas ?

 

Dans tous les cas, elle a eu sur moi un effet philosophiquement irrémédiable. Quelque chose s'est produit dont il m'est impossible d'ignorer l'importance, le voile de la virginité d'Artémis d’Éphèse a été déchiré.

 

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