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30/12/2022

Les Thèses de la Nouvelle Rome (Raymond Abellio)

Raymond Abellio, La Fosse de Babel, X, 50. Les Thèses de la Nouvelle Rome, pp. 311-313, L’Imaginaire Gallimard

 

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X

 

Toutes choses passeront. Rien ne demeurera que la mort et la gloire des morts.

Edda islandaise.

 

50. Les Thèses de la Nouvelle Rome.

 

La répugnance de l'abbé d'Aquilla à convoquer ses amis en réunion plénière ne tint pas longtemps devant l'insistance de Drameille, qui trouva en plus un allié aussi décidé que lui en la personne de ce second vicaire de la porte de Choisy dont d'Aquilla avait parlé, l'abbé Domenech, que dévorait l'envie de sortir des formes ordinaires de l'action. Ancien prêtre-ouvrier comme d'Aquilla et ayant ressenti, comme ce dernier, devant le communisme, la même fascination exaltante et peureuse, ce Catalan aux yeux de feu, petit et trapu, aux épaules larges et à la nuque courte, état l'image même de ces dévouements sans limites, toujours déçus, auxquels il faut donner beaucoup pour éviter qu'ils se donnent trop ; mais d'Aquilla justement savait donner et savait aussi recevoir. Domenech n'était pas un rebelle c'était un affamé, il ne répondait à la décadence ou l'impureté de l’Église que par un surcroît d'ardeur et de foi. Il s'indignait peu. Ce n'est d'ailleurs jamais par la vaine pompe de ses cérémonies ou le luxe de ses dignitaires qu'une Église se perd mais par la sclérose de ses dogmes, le dessèchement de ses rites, le déracinement de ses symboles, qui appellent eux-mêmes, par compensation, cette splendeur, ce luxe, cette pompe, comme le visage flétri d'une femme hors d'âge appelle des fards excessifs. Domenech n'en était même plus à déplorer l'inefficacité de la morale chrétienne et l'hypocrisie de la société élevée sur cette radieuse utopie. Il voyait l’Église, il voyait la société occidentale emportées par le torrent de l'histoire, et au fond cette fin sans gloire le touchait peu. Et même si, comme d'Aquilla, il avait été longtemps saisi par la fiévreuse grandeur des masses en éveil, qui ignoraient ou insultaient Dieu, il résistait aujourd'hui, et de toutes ses forces, au besoin primitif de se perdre en elles. Ce qu'il cherchait au fond, sans bien le savoir encore, c'était, un peu comme Poliakhine, la participation à quelque gloire invisible suspendue loin du monde et qui, lorsqu'elle s'approcherait de la terre, exigerait le sacrifice et même la mort des précurseurs. Cette espèce est désormais commune. En attendant, Domenech s'interrogeait beaucoup. Les anciens dieux l'avaient déçu mais il cherchait encore les nouveaux. Au sein des masses, il s'était pris à tort pour un germe, une semence. Aujourd'hui, il se disait qu'il lui fallait d'abord s’ensemencer lui-même. Il en était à ce point où le futur rebelle se demande si la discipline est une marque d'humilité, ou de paresse, ou de lâcheté. D'Aquilla ne lui fit faire la connaissance de Drameille que pour le décomprimer un peu.

 

(...)

 

Selon Drameille, les Thèses de la Nouvelle Rome devaient comprendre quatre parties : une mystique, où devaient justement être étudiés les problèmes de l’impersonnalité et du vide divins, par quoi seraient dépassés les théologies usuelles ; une symbolique, où serait affirmée et démontrée l'unité transcendante de toutes les religions ; une éthique, qui effacerait la distinction abstraite et banale du bien et du mal, supprimerait toutes les règles et tous les vœux, et les plus apparemment négatives : la guerre et le meurtre, dans la positivité absolue de l'esprit ; une politique enfin, qui créerait les bases du futur « communisme sacerdotale », par dépassement, dans l'histoire et hors de l'histoire, du communisme simplement matériel.

 

Drameille avait depuis longtemps écarté les divers existentialismes, qui restent dévotionnels. Il n'accueillait pas davantage l'évolutionnisme naïf du P. Teilhard de Chardin. Cette philosophie optimiste de l'avenir était, pour lui, beaucoup trop linéaire. Plaçant l'homme idéal dans l'avenir, elle restait, dans l'actuel, au niveau de l'homme banal.

 

« On nous parle de seuils successifs, disait Drameille. Le premier aurait été franchi par l'homme quand il a pris conscience de ses instincts. Mais ce n'est pas ce premier seuil, ou un seuil quelconque qui m’intéresse, c'est le dernier, quand l'homme prend conscience de sa conscience et intensifie celle-ci jusqu'à la vision de la structure absolue. Ce seuil-là n'est plus dans l'avenir, mais dans le présent, le présent éternel. Il est diluvien. Quelques hommes déjà l'ont atteint. Pour eux, il n'est plus d'évolution, ni de seuils. »

14/12/2022

Des visitations charitables (Jean Parvulesco au sujet de la conversion de René Guénon à l'Islam)

Jean Parvulesco, Le Soleil Rouge de Raymond Abellio, Raymon Abellio et la montée planétaire d'un nouveau terrorisme, le terrorisme métapolitique, Des visitations charitables, pp. 109-, Guy Trédaniel Editeur

 

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Chaque saison spirituelle et théosophique du monde conçu comme une spirale assomptionnelle en marche vers le soleil occulte de son propre centre, toujours en élévation, chaque saison spirituelle et théosophique du monde compris, de par cela même, suivant le cours de son plus grand dessein cyclique, dispose, les anciens philosophes le savaient aussi, d'une sorte de préfiguation énigmatique propre.

 

Quelle serait donc cette préfiguration énigmatique des temps d'incertitudes nihilistes, de désir secret d'auto-anéantissement et d’horreur apocalyptique finale qui sont les temps de notre génération ? Dans l'espace de plus en plus crépusculaire où semblent s'accomplir aujourd'hui les dernières destinées européennes du monde, cette préfiguration énigmatique apparaît, je crois, et se déclare – à supposer que l'on fût en état de lire, de s’approprier les signes ultimes – avec le mystère de ce qu'il est convenu d'appeler le passage de René Guénon à l'Islam et, d'autre part, avec les implications générales, métahistoriques et plus élevées encore, et plus cachées, de cette conversion qui, en tout état de cause et quoi qu'il en est, n'en fut pas une. En effet, on se souvient que, dans une correspondance désormais célèbre, René Guénon confessait très clairement qu'il ne s'était jamais converti à rien. Je cite : « Nous n'avons jamais été converti à quoi que ce soit ». René Guénon nierait-il ainsi son incursion notoire dans l'Islam, son rattachement à celui-ci ? Absolument pas. Ce que René Guénon voulait dire, c'est que des grands spirituels ayant franchi certains degrés ultimes de la spirale occulte qui régit toute montée initiatique majeure parviennent, un jour, à des hauteurs où les appartenances spécifiantes ne signifient plus rien, et d'où la visitation ultérieure des logis prophétiques des uns et des autres relèvent exclusivement de la charité sacrificielle, de ce que l'on appelle, aussi, la réalisation descendante.

 

Encore une fois donc : certains spirituels engagés, par choix providentiel, dans la spirale des plus exceptionnelles montées initiatiques et dépassant, ainsi, l'étage des appartenances spécifiantes, peuvent envisager d'entreprendre la visitation missionnaire des demeures traditionnelles de leur choix, ou du choix qu'on leur imposerait, car, eux-mêmes déjà hors de toute spécifications trouveraient alors, dans la redescente vers le monde de la séparation, matière à donation charitable soit de l'ordre de l'enseignement secret soit de celui des conspirations théologales, cosmologiques ou métahistoriques dont les sens échappe d'avance à toute appréciation extérieure au domaine de leur action propre.

 

En tout cas, c'est la dialectique de cette visitation descendante qui doit arrêter, définir le statut le plus juste du passage à l'Islam, de la soi-disant conversion islamique de l'homme plus ou moins appelé René Guénon : sur les sommets de la déspécification, le mystère de ce qui s'est fait avec René Guénon dans les couloirs d'influence de l'Islam le plus haut devra rester dans doute à jamais non-dévoilé, un mystère sans faille et ne concernant que ce qu'il y avait eu à faire quand cela s'est fait, dans les conditions et à l'heure majeure où il fallait que cela se fasse.

 

Mais la si mystérieuse visitation descendante de l'Islam charitablement assumé par René Guénon ne saurait en aucun cas être prise pour modèle, ni suivie donc, ni imitée, ni surtout envisagée comme le signe de je ne sais quelle entreprise de grand glissement religieux à venir, où l'Occident se devrait de rejoindre, d'une manière ou autre, les hautes terres spirituelles de l'Islam. L'aventure spirituelle de René Guénon à l'ombre de l'Islam ne concerne que René Guénon lui-même et certains groupes de ses témoins directs, et c'est à travers René Guénon et ces groupes de témoins directs, exclusivement – je pense aux groupes de travail spirituel polarisés par Michel Vâlsan – que la station islamique du grand spirituel de Blois se trouve appelée à influencer, dans les temps prévus pour cela, les destinées profondes du monde occidental à sa fin.

 

Le salut spirituel et la délivrance du monde de l'Ouest plongé, actuellement, dans le mystère de sa plus grande nuit antarctique, le reconditionnement cosmologique et métapsychique profond de l'Occident à sa fin devront se faire par d'autres voies et, en attendant que l'heure suprêmement décisive émerge des ténèbres, se poursuivent par d'autres voies encore, clandestinement. En attendant donc le prochain grand réveil des confréries ésotériques occidentales, les tous petits groupes, voire même les éléments séparés, plongés dans la plus profonde clandestinité ontologique et spirituelle, qui, aujourd'hui, en Europe et à l'intérieur des espaces continentaux de prédestination européenne, se gardent en état d'éveil et n'en finissent plus de faire la volonté occulte de l'Esprit et de l'Imperium d'embrasement que celui-ci entretient dans l’invisible, reçoivent leur nourriture vivante par la voie des trois derniers canaux de conduction souterraine, nocturne, illégale et secrète, conduction que j'appellerai celle des dernières voies polaires. Quelles sont celles-ci ?...

11/11/2022

La littérature par la mort (Jean Parvulesco)

Jean Parvulesco, La confirmation boréale, Sur le testament visionnaire de Dominique de Roux, La littérature par la mort, pp. 141-143, Alexipharmaque

 

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Moellere van den Bruck, T.E Lawrence, Drieu la Rochelle, Che Guevrara, autant de vies rêvées que la mort a portées à la littérature, alors que, même si sa vie à lui aussi devient aujourd'hui, par le contre-détournement de la mort, l'écriture finale d'une littérature d'au-delà de la fin, c'est la littérature qui a délivré Dominique de Roux à la mort. Non que la part de l'action directe y fût moins grande qu'elle ne l'eût été dans l'existence immédiate des seuls aventuriers de la vie, mais, chez Dominique de Roux, ce n'est pas l'éternité qui fût sacrifiée à l'instant, mais l'instant qui, à travers la littérature, s'est vu sacrifier à l'éternité, ou à une pétition d'éternité farouchement annoncée, voulue désespérément, vécue comme un rêve en transparence et sans fin voué à la seule transparence du refus de l'immédiat sacrifié à d'autres fins.

 

Le livre sur lequel Dominique de Roux devait faire ses adieux à la littérature avant qu'il n'aille entièrement à l'action, ne l'avait-il pas intitulé Immédiatement ? Car la littérature pour la vie, c'est la littérature des vies qui ne rejoignent la littérature que par la mort, alors que, dans la littérature par la mort, c'est la littérature qui se charge de ramener la vie à la mort et de la livrer au vertige de l’innommable en échange de cette limpidité à vide où toute parole s'invente son propre éclat d'être, et où l'être n'est plus que dans cet éclat et cet éclat lui-même.

 

C'est que, dans la littérature pour la vie, désertée par la vie et par tous les pouvoirs de la vie, Dominique de Roux savait ne plus trouver que le sillon obscur de la décadence et de l'avènement du non-être, tandis que, dans les temps terribles et vides du Kâli-Yuga, la littérature par la mort ouvrait au moins, devant lui, les chemins escarpés de la tragédie d'au-delà de la tragédie, l' « ancien sentier aryen que l'on avait oublié » et qui, seul, peut s'établir un passage vers l'espace interdit de l'être à venir. Car, à venir, infiniment à venir, l'être l'aura été et le sera toujours, mais à venir après quoi ? Après, précisément, la fin de tout, et après la fin de l'être lui-même. L'être n'est jamais que l'être d'au-delà de la fin de l'être. « Avant que l'être puisse se montrer dans sa vérité initiale, écrit Heidegger, il faut que l'être comme volonté soit brisé ; que le monde soit renversé, la terre livrée à la dévastation et l'homme contraint à ce que devient sensible, au cours d'un long intervalle, la durée abrupte du commencement. Dans le déclin tout prend fin : tout, c'est-à-dire l'étant dans l'horizon entier de la vérité métaphysique. Le déclin s'est déjà produit. Les suites de cet événement sont les grands faits de l'histoire mondiale qui ont marqué ce siècle. Ils indiquent seulement le cours dernier de ce qui a déjà pris fin. »

 

Or, c'est bien là que demeure la raison foncière de l’extraordinaire paradoxe qui régit les voies de la littérature par la mort et le mystère en procédure de ce terrible suicide ontologique et existentiel qui en accomplit les destinées – et qui n'est, en fait, rien d'autre que le glissement accéléré de la littérature vers la vie, le déplacement abrupt de l'écriture en tant qu'existence vers l'existence en tant qu'écriture, où l'on retrouve, aussi, l'ancien « épanchement du rêve dans la vie » » de Nerval. Mais une fois cet engagement pris, l'engagement de la littérature par la mort, celle-ci ne manquera pas d'y faire l'étalage de ses redoutables pouvoirs de révélation, de ses pouvoirs révolutionnaires d'état, dont les plus avancés sont ses pouvoirs orphiques des commencements, qui sont ceux de la vision intérieure des pouvoirs originaires, des pouvoirs, donc, de faire et de défaire théurgiquement l'histoire à travers la conscience de la conscience de l’histoire qu'ils sont appelés à changer, qu'ils illuminent et obscurcissent tour à tour suivant les poussées de la marche la plus occulte des signes qui sont dans les cieux, de leurs développements tragiques et voilés et de leurs anamorphoses.

 

Et pourtant, si la littérature par la mort confère des pouvoirs, pouvoirs de vision, et, aussi, vision des pouvoirs, ceux-ci s'avèrent toujours, dans les aboutissements de l'écriture finale, non comme des pouvoirs de mort, mais comme des pouvoirs de vie et de renouvellement de la vie dans ses plus grandes profondeurs. Car, dans les temps du Kâli-Yuga, c'est la littérature par la mort qui livre le passage, qui libère et qui dégage l'ouverture cachée vers le défilé de la vie à venir et qui ne viendra peut-être pas.

 

Dans Maison Jaune, Dominique de Roux écrit quelques pages décisives, où les pouvoirs de vision de la littérature par la mort rencontrent nuptialement la vision des pouvoirs intérieures de l'être lui-même face aux stratégies finales du non-être, et cette rencontre sera, précisément, celle de l'heure et du lieu des Temps du Répit, où prennent souffle, parole, conscience et assises, au-delà de tout désastre historique et même transhistorique, les puissances occultes d'une géopolitique transcendantale se voulant et se sachant porteuse, déjà, des destinées impériales du Maître du Répit, dont l'avènement et la fortune nouvelle peuvent désormais paraître comme encore une fois possibles.

 

« Cette chair vive – seul ce qui est bâti dans la chair règne sans fin, la chair dite au noir ou plus exactement au rouge sombre, et que la chair aille à la chair, dans l'essor de la spirale sans fin à la limite dernière, donner la parole au Dieu d'Eau, donner à nouveau la parole à la pauvre terre », dit un fragment fondamental de Maison Jaune, comme pour établir la doctrine de l'interrogation qui donne son sens le plus caché – et tout son sens – à la tentative de sauvetage entreprise par Dominique de Roux au bord de cet abîme là, où nous allons nous-mêmes et où, désormais, tout va. Mais, cette interrogation ultime sur la mort, sur le sens de la mort et sur son utilisation théurgique, la plus secrète et la plus interdite de toutes ?

 

Dés les premières lignes de Maison Jaune, Dominique de Roux se demande, en effet, comment échapper à la mort, comment échapper à l'alternance, comment échapper à la pourriture et à la pureté de la mort : «  Comment échapper à l'alternance, comment échapper au vertige ensoleillé de la mort, aux lents sous-bois de la vie contaminée par l'enchantement wagnérien et les ombres de l'éternel hiver ? La réponse existe, et de tout temps elle a été considérée comme inexplicablement criminelle : il faut s'entourer de vide et de sables, ou bien alors de la chair pantelante et douce d'une jeune femme sacrifiée. Vaincre la mort par la mort même de la mort et, dans le vide foudroyé par le vide intérieure de tout vide, célébrer tantriquement sa propre mort ou la mort d'un autre. Tant qu'on ne l'aura pas tuée, et qu'elle même l'ait voulu éperdument ainsi dans le vertige fatal de son don, nulle jeune femme perdue ne saurait se survivre dans l'éternité lumineuse de sa propre mort, de notre oubli, de l'effacement hivernal de toutes choses. La pourriture indéfiniment, dévore la pureté, et la pureté dévore la pourriture. »

 

Mais c'est avec le passage des pouvoirs de vision vers la vision intérieure es pouvoirs, échange d'ultimes procédés tout à fait illégal et dangereux s'il en fût, mais déjà hors d'atteinte et comme ontologiquement rayonnant de par lui-même, que la littérature par la mort fournit la preuve décisive, la preuve agissante du fait qu'un passage a été trouvé, qu'une brèche a été faite.