Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

08/12/2014

Le Projet "Empire" XIII (Alexandre Douguine)

 

Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique - La Russie et les idées politiques du XXIème siècle, Chapitre X Le projet "Empire", Les empires amis, les axes eurasistes, pp. 229-231, aux éditions Ars Magna

 

Le projet impérial de Russie présuppose de développer activement les relations avec les partenaires potentiels de la multipolarité. Il s'agit avant tout des forces continentalistes de l'Union européenne (d'ailleurs peu leur importe que la Russie soit ou ne soit pas un pays européen, il importe pour elles que la Russie soit forte et puisse de façon efficace et contrebalancer les États-Unis et assurer des ressources énergétiques à l'Europe). Après les évènements de Géorgie et la reconnaissance par Moscou de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie, ce dialogue russo-européen se verra extraordinairement complexifié dans la mesure où Washington  mettra en œuvre toute sa puissance pour renforcer les liens euro-atlantiques. D'ailleurs, bien que la probabilité de rapprochement avec le pôle européen se soit sensiblement éloigné, il convient de poursuivre les efforts dans cette direction. Aujourd'hui l'axe Paris-Berlin-Moscou apparaît plus que jamais fantomatique mais, comme nous le savons, de ces mêmes fantômes naissent parfois de grands phénomènes.

 

Non moins significatif, et peut-être même davantage, s'avère le rapprochement stratégique avec la Chine, gigantesque puissance, qui n'a non plus aucunement l'intention de capituler sans condition devant l'empire américain. Pour Pékin, soutenir les opérations de la Russie ne Géorgie sera assez problématique dans la mesure où la Chine elle-même rencontre de nombreux problèmes avec les séparatistes (Tibet, Sinkiang). Cependant, il ne faut pas oublier que dans le cas de Taïwan, Pékin, au contraire, a l'intention d'agir de façon active et offensive.

 

Ainsi, dans la mesure où aujourd'hui il est évident que nous ne pouvons plus nous fonder sur le principe de l'intégrité territoriale, pas plus que sur le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes en tant que catégorie abstraite, mais dans la mesure où nous devons clairement déterminer, dans chaque cas concret l'équilibre des forces, les intérêts des puissances mondiales et le fait du contrôle militaire stratégique des territoires, la Chine peut être rassurée, et soutenir l'indépendance de l'Ossétie du Sud et de l'Abkhazie sans soutenir, par exemple, celle du Kosovo, position qui, en Russie, se verra comprise et permettra à son tour à la Russie de distinguer, dans le cas de la Chine, la situation du Tibet de celle de Taïwan. Si la Chine et la Russie, commencent à agir de façon coordonnée, prendront fin l'hégémonie américaine et le droit que les États-Unis se sont arrogé de définir, de façon unilatérale, quel principe il convient d'appliquer dans chaque cas concret, le principe de l'intégrité territoriale ou  principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ainsi, la Russie et la Chine pourront s’entraider dans la construction de leur propre empire non pas au détriment l'un et l'autre, cela va de soi, amis au prix de la limitation du caractère planétaire de l'empire américain.

 

Les contacts avec le monde musulman apparaissent maintenant extraordinairement importants, en particulier avec l'Iran mais aussi le Pakistan, les pays arabes, ainsi qu'avec les pays musulmans de la région de l'océan pacifique. Il ne s'agit pas seulement de points d'appui mais également d'une source de volonté politique (qui a souvent fait défaut au Kremlin avant août). Téhéran a depuis longtemps lancé un défi à Washington et le paie par un blocus international. Dans cette situation précise, la Russie a intérêt à aider l'Iran à rompre ce blocus, à ce que le secteur énergétique iranien se développe et à ce que son niveau d'armement progresse. Le Pakistan connaît maintenant un état de fièvre et les positions antiaméricains s'y développent de jour en jour. En Afghanistan, les États-Unis dépendent du soutien de la Russie et des forces de l'Alliance du Nord qu'elle contrôle. Il est clair que dans les conditions actuelles cette situation sera réexaminée et que Moscou devra chercher de nouveaux alliés dans cette situation de confrontation directe avec les États-Unis. Certains mouvements islamiques, hier encore adversaire de la Russie elle-même, peuvent devenir nos alliés dans ces conditions nouvelles. La politique est une réalité dans laquelle il n'y a ni amis, ni ennemi. Or, comme on le sait, on anéantit ses ennemis (s'ils ne se rendent pas).

 

L'Amérique latine exprime de plus en plus fort son refus du contrôle américain. Outre les pays qui se trouvent à l'avant-garde de ce processus, le Venezuela, la Bolivie et Cuba les actions d'autres pays tels que le Brésil, qui a récemment fait échouer le projet américain d'intégration économique des deux Amériques sous l'égide de Washington, apparaissent particulièrement importantes.

 

L'Inde tente également de suivre sa propre route et connaît actuellement un développement économique et technologique particulièrement prononcé.

 

Chacun des pays mentionnés, à travers son affrontement avec l'hégémonie américaine, apporte sa contribution dans l'escarcelle du futur empire russe (eurasiste), en attirant à soi l'attention et les forces de Washington. Ce faisant, Moscou, possédant une immense expérience diplomatique et un bon potentiel, peut pleinement apparaître comme le coordinateur d'un ensemble de nouveaux empires, à l'échelle mondiale. Notre pays possède pour cela toutes compétences et les traditions nécessaires.

 

559.jpg

The Fourth Political Theory: beyond left and right but against the center

Le Projet "Empire" XII (Alexandre Douguine)

 

Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique - La Russie et les idées politiques du XXIème siècle, Chapitre X Le projet "Empire", L'Empire après Tskhinvali, pp. 226-229, aux éditions Ars Magna

 

Après les événements d'aout 2008, la situation dans l'espace postsoviétique a évolué vers une nouvelle phase, plus tendue. La bataille pour l'empire et pour notre influence est passée des scénarios politico-économiques et des techniques de réseaux à la confrontation militaire directe. Après que Moscou a répondu au génocide de peuple d'Ossétie du Sud par l'envoi de troupes en territoire géorgien et par la reconnaissance de l'indépendance de l'Ossétie ud Sud ainsi que de l'Abkhazie, nous sommes entrés dans un nouveau cycle impérial. Cela n'enlève rien en aucun cas au bien-fondé des méthodes de travail politique ou diplomatique dans l'espace de la CEI mais cela montre que le facteur militaro-stratégique demeure décisif dans certain cas.

 

Lorsque le président russe Dimitri Medvedev et les membres du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie ont pris la décision historique et irrévocable d'envoyer les troupes russes en Géorgie, et lorsqu'ils ont ensuite reconnu l'indépendance de l'Ossétie du Sud ainsi que celle de l'Abkhazie, nous avons franchi la ligne interdite qui auparavant hypnotisait la conscience géopolitique des dirigeants russes. Vladimir Poutine, en tant que président, avait recouru à des mesures extrêmes pour renforcer la Russie en tant qu’État-nation (opération en Tchétchénie, l'oukaze sur la nomination des gouverneurs, etc.). Ces gestes constituaient au contraste flagrant en comparaison de la pratique de gouvernement destructrice de Gorbatchev et Eltsine sans toutefois que cela dépasse les frontières de la Fédération Russie. Après Tskhinvali, nous avons interrompu cette hypnose en prenant clairement conscience du fait qu'il est indispensable de garantir la sécurité de la Russie et de ses citoyens, même au-delà de ses frontières. Il est probable que pendant longtemps encore Moscou ne se serait pas hasardé à un tel pas sans l’impudence de Saakachvili, auquel ses patrons américains avaient promis que toute riposte militaire de la part de la Russie était exclue. Il les a crus et a tenté d'anéantir totalement la population d'Ossétie du Sud pour pouvoir ensuite s'en prendre à l'Abkhazie mais s'est trouvé sans s'y attendre face à une Russie sortie de sa paralysie et se comportant comme un empire à genoux en train se se relever.

 

Pour être conséquents, nous aurions dû, après avoir infligé une première défaite aux troupes géorgiennes, poursuivre l'opération militaire, occuper la Géorgie et porter au pouvoir un gouvernement provisoire russe. Après un certain temps, il aurait été possible de retirer les troupes tout en créant parallèlement une entité autonome solide en Adjarie, en Mingrélie ainsi que dans les zones arméniennes de Djavakhétie, c'est-à-dire ancrer en Géorgie un modèle politique tel qu'elle aurait été incapable dans les prochaines décennies, malgré toute sa volonté de servir de poste avancé à l'empire américain globale, et de faire obstacle par là-même à la construction de notre propre empire. La réaction de Washington aurait été des plus fermes et négatives mais les premiers jours du conflit ont montré que Washington n'irait pas plus loin que le chantage et que la Russie avait déjà perdu dans ses relations avec l'Occident tout ce qu'elle pouvait perdre. Il n'y a pas d'autre moyen de pression sur Moscou, le Rubicon a été franchi de façon irréversible. Lors de la bataille de Géorgie, nous sommes entrés dans une nouvelle ère : nous sommes entrés sur le territoire que nos ennemis pensaient nous avoir arrachés pour toujours. A présent, il importe de conserver ce que nous avons acquis.

 

Il convient d'accorder une attention à la position de Kiev. Depuis le début, le président Iouchtchenko s'est conduit comme un ennemi direct et acharné de la Russie : il a non seulement soutenu Saakachvili, mais a également envoyé en Géorgie une aide militaire, comprenant des soldats ukrainiens, a tenté à plusieurs reprises de bloquer l'entrée de navires russes à Sébastopol, a coupé l'alimentation en électricité de la base de notre flotte. En l'espèce, Iouchtchenko est entré en guerre avec la Russie aux côtés de Tbilissi. Cela rend la situation de l'Ukraine particulièrement tendue dans la mesure où elle apparaît, selon l'expression de Brezinski, comme la clé de la possibilité pour la Russie de redevenir un empire. Aujourd'hui, rester suspendu à la position franco-allemande concernant l'entrée de Kiev dans l'OTAN ne revêt plus aucun sens et la situation en Ukraine peut à tout moment entrer dans une phase conflictuelle. Nous ne pouvons exclure d'avoir à mener une bataille pour la Crimée et pour l'Ukraine orientale.

 

Si, jusqu'à récemment, même les têtes les plus échauffées parmi les faucons russes admettaient l'idée d'un conflit purement interne en Ukraine et d'une pression politique, économique et énergétique de la part de la Russie, aujourd'hui la probabilité d'une confrontation militaire directe n'apparaît plus aussi irréelle. Lors de la construction de l'empire global que ceux qui veulent défendre une organisation du monde alternative fondée sur la multipolarité (c'est-à-dire).

 

Les événements d'août ont montré combien, hélas, l'ossature de l'amitié dans l'espace postsoviétique apparaît fragile et peu fiable. Les hésitations de Loukachenko à soutenir l'action de la Russie en Géorgie lors des premiers jours, ainsi que la prudence d'Astana dans l'appréciation des événements, le refus des représentants des États de l’Organisation du Traité de sécurité collective (ODKB) de se positionner de façon claire sur un front uni avec la Russie, les premiers jours ayant suivi l'attaque de Tskhinvali par la Géorgie, tout cela montre combien nous avons sous-estimé la perspective impériale dans le travail avec nos amis.

 

Les ennemis se sont avérés particulièrement agressifs, audacieux et radicaux en osant attaquer directement la Russie par la force (l'attaque des soldats russes de la force de maintien de la paix en Ossétie du Sud). Les amis se sont avérés plus passifs et plus prudents qu'on ne le supposait. Dans cette situation, les Russes se sont mieux comportés que les autres et en particulier nos dirigeants politiques.

 

Avant Tskhinvali, notre projet impérial se trouvait dans un état virtuel ; on faisait certes quelque chose mais il semble que les leaders du pays eux-mêmes n'aient guère cru que cette étape préparatoire mènerait à des actions concrètes ou encore à des pas décisifs. Cependant, ce projet a été réalisé et dés lors les événements sont irréversibles.

 

L'horloge de l'empire après Tskhinvali bat à un rythme accéléré. Nombre de problèmes théoriques et de déclarations passent dans la sphère des solutions militaires, politiques et géopolitiques directes.

 

Nous sommes parvenus à une nouvelle étape de la construction de l'empire. De notre empire.

 

tskhinvali.jpg

 

The Fourth Political Theory: beyond left and right but against the center

07/12/2014

Le Projet "Empire" XI (Alexandre Douguine)

 

Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique - La Russie et les idées politiques du XXIème siècle, Chapitre X Le projet "Empire", La CEI, berceau de l'Empire à venir, pp. 225-226, aux éditions Ars Magna

 

L'intégration de l'espace postsoviétique sera le berceau de l'empire, son point zéro. Tous les États postsoviétiques ne possède que le niveau de souveraineté que la faiblesse de Moscou dans les années 1990 leur a attribué, ainsi que le soutient potentiel de Washington. De par leurs autres aspects, il s'agit presque toujours "d’États en faillite" (failed states). Aujourd'hui, l'OTAN, encouragée par la stupeur dans laquelle le Kremlin se trouve depuis la catastrophe géopolitique des années 1990, tente de rendre irréversible l'éloignement de certains pays par rapport à la Russie, en premier lieu l'Ukraine et la Géorgie. Dans le report à décembre 2008 de la question de l'entrée de Kiev et de Tbilissi dans l'OTAN, nous avons affaire à un délai payé par la vieille Europe pour que nous en fassions bon usage. Mais après Tskhinvali, tout cela revêt une autre signification. Concrètement, ce répit a pris fin le 8 août 2008, après la décision de Moscou de faire entrer ses troupes en Géorgie.

 

Si l'Ukraine et la Géorgie entraient dans la composition de l'empire américain, ce qu ne ferait que renforcer les positions atlantistes en Europe même (comme l'ont bien compris Paris et Berlin qui ont eu un geste amical envers la Russie), le projet impérial se verrait alors bloqué pour la Russie (ce qu'écrit ouvertement Zbigniew Brezinski sans son ouvrage Le Grand échiquier). Le chaudron du futur empire eurasiste correspond dans l'ensemble à l'espace de la CEI.

 

Certes, en évoquant la diffusion de l'influence de la Russie dans l'espace postsoviétique, nous n'avons pas à l'esprit une colonisation directe traditionnelle. Les empires d'aujourd'hui recourent rarement à de telles méthodes (bien que, comme nous le voyons dans le cas de l'Irak ou du Kossovo, cela puisse malgré tout se produire ; par conséquent il convient de ne pas les rejeter complètement). Toutefois, notre monde propose des technologies plus raffinées et plus efficaces, permettant d'obtenir des résultats analogues par d'autres moyens, par l'utilisation des ressources de l'information, d'organisation non-gouvernementales, de groupes confessionnels ou de mouvements sociaux.

 

En Ukraine plus de la moitié de la population s'oppose à l'entrée du pays dans l'OTAN, appartient à l’Église orthodoxe russe du Patriarcat de Moscou et est orientée vers un rapprochement avec la Russie. Mais le sommet de l'élite politique de Kiev s'est vendu à l'empire américain. D'un point de vue civilisationnel, les terres occidentales de l'Ukraine tendent aussi vers l'Europe. Mais l'Est de la Crimée, indubitablement, vers la Russie. Le compte à rebours pour empêcher l'annexion de l'Ukraine pour l'empire atlantiste a déjà commencé.

 

La Russie possède une chance et des ressources. Mais s'il n'y a pas de certitude en la nécessité historique de construire, sur l'espace de la CEI, le chaudron d'une nouvelle construction impériale, Moscou pourrait laisser passer cette possibilité.

 

Ce faisant, la détermination à accepter le projet impérial doit automatiquement entraîner un travail intense avec nos amis, les pays membres de la Communauté économique eurasiatique (EVRAZES, en premier lieu le Kazakhstan et la Biélorussie), dont les peuples et les leaders  soutiennent l'intégration. Pour contrer les ennemis, il est indispensable de se rapprocher davantage de ses alliés, et de fermer les yeux sur les tentions dans nos relations avec eux.

 

kazakhstan_grunge_flag_by_syndikata_np-d5gawbi.jpg

 

The Fourth Political Theory: beyond left and right but against the center