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22/10/2022

Manifeste de « l'Ordre Nouveau » (1931)

Jean-Louis Loubet Del Bayle, Les non-conformistes des années 30 – Une tentative de renouvellement de la pensée politique française, Annexes – Documents, II. « L'ORDRE NOUVEAU », Éditions du Seuil

 

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A. MANIFESTE DE « L'ORDRE NOUVEAU » (1931)

 

L'Ordre Nouveau est essentiellement un groupe d'esprits nonconformistes et révolutionnaires. Ce dernier mot a tellement été galvaudé que nous croyons devoir définir en quoi et pourquoi nous sommes révolutionnaires.

 

Pour des raisons actuelles et pour des raisons éternelles, pour des raisons pratiques et des raisons philosophiques ; à cause des nécessités extérieures imposées aux hommes d'aujourd'hui par l'état actuel du monde ; à cause des nécessités intérieures de la personne humaine . Et d'autre part parce que, dans l'histoire sociale comme dans l'histoire naturelle, il n'est pas d'évolution sans révolutions.

 

1°) Causes pratiques de notre attitude :

 

La crise mondiale actuelle est sans issue autre que des révolutionnaire, quelle que soit sa vitesse d'évolution. Du capitalisme libéral au capitalisme d’État, aucune solution conformiste, libérale ou marxiste, ne résiste à une analyse méthodique,. D'autre part, l'évolution de l'ordre présent des choses, même sans la crise catastrophique actuelle, comporte nécessairement la guerre (nationale ou coloniale), pièce essentielle de tout système uniquement matérialiste.

 

Est-il possible, pour un esprit clairvoyant, d'accepter ce fatal processus qui va du désordre économique aux misères du chômage, de la stupide guerre économique à la stupide guerre nationale ?

 

2°) Causes spirituelles de notre attitude :

 

a) Le caractère spécifique de l'humanité est la violence active et créatrice, résultant de l'expansion normale de l'homme.

 

b) Tous les réformistes aboutissent à la négation des valeurs supérieures de la personnalité humaine.

 

c) les cadres rationnels et abstraits (frontières nationales, système bancaire) ne peuvent être brisés que par une volonté de rupture avec l'ordre social actuel.

 

La révolution que nous préconisons est avant tout psychologique.

 

Elle devra être constructive d'un ordre nouveau auquel l'humanité accédera par un changement global de plan. Elle doit donc, dés à présent, et avant de préciser ses moyens, préciser ses buts.

 

  1. Dans le domaine philosophique et moral :

 

Établir une hiérarchie des valeurs qui rende à la personne humaine le rang qui lui revient : le premier. La machine économique et sociale doit exister pour la personne et non la personne pour la machine économique et sociale. Les économies de forces permises par les découvertes scientifiques doivent être enfin « réalisées » au profit de la personnalité créatrice, ressort dynamique indispensable à toute société qui veut garder la faculté de se dépasser elle-même pour le plus grand bien de l'homme.

 

Ce « personnalisme » implique la rupture aussi bien avec l'individualisme abstrait des libéraux qu'avec toute doctrine plaçant l’État, quelle que soit sa forme, au rang de valeur suprême.

 

  1. Dans le domaine économique :

     

Remplacer une société qui ne peut fonctionner qu'en subordonnant la consommation à la production, le travail qualitatif et créateur de valeurs nouvelles au travail quantitatif, parcellaire et indifférencié par une société contraire.

 

La mise en commun des moyens de production et la répartition égalitaire du travail quantitatif indispensable ne peuvent avoir de raison d'être qu'au profit d'une libération toujours croissante de la personnalité créatrice : spirituel d'abord économique ensuite. Ceci ne peut être obtenu que par l'abolition du mythe de la production et de la religion du crédit dans toutes leurs manifestations.

 

  1. Dans le domaine politique :

 

Établir, d'une part, une concentration mondiale des forces révolutionnaires spirituelles, telles que nous les avons définies, auxquelles seront subordonnés les organismes de la production et de la distribution économique, placés sous leur contrôle permanent.

 

D'autre part, tout en brisant les cadres nationaux abstraits, promouvoir une décentralisation assez parfaite pour assurer la libération de toutes les tendances profondément patriotiques par lesquelles se manifeste le rapport indispensable et fécond de l'homme à la terre, à la race, à la tradition affective et culturelle.

 

L'Ordre Nouveau, celui de l'homme concret, devra donc s'édifier sur les trois assises suivantes :

 

a) Personnalisme : primauté de l'homme sur la société.

 

b) Communisme antiproductiviste : subordination de la production à la consommation.

 

c) Régionalisme terrier, racial et culturel.

 

Jusqu'à présent toutes les publications d l'Ordre Nouveau ont été les manifestations des préoccupations suivantes :

 

a) constater, devant les divers problèmes du monde actuel, la nécessité d'une attitude non conformiste absolue.

 

b) affirmer, dans leurs différentes modalités, les principes spirituels et les bases théoriques de la doctrine qui s'en inspire.

 

(Plans, n° 10.)

 

B. « POSITIONS D'ATTAQUE POUR L'ORDRE NOUVEAU » (1933)

 

Le groupe de « l'Ordre Nouveau » n'a pas fait jusqu'ici beaucoup de bruit sur les places. C'est que nous sommes et voulons être avant tout des doctrinaires. Cette volonté a scandalisé certains de nos adversaires qui prétendent partir des faits concrets et matériels. L'un d'entre eux revendiquait récemment, à la suite de Marx, disait-il, « la précédence du matériel, l’antériorité de l'être par rapport à la pensée ». En d'autres termes moins obscurs, il affirmait qu'il faut « commencer par le commencement. Nous acceptons volontiers cette formule qui a le mérite de la simplicité. Nous, nous disons que le commencement du désordre n'est pas dans les faits matériels dont nous souffrons, n'est pas dans le machinisme, par exemple, mais bien dans les doctrines qui ont assuré le développement actuel du machinisme. C'est dans cet humus de doctrines périmées que plongent les « racines du malheur ». C'est lui d'abord qu'il faut détruire si on veut tuer ces racines et, surtout, empêcher qu'elles ne se reforment. La nécessité d'un travail doctrinal radical nous apparaît être la tâche la plus concrète et la plus immédiate de l'heure, la seule tâche efficacement révolutionnaire.

 

Quels sont les caractères spécifiques de notre effort de doctrine ?

 

C'est d'abord une volonté de considérer les problèmes économiques et sociaux dans leur totalité ; c'est aussi une volonté constante de changer de plan.

 

Ces deux expressions méritent un commentaire.

 

Notre volonté totaliste s'exprime ainsi : nous suspendons toutes nos constructions à un fait humain central, la personne – telle que nous la définirons tout à l'heure – ou, mieux encore, le conflit personnel et nous prenons pour norme ce conflit étendu à tous les ordres de l'activité humaine : politique, économique, culturel. Telle est la base de notre ordre.

 

Cet ordre est nouveau en ce qu'il ne peut pas être établi que par un changement de plan. Changer de plan, pour nous, c'est porter l'effort constructif sur un terrain que le désordre actuel néglige ou tente de stériliser. La plupart des questions qui divisent capitalistes et marxistes sont insolubles sur le terrain positiviste où ils les placent. Elles ne prennent leur vrai sens que dans le plan de la personne où nous les reposons. (...)

 

Nous avons ainsi défini, par la double volonté de totalisme et de changement de plan, la forme générale de notre doctrine.

 

Nous nous excusons de l'aspect théorique que prend forcément cet exposé et qu'il perdrait si nous avions la place nécessaire pour développer. Nous nous excusons plus encore de la façon trop rapide

dont nous allons être obligés de décrire le contenu de nos constructions et la méthode personnaliste qui les anime. Cette méthode constitue la partie la plus élaborée de notre effort et l'on ne peut songer à en donner ici qu'une formule nécessairement simplifiée.

 

Nous définissons la personne comme un acte et non pas comme un donné physique ou moral, matériel ou abstrait.

 

La personne, c'est l'individu engagé dans un conflit créateur avec lui-même d'abord, avec la nature ensuite, avec l'ambiance sociale enfin. Ce conflit comporte un choix permanent, donc un risque permanent, c'est-à-dire une tension permanente qui mesure la valeur même de l'homme.

 

Tension, risque, choix, acte, tels sont les éléments de toute liberté réelle et créatrice, partant de toute dignité humaine.

 

Pour faire sentir tout de suite le concret d'une telle doctrine, voyons d'abord quelles institutions elle nous oblige à combattre et à renverser.

 

Ce sont, en premier lieu, les institutions démocratiques auxquelles donne naissance l'individualisme libéral.

 

L'individu libéral, tel que l'ont créé les théoriciens du suffrage universel, tout le monde croit aujourd'hui que c'est quelque chose de très simple, une évidence, une sorte d elieu commun. C'est en effet le lieu commun de tous les malentendus actuels.

 

Cet homme sans liens, réduit à l'unité arithmétique, où l'a-t-on vu ? Et comment existerait-il ? C'est pourtant sur cet homme abstrait qu'est bâti tout le système démocratique. Et l'erreur initiale, doctrinale, se retrouve à tous les étages du système. C'est à cause d'elle qu'il s'écroulera.

 

Il suffira sans doute d'indiquer ici notre opposition au parlementarisme. Nous ne combattons pas le parlement avec des discours, mais bien en créant un monde où il apparaîtra sous son vrai jour comme le conservatoire de la culture bourgeoise, avec ses monarchistes et ses communistes, figurants indispensables et inoffensifs.

 

Il suffira de rappeler d'autre part que l'individualisme libéral est responsable de l'essor anarchique d'une économie devenue inhumaine, et cela, non pas à cause de la machine, mais parce qu'aucun contrôle humain, aucune doctrine totale et transcendante ne pouvait intervenir au XIXe siècle, ne pouvait orienter et humaniser son développement.

 

En second lieu, la doctrine de la personne nous oppose à tout soviétisme stalinien. Il est trop facile en effet de distinguer dans le stalinisme un retournement pur et simple de l'individualisme libéral, procédant par ailleurs de conceptions positives et pseudo-scientifiques qui étaient déjà contenues dans la définition de l'individualisme libéral.

 

Il nous est possible de désigner maintenant d'un seul mot l'objectif de nos attaques.

 

Le processus concret dans lequel Marx a inséré sa philosophie, c'était la lutte des classes provoquée par le premier épanouissement de l'industrie. Le processus concret dans lequel s'insère aujourd'hui le personnalisme, c'est la lutte contre l'étatisme moderne tel qu'il s'est constitué depuis Marx, phénomène beaucoup plus concret, plus universel et mieux défini que la lutte des classes.

 

Quelles sont les institutions qui nous permettront de rompre avec tout étatisme, de changer de plan, de réaliser une révolution effective ? Ici encore il nous faut nous borner à deux indications très générales :

 

Dans le domaine politique, nous revendiquons une organisation régionaliste de l'Europe. Cela suppose la suppression du cadre national, carcan de frontières douanières, et du centre administratif, politique, financier et policier où viennent se congestionner les énergies du pays. Ce que nous voulons, c'est rétablir sur le plan politique la tension nécessaire et créatrice entre la petite patrie décentralisée, d'une part, et, d'autre part, l'universalisme issu directement des personnes et qui pourrait se concrétiser dans un organe central d'autorité purement doctrinal et révolutionnaire, sorte de Komintern, mais dépourvu de pouvoir économique.

 

Dans le domaine économique, nous revendiquons parallèlement un statut du travail impliquant une distinction profonde entre le travail créateur et libre d'une part et le travail parcellaire et indifférencié de l'autre. Ce qui se traduit par une sorte de corporatisme ou syndicalisme – pôle décentralisateur – et par une institution centrale de service industriel collectivisé, soumis à un organe de répartition tout à fait distinct du pouvoir politique. Ainsi se trouve sauvegardée la tension nécessaire et assurée, en fonction cette fois d'une mesure humaine, le minimum de vie matérielle qui permet à la personne de courir sa chance.

 

Nous ne pouvons songer à développer ici ces thèmes constructifs et, encore moins, à indiquer les moyens techniques que nous envisageons pour les réaliser. Deux mots toutefois sur notre attitude révolutionnaire. IL sévit actuellement parmi certains groupes intellectuels un véritable romantisme du chambardement, de l'émeute et du sang versé. Contre lui nous maintiendrons la primauté de la doctrine avec tout ce que cela comporte, en apparence, de sécheresse technique. Nous savons que le romantisme du désordre prépare simplement les dictatures policières de demain. (…)

 

Peut-être ne serait-il pas inutile, pour conclure de dégager clairement les thèses impliquées par notre exposé. Voici en quelques mots nos positions de combat :

 

1°) Sans théorie révolutionnaire pas d'actions révolutionnaire.

 

2°) Dans l'état actuel des choses, il n'y a pas d'ordre concevable sur le plan du capitalisme au déterminisme duquel les soviets n'échappent pas.

 

3°) La dialectique historique ne peut rendre compte que du passé – mais seul l'acte créateur opère le changement de plan et permet d'instituer un ordre nouveau.

 

4°) Cet acte créateur dont nous faisons dépendre tout l'ordre nouveau, cette « source d'énergie » permanente de la révolution, c'est la personne telle que nous l'avons définie.

 

5°) Dans l'ordre nouveau, les institutions reproduisent à tous les degrés le conflit et la tension qui définissent la personne en acte ;

 

6°) Ces institutions sont :

 

  • dans le domaine politique : la petite patrie décentralisée et le centre de contrôle doctrinal et juridique.

  • dans le domaine économique : les syndicats libres de production et d'instruction professionnelle, d'une part, et de l'autre le service prolétaire collectif soumis directement à un centre de contrôle économique et statistique.

     

7°) Ce régime doit entraîner par son jeu normal la disparition des cadres de l’État et du statut des classes, c'est-à-dire : l'élimination des facteurs décisifs de l'inflation, du chômage et de la guerre moderne économique et militaire.

 

8°) C'est au nom d'antagonismes naturels féconds et créateurs que nous voulons éliminer les antagonismes artificiels et destructeurs qui fait naître le capitalisme matérialiste.

 

9°) Nous sommes avec le prolétariat, par-dessus la tête de ses meneurs, contre la condition prolétarienne.

 

POUR « L'ORDRE NOUVEAU » : ARNAUD DANDIEU, DENIS DE ROUGEMONT, DANIEL-ROPS, ROBERT ARON, ALEXANDRE MARC, CLAUDE CHEVALEY, RENE DUPUIS, JEAN JARDIN.

 

(La Revue des vivants, décembre 1933.)

 

C. PRINCIPES POUR UN ORDRE NOUVEAU (FEVRIER 1934)

 

Nulle civilisation véritable ne peut être fondée que sur le respect de la personne humaine et de sa valeur éternelle. Toute organisation économique et sociale qui tend à limiter la personne dans sa réalité, sa responsabilité, sa liberté, est mauvaise. Tout système qui, fondé sur le matérialisme, mutile l'homme de ses aspirations spirituelles ; trahit et mérite de périr. Une civilisation véritable affirme le primat de la personne sur toute autre valeur, sur toute nécessité.

 

La tâche de l'homme sur la terre n'est pas de produire des biens. Le productivisme, d'où découlent désordre, misère et peine, exprime sous sa forme la plus dégradée le matérialisme contemporain. Une civilisation véritable est antiproductiviste.

 

A la base la plus humble d'une civilisation personnaliste se place le droit de l'homme, quel qu'il soit, de satisfaire ses besoins vitaux et de n'être soumis, dans leurs satisfactions, ni à l'esclavage de la suggestion productiviste ni à celui des déterminismes économiques désordonnés. Le régime économique doit se fonder sur les besoins réels de l'homme, non sur le désir égoïste et incohérent du profit.

 

La personne humaine s'affirme dans la liberté : l'oppression, quelle qu'elle soit, est illicite. L'étatisme, sous toutes ses formes, est à condamner. Une civilisation véritable doit être antiétatiste et décentralisée.

 

La personne humaine ne trouve les conditions de son accomplissement que dans les cadres naturels où s'élargit sa responsabilité. Une « civilisation » qui aboutit à détruire la famille, la patrie, le métier, ou à n'en présenter qu'une image déformée et odieuse trahit les valeurs éternelles.

 

La propriété est un des fondements naturels de l'homme à condition d'être concrète et de faire participer la personne à une réalité féconde. Elle ne doit pas être viciée et correspondre à une frénésie de profit. La société doit non seulement permettre mais favoriser l'accession de tous à la propriété.

 

La personne humaine étant une réalité, tout système est mauvais qui aboutit à l'identifier au fantôme anonyme et standardisé de l'enfer productiviste. La condition prolétarienne choque en notre conscience l'honneur et la charité. Nous considérons aujourd'hui qu'une civilisation véritable ne peut s’accommoder de l'esclavage ; la condition prolétarienne, forme moderne de l'esclavage, doit être supprimée.

 

Une civilisation véritable ne se soumet pas aux déterminismes froids de l'évolution technique. Mais une « civilisation » qui les laisse se répandre en malfaisance et qui, du formidable pouvoir de libération mis à sa disposition par la machine, n'a tiré que désordre et misère, à trahi l'esprit. Prise dans le dilemme de laisser croître l'anarchie meurtrière ou de démissionner de son rôle, elle n'a plus droit à vivre. Une civilisation véritable mettra la machine, comme elle mettra les institutions, au service de l'homme corps et âme, chair et esprit.

 

(L'Avant-Poste, janvier-février 1934)

20/10/2022

Manifeste de « Réaction » (Avril, 1930)

Jean-Louis Loubet Del Bayle, Les non-conformistes des années 30 – Une tentative de renouvellement de la pensée politique française, Annexes – Documents, I. « LA JEUNE DROITE », A. MANIFESTE DE « RÉACTION » (AVRIL, 1930), Éditions du Seuil

 

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Jamais l'homme n'avait atteint une telle perfection dans la connaissance des phénomènes, ni une telle puissance dans l'utilisation des forces naturelles et l'accumulation de richesses.

 

Et pourtant il y a une crise du monde moderne.

 

« Crépuscule des nations blanches », « déclin de l’Occident », approche des « derniers jours », avènement d'une « Nouveau Moyen Age », de toutes parts s'élèvent des cris annonciateurs de la fin d'un monde.

 

Les races, les nationalités, les classes sociales possédées d'ambitions sans bornes ont enrôlé les peuples entiers dans les guerres d'enfer.

 

L'industrialisme, faisant du rendement la norme de toute chose, a jeté l'humanité moderne sous l'écrasante loi de la quantité et de la matière : or et machine. La liturgie de l'Homme-Dieu cède à la liturgie de la machine. Courbé sur l'horizon borné de son travail et de son plaisir, sous le prétexte de se libérer de tout autre maître que lui-même, l'homme s'est jeté sous le joug de L’État démocratique, despotique et tentaculaire. L'homme n'est plus que le rouage standardisé d'une gigantesque mécanique qui le broie. Outil à faire des outils, il n'a plus la quiétude où se retrouver dans l'oraison.

 

Les âmes sont incertaines et tout se sent périr. Découvrant avec stupeur notre dénuement spirituel à côté du raffinement extrême de nos sensations et de nos raisonnements, nous nous trouvons saisis d'une tragique inquiétude devant l'indigence de ce que nous offre le monde moderne. Croyant gagner sa vie, l'homme a perdu la part éternelle de lui-même. Immense misère de l'homme sans Dieu ! Tu n'es plus rien que toi, et ce ne t'est point assez.

 

C'est qu'une fois encore l'homme a écouté l'éternel tentateur qui guette inlassablement sa proie : «  Si tu fais de ta volonté la règle de ton action, de ta raison la mesure des choses, tu seras comme un Dieu. »

 

Alors l'homme agit « gratuitement », comme Dieu. Il oublie qu'évadé des lois de la vie et de la pensée, il n'était plus qu'un peu de chair et de terre. Il est entré dans l'esclavage du désir, de l'utile, de l’événement.

 

Pour combler le vide immense de notre âme, on nous propose l'ascétisme équivoque de l'Orient ou l'on nous convie à nous régénérer par la Révolution sociale. Mais cette poésie mystérieuse, ce mythe de l'humanité ne cachent que la vieille hérésie du moi divinisé dont nous mourrons.

 

Faut-il donc nous résigner à n'être que les spectateurs impuissants de ce déclin ? Ou faut-il s'évader, se refuser, comme le murmurent, gidiennes, les Sirènes ?

 

Non ! Ce serait renoncer à notre humanité ! Seules meurent les civilisations qui s'abandonnent et les hommes font leur destin. Ils peuvent se sauver aujourd'hui s'ils retrouvent le principe de l'ordre qui les a écrasés lorsqu'ils ont voulu l'ignorer.

 

Immense question de l'ordre.

 

Il ne s'agit pas ici d'un de ces petits arrangements formels et contingents que l'homme ou les sociétés se donnent à eux-mêmes.

 

L'ordre, ça n'est pas la protection des coffres-forts ni l'union des intérêts économiques, ce n'est pas la défense des hommes en place, mais subordination à ce qui peut les légitimer..., s'ils le servent.

 

L'ordre, c'est la loi de l'être. Reconnaître l'ordre, c'est reconnaître notre double mystère : chair et esprit. Chair, solidarité de la nature et des autres hommes, esprit qui est plus que l'intelligence, qui est âme éternelle, fille de Dieu. C'est reconnaître notre double dépendance : de nos morts et du créateur. C'est reconnaître que nous sommes orientés à des fins plus hautes que nous-mêmes.

 

Tel est le véritable réalisme : perception de la chaîne des causes et de la hiérarchie des désirs et des vouloirs. Il y a une voix de la réalité : c'est le passé qui nous conte la grande aventure humaine. Apprenons à son école à vivre humainement. Retournons aux sources de la vie pour nous guérir. Cela s'appelle réagir.

 

Réaction en politique contre la décadence démocratique, fille du nombre et de la quantité. C'est sur la base certaine de la patrie, à partir de l’élément naturel de la nation, que nous voulons édifier le concert spirituel où l'univers entier aura sa part.

 

Réaction sociale : contre l'individualisme, l'étatisme et la lutte des classes, pour permettre le développement de la personne humaine libre dans ses cadres sociaux naturels.

 

C'est au moment où l'homme est le plus lui-même : dans sa famille, dans sa bourgade, dans son pays, qu'il est le plus universel, car il se trouve alors en correspondance avec tous les autres hommes de la terre dans la reconnaissance de ce qui fonde toute vie : l'ordre humain.

 

« Nous avons eu, nous avons perdu l'unité humaine », dit Charles Maurras. L'accord ne peut renaître si une base n'existe au départ : seul l'esprit peut la fournir, c'est la leçon du XIIIe siècle chrétien. Nous réveillerons cette entende en reprenant le fil de la raison : soumission à l'objet. L'intelligence est réactionnaire. Pesant, critiquant les idées et les faits, elle poursuivra chez tous les erreurs funestes. Mais elle dira aussi les conditions nécessaires d'une renaissance : politique, c'est, en France, la monarchie ; sociale, c'est la soumission de notre vie économique au bien commun ; spirituelle, c'est l'ordre chrétien.

 

Il faut rendre le nécessaire possible. Nous y convions tous ceux que tourmente l’inquiétude et, tous les premiers, les clercs. Leurs méditations exigent la sécurité de la Cité : jusqu'au rétablissement de l'ordre, leur abstention est trahison.

 

Nous ne venons pas pour écrire, mais pour servir ; servir la vérité, nous révolter pour l'ordre, réagir. Ceux qui ont des places, une renommée à sauvegarder, n'ont rien à faire avec nous.

 

La force est une vertu. Le Christ a chassé les vendeurs du Temple.

 

Au service d'une pensée juste, nous voulons agir puissamment.

 

JEAN DE FABREGUES, ROGER MAGNIEZ, RAYMOND DAMIEN, JEAN LE MARCHAND, JACQUES-FRANCOIS THOMAS, RENE VINCENT, PIERRE BURGOS, ROBERT BURON, CHRISTIAN CHENUT, MAURICE CHUZEL, EMILE GIRARD, BERNARD DU HALDA, LOUIS LEMIELS, FELICIEN MAUDET, MARCEL NOEL, ANDRE PIETTRE, J. STE FARE-GARNOT, CH ; DE LA TAILLE, CHARLES VERGNAUD.

 

(Réaction, n° 1.)

29/08/2022

L'écriture de Charles de Gaulle et le destin de la France (Dominique de Roux)

Dominique de Roux, L'écriture de Charles de Gaulle, Au-delà du déclin, pp. 32-37, Éditions du Rocher

 

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Quel mensonge ? Le mensonge qui jusqu'à la fin permettra à la parole de l'emporter sur l'être, que la lettre n'en finisse plus de l'emporter sur l'esprit, ni la honte sur la désespérance. A la limite, et en attendant que l'heure finale vienne, l'action n'est que le combat désespéré de celui qui se bat non pour vaincre mais pour continuer. A la limite, l'être c'est le courage de l'être. On songe pour une dernière fois aux Antimémoires d'André Malraux, au passage où il revient à la parole sacrée du Bhagavad Gîta : « Arjuna regarde ceux qui vont mourir, et Krishana lui rappelle que si la grandeur de l'homme est de se délivrer du destin, la grandeur du guerrier n'est pas de se délivrer du courage. »

 

Personnage symbolique, mémoires, avant de mourir, revoir une jeunesse française, phrase suspendue, avant les Grandes Invasions, l'heure est passée, le mensonge, se délivrer du destin ne pas se délivrer du courage : ce sont là, entre autres, entre des milliers d'autres, vivants et morts agonisants entre la vie et la mort, les signes, la liturgie de cette prédestination dont Charles de Gaulle n'en finit plus d'écrire le Livre de l'Absence, l'immortalité de la mort en attendant la mort de l'immortalité.

 

En dernière analyse, le problème de l'écriture de Charles de Gaulle apparaît non pas comme celui des rapports tragiques entre la parole et l'action, mais comme le cheminement prophétique de cette écriture à travers les mots qui la constituent et qu'elle dévaste, qui la font être et qu'elle illumine jusqu'au paroxysme avant qu'il ne la lui faille chaque fois rendre au néant, au rien de leur subordination infinie. Saisir, dans sa marche même, la dialectique opposant, dans cette écriture, cette écriture elle-même, en tant que signification immédiatement saisissable, aux mots dont elle se saisit et se dessaisit, c'est approcher le secret de de cette prédestination qui en fait l'horizon de sa rencontre avec l'histoire, y établit le champ clos de sa dévotion tragique envers le néant nécessaire des choses qui ne sont qu'en tant que dépassement, et, si comme le dit Hegel « ce que nous sommes, nous le sommes historiquement », parvient, ou parviendra, à l'heure voulue, au pouvoir d'être, elle-même, de par elle-même, le destin. L'écriture de Charles de Gaulle c'est l'écriture du destin.

 

Quel destin ? Une intelligence prophétique de l'Histoire, prenant à son compte les armes de la liberté la plus grande, assumant le devoir et la tragédie de la Grande Politique, ne saurait s'interroger ni ne peut s'accomplir que par une vision de le fin du monde, en tant que vision finale et action finale d'un monde. Une certaine idée de la France, qu'elle concerne une écriture, une certaine action, une certaine destinée, une certaine mission, mettra toujours en cause une certaine idée de l'Histoire universelle. Si la France a un destin, une vocation, une mission essentielle, l'histoire doit s'en trouver concernée et, plus encore, déterminée, à la fois dans sa marche vers la fin et dans l'accomplissement visible ou invisible de cette marche. Si l'histoire est l'histoire à sa fin, si la France a une destinée historique absolue, elle ne saurait concerner que la fin de l'histoire. Aussi peut-on dire : si dans sa démarche la plus profonde, l'écriture de Charles de Gaulle concerne une vision de la France, celle-ci se trouve posée secrètement en termes d'Apocalypse, et sa Grande Politique, et qui vise à lui donner ses armes, se pose alors en volonté de puissance.

 

Mais entre la vision d'une politique et les armes de sa puissance, il y a toujours l'ombre dont l'écriture rend compte sans trêve, l'ombre qui à la fois porte cette vision vers les armes de sa projection historique et ne cesse de les séparer, cette ombre, dont le nom est successivement le possible et l'impossible, « ... toute la vertu du monde ne prévaut point contre le feu » (La France et son armée). Aussi, la tragédie historique de l'aventure gaulliste est-elle peut-être tout entière dans l'inadéquation régnant entre le grand dessein d'un homme prédestinée et la substance même de son œuvre. Que celui-ci se fasse une certaine idée de la France n'implique pas, fatalement, qu'une certaine France historique en vienne à se faire une même idée d'elle-même ni du destin de Charles de Gaulle, et encore moins de sa prédestination. Mais qu'est-ce qu'une écriture sans l'ombre qu'elle porte en elle ? Et qu'est-ce que l'ombre intérieure de cette écriture sans l'ombre de cette ombre sur le front de l'écriture à travers laquelle se fait l'histoire dont toute écriture n'est que l'ombre ?

 

Car tout est dans le dédoublement.