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14/12/2022

Des visitations charitables (Jean Parvulesco au sujet de la conversion de René Guénon à l'Islam)

Jean Parvulesco, Le Soleil Rouge de Raymond Abellio, Raymon Abellio et la montée planétaire d'un nouveau terrorisme, le terrorisme métapolitique, Des visitations charitables, pp. 109-, Guy Trédaniel Editeur

 

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Chaque saison spirituelle et théosophique du monde conçu comme une spirale assomptionnelle en marche vers le soleil occulte de son propre centre, toujours en élévation, chaque saison spirituelle et théosophique du monde compris, de par cela même, suivant le cours de son plus grand dessein cyclique, dispose, les anciens philosophes le savaient aussi, d'une sorte de préfiguation énigmatique propre.

 

Quelle serait donc cette préfiguration énigmatique des temps d'incertitudes nihilistes, de désir secret d'auto-anéantissement et d’horreur apocalyptique finale qui sont les temps de notre génération ? Dans l'espace de plus en plus crépusculaire où semblent s'accomplir aujourd'hui les dernières destinées européennes du monde, cette préfiguration énigmatique apparaît, je crois, et se déclare – à supposer que l'on fût en état de lire, de s’approprier les signes ultimes – avec le mystère de ce qu'il est convenu d'appeler le passage de René Guénon à l'Islam et, d'autre part, avec les implications générales, métahistoriques et plus élevées encore, et plus cachées, de cette conversion qui, en tout état de cause et quoi qu'il en est, n'en fut pas une. En effet, on se souvient que, dans une correspondance désormais célèbre, René Guénon confessait très clairement qu'il ne s'était jamais converti à rien. Je cite : « Nous n'avons jamais été converti à quoi que ce soit ». René Guénon nierait-il ainsi son incursion notoire dans l'Islam, son rattachement à celui-ci ? Absolument pas. Ce que René Guénon voulait dire, c'est que des grands spirituels ayant franchi certains degrés ultimes de la spirale occulte qui régit toute montée initiatique majeure parviennent, un jour, à des hauteurs où les appartenances spécifiantes ne signifient plus rien, et d'où la visitation ultérieure des logis prophétiques des uns et des autres relèvent exclusivement de la charité sacrificielle, de ce que l'on appelle, aussi, la réalisation descendante.

 

Encore une fois donc : certains spirituels engagés, par choix providentiel, dans la spirale des plus exceptionnelles montées initiatiques et dépassant, ainsi, l'étage des appartenances spécifiantes, peuvent envisager d'entreprendre la visitation missionnaire des demeures traditionnelles de leur choix, ou du choix qu'on leur imposerait, car, eux-mêmes déjà hors de toute spécifications trouveraient alors, dans la redescente vers le monde de la séparation, matière à donation charitable soit de l'ordre de l'enseignement secret soit de celui des conspirations théologales, cosmologiques ou métahistoriques dont les sens échappe d'avance à toute appréciation extérieure au domaine de leur action propre.

 

En tout cas, c'est la dialectique de cette visitation descendante qui doit arrêter, définir le statut le plus juste du passage à l'Islam, de la soi-disant conversion islamique de l'homme plus ou moins appelé René Guénon : sur les sommets de la déspécification, le mystère de ce qui s'est fait avec René Guénon dans les couloirs d'influence de l'Islam le plus haut devra rester dans doute à jamais non-dévoilé, un mystère sans faille et ne concernant que ce qu'il y avait eu à faire quand cela s'est fait, dans les conditions et à l'heure majeure où il fallait que cela se fasse.

 

Mais la si mystérieuse visitation descendante de l'Islam charitablement assumé par René Guénon ne saurait en aucun cas être prise pour modèle, ni suivie donc, ni imitée, ni surtout envisagée comme le signe de je ne sais quelle entreprise de grand glissement religieux à venir, où l'Occident se devrait de rejoindre, d'une manière ou autre, les hautes terres spirituelles de l'Islam. L'aventure spirituelle de René Guénon à l'ombre de l'Islam ne concerne que René Guénon lui-même et certains groupes de ses témoins directs, et c'est à travers René Guénon et ces groupes de témoins directs, exclusivement – je pense aux groupes de travail spirituel polarisés par Michel Vâlsan – que la station islamique du grand spirituel de Blois se trouve appelée à influencer, dans les temps prévus pour cela, les destinées profondes du monde occidental à sa fin.

 

Le salut spirituel et la délivrance du monde de l'Ouest plongé, actuellement, dans le mystère de sa plus grande nuit antarctique, le reconditionnement cosmologique et métapsychique profond de l'Occident à sa fin devront se faire par d'autres voies et, en attendant que l'heure suprêmement décisive émerge des ténèbres, se poursuivent par d'autres voies encore, clandestinement. En attendant donc le prochain grand réveil des confréries ésotériques occidentales, les tous petits groupes, voire même les éléments séparés, plongés dans la plus profonde clandestinité ontologique et spirituelle, qui, aujourd'hui, en Europe et à l'intérieur des espaces continentaux de prédestination européenne, se gardent en état d'éveil et n'en finissent plus de faire la volonté occulte de l'Esprit et de l'Imperium d'embrasement que celui-ci entretient dans l’invisible, reçoivent leur nourriture vivante par la voie des trois derniers canaux de conduction souterraine, nocturne, illégale et secrète, conduction que j'appellerai celle des dernières voies polaires. Quelles sont celles-ci ?...

26/10/2022

Les paradoxes de la Liberté – La métaphysique de la machine à laver (Alexandre Douguine)

Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique – La Russie et les idées politiques du XXIème siècle, Partie II – La fin des idéologies classiques et leurs métamorphoses, Chapitre V – Qu'est-ce que le conservatisme ?, Les paradoxes de la Liberté, pp. 85-86, Ars Magna Éditions

 

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Ainsi arrive le postmoderne. Que peut-on lui opposer ? Et peut-on lui dire non ? Il s'agit d'une question de fond.

 

 D'ailleurs, en partant de cette même thèse libérale selon laquelle l'homme est libre, on sous-entend qu'il est toujours libre de dire non  à tout ce que à quoi il souhaiterait dire non.

 

 Or, ici, se trouve un moment dangereux de la philosophie de la liberté qui, sous l'égide de l'absolutisation de la liberté; commence à retirer à la liberté elle-même la liberté de dire non.

 

 Le modèle libéral occidental répond alors: vous voulez vous opposer à nous ?  Faites-le, vous en avez le droit, mais vous ne pourrez pas désinventer la machine à laver. La machine à laver constitue l'argument absolu des partisans du progrès.

 

 En fait, tout le monde veut en posséder une, les Africains, les Indiens, les conservateurs, les orthodoxes. Les communistes aussi, en vertu d'une autre logique, évoquaient la nécessité et le caractère irréversible du changement des formes de production. Ils estimaient que le socialisme arriverait après le capitalisme. Le socialisme est arrivé bien que nous n'ayons pas eu de capitalisme, est resté un certain temps, a anéanti une grande quantité d'individus avant de disparaitre.  Il en est de même avec les machines à laver.

 

 Et si on réfléchit à la métaphysique de la machine à laver, si on pense à quel point elle se trouve en accord avec les véritables valeurs d'un système philosophique, alors on arrive à la conclusion que, dans l'ensemble la vie humaine est possible même sans machine à laver et peut même être tout à fait heureuse. Mais pour la société occidentale il s'agit d'une situation horrible, presque sacrilège.

 

 On peut tout comprendre, mais comment vivre sans machine à laver ? Il s'agit d'une véritable affirmation antiscientifique: la vie sans machine à laver est impossible. Elle n'existe pas. La machine à laver est la vie. Voilà en quoi consiste l'action de la force de l'argument libéral qui affiche son côté totalitaire.

 

 Dans toute libération il y a toujours un élément de contrainte, c'est là le paradoxe de la liberté. Il y a contrainte ne serait-ce qu'à penser que la liberté constitue la valeur suprême. Imaginez qu'un individu dise : la liberté est la valeur suprême. Un autre réplique : pas du tout. Alors le premier répond : Tu es contre la liberté ? Je suis prêt à tuer pour la liberté.

 

 Le libéralisme comporte l'idée selon laquelle il ne peut y avoir d'alternative à lui-même. Il y a ici une certaine vérité. Si le logos, la rationalité, a pris le chemin de la liberté, si le logos social s'est lancé dans l'aventure de la libération totale, où le premier mouvement dans cette direction a-t-il eu lieu ?

 

 Il convient de le chercher non pas à l'époque où sont apparus Descartes, Nietzsche, ou au XXe siècle mais quelque part chez les présocratiques. Heidegger a vu ce moment dans la conception de la physis, ainsi que de façon plus marquée dans l'enseignement de Platon sur les idées. Mais l'important est ailleurs : le mouvement du logos vers la liberté n'est pas dû au hasard et malgré tout, il est possible de lui dire non.

« La Liberté par rapport à » (Alexandre Douguine)

Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique – La Russie et les idées politiques du XXIème siècle, Chapitre 2 – Le libéralisme et ses métamorphoses, « La liberté par rapport à », pp. 39-41, Ars Magna Éditions

 

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Tous les principes de la philosophie du libéralisme et ce nom lui-même sont fondés sur la thèse de la « liberté » « liberty ». De plus, les philosophes libéraux eux-mêmes (en particulier, John Stuart Mill) soulignent que la « liberté » qu'ils défendent est une notion strictement négative. Qui plus est, ils établissent une distinction entre la liberté par rapport à (quelque chose) et la liberté de (faire quelque chose), en proposant d'utiliser pour ces eux concepts deux mots différents en anglais : « liberty » et « freedom ». « Liberty » sous-entend la liberté par rapport à quelque chose, d'où tire précisément son origine le terme « libéralisme ». Les libéraux se battent bel et bien pour cette liberté qu'ils défendent. Quant à la « liberté de », c'est-à-dire le sens et le but de la liberté, les libéraux gardent le silence, estimant que chaque individu peut lui-même trouver une application à cette liberté – tout comme n'en chercher aucune application. Il s'agit d'une question de choix privé, qui n’apparaît pas comme une valeur politique ou idéologique.

 

Au contraire, la « liberté par rapport à » est décrite en détail  et revêt un caractère dogmatique. Les libéraux proposent donc de se libérer :

    - de l’État et de son contrôle sur l'économie, la politique, la société civile,

    - de l'église et de ses dogmes, 

    - des systèmes de groupes sociaux constitués (ordres),

    - de toute forme d'économie communautaire,

    - de toute tentative de redistribuer, fût-ce par des instances de l’État ou de la société, les résultats du travail matériel ou immatériel (selon la formule du libérale Philippe Nemo, disciple de Hayek : « la justice sociale est profondément amorale »),

    - de l'appartenance ethnique,

    - de toute identité collective.

 

On peut penser avoir affaire à quelque version de l'anarchisme mais cela n'est pas tout à fait le cas. Les anarchistes, du moins tels que Proudhon, posent comme alternative à l’État le travail libre en communauté avec collectivisation complète de ses produits et se prononcent fermement contre la propriété privée, tandis que les libéraux, au contraire, voient dans le marché et la propriété privée sacrée le gage de la réalisation de leur modèle socio-économique optimum. En outre, considérant théoriquement que l’État doit tôt ou tard dépérir, après avoir cédé la place au marché, mondial et à la société civile mondiale, les libéraux, en vertu de considérations pragmatiques, soutiennent que l’État, s'il est de nature démocrate bourgeoise, contribue au développement du marché, garantit à « la société civile » sécurité et protection contre ses voisins agressifs, prévenant ainsi « la guerre de tous contre tous » (T.Hobbes).

 

Pour le reste, les libéraux vont assez loin, niant pratiquement toutes les institutions sociopolitiques traditionnelles, jusqu'à la famille ou l'appartenance sexuelle. Dans les cas extrêmes les libéraux se prononcent non seulement pour la liberté de l'avortement, mais aussi pour la liberté de l'appartenance sexuelle (en soutenant les droits des homosexuels, des transsexuels, etc.). La famille, du même que les autres formes de lien social, sont considérées comme des phénomènes purement contractuels qui, tout comme comme les autres « entreprises », sont conditionnés par des accords juridiques.

 

En somme, le libéralisme insiste non seulement sur la « liberté par rapport » aux Traditions, au sacré (si on évoque les formes passées de la société traditionnelle), mais aussi sur « la liberté par rapport » aux socialisations et aux redistributions, sur lesquelles mettent l'accent les idéologies politiques de gauche – socialiste et communiste – (si l'on considère les formes politiques contemporaines du libéralisme ou prétendant même le remplacer).