08/11/2021
« Grands Réveils » et « Enfants de Lumière » (Daniele Perra)
Le petit oiseau bleu n'aime pas les articles de Katheon, nous reproduisons donc cet article sur notre blog...
Source : Katheon
Dans un article publié dans le numéro 4/2021 d'Eurasia, l'universitaire Maria G. Buscema affirme que les historiens et les théologiens utilisent les termes de Grand Réveil ou Revivals pour désigner expressément les mouvements de renouveau spirituel caractéristiques du protestantisme. L'expression "Grand Réveil" a récemment été remise au goût du jour comme indicateur d'une révolte "spontanée" non spécifiée des masses (des peuples) contre la Grande Remise à zéro "mondialiste" imposée (aussi) par les mesures visant à contenir la crise pandémique, par la pandémie elle-même ou par le récit qui en est fait (ou préparé) en "Occident".
Ces aspects nécessitent naturellement une étude plus approfondie, que nous tenterons de fournir au cours de ce travail. Cependant, il semble presque un devoir de rappeler que l'"Occident" reste l'espace géographique-idéologique soumis à l'hégémonie culturelle et militaire des États-Unis d'Amérique. Par conséquent, il est assez rare qu'une expression idéologico-religieuse émanant du "centre impérial" vise de quelque manière que ce soit à sa destruction.
L'histoire nous enseigne que toute tentative de renouveau spirituel (qu'elle ait échoué ou non) conçue et guidée par les échelons supérieurs du pouvoir impérial a toujours eu pour objectif le renforcement de l'empire lui-même et non sa dissolution. Prenons l'exemple de la tentative de l'"impératrice philosophe" Julia Domna, tout en distinguant les aspects purement traditionnels de la modernité. Celle-ci, épouse de Septime Sévère et fille d'un prêtre du dieu syriaque El-Gabal, pensait à une uniformisation spirituelle renouvelée de l'Empire romain par l'imposition d'une sorte d'énothéisme solaire capable de surmonter les divisions entre les différentes croyances religieuses en son sein. Et son objectif était de donner vie à un modèle théologique qui légitimerait et sacraliserait à nouveau l'espace impérial après que la coïncidence originelle du droit, de la politique et de la religion se soit lentement estompée [1]. Son objectif, comme celui de Julien après elle, était donc de renforcer et non de détruire.
Pour en revenir à l'actualité, les pages d'Eurasia ont souvent traité de l'incohérence quasi absolue de la dichotomie mondialisme/souverainisme (deux faces d'une même pièce qui évoluent dans le paradigme géopolitique de l'atlantisme). Le discours est différent en ce qui concerne le Grand Réveil susmentionné.
L'observateur non averti de la réalité serait enclin à considérer et à accepter (pour le meilleur et pour le pire) ce "phénomène" comme quelque chose d'absolument original: comme une opposition naturelle au dessein de la "grande restauration" (théorisée au forum de Davos en 2020) selon ses plus ardents adeptes ; comme le résultat de fantasmes conspirationnistes selon ses détracteurs. Ces deux positions sont erronées.
Au tournant des XVIIIe et XXe siècles, comme le rapporte l'étude de Maria G. Buscema, il y a eu au moins trois ou quatre (selon l'interprétation) grands réveils différents (il y en aurait même cinq avec le réveil actuel). Toutes, bien qu'inspirées par des pratiques religieuses nées en Europe, sont originaires des États-Unis. Et toutes ont eu des répercussions dans les sphères religieuses et politiques. Ceux-ci, affirme la chercheuse de Syracuse, "ont en commun le fait de centrer leur enseignement sur la doctrine du péché et de la grâce que l'on trouve dans la Bible, mais lue à la lumière de la Réforme, c'est-à-dire en mettant le Christ au centre de la prédication, en éloignant les fidèles des rituels et des cérémonies et en rendant la religion intensément personnelle pour les fidèles ordinaires" [2].
De là, nous pouvons voir une première différence substantielle non seulement entre la doctrine catholique et protestante, mais aussi entre différents courants au sein même du protestantisme: c'est-à-dire entre les protestants traditionalistes, d'une part, centrés sur l'importance du rituel et, d'autre part, les nouvelles expressions religieuses visant à encourager une plus grande implication émotionnelle et un engagement personnel au nom de la spiritualité.
À cet égard, il convient de rappeler que le prosélytisme religieux, comme la propagande politique, recherche toujours l'implication émotionnelle directe de la personne. Par conséquent, le prosélytisme et la propagande doivent être réglementés en fonction du public auquel ils s'adressent.
Comme l'écrivait Lord Northbourne à l'époque: "De nos jours, les représentants de la religion n'osent rien faire d'autre que de paraître à la page. C'est pourquoi ils s'efforcent toujours de rendre les écritures et les doctrines de la religion intelligibles pour le commun des mortels en essayant de les définir en termes adaptés à ses capacités d'analyse mentale et de déduction [...] rien ne restreint mieux que la manie de la définition, qu'elle soit philosophique ou populaire. Une divinité définie n'est pas divine, mais humaine ; elle n'est pas Dieu, mais une idole" [3]. En fait, en paraphrasant René Guénon, en essayant d'amener Dieu dans les états inférieurs de l'être (une pratique répandue dans le protestantisme anglo-américain) on ne fait que développer un "satanisme inconscient" beaucoup plus pernicieux que le satanisme réel et conscient (un phénomène à peine répandu et plutôt grotesque).
Pour en revenir aux différents "grands réveils", il est utile de rappeler que les racines de ce phénomène peuvent être facilement identifiées dans le piétisme: courant protestant développé en Europe centrale aux 17ème et 18ème siècles en réaction au dogmatisme luthérien classique. Le piétisme s'opposait au rationalisme de la théologie luthérienne en mettant l'accent sur la dévotion intérieure, grâce à laquelle les adeptes étaient élevés au niveau des "éveillés" ou des "régénérés". Sur la base de cette idée de "réveil" ou de "renaissance" en Christ, les grands réveils nord-américains se sont développés à partir du 18ème siècle. Le premier de ceux-ci, dit Maria G. Buscema, remonte au méthodisme, qui a offert une substance et une force nouvelles à l'action des prédicateurs évangéliques, généralement d'origine calviniste et marqués par une forte rigueur morale.
Aux États-Unis, nous avons le prédicateur écossais Thomas Chalmers (1780-1847) [...] ou la prédication charismatique des pasteurs George Whitefield (1714-1770) et Jonathan Edwards (1703-1758) [...] La prédication de ce dernier s'accompagne d'une vague de fanatisme millénariste qui se répand du Connecticut à la Nouvelle-Angleterre. Ses prédications, appelant au "Nouvel Israël" américain et à l'alliance conclue avec Yahvé, suscitaient des foules extatiques à l'écoute des sermons des pasteurs itinérants [...] Il fut suivi du Second Grand Réveil (1800-1858), particulièrement fort dans le Nord-Est et le Midwest, qui impliqua les classes inférieures et moyennes et eut pour centre de prédication revivaliste le district dit "Burned over" dans l'ouest de l'État de New York, appelé ainsi en raison du thème constant des sermons: "la damnation éternelle dans les flammes de l'enfer" [5]. Le troisième Grand Réveil (1859-1900) est généralement associé à l'impulsion donnée à l'action missionnaire et à la naissance des Témoins de Jéhovah. Alors qu'avec le quatrième Grand Réveil (qui a commencé au tournant des années 60 du siècle dernier) on entre dans une dimension plus proprement politique et géopolitique. Elle se distingue par le succès de certains des acronymes les plus conservateurs du panorama religieux nord-américain qui se sont engagés, par exemple, dans des batailles "éthiques", dictées par une lecture littérale du texte biblique, contre l'évolutionnisme et en faveur du "créationnisme".
61VZtbQbr4L.jpgIl est ici nécessaire d'ouvrir une brève parenthèse, étant donné que les théories évolutionnistes et créationnistes ont toutes deux des origines modernes. "L'un et l'autre, dit Lord Northbourne déjà cité, cherchent à tout expliquer en termes d'avantages et d'inconvénients immédiats et tangibles" [6]. Ainsi, les deux courants, tout en étant en antithèse l'un avec l'autre (puisque le "créationnisme" part d'un présupposé religieux), sont régis par une tendance intrinsèquement matérialiste.
Le célèbre pasteur évangélique Bill Graham (1918-2018) est lié au quatrième Grand Réveil. Il a exercé son influence sur de nombreux locataires de la Maison Blanche, et plus généralement sur les dirigeants politiques américains, tout au long du milieu du 20e siècle et du début du 21e siècle, d'Eisenhower à Jimmy Carter et de Bill Clinton au vice-président de Donald J. Trump, Mike Pence.
Avec ce que nous pourrions appeler le cinquième grand réveil (dont la date de début pourrait coïncider avec l'élection de Donald J. Trump en 2016), la dimension géopolitique prend encore plus de valeur. Cependant, la traditionnelle "destinée manifeste" (la mission des États-Unis de construire un ordre mondial à leur image) est masquée par une lutte idéologique-eschatologique entre le bien (l'humanité en général) et le mal (les soi-disant élites libérales transnationales, présentées comme les "alliés" de la menace numéro un pour l'hégémonie mondiale des États-Unis: la Chine).
Cette nouvelle "théologie politico-apocalyptique" a pu surmonter le trumpisme lui-même (la défaite électorale de "l'homme que Dieu a envoyé pour débarrasser le monde du mal" selon les adeptes de QAnon) et les frontières du centre "impérial" pour s'étendre à la périphérie européenne (également grâce à des agitateurs politiques zélés, dont le penseur russe Alexandre Douguine, auteur d'un manifeste du Grand Réveil contre la Grande Restauration dans lequel sont chantées les louanges du trumpisme et de l'Amérique comme lieu du "crépuscule du libéralisme") [7]. Ce court pamphlet mérite qu'on s'y attarde, car il marque le passage définitif d'une perspective géopolitique quasi déterministe (les États-Unis sont poussés à la conquête du monde par leur nature thalassocratique intrinsèque) à une perspective purement politique, dans laquelle un "philosophe" (prétendument "évolien") fait ouvertement un clin d'œil à des éléments anti-traditionnels tels que le messianisme numérisé de la pseudo-religion QAnon susmentionnée [8]. Il importe peu que le trumpisme, en termes géopolitiques, ait évolué dans une continuité absolue avec les administrations précédentes, en appliquant la stratégie américaine habituelle: exacerber les tensions pour assurer des revenus au complexe industriel de guerre nord-américain et construire des blocs d'opposition entre l'Europe et le reste de l'Eurasie.
Or, la "théologie apocalyptique-politique" susmentionnée, profondément inspirée par les thèmes classiques de l'évangélisme et du sionisme chrétien, trouve sa référence théorique dans un tout aussi court pamphlet de 1944 écrit par le théologien réformé Reinhold Niebuhr et intitulé Les enfants de la lumière et les enfants des ténèbres. Le "travail" mérite une nouvelle parenthèse, car il exprime l'idée d'un véritable choc existentiel entre les États-Unis et l'Europe. À vrai dire, l'idée n'est pas particulièrement originale non plus. Déjà au cours du 19ème siècle, des thèses de conspiration ont été propagées aux États-Unis, selon lesquelles les empires européens, de concert avec le pape et les jésuites, tentaient de détruire le gouvernement démocratique de Washington.
En fait, le pamphlet de Niebuhr se concentre sur la "civilisation démocratique moderne". Celle-ci, appuyée sur le "credo libéral", est l'expression des "enfants de la lumière", dont le seul péché est une approche sentimentale naïve des relations internationales. La "civilisation démocratique" est opposée à celle des "enfants des ténèbres", qui sont voués au cynisme moral (une caractéristique qui, selon Niebuhr, distingue aussi bien Mussolini, lié à Mazzini par une ligne directe, qu'Hitler); leur antidémocratisme serait influencé politiquement par Hobbes et religieusement par Luther. Ils sont mauvais mais très intelligents et ne connaissent aucune loi ni aucun droit autre que la simple force. L'ennemi des "enfants de la lumière" ne peut donc être que la "fureur démoniaque" du nazisme et du fascisme, qui ont mis les outils de la technologie moderne au service d'une idéologie antimoderne qui place la communauté avant l'individu [10].
Or, les affirmations de Niebuhr peuvent facilement être réfutées à plusieurs niveaux. Le théologien réformé, en premier lieu, semble être un piètre connaisseur de Hobbes, dont le "seul défaut", au mieux, serait de ne jamais dissimuler le pouvoir, son poids et sa position centrale dans tous les comportements humains, et de ne jamais l'exalter. Deuxièmement, il semble ignorer les multiples crimes du colonialisme libéral et le fait même que la soi-disant "Doctrine Monroe", loin d'être le produit d'une géopolitique isolationniste, était simplement la première expression de l'impérialisme nord-américain.
En outre, il semble ignorer le fait que l'absence de "droit", pour paraphraser Carl Schmitt, a principalement caractérisé les actions nord-américaines sur le continent européen. En diabolisant l'ennemi (qui mérite d'être anéanti), les États-Unis ont ramené la "loi de la jungle" en Europe. Surmontant le traditionnel ius publicum europaeum qui était à la base des relations entre les monarchies chrétiennes du continent, les États-Unis ont imposé une domination sur le continent qui aujourd'hui, à la seule exception de la Russie, est devenue totale.
Il n'est pas surprenant que l'agitateur et théoricien trumpiste Steve Bannon ait souvent fait référence à un "capitalisme éclairé" non spécifié, imprégné de "valeurs judéo-chrétiennes", qui a aidé à vaincre le nazisme et à renvoyer un "empire barbare" (la référence est à l'Union soviétique) à l'Est (11). Et il n'est pas surprenant que les partisans actuels du Grand Réveil aient alternativement recours à des comparaisons avec le communisme et le nazisme pour décrire les conditions restrictives actuelles.
Bannon lui-même a repris le thème (non sans références bibliques) des "enfants de la lumière contre les enfants des ténèbres" dans une interview désormais célèbre de l'ancien nonce apostolique aux États-Unis, Carlo Maria Viganò, connu pour ses positions pro-Trump et anti-Biggerhead [12]. Dans cette interview, il est fait explicitement référence à l'alliance impie entre "l'État profond mondialiste" et le "régime communiste brutal" (la référence est la Chine). Une théorie qui semble plutôt bizarre si l'on considère que l'homme de référence du mondialisme, George Soros, est considéré comme un terroriste en République populaire de Chine, et que l'actuelle administration Biden n'a fait qu'exagérer davantage les positions géopolitiques anti-chinoises de la précédente (on pense à la signature du pacte AUKUS et au renforcement militaire du gouvernement séparatiste de Taïwan, cheval de bataille de Steve Bannon).
À vrai dire, le prétendu État profond s'est désintéressé de la Chine au moment même où Bannon a compris que le grand pays asiatique représentait une menace réelle pour l'hégémonie mondiale nord-américaine. C'était déjà le cas lors du premier mandat présidentiel de Barack Obama. En ce qui concerne les soi-disant élites mondialistes, leur intérêt pour le marché chinois est inextricablement lié au renversement du gouvernement du PCC. Ce n'est pas un hasard si le spéculateur George Soros, déjà cité, a décrit à plusieurs reprises le président chinois Xi Jinping comme le plus grand ennemi de la société ouverte.
La crise pandémique n'a fait qu'exagérer davantage des positions qui restent toujours parfaitement dans le schéma géopolitique atlantiste (qu'elles soient progressistes ou réactionnaires). Il ne s'agit pas ici d'établir l'origine du virus, sujet sur lequel il n'y aura jamais de parole définitive (bien que l'auteur se soit fait sa propre idée sur la base de l'observation empirique que la recherche constante d'un ennemi est un présupposé fondamental pour la réaffirmation continuelle du schéma hégémonique nord-américain). Ce qui compte, ce sont ses effets.
Le premier effet, et le plus évident, de la crise pandémique a été l'accélération de certaines tendances et dynamiques qui se manifestaient en "Occident" depuis plusieurs décennies. L'évolution de la société occidentale vers une forme de "capitalisme de surveillance" ou de "totalitarisme libéral" a été "mal comprise" par les théoriciens du "grand réveil" comme une forme de "chinoisisation de la société". Pour être juste, son antécédent historique le plus immédiat peut facilement être trouvé dans le Patriot Act de l'administration Bush Jr, qui a donné à la NSA le champ libre pour espionner les citoyens américains eux-mêmes. En outre, des systèmes de contrôle et de suivi de la population étaient en place bien avant la crise pandémique grâce aux plateformes sociales et de recherche du réseau.
Les mêmes mesures pour contenir l'épidémie entre la Chine et l'"Occident" étaient complètement différentes. Dans le cas de la Chine, on a opté pour des fermetures localisées, une traçabilité rapide et le renforcement des soins de santé en tant qu'outil de sécurité nationale. Dans le cas de l'Occident (sauf dans de rares cas), en raison également des immenses dégâts générés par des décennies de néolibéralisme exaspéré, l'accent a été mis sur les confinements généralisés et prolongés, la lenteur ou l'absence de suivi, la mise en cause de la population et le cyberterrorisme. En outre, les vaccins (bien sûr, uniquement ceux produits par les multinationales pharmaceutiques occidentales) ont été considérés comme l'unique moyen de surmonter la crise, jusqu'au cas extrême de l'Italie (véritable laboratoire d'expériences politiques, du gouvernement jaune-vert au gouvernement hyper-atlantique du "bankster" [13] Mario Draghi), où une sorte d'obligation vaccinale fictive a été imposée par le biais du "certificat vert" : un outil qui discrimine ouvertement non seulement ceux qui ont choisi de ne pas se faire vacciner, mais aussi ceux qui l'ont fait avec des vaccins non occidentaux. Cette mesure, il faut le souligner, n'existe pas en Chine, où un état semi-normal a déjà été rétabli à l'été 2020 sans aucune obligation de vaccination, fictive ou non. On peut donc parler à juste titre d'une nouvelle "israélisation de la société".
Il n'en va pas différemment si la "chinoisisation de la société" signifie la réduction progressive des droits du travail, puisque nous avons affaire à deux formes de société complètement différentes. Concrètement, il est impossible d'établir des comparaisons entre une forme de socialisme national capable de sortir plus de 700 millions de personnes de la pauvreté et centré sur l'idée de "prospérité commune" et un modèle néolibéral, dont la seule aspiration est d'expérimenter de nouvelles techniques d'oppression (sans rien donner en retour à la population) afin de maintenir intact son système d'exploitation face aux crises structurelles cycliques de l'hypercapitalisme.
Une véritable opposition à l'évolution actuelle du système ne peut se limiter à un simple "non" au vaccin ou au "certificat vert". En laissant de côté le fait que se définir comme "éveillé" pour le simple fait d'avoir refusé une injection ferait rire même un débutant dans le domaine des études traditionnelles, penser que l'on peut créer une opposition au système uniquement et exclusivement sur ces bases, ou aspirer à un retour au passé qui a ouvert la voie à la situation actuelle, sans même gratter un pouce des dogmes atlantistes, c'est être absolument consubstantiel au système lui-même.
NOTES:
[1] Cf. C. Mutti, Introduzione alle Epistole di Apollonio di Tiana, Edizioni di Ar, Padova 2021, pp. 9-41.
[2] M. G. Buscema, Il “Grande Risveglio”. Una teologia politico-apocalittica?, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici” 4/2021, P. 122.
[3] Lord Northbourne, Quale progresso?, Cinabro Edizioni, Roma 2021, p. 104.
[4] R. Guénon, Errore dello spiritismo, Luni Editrice, Milano 2014, p. 198.
[5] Il “Grande Risveglio”. Una teologia politico-apocalittica?, ivi cit., p. 124.
[6] Quale progresso?, ivi cit., p. 64.
[7] A. Dugin, Contre le great reset, le manifest du grand réveil, Ars Magna (2021), p. 47. Recension de Claudio Mutti in “Eurasia” 4/2021, pp. 221-222.
[8] Ibidem, p. 38.
[9] Cf. R. Hofstadter, The paranoid style in American politics, www.harpers.org.
[10] Cf. R. Niebuhr, The children of light and the children of darkness, Charles Scribners’s Son (1944).
[11] Cf. A. Braccio, Gli USA contro l’Eurasia: il caso Bannon, www.eurasia-rivista.com.
[12] La citation précédente de Lord Northbourne concernant la tentative de rendre Dieu définissable par tous, même par les esprits les moins préparés, s'applique parfaitement à la condition actuelle de l'Église catholique. Les deux positions, la "moderniste" de Bergoglio et la "conservatrice" de Viganò, sont profondément influencées par l'esprit protestant. Le premier s'est plié au style de propagande évangélique pour rendre l'image de Dieu accessible à tous. Le second a opté pour l'approche apocalyptique typique de l'évangélisme nord-américain. Il faut ajouter à cela que de nombreuses positions de Bergoglio sont souvent et volontairement déformées.
[13) Le terme a été utilisé par Léon Degrelle dans les années 1930 pour désigner les pratiques de gangsters employées par les grandes institutions de la finance pour maintenir leur contrôle sur les peuples.
Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | |
08/09/2021
La fin du monde unipolaire plutôt que la fin de l'histoire (Alexandre Douguine)
(Source : Katheon)
Francis Fukuyama a récemment écrit un article assez objectif et équilibré sur la fin de l'hégémonie américaine.
Au début des années 90, Fukuyama s'est empressé d'annoncer la victoire mondiale du libéralisme et la fin de l'histoire. Il a ensuite corrigé sa position. Au cours de mes conversations personnelles avec lui, j'ai acquis la conviction qu'il comprend de nombreux processus mondiaux de manière assez réaliste et qu'il peut admettre des erreurs dans ses prévisions - un trait rare chez les politologues, généralement narcissiques, qui se trompent tous les jours et sont encore plus arrogants à cause de cela.
Maintenant, ce que Fukuyama dit est ceci. Le retrait d'Afghanistan n'est pas seulement la cause de l'effondrement de l'hégémonie américaine, mais seulement son point final. Cette hégémonie a commencé à s'effilocher il y a dix ans, lorsqu'il est devenu évident que la stratégie américaine au Moyen-Orient, mise en oeuvre au début des années 2000, avait échoué, et que la crise financière a sapé la confiance dans la stabilité de l'économie américaine.
Mais la chose la plus effrayante pour les États-Unis, ces derniers temps, a été le profond clivage public sur la politique intérieure, et surtout sur Trump. Cette fois, non seulement le transfert pacifique du pouvoir des républicains aux démocrates n'a pas eu lieu, mais la polarisation des partisans et des opposants de Trump a amené le pays au bord de la guerre civile. Par conséquent, selon Fukuyama, ce qui fait peur, ce n'est pas le retrait des troupes d'Afghanistan, qui était attendu depuis longtemps, mais la situation dans laquelle il s'est produit sur fond de processus politiques intérieurs aux États-Unis.
Biden, qui, à l'origine, n'était pas considéré comme un président légitime par les républicains, apparaît désormais comme un parfait perdant et un idiot impuissant. À cela s'ajoutent les critiques des néoconservateurs, qui fondaient de grands espoirs sur Biden, critiques suivies de celles formulées par les alliés britanniques. Aujourd'hui, il est considéré, même par ses partisans, comme un vieil homme dément à qui tout échappe - mêmes les Afghans cachés dans les trains d'atterrissage des avions américains.
Fukuyama déclare : les Etats-Unis ne sont plus l'hégémon de la politique mondiale. La multipolarité est un fait accompli.
Cependant, Fukuyama propose de ne pas peindre le tableau en des tons trop criards. Les États-Unis sont toujours la plus grande puissance mondiale. Mais désormais, elle doit chercher des alliés et compter avec d'autres puissances.
Il convient d'examiner ce que le conseiller de l'administration Fukuyama conseille à l'administration Biden en matière de politique étrangère. Le tableau est le suivant: le monde unipolaire est passé entre 1989 à 2008 à une nouvelle bipolarité, et maintenant le déclin de l'unipolarité en direction de la multipolarité a commencé.
Et maintenant, les principaux adversaires de l'Occident ne sont pas tant les extrémistes islamiques (bien que Fukuyama lui-même, au moment de la montée de l'unipolarité, ait formulé une thèse plutôt idiote sur l'islamo-fascisme comme principal ennemi), mais les nouveaux pôles que sont la Russie et la Chine. Pour les combattre - c'est nous ! - Fukuyama invite à se concentrer sur ces deux môles de puissance tellurique. Tout est de retour à la case départ, mais dans de nouvelles conditions et de nouvelles proportions.
Et par conséquent, comprend Fukuyama, sans la finaliser, nous devrions revenir à la pratique consistant à opposer les radicaux islamiques à la Russie et à la Chine. Par conséquent, il ne considère pas le fait même du retrait de l'Afghanistan comme une grande tragédie. Elle libère les mains de Washington pour retourner l'agression des talibans (hors-la-loi en Russie) contre la Russie et la Chine.
Les militants pachtounes ne seraient pas vraiment intéressés par la construction d'une nation (par un "nation building"). Cela ne fait pas partie de leurs objectifs historiques. Les Pachtounes sont un peuple de guerriers. Presque personne ne les a jamais maîtrisés, sauf brièvement. D'ailleurs, nos Cosaques russes nous rappellent cela: campagnes militaires, attaques, avancées et retraites rapides, utilisation parfaite du paysage pour la guérilla - voilà la vie des Cosaques russes. La guerre comme vocation. Un travail paisible pour les autres.
Les Pachtounes sont les cosaques afghans, mais multipliés par un million. Et si oui, quel genre d'état...
C'est sur cela que Fukuyama et apparemment Biden comptent. S'ils réussissent à nouveau, comme à l'époque du monde bipolaire, à opposer les radicaux islamiques à la Russie et à la Chine, les États-Unis auront encore un peu de temps pour exister historiquement. Ils espèrent se reconstruire pendant cette période, consolider leurs positions et panser leurs plaies.
La conclusion est simple : l'essentiel pour la Russie est de ne pas laisser cela se produire. Et ici - parce que c'est une question de vie ou de mort - tous les moyens sont bons. Si Moscou et Pékin élaborent une stratégie efficace pour faire face à la nouvelle réalité de l'Afghanistan et du monde islamique en général, nous pourrions non seulement garantir nos intérêts, mais rendre irréversible l'effondrement de l'hégémonie occidentale.
Fukuyama lui-même n'écrit rien sur ce sujet, bien sûr, espérant que nous ne lisons pas assez attentivement son texte qui s'adresse aux stratèges de la Maison Blanche. Mais nous l'avons lu assez attentivement. Et nous sommes d'accord avec lui : l'Occident s'effondre. Ce qui signifie qu'il faut pousser ce qui tombe (Nietzsche: "Was fällt soll man noch stossen"). Et mettre en exergue certaines des faiblesses que Fukuyama lui-même nous a suggérées.
Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | |
08/07/2021
Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre des Miracles de Sainte Foy – Post Scriptum, pp. 50 à 54
(Le « Livre des Miracles » est un carnet de pèlerinage écrit par « La Grande Touriste » ; Claire, et il est introuvable, je fais partie des heureux élus qui en possèdent un des rares exemplaires...)
23 mai
A l'aube, je vois un moine. Il sourit et demande :
« Ça va ? Vous n'avez pas eu froid ? »
Je dis que non et le prie de m'excuser d'être en chaussettes. Il rit et me demande d'où je viens. Je lui raconte toute l'histoire et il rit encore :
« J'ai la clé. Je pourrais vous ouvrir maintenant ! Mais attendez encore un peu. Le Trésor ouvre à neuf heures et demie. Bon, je vous laisse, il faut que j'aille ouvrir l'abbatiale. »
« Mais je ne veux PAS PAYER ! » ne lui dis-je pas, car je suis blasée. Je le regarde s'éloigner en me tournant le dos.
J'appelle un ami :
« Jérémie, viens me chercher, s'il te plaît. Bess est crevée. Pas la peine de lui infliger une journée de plus. »
Un peu plus tard, je revois le moine passer sa figure joviale par la porte e la librairie où je suis allée flâner par dépit. Le monde est petit. Surtout à Conques.
« Alors ? » claironne-t-il. « On y va ? »
Aujourd'hui, c'est une demoiselle qui garde le Trésor. Frère Cyrille (c'est son nom) lui demande si elle veut bien s'occuper de Bess pendant qu'il me fait la visite. Elle accepte très volontiers. Et enfin, j'entre.
Au fond d'une salle noire et feutrée, au centre d'un jeu de rideaux et d'éclairages et dans un coffre de verre, voici la Majesté de Sainte Foy. Je suis muette d'émotion. Frère Cyrille est quant à lui d'humeur bavarde :
« Le Trésor de Conques est le seul qui ait échappé aux Guerres de religion et à la Révolution. Ce sont les habitants qui l'on caché dans leurs granges et leurs murs. On a critiqué à tort, je pense, les richesses de l’Église, elles étaient, en quelque sorte... à tout le monde. Et maintenant, bon, ça se passe plutôt bien entre notre communauté et les services de la Mairie. Nous avons la clé et nous pouvons aller et venir. L'un de nous a même la fenêtre de sa chambre qui donne sur le Trésor. Vous savez, quand on la sort pour la procession tous les ans, il y a les gendarmes ! »
Je rappelle à Frère Cyrille le « vol pieux » d'Aronisde. Il fait la moue :
« Oui, enfin c'était surtout pour la protéger des Normands. Conques est un village très retiré, on ne peut pas en dire autant d'Agen qui a subi toutes les invasions. »
C'est un petit personnage assis sur un trône, sculpté dans un bois d'if et martelé d'or massif. Le crâne de la Sainte est dans sa poitrine. La tête, disproportionnée, est celle d'un quelconque empereur romain dont l'Histoire a perdu le souvenir. On l'a soudée de manière à ce qu'elle soit un peu renversée en arrière, ce qui confère à son égard une étrange intensité et une autorité incontestable. Le tout est hérissé e pierres précieuses et de joyaux divers, « et même de médailles païennes », me fait observer Frère Cyrille. En effet, elle a sous le genou droit un bijou gravé d'une Diane chasseresse.
Je la trouve plus belle e vrai qu'en photo. Plus subtile. Ses mains surtout sont d'une finesse à ravir. Elles tiennent précieusement deux fourreaux d'or où l'on insère deux roses, lors des processions annuelles.
« On l'invoque pour la cécité, la stérilité et l'emprisonnement. C'est drôle, ici entre nous on l'appelle la petite Sainte Foy. Et vous, vous venez de Sainte-Foy-la-Grande ! Il faudrait faire un jumelage. »
Frère Cyrille évoque trois autres Saintes de la fin de l'empire qui portaient comme elle une valeur chrétienne en guise de prénom : Agnès, Agathe et Irénée. L'agneau, le Bien et la Paix.
Puis il repart vaquer à ses occupations et me laisse seule avec elle. Enfin, presque seule. Il y a des visiteur qui déambulent dans la salle.
Alors, je fais le tour de l'idole pour me cacher derrière. J'appuie ma bouche sur la vitre, à hauteur de sa nuque, et je chuchote, par trois fois, cette courte prière :
« Cœur sacré de Jésus, que ton règne arrive. »
Mon haleine brouille un instant la transparence de l'écran.
En sortant je fais la conversation à la guichetière qui s'appelle Céline et qui trouve Bess « vraiment adorable ».
Dehors, le Soleil brille entre deux averses.
Je flâne dans le cloître, cause avec les pélérins, autorise une Anglaise d'un certain age à prendre Bess en photo. « Hao, je l'eï vou passeï plousieurs fois dans le village, elle eï telliment joulie ! »
J'envoie un texto à Bruno : « Mission accomplie ». Il me félicite et me demande si j'aurais le temps et l'énergie d'aller à Salles-la-Source. Je lui promets d'essayer.
Installée sous une arcade, j'ouvre le livre que j'ai acheté à la librairie. Il est signé du Père Michel-Marie Zanotti-Sorkine. C'est un ancien chanteur de cabaret avec une tête de beau gosse d'Hollywodd, mais du genre qui finit par ne plus jouer que des rôles taillés sur mesure, par les plus grands cinéastes.
Dans son livre, le célèbre prêtre raconte un rêve qu'il fit une nuit. Il voyait la Vierge Marie marcher lentement au milieu des voitures et des mouvements de la ville. Bousculée de toutes parts par la foule empressée, elle semblait vieille et fatiguée, et elle chantait :
« Douce France, cher pays de mon enfance, bercée de tendre insouciance, je t'ai gardée dans mon cœur... »
Puis, le père Zanotti vit Jésus en personne débouler dans son rêve. Sa mère l'embrassa sur la main et redevint une fraîche jeune fille.
Le Seigneur s'assit ensuite sur un capot de voiture, et murmura dans sa barbe :
« Rien n'est jamais perdu. »
Et il sortit de son sac bleu, car il avait un sac bleu, un portrait de sa mère, un Nouveau testament en lambeaux et une colombe vivante qui s'envola et revint se poser sur son épaule. Et il dit :
« Moi aussi, je rêve... »
Mon téléphone sonne. C'est Jérémie.
Je le rejoins sous le tympan de l'abbatiale, l'invite à manger au restaurant et lui propose d'aller se ballader en dehors de Conques. Il a emmené avec lui sa louve tchèque qui s'appelle Sungmanitu Tanka Wacipi et qui est très copine avec Bess. Or elle ne se sont pas vues depuis trois semaines, et qaund Sung est trop excitée ça dégénère vite entre elles. Il y a ici trop de piétons. Il ne faudrait qu'elle fassent tomber une vieille dame en se bagarrant.
A vingt-cinq kilomètres de là, le village de Salles-la-Source est niché dans une falaise aux reliefs tourmentés. La cascade est fabuleuse. Des tonnes d'eau s'écrasent avec un fracas terrible dans une cuvette agitée de bouillons fumants. Jérémie et moi sommes trempés et hurlons pour nous entendre. Mon ombre sur la brume est couronnée d'un arc-en-ciel circulaire. Phénomène optique.
Sur le parvis de la cascade, un artiste métallier a installé trois œuvres : une fourmi géant en un dragon ailé qui semble absorbé dans la contemplation des eaux en furie et une espèce de chevalier mécanique agenouillé face aux visiteurs, les mains sur son épée. Titre de cette dernière : « L'Honneur ».
Plus bas, la cascade ressort non moins vivement de sous un petit pont. Des flots blanchis par les microbulles émergent trois arbrisseaux vacillants. Je m'étonne qu'il aient pu pousser là.
Je lis un panneau où il est expliqué que la cascade de Salles-la-Source est artificiellement restreinte et ne retrouve sa pleine puissance qu'après les fortes pluies. En cause, une centrale hydroélectrique vétustes et dangereuse (j'aperçois en effet une énorme conduite en fonte passant sous une maison méchamment lézardée).
La centrale n'emploie qu'un retraité à mi-temps, alors que la cascade pourrait attirer le tourisme et dynamiser l'économie de la commune, si l'on voulait bien la libérer. Signez la pétition, merci.
Ceci explique cela.
Sur la route du retour Bess peut enfin dormir plus d'une heure d’affilée. Quant à moi j'engueule Jérémie qui a manqué de nous faire tuer et d'autres avec nous, en passant à Decazeville. Il est complètement con ou quoi ? S'il veut mourir comme ça qu'il s'arrange pour que je sois ni dans sa voiture ni dans celle d'en face. Et vu comme il conduit, ça n'est pas étonnant qu'il se soit fracassé le crâne en tombant d'un toit, il y a trois mois !
« Bah ! » finit-il par lâcher. « Comme dit mon frère, si je m'en suis sorti sans séquelle, c'est parce que je ne suis pas tombé sur un organe vital ! »
En rentrant je croise Laurence, ma voisine.
« C'est drôle ! » me dit-elle. « Quand j'ai reçu ton message vendredi, la nuit d'après je n'ai pas pu dormir. Alors j'ai regardé la télé, et je suis tombé sur un documentaire sur Conques ! »
Enfin Bess et moi nous écroulons de concert et de fatigue, elle dans son canapé et moi dans mon lit.
Lien permanent | Commentaires (0) | Imprimer | | |