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08/12/2014

La multipolarité n'est pas le multilatéralisme (Alexandre Douguine)

 

Alexandre Douguine, Pour une théorie du monde multipolaire, Chap. 1 La multipolarité - définition des concepts utilisés, La multipolarité n'est pas le multilatéralisme, pp. 17-18, aux éditions Ars Magna

 

Un autre modèle de l'ordre mondial, quelque peu éloigné de l'hégémonie états-unienne directe, est celui d'un monde multilatéral (multilatéralisme). Ce concept est très répandu au sein du Parti démocrate états-unien, et, est officiellement conforme à la politique étrangère de l'administration du président Obama. Dans le cadre de débats de politique étrangère états-unienne, cette approche est opposé à l'unipolarité, qui a la préférence des néo-conservateurs.

 

Dans la pratique, le multilatéralisme signifie que les États-Unis ne devraient pas intervenir dans le domaine des relations internationales, que ce soit en impliquant uniquement leurs propres forces, ou bien en donnant mandat à ses alliés et "vassaux" pour se mettre en première ligne. Au contraire, Washington devrait plutôt prendre ne compte la position des autres parties, être capable de les convaincre et débattre leurs solutions dans le cadre d'un dialogue avec eux, et les amener à son côté au moyen d'arguments rationnels et, parfois, sur des propositions de compromis.

 

Dans une telle situation, les États-Unis devraient jouer le rôle de "premier parmi les pairs", plutôt que celui de "dictateur parmi les subordonnés". Cela imposerait à la politique étrangères états-unienne certaine obligations envers leurs alliés dans les politiques mondiales et exigerait le respect d'une stratégie globale. Cette stratégie globale dans ce cas serait la stratégie de l'Occident pour établir la démocratie mondiale, le marché global et la diffusion de l'idéologie des droits de l'homme à l'échelle mondiale. Mais dans ce processus, les États-Unis, qui occupent la position de leader, ne devraient pas assimiler directement leurs intérêts nationaux avec les valeurs "universelles" de la civilisation occidentale, au nom de laquelle ils agissent.

 

Dans certains cas, il serait préférable de constituer une coalition, et parfois même de faire des concessions à ses partenaires.

 

Le multilatéralisme diffère de l'unipolarité du fait de l'accent mis sur l'Occident au sens large, et aussi sur la question des "valeurs" (ou des "normes"). Parmi les apologistes du multilatéralisme se regroupent ceux qui préconisent un monde non-polaire. La seule différence entre le multilatéralisme et non polarité tient seulement au fait, que le multilatéralisme met en relief une coordination des pays démocratiques occidentaux entre eux, alors que la non polarité inclut également les acteurs non-étatiques dans cette concertation - ONG, réseaux, mouvements sociaux, etc.

 

Il est significatif qu'en pratique, la politique du multilatéralisme d'Obama, exprimée à maintes reprises par lui, et par la secrétaire d’États états-unienne Hillary Clinton, n'est pas très différente de l'époque de l'impérialisme directe et transparent de George W. Bush, au cours de laquelle dominaient les néo-conservateurs. Les interventions militaires états-uniennes ont continué (Libye) et la présence des troupes états-uniennes en Irak occupé et en Afghanistan a été maintenue.

 

Le monde multipolaire ne s'accorde pas avec l'ordre mondial multilatéral, car il s'oppose à l'idée de l'universalisme des valeurs occidentales et ne reconnait pas la légitimité du "Nord riche" à agir au nom de toute l'humanité, que ce soit individuellement ou collectivement. Il ne reconnaît pas non plus sa prétention à intervenir comme seul centre de prise de décision sur les questions les plus importantes de politique mondiale.

 

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 The Fourth Political Theory: beyond left and right but against the center

La multipolarité - Résumé des concepts utilisés (Alexandre Douguine)

 

Alexandre Douguine, Pour une théorie du monde multipolaire, Chap. 1 La multipolarité - définition des concepts utilisés, Résumé, pp. 19-21, aux éditions Ars Magna

 

La distinction faite entre l'expression « monde multipolaire » et une série des termes alternatifs ou similaires nous a permis d'exposer les grandes lignes du champ sémantique au sein duquel nous allons continuer à construire la théorie de la multipolarité. Jusqu'à ce point, nous avons seulement cherché à analyser ce que l'ordre mondial multipolaire n'était pas. Cette approche va nous permettre de distinguer positivement, par contraste, un certain nombre de ses composantes et caractéristiques, dans un premier temps de façon approximative :

 

    1 - Le monde multipolaire est une alternative radicale au monde unipolaire (qui dans les faits existe actuellement) en raison du fait qu'il défend l'existence d'un nombre restreint de centres indépendants et souverains de prise de décision stratégique global au niveau mondial.

 

   2 - Ces centres devraient être suffisamment qualifiés et indépendants financièrement et matériellement pour être en mesure de défendre physiquement leur souveraineté dans le cas d'une invasion directe d'un ennemi potentiel, possédant un niveau d'équipement équivalent à celui de la plus grand puissance existante aujourd'hui. Concrètement, ils devraient être capable de résister à l'hégémonie financière et militaro-stratégique des États-Unis et des pays de l'OTAN.

 

   3 - Ces centres de décision ne devraient pas avoir à accepter comme condition sine qua non, l'universalisme des normes et des valeurs et des standards occidentaux (démocratie, libéralisme, libre marché, parlementarisme, droits de l'homme, individualisme, cosmopolitisme, etc.) et devraient pouvoir être totalement indépendants de l'hégémonie intellectuelle et spirituelle de l'Occident.

 

   4 - Le monde multipolaire n'implique pas un retour au système bipolaire, car aujourd'hui, il n'y a pas une force unique, sur le plan stratégique ou idéologique, qui puisse à elle seule résister à l'hégémonie matérielle et spirituelle de l'Occident moderne et à son chef : les États-Unis. Il doit y avoir plus de deux pôles dans un monde multipolaire.

 

   5 - Le monde multipolaire considère avec circonspection la souveraineté des États-nations existants. Cette souveraineté présente un caractère purement juridique lorsqu'elle ne s'accompagne pas d'un potentiel de puissance suffisant, sur les plans stratégiques, économiques et politique. Au XXIème siècle, cette souveraineté formelle n'est plus toujours suffisante pour permettre à un État national de s'affranchir comme une entité véritablement  souveraine. Dans de telles circonstances, la souveraineté réelle ne peut être atteinte que par une combinaison, une coalition d'États. Le système westphalien, qui continue d'exister de jure, ne reflète plus les réalités du système de relations internationales et nécessite une révision.

 

   6 - La multipolarité n'est réductible ni à la non-polarité, ni au multilatérité, car elle ne confie le centre de la prise de décision (le pôle) ni à un gouvernement mondial, ni au club des États-Unis et leurs alliés démocratiques (« le monde occidental »), ni aux réseaux sub-étatiques d'ONG ou d'autres instances de la société civile. Elle considère que le pôle de décision doit être localisé quelque part ailleurs.

 

   Ces six points définissent un cadre conceptuel pour les développement ultérieurs et constituent un concentré des principales, caractéristiques de la multipolarité.

 

   Toutefois, bien que cette description nous rapproche de manière significative dans la compréhension de ce que peut être la multipolarité, elle est encore insuffisante pour être qualifié de théorie. A partir de cette délimitation initiale, nous allons pouvoir développer une théorie complète du monde multipolaire.

 

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The Fourth Political Theory: beyond left and right but against the center

Le Projet "Empire" XIV (Alexandre Douguine)

 

Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique - La Russie et les idées politiques du XXIème siècle, Chapitre X Le projet "Empire", L'Eurasisme en tant qu'idéologie impériale, pp. 232-233, aux éditions Ars Magna

 

Toutefois, le plus important dans le projet impérial russe demeure l'idéologie. Il n'y a pas d'empire sans idéologie et sans conscience d'une mission. Il nous semble que l'eurasisme en tant que philosophie politique du XXIème siècle apparaît comme la forme optimale d'un tel empire.

 

Parmi toutes les formes d'empire, l'empire construit sur le critère civilisationnel correspond le mieux à l'empire eurasiste. Pendant des siècles, les peuples postsoviétiques ont vécu ensemble, ont partagé des valeurs européennes, que des valeurs asiatiques. Cet ensemble culturel spécifique s'est formé autour de la culture russe, de la langue russe et de la tradition russe, ouverte à tous les peuples frères, qui ont construit avec les Russes aussi bien l'empire russe que l'Union Soviétique.

 

La civilisation eurasiste apparaît commune aussi bien pour la Biélorussie, que pour le Kazakh, le Yakoute, le Tchétchène, le Grand-Russe, le Moldave, l'Ossète ou l'Abkhaze. Nombre de peuples et de cultures se sont mêlés, s'enrichissant mutuellement dans la société eurasiste. Le principe russe constitue le noyau de cette société,  mais sans aucune allusion à une prééminence, une exception, un caractère exceptionnel, une supériorité ou encore à une fierté ethnique mal placée. Dostoïevski qualifiait l'homme russe d'homme total et soulignait son caractère ouvert, l'universalité de son amour et le caractère incommensurable de sa bonté.

 

Historiquement, les Russes ont toujours été un empire, ce qui signifie que cette expérience ne sera pas artificielle. Les positions idéologiques ont changé, du modèle orthodoxe-monarchique au modèle soviétique, mais la volonté du peuple d'unir culturellement et civilisationnellement les gigantesques espaces de l'Eurasie est demeurée inchangée.

 

L'eurasisme propose de synthétiser toutes les idées impériales précédentes, de Gengis Khan à Moscou-Troisième Rome et d'en faire ressortir le dénominateur commun : la formule d'une volonté e construction impériale. Les peuples de l'Eurasie du Nord sont liés par l’histoire, la culture, la langue russe, une communauté de destin, les particularités du rapports au travail, une structure éthique et religieuse proche. Les Européens n'ont-ils pas su s'unir après tant de guerres meurtrières ? Pour les habitants du futur empire eurasiste, cela s'avèrera encore plus simple. La combinaison d'un centralisme stratégique et d'une large autonomie ainsi que de l'auto-administration, ce qui constitue le signe caractéristique de l'empire, ne devra pas non plus être créée de façon artificielle. Ces éléments étaient déjà quasiment présents dans l'Empire russe et partiellement en URSS. La Fédération de Russie, dans laquelle cohabitent nombre d'ethnies et de cultures locales, a conservé quelque chose de semblable. Sur le fond, la Fédération de Russie constitue aussi une sorte d'empire, seulement miniature, contre-nature, fondé non pas sur les véritables aires culturelles d'une civilisation commune, mais sur des délimitations administratives artificielles qui, dans tous les cas, ne signifiaient rien à l'époque de l'Union soviétique, dans la mesure où elles étaient conventionnelles et non historiques, et avaient été introduites afin de faciliter la gestion territoriale, administrative ainsi que l'organisation économique. Les pays de la CEI, y compris la Russie, dans les frontières à l'intérieur desquelles ils existent, ne possèdent pas le moindre sens historique, ni le moindre contenu géopolitique. Il s'agit de frontières conventionnelles et seuls ceux qui appliquent le principe "diviser pour régner" et entendent s'approprier tous les éléments isolés peuvent insister en faveur de leur intangibilité. 

 

Maintenant en ce qui concerne la mission. Tout au long de leur histoire, les Russes ont vécu avec la sensation d'accomplir cette mission. Voilà précisément pourquoi ils ont supporté si facilement les malheurs de l'histoire et les privations. Nos ancêtres avaient clairement conscience du fait que tout cela est indispensable à la victoire de l'idée mondiale, au salut de la paix, de la lumière, du bien et de la justice. Il ne s'agit pas que de mots : ils ont tous étét payés par des rivières de sang, par un labeur insupportable, et de grandes réalisations historiques. Nous avons fait la guerre, non pas tant pour acquérir des biens matériels, que pour défendre ce que nous considérons comme juste, vrai et bon. C'est pourquoi précisément l'empire eurasiste à venir peut à juste titre être nommé empire du bien et de la lumière, appelé à livrer un dernier combat décisif à l'empire américain du mensonge, de l'exploitation, de la dégradation morale de l'inégalité, à "l'empire du spectacle"

 

L'eurasisme en tant que philosophie politique correspond le mieux aux exigences de construction de l'empire à venir. Cette philosophie impériale, cette philosophie vive est une philosophie russe et orientée vers le futur bien qu'elle soit élaborée sur les solides fondations du passé.    

 

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The Fourth Political Theory: beyond left and right but against the center