19/12/2014
Aigle (Dictionnaire des Symboles)
Jean Chevalier/Alain Gheerbrant, Dictionnaire des Symboles, Aigle, pp. 14-19, aux éditions Robert Laffont/Jupiter, collection Bouquins
Roi des oiseaux, incarnation, substitut ou messager de la plus haute divinité ouranienne et du feu céleste, le soleil, que lui seul ose fixer sans se brûler les yeux. Symbole si considérable qu'il n'est point de récit ou d'image, historique ou mythique, dans notre civilisation comme dans toutes les autres, où l'aigle n’accompagne, quand il ne l'est représente pas, les plus grands dieux comme les plus grands héros : il est l'attribut de Zeus (Jupiter) et du Christ, l'emblème impérial de César et de Napoléon, et, dans la prairie américaine comme en Sibérie, au Japon, en Chine, comme en Afrique, chamans, prêtres et devins aussi bien que rois et chefs de guerre empruntent ses attributs pour participer à ses pouvoirs. Il est aussi le symbole primitif et collectif du père et de toutes les figures de la paternité. Mais cette universalité d'une image n'enlève rien à la richesse et à la complexité du symbole qu'elle sous-tend. Nous essaierons de le développer par des rapprochements d'exemples empruntés à des sources différentes.
Roi des oiseaux* : l'aigle couronne le symbolisme général de ceux-ci, qui est celui des états spirituels supérieurs et donc des anges*, comme l'atteste souvent la tradition biblique : Tous les quatre avaient une face d'aigle. Leurs ailes étaient déployées vers le haut ; chacun avait deux ailes se touchant et deux ailes lui couvrant le corps ; et ils allaient là où l'esprit les poussait... (Ézéchiel 1, 10). Ces images sont une expression de la transcendance : rien ne lui ressemble, même si l'on multiplie les attributs les plus nobles de l'aigle. Et dans l'Apocalypse (4, 7-8) : ... Le quatrième vivant est comme un aigle en plein vol...
Le Pseudo-Denys l'Aréopagite explique ainsi la représentation de l'ange par l'aigle : La figure de l'aigle indique la royauté, la tendance vers les cimes, le vol rapide, l'agilité, la promptitude, l'ingéniosité à découvrir les nourritures fortifiantes, la vigueur d'un regard tendu librement, directement et sans détour vers la contemplation de ces rayons, que la générosité du Soleil théarchique multiplie (PSEO, 242).
L'aigle fixant le soleil, c'est encore le symbole de perception directe de la lumière intellective. L'aigle regarde sans crainte le soleil bien en face, écrit Angelus Silesius : et toi l'éclat éternel, si ton cœur est pur. Symbole de contemplation auquel se rattache l'attribution de l'aigle à saint Jean et à son Évangile. Identifié au Christ dans certaines œuvres d'art du Moyen Age , il exprime à la fois son ascension et sa royauté. Cette seconde interprétation est une transposition du symbole romain de l'Empire, symbole qui sera aussi celui du Saint-Empire médiéval. Les Psaumes, enfin, en font un symbole de régénération spirituelle, comme le phénix.
Oiseau solaire* : l'aigle est le substitut du soleil dans la mythologie asiatique et nord-asiatique (ELIT, 122) ; il en va de même dans les mythologies amérindiennes, et singulièrement chez les indiens de la prairie. On comprendra aisément que la plume d'aigle et le sifflet en os d'aigle soient indispensable à qui doit affronter l'épreuve de la danse qui regarde le soleil. Même identification chez Aztèques et aussi au Japon : le Kami dont le messager ou le support est un aigle dénommé aigle du soleil.
Dans leur représentation de l'univers les Indiens Zuñi placent l'aigle avec le soleil au cinquième point cardinal, qui est le Zénith* (le sixième étant le Nadir et le septième le Centre, place de l'homme) (CAZD, 256-257). C'est le placer sur l'axe du monde, rejoignant ainsi la croyance des Grecs pour lesquels les aigles, partis de l'extrémité du monde, sont dits s'arrêter à la verticale de l'omphalos de Delphes : ils suivent ainsi la trajectoire du soleil, du lever au zénith, qui coïncide avec l'axe du monde. Occupant aussi la place de la divinité suprême ouranienne, l'aigle se trouve, dans le panthéon indien comme auprès de Zeus, devenu maître de la foudre et du tonnerre.
Ses ailes déployées, commente Alexander, évoquent les lignes brisées de l'éclair*, aussi bien que celles de la croix*. Alexander voit dans les deux images de l'aigle-éclair et l'aigle-croix les symboles des deux civilisations, celle des chasseurs, celle des agriculteurs. Selon cet auteur, l'aigle divinité ouranienne, expression de l'Oiseau-Tonnerre, est à l'origine de l'emblème principal des civilisations de chasseurs nomades, guerriers, conquérants ; comme la croix (la croix foliacée du Mexique, stylisant la pousse de maïs dicotylédone) est le principal emblème des civilisations agraires. A l'origine des cultures indiennes, l'un incarne le Nord, le froid et la polarité mâle ; l'autre est caractéristique du Sud, rouge, humide et chaud, avec la polarité femelle. Il ne faut pas oublier, ici, que fonction de ce qui précède Nord et Zénith, Sud et Nadir s'apparentent comme devant et dessus, derrière et dessous.
Mais, avec le temps, les deux civilisation se mariant, ces deux symboles, originellement antagonistes, se superposent et se confondent : il est singulier que la croix de forme géométrique simple, du type romain, soit devenue finalement, même pour les Peaux-Rouges des plaines, le symbole du faucon* ou de l'aigle aux ailes étendues, aussi bien que celui de la dicotylédone du plant de maïs sortant de terre - et cela de façon indigène et sans aucune influence européenne... D'une façon générale, l'Oiseau-Tonnerre - aigle d'Ashur et de Zeus -, à mesure que le temps et que les cultures se mélangent, devient aussi le Seigneur de la Fertilité et de la Terre symbolisée par la Croix (ALEC, 120).
Pourrait-o dire que, dans le mariage de ces deux étapes culturelles, forces ouraniennes et chthoniennes viennent à s'équilibrer ? L'étude de l'iconographie féodale, en Occident, tendrait à confirmer cette hypothèse, en rapprochant ou confrontant fréquemment l'aigle et le lion*. Ce qui n'est pas sans évoquer les Aztèques, dont les deux grandes confréries guerrières étaient celle des chevaliers-aigles et celle des chevaliers-jaguars (MYTF, 193). Chez les Aztèques encore, le cœur des guerriers sacrifiés sert d'aliment à l'Aigle solaire. On les appelle les gens de l'aigle. La valeur symbolique de l'aigle et du jaguar se retrouve dans la description du trône d'apparat de l'empereur aztèque : il était assis sur un plumage d'aigle et adossé à une peau de jaguar (SOUA) On pourrait citer quantité d'autres exemples de l'association Aigle-Jaguar chez les Indiens des deux Amériques.
Une autre expression de la dualité ciel-terre apparait avec l'opposition aigle-serpent* mentionnée dans les Veda : avec l'oiseau mythique Garuda* qui est, originellement, un aigle. Oiseau solaire, brillant comme le feu, monture de Vishnu - qui est lui-même de nature solaire -, Garuda est nâgâri, ennemi des serpents, ou nâgântaka, destructeur de serpents. La dualité de l'aigle et du serpent signifie universellement celle du Ciel et de la Terre, ou la lutte de l'ange contre le démon. Au Cambodge, Garuda est l'emblème des souverains de race solaire, le Nâga celui des souverains de race lunaire. Garuda est encore la Parole ailée, le triple Veda, un symbole du Verbe, ce que l'aigle est également dans l'iconographie chrétienne.
Garuda est encore un symbole de force, de courage, de pénétration, ; ce qu'est aussi l'aigle, en raison de l'acuité de sa vision (CORM, DANA, HERS, MALA).
Doté de cette force solaire et ouranienne que montre à l'évidence la puissance de son envol, l'aigle devient tout naturellement l'oiseau-tutélaire, l'initiateur, et le psychopompe, entraînant l'âme du chaman à travers les espaces invisibles. Les traditions américaines et asiatiques se recoupent et se renforcent ici continuellement, ne serait-ce que par l'utilisation identique de la plume d'aigle dans les pratiques chamaniques des deux continents. Ainsi, en Sibérie le chaman danse longtemps, tombe à terre inconscient et son âme est portée au ciel dans une barque tirée par des aigles (ELIC 315) ; cependant que, chez les Pavitso, Indiens d'Amérique du Nord, un bâton, portant à son extrémité une plume d'aigle procurée par un chaman, est posé sur la tête du malade, et le mal se trouve emporté, comme le chaman par l'aigle dans ses vols magiques. Dans la même aire culturelle, une croyance fondamentale veut qu'un aigle soit posé sur la cime de l'arbre cosmique pour veiller comme un remède à tous les maux que contiennent ses branches (KRAM, 266 ; ELIC, 247). Initiatrice et psychopompe aussi est la grande aigle qui sauve le héros Töshtük du monde d'en bas pour l'élever au monde d'en haut ; elle seule est capable de voler d'un monde à l'autre. Par deux fois, elle avale le héros moribond pour lui refaire le corps dans son ventre, avant de le remettre au jour. Tout autant d'images initiatiques, révélant un pouvoir de régénération par absorption.
L'aigle fait partie, dans un récit apocryphe gallois, des Anciens du monde ; ce texte correspond au récit irlandais de Tuan mac Cairill et à un passage du Mabinogi de Kulhwch et Olwen ; l'aigle est de ces animaux primordiaux initiateurs, que sont aussi le merle, le hibou*, le cerf* et le saumon*. On n'en connaît pas d'autre apparition dans la mythologie celtique, hormis la métamorphose de Llew en aigle, quand il vient d'être tué par l'amant de sa femme adultère Blodeuwedd, dans le Mabigoni de Math ; mais il apparaît assez souvent en numismatique gauloise. Son rôle semble avoir été tenu en Irlande par le faucon* (CHAB, 71-79 ; LOTM, 1, 206-207).
Nous retrouvons l'image archétypale du Père associé à celle de l'Initiateur et Psychopompe dans ce mythe sibérien rapporté par Uno Harva, qui fait de l'aigle le héros civilisateur Père des chamans : le Très-Haut envoie l'Aigle au secours des hommes, tourmentés par les mauvais esprits qui leur apportent les maladies et la mort ; mais les hommes ne comprennent pas le langage du messager ; Dieu lui dit de donner aux hommes le don de chamaniser ; l'aigle redescend et engrosse une femme ; celle-ci donne naissance au premier chaman (HARA, 318).
La tradition occidentale, elle aussi, dote l'aigle de pouvoirs exceptionnels, qui le placent au-dessus des contingences terrestres. Ainsi, bien qu'il ne soit pas immortel, il possède un pouvoir de rajeunissement. Il s'expose au soleil ; et, quand son plumage est brûlant, il plonge dans une eau pure et retrouve ainsi une nouvelle jeunesse. Ce qu'on peut comparer avec l'initiation et l’alchimie, qui comprennent le passage par le feu et par l'eau. Sa vue perçante en fait un clair-voyant en même temps qu'un psychopompe. Il est, en pleine chrétienté, censé emporter l'âme du mort sur ses ailes, afin de la faire retourner vers Dieu. Un vol de descente signifie la descente de la lumière sur la terre.
Les mystiques du Moyen Age reviennent fréquemment sur le thème de l'aigle pour évoquer la vision de Dieu ; ils comparent la prière aux ailes de l'aigle s'élevant vers la lumière.
De voyant, il devient aisément augural et divinateur. Dans l'Antiquité méditerranéenne l'art augural interprète le vol des aigles pour percevoir les volontés divines. L'aigle romain, comme le corbeau germano-celtique, est essentiellement le messager de la volonté d'en haut (DURS, 134).
Roi des oiseaux, il dort, dit Pindare, sur le sceptre de Zeus, dont il fait connaître les volontés aux hommes. Lorsque Priam part demander à Achille de lui rendre le cadavre d'Hector, il fait une libation à Zeus : Envoie-moi ton oiseau, rapide messager, l'oiseau qui t'es cher entre tous et qui a la force suprême. Il apparaît sur la droite, s'élançant au-dessus de la ville, et, à le voir, tous ont grande joie, et en eux le cœur se fond. (Iliade, 24, 308-321). L'aigle volant à gauche est, au contraire, de mauvais augure et nous retrouvons ici la symbolique de la droite et la gauche.
Augural, mais souvent confondu, comme on l'a vu en Irlande, avec d'autres rapaces nobles, principalement le faucon*, tel apparaît aussi l'aigle dans la tradition iranienne. Déjà à l'époque des Mèdes et des Perses, il symbolisait la victoire. Selon Xénophon (Cyropédie II, 4), lorsque les armées de Cyrus (560-529 av. J.-C.) vinrent au secours du roi des Mèdes, Cyaxare, en guerre contre les Assyriens, un aigle survola les armées iraniennes et cela fut interprété comme un heureux présage. Même Eschyle (Perses, 205 sq.) imagine que la défaite des Perses devant les Grecs fut annoncée en songe à Atossa par la vue d'un aigle poursuivant un faucon.
Hérodote (III, 76) raconte qu'au moment où Darius et les sept notables de l'Iran hésitaient à marcher sur le palais de Gaumata, roi usurpateur de Perse, ils virent sept couples de faucons poursuivre deux couples de vautours et leur arracher les plumes : cela fut considéré de bon augure pour la réussite de leur dessein et ils partirent à l’assaut du palais.
L'étendard de l'Iran achéménide était composé d'un aigle d'or aux ailes déployées et posé au bout d'une lance (Cyropédie VII, 1), ce qui voulait symboliser la puissance et la victoire des Perses dans les guerres. Ferdawsî (940-1020) parle également dans son Shâhnâma (Livre des rois) du drapeau de l'Iran ancien sur lequel un aigle figurait.
C'est notamment la notion de varana puissance divine et lumière de gloire en mazdéisme (religion de l'Iran pré-islamique) qui est attaché à ce symbole.
Dans l'Avesta (Zâmyâd-yasht : yasht XIX, 34-38) le varana a été symbolisé par un aigle ou un faucon. Lorsque le roi légendaire de l'Iran Djamshîd (Yama), le premier roi du monde selon ce livre (ou le troisième d'après le Shâhnâma de Ferdawsî) proféra un mensonge, le varana qui habitait en lui le quitta de façon apparente sous forme d'un oiseau, vâraghna (faucon). Aussitôt, le roi se vit dépouillé de toutes ses facultés prodigieuses ; il fut vaincu par ses ennemis et perdit son trône.
L'apparition de l'islam n'altère pas le symbole de l'aigle. Dans plus d'un conte, un magicien prouve sa suprématie sur un autre en se transformant en aigle.
Un pouvoir surnaturel est attribué à cet oiseau dans les vieilles pharmacopées, qui prescrivent de boire du sang d'aigle pour acquérir vigueur et bravoure et prétendent que sa fiente, mêlée à une sorte de boisson alcoolique appelée sîkî, porte remède à la stérilité des femmes (MOKC, 23-43). De nos jours encore pour les nomades Yürük de Turquie, l'aigle représente l'âge de la pleine puissance paternelle, à mi-chemin du poisson, âge de l'adolescent, et du mouton, âge du vieillard.
Dans les rêves et la mantique orientaux l'aigle symbolise un roi puissant, tandis qu'un roi est le présage d'un malheur. Le folklore a maintenu cette valeur symbolique de l'aigle. Dans, Les secrets de Hamza (p. 10), le roi Anûshîravân (Chosroès I) voit en songe un vol de corbeaux venant de Khaybar. Celui qui est en tête s'empare de sa couronne. A ce moment, trois aigles royaux venant de la direction de la Mecque fondent sur le corbeau et lui reprennent la couronne qu'ils rendent à Chosroès. Ce rêve est interprété par le vizir Bûzardjomehr comme désignant un ennemi du roi qui sera vaincu par l'émir Hamza, 'Amr (w) son écuyer, et Moqbel son archer. La qualification d'aigle royal est employée plusieurs fois pour désigner ces trois personnages qui sont appelés aussi sâheb-qarân, c'est-à-dire seigneurs de l'époque, qui remportent la victoire sur les infidèles, ce qui leur vaut d'être comparés à des aigles.
L'Aigle gauche : comme tout symbole, l'aigle possède aussi un aspect nocturne, maléfique ou gauche ; c'est l'exagération de sa valeur, la perversion de sa puissance, la démesure de sa propre exaltation. Le dualisme du symbole s'exprime déjà chez les indiens Pawnee. A? Fletcher (FLEH) a observé que chez eux l'aigle brune, femelle, est associé à la nuit, à la Lune, au Nord, à la Mère Primordiale, la captatrice, généreuse et terrible, tandis que l'aigle blanc, mâle, tien au contraire du jour, du Soleil, du Sud, du Père Primordial, dont la figure peut aussi devenir dominatrice, comme le lion, est un animal royal qui incarnent des pensées élevées et dont la signification est presque toujours positive. Il symbolise le brusque saisissement, la passion consumante de l'esprit. Mais son caractère d'oiseau de proie qui enlève ses victimes dans ses serres pour les conduire en des lieux d'où elles ne peuvent s'échapper lui fait symboliser aussi une volonté de puissance inflexible et dévorante.
Appliqué à la tradition chrétienne le même renversement d'image conduit du Christ à l'Antéchrist : l'aigle, symbole d'orgueil et d'oppression, n'est plus dés lors que rapace cruel, ravisseur.
AIGLE (à deux têtes)
n'était pas connu des anciens Mexicains. Il et notamment représenté dans le Codex u, où il incarne sans doute, selon Beyer, une divinité de la végétation ; il est en effet accompagné de plantes et de coquillages.
On sait que, dans les anciennes civilisations d'Asie Mineure, l'aigle bicéphale était le symbole du pouvoir suprême. Dans les traditions chamaniques d'Asie centrale, il est fréquemment représenté au sommet de la colonne du Monde, plantée au milieu du village ; les Dolganes l'appellent l'oiseau-maître et ils considèrent la colonne qui ne s'écroule jamais, au sommet de laquelle il est posé, comme la réplique d'une colonne identique placée devant la maison du Dieu suprême et dite celle qui jamais ne vieillit ni ne tombe (HARA, 35-36).
Selon Frazer, ce symbole d'origine hittite aurait été repris au Moyen Age par les Turcs Seldjoukides, emprunté à ceux-ci par les Européens à l'époque des Croisades, pour parvenir par ce biais aux armes impériales d'Autriche et de Russie (FRAG, 5, 133, n.).
La duplication de la tête exprime moins la dualité ou la multiplicité des corps de l'empire, qu'elle ne renforce, en le doublant, le symbolisme même de l'aigle : autorité plus que royale, souveraineté vraiment impériale, roi des rois. De même, les animaux adossés ou affrontés, si fréquent dans les œuvres d'art, portent à leur sommet les valeurs symbolisées.
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Loup (Dictionnaire des Symboles)
Jean Chevalier/Alain Gheerbrant, Dictionnaire des Symboles, Loup (louve), pp. 672-674, aux éditions Robert Laffont/Jupiter, collection Bouquins
Le loup est synonyme de sauvagerie et la louve de la débauche. Mais le langage des symboles interprète ces animaux, on s'en doute, d'une façon infiniment plus complexe, du fait, tout d'abord, qu'à l'instar de tout autre vecteur symbolique, ils peuvent être valorisés positivement autant que négativement. Positif apparaît le symbolisme du loup, si l'on remarque qu'il voit la nuit. Il devient alors symbole de lumière, solaire, héros, guerrier, ancêtre mythique. C'est la signification chez les Nordiques et chez les Grecs où il est attribué à Belen ou à Apollon (Apollon lycien).
Le créateur des dynasties chinoise et mongole est le loup bleu céleste. Sa force et son ardeur au combat en font une allégorie que les peuples turcs perpétueront jusque dans l'histoire contemporaine , puisque Mustapha Kemal, qui s'était nommé lui-même Atatürk, c'est-à-dire Père des Turcs, avait reçu de ses partisans le surnom de loup gris.
Le peuple turc qui, rassemblé autour de lui, menait le combat pour retrouver son identité, menacée par la décadence de l'Empire ottoman, reconduisait ainsi une très ancienne image : celle de l'ancêtre mythique de Gengis Khan, loup bleu, cratophanie de la lumière ouranienne (foudre) et dont l'union avec la biche blanche ou fauve, représentant la terre, plaçait à l'origine de ce peuple la hiérogamie terre-ciel.
Les peuples de la Prairie nord-américaine semblent avoir interprété de la même façon la signification symbolique de cet animal : Je suis le loup solitaire, je rôde en maints pays, dit un chant de guerre des Indiens de la Prairie (ALEC, 233).
La Chine connaît également un loup céleste (l'étoile Sirius) qui est le gardien du Palais céleste (la Grande Ourse). Ce caractère polaire se retrouve dans l'attribution du loup du Nord. On remarque toutefois que ce rôle de gardien fait place à l'aspect féroce de l'animal : ainsi, dans certaines régions du Japon, l'invoque-t-on comme protecteur contre les autres animaux sauvages. Il évoque une idée de force mal contenue, se dépensant avec fureur mais sans discernement.
La louve de Romulus et Rémus est, elle, non pas solaire et céleste, mais terrienne, sinon chthonienne. Ainsi, dans un cas comme dans l'autre, cet animal reste associé à l'idée de fécondité. La croyance populaire, en pays turc, a jusqu'à nos jours conservé cet héritage. Parmi les bézoards appréciés par les Yakoutes, en Sibérie, celui du loup est considéré comme le plus puissant ; en Anatolie, c'est-à-dire à l'autre extrémité de l'extension géographique des peuples altaïques, on voit encore des femmes stériles invoquer le loup pour avoir des enfants. Au Kamchatka à la fête annuelle d'octobre, on fait une image de loup en foin et on la conserve un an pour que le loup épouse les filles du village ; chez les Samoyèdes on a recueilli une légende qui met en scène une femme qui vit dans une caverne avec un loup (ROUF, 328-329).
Cet aspect chthonien ou infernal du symbole constitue son autre face majeure. Elle semble restée dominante dans le folklore européen, comme en témoigne, par exemple, le conte du Petit Chaperon rouge. On le voit déjà apparaître dans la mythologie gréco-latine : c'est la louve de Mormolycée nourrice de l'Achéron, dont on menace les enfants, exactement comme, de nos jours, on évoque le grand méchant loup (GRID, 303 a) ; c'est le manteau de peau de loup dont se revêt Hadès, maître des Enfers (KRAM, 226) ; les oreilles de loup du dieu de la mort des Étrusques ; c'est aussi, selon Diodore de Sicile, Osiris ressuscitant sous forme de loup pour aider sa femme et son fils à vaincre son frère méchant (ibid.).
C'est aussi une des formes données à Zeus (Lykaios), à qui on immolait en sacrifice des êtres humains, aux temps où régnait la magie agricole, pour mettre un terme aux sécheresses, aux fléaux naturels de toute sorte : Zeus déversait alors la pluie, fertilisait les champs, dirigeait les vents (ELIT, 76).
Dans l'imagerie du Moyen Age européen les sorciers se transforment le plus souvent en loups pour se rendre au sabbat, tandis que les sorcières, dans les mêmes occasions, portent des jarretelles, en peau de loup (GRIA). En Espagne, il est la monture du sorcier. La croyance aux lycanthropes, ou loups-garous, est attestée depuis l'Antiquité en Europe ; Virgile en fait déjà mention. En France, à peine commençait-on à en douter sous Louis XIV (PLAD). C'est une des composantes des croyances européennes, un des aspects sans doute que revêtent les esprits des forêts.
Selon Collin de Plancy, Bodin raconte sans rougir qu'en 1542, on vit un matin cent cinquante loups-garous sur une place de Constantinople.
Ce symbolisme de dévorateur est celui de la gueule*, image initiatique et archétypale, liée au phénomène de l'alternance jour-nuit, mort-vie : la gueule dévore et rejette, elle est initiatrice, prenant, selon la faune de l'endroit, l'apparence de l'animal le plus vorace : ici le loup, là le jaguar*, le crocodile*, etc. La mythologie scandinave présente spécifiquement le loup comme un dévorateur d'astres (DURS, 82), ce qui peut être rapproché du loup dévorateur de la caille*dont parle le Rig-Veda. Si la caille est, comme nous l'avons noté, un symbole de lumière, la gueule du loup est la nuit, la caverne, les enfers, la phase de pralâya cosmique ; la délivrance de la gueule du loup, c'est l'aurore, la lumière initiatique faisant suite à la descente aux enfers, le kalpa (CHRC, DANA, DEVA, GUED, GUES, MALA, MASR, RESE, SOUN).
Fenrir, le loup géant, est un ennemi les plus implacables des dieux. Seule la magie des nains peut arrêter sa course, grâce à un ruban fantastique que nul ne peut rompre ou couper. Dans la mythologie égyptienne, Anubis, le grand psychopompe, est appelé Impou, celui qui a la forme d'un chien sauvage (ibid.) ; on le révère à Cynopolis comme dieu des enfer (voir chacal*).
Cette gueule monstrueuse du loup, dont Marie Bonaparte parle dans son auto-analyse, comme étant associée aux terreurs de son enfance consécutive à la mort de sa mère, n'est pas sans rappeler les contes de Perrault : Grand-Mère, comme tu as de grandes dents ! Il y a donc, observe G; Durand, une convergence très nette entre la morsure des canidés et la crainte du temps destructeur. Kronos apparaît ici avec le visage d'Anubis, du monstre dévorant le temps humain ou s'attaquant même aux astres mesureurs de temps.
Nous avons déjà parlé du sens initiatique de cette symbolique. Ajoutons qu'elle donne au loup comme au chien un rôle de psychopompe.
Un mythe Algonquins le présente comme un frère du démiurge Menebuch, le grand lapin*, régnant à l'Ouest, sur le royaume des morts (MULR, 253). Cette même fonction de psychopompe lui était reconnue en Europe, comme ne témoigne ce chant mortuaire roumain :
Paraîtra encore
Le loup devant toi
...
Prends-le pour ton frère
Car le loup connaît
L’ordre des forêts
...
Il te conduira
Par la route plane
Vers un fils de Roi
Vers le Paradis
(Trésor de la poésie universelle, par R. Caillois et J.-C; Lambert, Paris, 1958)
Notons pour conclure que ce loup infernal, et surtout sa femelle, incarnation du désir sexuel, constituent un obstacle sur la route du pèlerin musulman en marche vers La Mecque, et plus encore sur le chemin de Damas, où elle prend les dimensions de la bête de l'Apocalypse.
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Une actualité en armes (Jean Parvulesco)
Jean Parvulesco, La confirmation boréale, Sur le grand tournant actuel du gaullisme, Une actualité en armes, pp. 256-258, aux éditions Alexipharmaque
« Moi je dis qu'il faut faire l'Europe avec pour base un accord entre Français et Allemands. Une fois l'Europe faite sur ces bases, alors, on pourra se tourner vers la Russie. Alors, on pourra essayer , une bonne fois pour toutes, de faire l'Europe tout entière avec la Russie aussi, dut-elle changer son régime. Voilà le programme des vrais Européens. Voilà le mien. » En prenant ces positions tout à fait claires, et définitives, lors d'une conférence de presse en 1949, le Général de Gaulle avait, d'avance, tout dit : l'extrême actualité de son discours le prouve encore, cinquante ans après. Pour la première fois, la Russie y apparait comme un élément fondamental de l'Europe de l'après-guerre, de l'Europe grand-continentale, « eurasiatique ». Or il est absolument évident que, à l'heure présente, c'est bien la Russie qui propose et engage l'alternative finale à la mise en place de la plus Grande Europe, en train d'être révolutionnairement mobilisée sur l'axe transcontinental Paris-Berlin-Moscou.
Exprimée, par Jacques Chirac, fin août 2002, lors de la conférence des ambassadeurs de France à Paris, la décision de se saisir du 40ème anniversaire - en janvier 2003 - du « Traité de l’Élysée » de Gaulle-Adenauer pour mettre en place un Pacte Refondateur franco-allemand et une relance en force de l'Europe grand-continentale incluant, fondamentalement, la participation de la Russie, participation dont Jacques Chirac avait renouvelé les bases lors de son voyage, en juillet 2002, en Crimée, pour y rencontrer Vladimir Poutine, fait que, à partir de maintenant, l'Europe grand-continentale est, en principe, déjà, chose faite : nous venons de gagner la partie. Même si on ne le sait pas encore, le processus de la mise en œuvre de la plus Grande Europe continentale se trouve, à l'heure actuelle, irrévocablement enclenché.
Ainsi, cinquante ans après la déclaration du Général de Gaulle concernant l'avenir de la plus Grande Europe continentale franco-allemande s'appuyant sur la Russie, le « grand dessein » fondamental du gaullisme, se trouve pratiquement réalisé, ou en voie de l'être.
Or la nouvelle donne européenne décisive provenant, donc, de l'émergence politico-historique de la « Nouvelle Russie » de Vladimir Poutine, formidable bloc continental engageant le heartland géopolitique du « Grand Continent » eurasiatique dans le sens de son rétablissement impérial-révolutionnaire final, fait aujourd'hui de l'Europe la forteresse politico-stratégique d'horizon suprahistorique et eschatologique préfigurant l'Imperium Ultimum, l'avènement du Regnum salvateur de l'histoire de la fin et de l'au-delà de la fin de l'histoire.
Le « grand gaullisme », le « gaullisme de la fin », apparaît ainsi comme l'agent opérationnel d'une certaine fin apocalyptique de l'histoire, et du passage vers les temps autres, vers les « temps secrets », « inprépensables », de la transhistoire finale dans sa marche eschatologique à contre-courant.
Si c'est bien l'axe transcontinental Paris-Berlin-Moscou qui, désormais, sera appelé à faire la « grande histoire », c'est en France qu'à l'heure actuelle se situe l'épicentre opérationnel de celle-ci : en anéantissant la conspiration trotskiste subversivement installée au pouvoir sous ses dissimulation socialistes, la droite française s'est donnée aujourd'hui une majorité totale, incarnée, au niveau politico-administratif, par le « parti unique » de l' « Union pour la Majorité Présidentielle » (UMP), « parti unique » au sein duquel l'appareil gaulliste pourra à présent manœuvrer le courant porteur de la stratégie de pointe qui entraînera le reste. C'est désormais à l'intérieur de l'UMP que le gaullisme installera son « camp retranché » politico-stratégique, c'est depuis l'intérieur de l'UMP que le gaullisme va devoir agir. Cette situation, peut-on le dire, était prévue depuis longtemps.
Déjà, dans Les fondements géopolitiques du grand gaullisme, j'écrivais : « Le pouvoir - où ne fût-ce qu'une certaine situation de pouvoir - représente la condition même d'une clandestinité supérieure : la véritable clandestinité n'est pas du tout celle du combat contre le pouvoir en place, mais la clandestinité poursuivie, précisément, à travers le pouvoir en place. Loin de cesser ses menées avec son arrivée au pouvoir, la grande clandestinité ne fait alors que changer de registre, en se donnant sur place les moyens de sa continuation décisive, engagée sur le parcours de son achèvement total. Hors du pouvoir, toute clandestinité est subalterne. » Et ensuite : « Une conspiration aux destinées ultimes ne visera le pouvoir politique, ou gouvernemental, qu'au titre conspirationnel d'une nouvelle étape de franchie sur la montée de sa propre spirale conspirationnelle. Une fois au pouvoir, ce que l'on peut appeler une conspiration ultime se dédouble pour conspirer contre elle-même, contre la partie d'elle-même chargée de faire semblant de céder aux assujettissements du pouvoir. »
Tel est le grand tournant actuel du gaullisme qui, en fin de course et au moment de sa nouvelle montée au pouvoir, aussi inattendue que totale, doit à nouveau rentrer dans l'ombre, s'inventer une nouvelle forme de clandestinité stratégique, tout comme à ses premiers débuts, au temps de la résistance à l'occupation allemande de la France. Mais n'est-ce pas contre une nouvelle occupation étrangère que le portent, aujourd'hui encore, ses nouveaux combats ? Le combat pour la libération continentale n'est-il pas essentiellement le même que l'ancien combat pour la libération nationale ? Ces interrogations sont peut-être tragiques, mais la situation à laquelle le gaullisme doit aujourd'hui faire face, n'est-elle pas une situation de tragédie ? Le gaullisme, aujourd'hui, se trouve souterrainement engagé à la pointe des combats décisifs pour la plus Grande Europe, et c'est là que s'accomplit son suprême destin, le destin secret d'une certaine « France secrète ». précédent : Le « génie du renouveau »
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