07/12/2014
Le Projet "Empire" VIII (Alexandre Douguine)
Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique - La Russie et les idées politiques du XXIème siècle, Chapitre X Le projet "Empire", Les "Défaitistes" russes, pp. 219-220, aux éditions Ars Magna
A présent, il convient d'évoquer la Russie. Quelle position devons-nous adopter, nous, Russes, dans les conditions du XXième siècle ? Ce problème se subdivise en plusieurs composantes. Premièrement, il est nécessaire de commencer par la réponse au défi du monde unipolaire. Plus simplement : comment nous positionnons-nous par rapport à l'empire américain ?
Si nous nous rendons compte de ce qu'est l'empire américain, nous sommes contraints de résoudre l'équation de la souveraineté. Le seul fait de la mondialisation et de la construction par les Américains d'un monde unipolaire, signifie la réduction de notre souveraineté, jusqu'à sa suppression totale (par la transmission des fonctions stratégiques principales au centre impérial). Soit la souveraineté de la Russie, soit l'empire global américain, tel est le dilemme.
On distingue ici deux positions. L'une consiste à reconnaître la défaite de l'URSS comme quelque chose d'irréversible, à jeter le drapeau blanc (de la trahison) et à tenter d'occuper dans le nouvel empire américain une place aussi confortable que possible. Voilà ce que pensaient les réformateurs à l'époque d'Eltsine, et voilà comment continuent à penser les forces libérales-démocrates (le SPS ou Union des forces de droite, le parti Yabloko), les journalistes des 2chos de Moscou, nombre d'oligarques russes (M. Khodorvski s'est exprimé plus clairement que tous les autres sur ce sujet), les partisans de l'opposition radicale (Autre Russien Kassianov, Kasparov, etc.).
Il convient de dire qu'une telle position, malgré son défaitisme moral (elle signifie en effet la trahison directe de nos intérêts nationaux), opère à l'aide de froides réalités. Les États-Unis possèdent aussi bien l'idéologie d'un nouvel empire que des ressources considérables pour sa réalisation. Les adversaires de la mondialisation possèdent des émotions, un modèle extravagant du type de celui de Negri et Hart, et le projet terroriste malfaisant de l'islam fondamentaliste (assez peu attirant, reconnaissons-le), cependant, il n'y a presque nulle part de ressources convaincantes pour perturber de façon certaine le projet planétaire des Américains. Ainsi, les défaitistes russes, n'était-ce leur satisfaction à peine voilée, ainsi que leur haine patente de la Russie, pourraient tout à fait apparaître comme des interlocuteurs responsables dans la définition d'une stratégie pour le futur.
Quoi qu'il en soit, il existe dans notre société des individus prêts à céder la souveraineté de la Russie à l'empire américain global tout en défendant leur position de façon raisonnée.
The Fourth Political Theory: beyond left and right but against the center
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Le Projet "Empire" VII (Alexandre Douguine)
Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique - La Russie et les idées politiques du XXIème siècle, Chapitre X Le projet "Empire", L'Union Européenne : L'Empire hésitant, pp. 218-219, aux éditions Ars Magna
La voie européenne constitue un autre empire, bien moins défini et plus souple. L'Europe unie possède deux identités géopolitiques : d'un côté elle apparait comme la zone frontière de l'empire américain, servant ainsi de lieu de déploiement de bases militaires américaines, tandis que l'autre, elle est aussi l'embryon d'une formation géopolitique alternative, avec son propre système de valeurs et de priorités qui peuvent tout à fait se distinguer de leurs équivalents américains (quelquefois sensiblement). Voilà pourquoi, il convient de parler non pas d'une Europe mais de deux qui se superposent.
On distingue l'Europe atlantiste et l'Europe continentale. L'Europe continentale, également nommée la "vieille Europe", dont la France et l'Allemagne, rappelons-le, constituent le noyau (vers lequel tendent également l'Italie et l'Espagne), représente un projet d'empire indépendant non encore réalisé. Cet empire existant à l'état d'esquisse s'est manifesté lors de l'invasion américaine en Irak lorsqu'un axe Paris-Berlin-Moscou a failli voir le jour en qualité d'embryon de formation politique à part entière, appelée à empêcher l'avènement du monde unipolaire américain.
Récemment encore, par ses efforts, l'Europe continentale a ralenti l'adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN. Trop dépendante des États-Unis du point de vue stratégique et partageant avec les Américains la plupart de ses valeurs (la démocratie, le libéralisme, le marché, les droits de l'homme ainsi que le développement technologique), l'Europe ne parvient pas à se décider à affirmer pleinement ses projets impériaux. On ne peut que les deviner. En outre, l'autre Europe, atlantiste, à laquelle servent de points d'appui le Royaume-Uni et les pays de la "nouvelle Europe", proaméricains, dénués de conscience européenne et entièrement dépendants des États-Unis, s'efforcent de contrarier les plans de l'Empire européen (essentiellement franco-allemand) en maintenant l'Union européenne sous contrôle américain direct.
Cette dualité de l'Europe s'exprime sur tous les plans. Ainsi, il apparaît impossible de choissir entre ces deux projets impériaux, le projet américain conformiste et celui, alternatif (révolutionnaire si l'on veut), de l'Europe continentale. Cependant, il convient de prendre en compte le fait que la majorité des Européens a clairement conscience du fait que ces deux ensembles ne peuvent être concurrents, sans même évoquer leur dépendance stratégique, que dans le format de l'Union européenne et en aucun cas en tant qu’États-nations. En d'autres termes, le fait que l'Europe soit contrainte d'évoluer vers des formes d'organisation impériale constitue une question réglée depuis longtemps. Pris isolément, même les plus grands pays de la vieille Europe apparaissent incapables d'affirmer leurs intérêts nationaux. Ainsi, indépendamment du fait de savoir si l'Europe deviendra un jour un empire à part entière ou demeurera la périphérie de l'atlantisme, elle semble condamnée à l'intégration.
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Le Projet "Empire" VI (Alexandre Douguine)
Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique - La Russie et les idées politiques du XXIème siècle, Chapitre X Le projet "Empire", L'Empire Islamique (le Califat mondial), pp. 216-218, aux éditions Ars Magna
Si aucun nation État-nation ne possède le potentiel suffisant pour bloquer l'offensive de l'empire américain (atlantiste) dans le monde contemporain, il ne reste qu'un seul choix. Soit demander la pitié du vainqueur et embrasser les bottes des nouveaux maîtres du monde, (comme le font par exemple de nombreux pays d'Europe de l'Est et de la CEI), soit apporter une riposte asymétrique (nous connaissons la variante anarcho-trotskiste dans l'esprit de Negri et Hardt aux postmodernistes de salon, aux marginaux, aux toxicomanes ainsi qu'au pervers).
Il est extraordinairement important non seulement de prendre conscience des ressources sur lesquelles peut s'appuyer l'alternative dans sa dimension matérielle, mais également de savoir quelle idéologie prendre en qualité de facteur d’intégration. Le projet de l'islam fondamental contient une de ces réponses idéologiques. Dans son expression politique, il oppose l'empire américain mondial un autre empire, le califat islamique mondial. Cela apparaît parfaitement logique, le projet islamique prend en compte le caractère de l'affrontement : le défi global se voit proposer une réponse globale (bien qu'asymétrique).
Dans l'affrontement entre les États-Unis et Al-Quaïda, aussi étrange et disproportionné que paraisse ce duel entre la puissance mondiale dominante et le "terrorisme internationale" déterritorialisé, nous avons affaire à l'affrontement de deux projets idéologiques d'égale importance. Le fondamentalisme islamique présuppose :
- l'établissement d'un gouvernement islamique mondial,
- une large autonomie des groupes ethniques, qui se verront soumis à une islamisation ou devront s'acquitter de la dîme (en tant que "gens du livre"),
- l'introduction des normes de l'économie islamique (refus de l'usure, versement d'une dîme au profit de la communauté, l'oumma, avec répartition au profit des indigents ),
- l'existence d'une mission religieuse (l'islam et l'islamisation),
- une échelle planétaire (les musulmans vivent dans le monde entier).
Le projet islamique en tant que réponse à la mondialisation américaine coïncide pleinement avec la définition de l'empire. Certes, demeure la question des ressources nécessaires à l'affrontement. Mais ici, le postmodernisme et sa société en réseau (Manuel Castells) vient au secours de l'islamisme. Les islamistes utilisent la pauvreté des nouvelles recrues au service du terrorisme islamiste international, exploitent le potentiel religieux, élevé au rang de fanatisme, font appel aux groupes ethniques et religieux du monde entier pour créer leurs propres réseaux, utilisent l'internet ainsi que d'autres technologies de l'information pour mener une lutte informationnelle et enfin, recourent à des attentats comme lors du 11 septembre 2001 ce qui constitue déjà un coup sérieux porté à l'empire contre lequel ils mènent la guerre. Le fait que les islamistes radicaux aient désigné les États-Unis comme leur principal ennemi constitue une preuve suffisante du fait que nous avons affaire à un projet sérieux et responsable. Il s'agit d'un projet d'empire mondial alternatif.
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