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16/04/2015

Du sens des mots : Souveraineté (Charles Horace)

 

Quel est le principe qui confère son autorité à un pouvoir ? Quel est le fondement du pouvoir d’un Etat ? Aujourd’hui, nous considérons, comme si cela allait de soi, que le fondement de l’action d’un Etat est sa souveraineté, appuyée sur le scrutin populaire à l’intérieur, et reconnue par les autres Etats à l’extérieur. Le terme « souveraineté » est d’ailleurs constamment au centre de multiples débats, touchant aux questions les plus cruciales préoccupant notre société. On soulignera l’ironie de la situation, la souveraineté française n’occupant dans les débats que l’espace qu’elle a perdu dans le domaine des compétences concrètes de l’Etat. Paradoxe qui n’est qu’apparent, puisque c’est bien quand la chose commence à manquer qu’on y met le mot ! Il est clair en effet que le développement des instances supranationales participe d’une délégation, consentie par nos oligarchies, des souverainetés des Etats nationaux. Il est également évident que toute action politique ne peut se priver d’un retour à la souveraineté, sous peine de se retrouver privé de tout levier d’action. Encore est-il nécessaire au préalable de bien connaître le sens de ce mot, d’en connaitre l’histoire afin d’en saisir toutes les implications. Nous commencerons donc par nous intéresser à la définition et à l’histoire du principe de souveraineté. Il conviendra également, à la lumière de ce qui aura été soulevé, de poser la question de la « souveraineté populaire », de sa réalité, et de sa pertinence. Enfin nous tenterons d’articuler les aspirations légitimes des patriotes à la souveraineté et le sentiment européen.

 

La souveraineté selon Jean Bodin

 

Selon le dictionnaire Larousse, la souveraineté désigne le « pouvoir suprême reconnu à l'État, qui implique l'exclusivité de sa compétence sur le territoire national (souveraineté interne) et son indépendance absolue dans l'ordre international où il n'est limité que par ses propres engagements (souveraineté externe) ». Il s’agit donc d’une modalité de l’exercice du pouvoir impliquant l’absence de concurrence à son autorité légitime, sur un espace déterminé. La souveraineté implique également une liberté d’action totale sur la scène internationale. Cette définition de la souveraineté, actuellement comprise dans un contexte stato-national, est directement issue du travail de théorisation mené par Jean Bodin au XVIe siècle. Cependant, si le terme de souveraineté semble émerger au cours du Moyen Âge, doit-on pour autant en déduire qu’il n’a eu aucune préfiguration ? En d’autres termes, la notion de souveraineté est-elle un produit d’une réflexion politique relativement récente, ou a-t-elle au contraire des racines plus anciennes ?

 

Nous devons tout d’abord faire violence à la chronologie, en présentant dans un premier temps le travail incontournable de Jean Bodin, afin de voir ce qu’il charrie d’une tradition plus ancienne et ce qu’il apporte de neuf, afin d’en tirer les conséquences. C’est lui en effet qui a formulé pour la première fois, dans ses Six livres de la Républiquei (1576), le concept de « souveraineté » dans son sens moderne. Pour lui, la souveraineté désigne le principe selon lequel un Etat jouit d’une suprématie sur tous les autres pouvoirs. Cette suprématie instituée implique des conséquences juridiques : une loi souveraine peut arrêter toute autre puissance qui se poserait en concurrente de l’Etat. Jean Bodin, en tant qu’érudit, s’appuie sur une immense culture historique et juridique. Son objectif est double : réfuter Machiavel dont la démarche amorale lui paraissait dangereuse pour l’ordre traditionnelii, tout en raffermissant le fondement du pouvoir politique, ébranlé par les divisions des Guerres de Religion (1562-1589). Toutefois, à la différence de Saint Augustin ou de Saint Thomas d’Aquin, il ne s’interroge pas sur l’origine divine ou naturelle de la chose publique. Il constate simplement que dans toute société historique, il existe une forme de pouvoir public unifié et unificateur. Il pose, dès lors, la question de l’essence de ce pouvoir. La réponse réside selon lui dans « la puissance souveraine », s’exerçant par « un droit gouvernement de plusieurs ménagesiii et de ce qui leur est commun ».

 

Pour être entière et durable, la souveraineté doit s’appuyer sur trois principes :

 

  • Elle doit être absolue, autrement dit, ne dépendre d’aucun autre pouvoir. Elle doit être, pour ainsi dire, auto-suffisante.

  • Elle doit être également indivisible, une, et si elle se délègue, elle doit demeurer entière en chaque délégation.

  • Elle doit être enfin, perpétuelle, transcendante, et par conséquent, ne doit pas être soumise aux aléas du temps. La souveraineté perdure, indépendamment des individus qui l’incarnent temporairement. L’Etat en est le siège, un point autour duquel se focalise l’ordre public, lui-même défini par les Lois qui déterminent les normes de la vie publique de tout le corps social.

 

La souveraineté est surtout pour Bodin une volonté, une « puissance de vouloir » dont les lois sont la forme. Cependant, comme la volonté souveraine est absolue, elle est de fait au-dessus des lois, qu’elle fait et défait. Ainsi, « il appartient à la prérogative absolue du Souverain de faire la paix et la guerre, de diriger l’administration, de juger en dernière instance et de faire grâce, de battre monnaie et de lever l’impôt »iv.

 

Des racines médiévales et antiques

 

Cependant, la définition de la souveraineté développée par Jean Bodin est tout à fait différente de ce qu’elle était à l’époque médiévale. Définition médiévale qui elle-même dérivait d’une antique conception de la puissance politique. Dans son sens médiéval, « souverain » désigne un pouvoir n’admettant aucun supérieur, ce qui ne supposait pas nécessairement que ce pouvoir puisse revendiquer une exclusivité de la puissance de commander. La souveraineté médiévale n’impliquait, en d’autres termes, aucun monopole de la volonté. A partir du XIIIe siècle, la souveraineté que le Roi de France avait obtenue de haute lutte face à l’aristocratie féodale représentait un dernier recours, surtout dans le domaine judiciaire. Le processus de décision opérait dans la coexistence d’une pluralité de pouvoirs, chacun ayant voix au chapitre (c’est ce que l’on nomme aujourd’hui le principe de subsidiarité). A partir de la fin du XIIIe siècle, le roi, pour prendre une décision importante, convoquait les Etats Généraux, assemblées exceptionnelles, composées de représentants divers du royaume et qui devaient permettre aux trois ordres de la société de s’exprimer. Le roi ne pouvait tout à fait se passer du consentement de ces derniers, ni de l’avis de certaines autorités extérieures (dont l’autorité spirituelle).

 

Le concept de souveraineté tel que théorisé par Bodin constitue donc une révolution. Il faut en fait comprendre que, marqué par l’expérience des guerres de religions, moment extrêmement périlleux pour la Monarchie (donc pour la France), Jean Bodin tenta de faire en sorte que l’Etat souverain n’ait plus à négocier avec quelque pouvoir que ce soit (ce qui revenait, en ces temps troublés, à être la créature d’un parti)v. Avec lui se produit une scission entre l’Etat et la société, la loi devient valable par elle-même, elle est supérieure au droit naturel, au droit coutumier. Dans le même temps, l’unilatéralité de la loi implique la fin de tout droit de résistance des sujets à un pouvoir injuste, quand la pensée médiévale laissait la liberté à la personne de s’opposer à un pouvoir tyranniquevi. Bodin accorde seulement aux magistrats le droit à la résistance passive (à travers la démission). La forme étatique de l’Etat souverain « bodinien » fut consacrée en 1648, par le traité de Westphalie : l’Etat souverain représente alors une réalité nouvelle face aux empires : la nation.vii

 

En ce qui concerne l’Europe de l’ouest dans son ensemble, nous pensons toutefois pouvoir remonter au-delà du Moyen Âge. Les racines de la souveraineté en tant que principe transcendant remontent selon nous à l’Antiquité romaineviii. En effet, la notion d’imperium, présente dès la période républicaine, dont l’étymologiesignifie « ordonner », désignait un pouvoir souverain délégué aux magistrats supérieurs par les dieux dont la volonté était censée se manifester à travers les citoyens réunis en assemblée. Sous la République, l’imperium ne reconnaissait également pas de supérieur temporel, mais était temporaire et limité dans l’espace, et permettait à son détenteur de commander et de juger.Il était également limité par d’autres pouvoirs, tels la puissance tribunicienneix. A partir d’Auguste (27 av. J.-C. – 14 ap. J.-C.), ce pouvoir devient permanent et concentré entre les mains du Prince (Princeps).

 

A l’image de la culture politique romaine, le concept d’imperium était souple, pragmatique, concret. Si la nature de son exercice évolua, son fondement demeura : un pouvoir souverain, transcendant, à la fois civil, militaire et religieux, soutenu par un charisme divin, un pouvoir surhumain, ayant pour horizon la pax aeterna, écartant les prétentions des forces centrifuges, donnant une orientation commune à toutes les composantes d’un même corps politique. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer de prime abord, la notion de souveraineté héritée de l’imperium a survécu en Europe sous diverses formes :Empire Byzantin, Empire Carolingien puis Saint Empire Romain Germanique…Le royaume de Francea tout autant recueilli l’héritage de l’imperium romain. C’est en effet la monarchie française issue de l’éclatement de l’empire carolingien (Capétiens, Valois, Bourbons)qui sera –à notre sens- parmi les nations européennes, la plus belle héritière de la tradition politique romaine. Opinion que partageait Georges Sorel : « Le seul pays de langue latine qui puisse revendiquer l'héritage romain est la France, où la royauté s'est efforcée de maintenir la puissance impériale »x. Les rois de France, notamment à partir de la deuxième moitié du XIIIe siècle, nourris de la redécouverte du droit romain, vont en effet affirmer le principe de souveraineté contre les puissances cherchant à les subjuguer ou à diviser le royaume. Le pouvoir royal français comprend de nombreuses similitudes et d’emprunts à l’imperium romain : son côté surnaturel, total –ou plutôt absolu-, divin, la coexistence d’aspects civils, militaires, et religieux, certaines des regalia (l’orbe, la couronne…).

 

Nous pouvons constater que la souveraineté ne nait pas avec Jean Bodin. L’œuvre de ce dernier, sans remettre en question sa qualité, porte en effet une ambiguïté de taille, dont les conséquences ont été primordiales pour la suite de l’histoire politique de l’Europe. Voulant renforcer le pouvoir souverain en le rendant absolu et en fondant sa démonstration sur le seul droit, il l’a également détaché de ses attaches spirituelles. En effet, dans un contexte de conflit religieux, il était impossible de fonder un consensus politique autour de la seule référence à Dieu. Si Bodin n’évacue évidemment pas complètement la dimension religieuse de la souveraineté, il s’inscrit dans une dynamique de sécularisation du pouvoir politique, préparant les évolutions ultérieures que ce dernier allait connaître en Occident. Si le pouvoir souverain ne saurait reconnaître la puissance divine comme limite, alors le pouvoir politique finit par perdre sa dimension spirituelle (puisque le Roi était encore vu comme le « Lieutenant de Dieu sur terre »). En effet, comme le soulignait Julius Evola, l’Etat sans principe transcendant n’est qu’une coquille vide : « Le fondement de tout véritable État est la transcendance de son principe, c'est-à-dire du principe de la souveraineté, de l'autorité et de la légitimité »xi.

 

L’héritage empoisonné de la modernité

 

La souveraineté Bodinienne eut cependant pour effet de redonner de la vigueur à la monarchie française. Le règne solaire de Louis XIV (1638-1715) a d’ailleurs donné à cette conception de la souveraineté ses lettres de noblesses. Néanmoins, la progression des idées matérialistes devait finalement amener les penseurs des XVIIe et XVIIIe siècles à penser la politique et si deus non daretur (comme si Dieu n’existait pas)xii. Les Lumières, Rousseau en tête, ne firent que s’appuyer sur cet héritage. Joseph de Maistre, dans ces écrits, a souligné les principes politiques à l’origine de la grande mutation, déjà en maturation à partir de la Renaissance, émergeant avec les Lumières. Parmi ces principes se trouve la théorie du libre contrat de Jean-Jacques Rousseau, qui dans son Contrat social (1762) opposait l’homme à l’état de nature et l’homme en société, et prétendait penser la société en dehors de tout principe transcendant supérieur (en l’occurrence sans Dieu) mais sous le seul angle du « contrat » entre individus mus par leurs seuls intérêts ou leur bonté naturelle. Or, l’homme peut-il créer le droit, la justice, l'autorité, ou le pouvoir ? Pour De Maistre la réponse ne peut être que négative puisque « la raison et l'expérience se réunissent pour établir qu'une constitution est une œuvre divine et que ce qu'il y a précisément de plus fondamental et de plus essentiellement constitutionnel ne saurait être écrit »xiii. Qu’est-ce à dire ? Simplement que la souveraineté d’un pouvoir ne relève pas simplement de conventions humaines mais renferme toujours quelque chose de transcendant, de plus-qu’-humain. Dans le même ordre d’idée, De Maistre rejette l’idée de Progrès dans le domaine politique, corollaire de cette conception contractuelle de la société : « C'est ainsi que la souveraineté est la dupe éternelle des novateurs, et que les nations se jettent dans l'abîme, en croyant atteindre une amélioration imaginaire, tandis qu'elles ne font que satisfaire les vues intéressées et personnelles de ces hommes téméraires et pervers »xiv.

 

Etat actuel de la souveraineté

 

Déjà au début du XIXe siècle, ce même Joseph de Maistre déplorait l’affaiblissement des souverainetés nationales : « Aujourd'hui il faudrait être aveugle pour ne pas voir que toutes les souverainetés s'affaiblissent en Europe. Elles perdent de tous côtés la confiance et l'amour. Les sectes et l'esprit particulier se multiplient d'une manière effrayante. Il faut purifier les volontés ou les enchaîner ; il n'y a pas de milieu »xv. Aujourd’hui plus encore qu’hier, nous vivons l’effacement de la souveraineté des Etats dans les domaines essentiels où elle s’exerce traditionnellement, une « évacuation progressive de la substance de l'Etat »xvi. En effet, « l'Etat devient purement gestionnaire. Par là même, il se met en position d'être renversé par les pouvoirs qui se constituent en dehors de lui - et contre lui. L'Etat nie son propre principe, qui est un principe d'autorité et de souveraineté, pour ne s'occuper essentiellement que de problèmes économiques et sociaux »xvii. Il en résulte une hypertrophie de la politique (politicienne) et un net recul du politique, puisque les prises de décisions essentielles ne relèvent plus des institutions nationales mais d’instances supranationales : Union Européenne, OTAN, ONU etc... Le libéralisme, ennemi de la frontière, de l’autorité, et partant, de l’Etat, « devient une sorte de destin »xviii et produit un « repli politique (…) devient la seule pratique post-politique »xix. Dans le même temps, la sécularisation et la laïcisation des sociétés occidentales ont supprimé la dimension spirituelle que l’Etat a toujours eu dans les sociétés traditionnelles : « l'Etat ne dit plus rien, ne propose plus rien, ne sécrète plus rien. Il ne trace l'ébauche d'aucun destin »xx. L’Etat ne satisfait plus, ne propose plus de satisfaire les aspirations plus élevées de l’Homme, n’incarne plus que des « programmes politiques » en fait de visions donnant un sens à son action et l’inscrivant dans un projet plus vaste que lui-même. Au contraire, « il ne fournit pas des raisons de vivre-mais des moyens d'exister (…) et dès lors que ce rôle n'est plus rempli par l'Etat, les sectes, les partis, les groupes de pression, les sociétés de pensée tendent à le remplir, dans le désordre et la confusion. Evacué de sa sphère naturelle, le politique resurgit partout »xxi (avec les résultats que l’on sait).

 

En effet, force est de constater que le libéralisme et les Lumières, en opposant deux souverainetés, celle de l’Individu (la somme des souverainetés individuelles donnant la souveraineté populaire) et celle de l’Etat (le « Léviathan » de Hobbes), en privilégiant celle du premier, a vidé le second de sa substance et donc de sa fonction première. C’est à la lumière de cette analyse que l’on doit comprendre les réactions contre-révolutionnaires ou encore fascistes. Dans l’optique de restaurer ou –dans le cas du fascisme- de recréer la souveraineté sacrée, ces dernières désiraient renouer le lien brisé reliant, dans les sociétés traditionnelles, l’Individu à l’Etat, en identifiant ce dernier avec la volonté du premierxxii. José-Antonio Primo De Rivera propose en effet de considérer ce problème : « non comme une compétition de pouvoirs et de droits, mais comme un accomplissement de fins, de destins. La Patrie est une unité de destin dans l’universel et l’individu le porteur d’une mission particulière dans l’harmonie de l’État… L’idée de destin, justification de l’existence d’une construction (État ou système) remplit l’époque la plus haute qu’ait connue l’Europe : le XIIIe siècle, le siècle de saint Thomas. Elle naquit dans l’esprit des moines. Les moines affrontèrent le pouvoir des rois et leur nièrent ce pouvoir tant qu’il n’était pas justifié par l’accomplissement d’une grande fin : le bien de tous les sujets. Une fois acceptée cette définition de l’être – porteur d’une mission, unité chargée d’un destin – fleurit la noble, grande et robuste conception de « service ». Si personne n’existe sinon comme exécuteur d’une tâche, on atteint précisément la personnalité, l’unité et la liberté propre servant dans l’harmonie totale. Une ère d’infinie fécondité s’ouvre dès qu’on arrive à l’harmonie et à l’unité des êtres ! Personne ne se sent plus double, dispersé, contradictoire entre ce qu’il est réellement et ce qu’il représente dans la vie publique. L’individu intervient alors dans l’État comme celui qui accomplit une fonction et non par le moyen des partis politiques, non comme le représentant d’une fausse souveraineté, mais comme possesseur d’un métier, comme chef de famille, comme membre d’une municipalité. Il est ainsi à la fois ouvrier laborieux et dépositaire du pouvoir »xxiii. Pour qu’un Etat soit souverain, il doit, nous l’avons dit, suivre un principe transcendant, suivre une vision qui le dépasse, et dans laquelle il peut entraîner les peuples qui l’ont constitué pour réaliser leur destin. Chaque individu aurait donc sa place et l’Etat ne serait plus qu’une hiérarchie dans laquelle il n’aurait qu’à s’inscrire pour participer à un projet commun métahistorique.

 

Au contraire, quand l’Etat s’en remet à la « souveraineté populaire », il ne suit plus un projet transcendant mais la trouble et inconstante « opinion ». Poursuivons avec Charles Maurras : « Où l'opinion gouverne, la spontanéité gouvernementale n'a même plus de centre, d'organe ni de lieu (…) l'État ne peut plus que flotter comme un bouchon de liège, sinon rouler comme une boule de billard »xxiv. En effet : « Il ne s'agit pas de savoir l'opinion des neuf dixièmes des Français sur les conditions du salut public, mais bien qu'elles sont les conditions réelles de ce salut (…) j'écris fort tranquillement qu'un Prince qui se croira la créature de l'opinion ne pourra pas remplir la plus difficile partie de la fonction royale, qui est d'éclairer et de diriger l'opinion au lieu de la suivre, c'est-à-dire de la contredire parfois quand le salut public le veut »xxv. Complétons avec René Guénon : « c’est l’opinion de la majorité qui est supposée faire la loi ; mais ce dont on ne s’aperçoit pas, c’est que l’opinion est quelque chose que l’on peut très facilement diriger et modifier ; on peut toujours, à l’aide de suggestions appropriées, y provoquer des courants allant dans tel ou tel sens déterminé ; nous ne savons plus qui a parlé de « fabriquer l’opinion », et cette expression est tout à fait juste, bien qu’il faille dire, d’ailleurs, que ce ne sont pas toujours les dirigeants apparents qui ont en réalité à leur disposition les moyens nécessaires pour obtenir ce résultat »xxvi. Le constat de l’héritage des Lumières et de ses conséquences nous amène à poser la question de la « souveraineté populaire ».

 

L’introuvable souveraineté populaire

 

Ainsi, parlons-en, de la souveraineté populaire. Nous l’avons évoqué plus haut, nous ne croyons pas en la « souveraineté populaire », concept ambigu, reposant sur une autre idée tout aussi ambivalente : la notion de « Peuple ». Car en vérité, qu’est-ce que « le Peuple » ? L’ensemble des citoyens, donc les membres d’un corps politique défini, les membres d’une même nation, partageant une même culture, ou encore selon une vulgate gauchisante les classes populaires ? En d’autres termes, le « Peuple » est-il la Plèbe, ou le Populusxxvii ? La nuance est de taille, car en effet de cette distinction dépend le sens de la souveraineté que l’on veut faire exercer au « Peuple ». Définition politique (républicaine, citoyenne), sociale (socialisante) ou nationale (ethnoculturelle), ou encore un mélange circonstancié des trois ? Nous connaissons tous les mantras que le concept de « Peuple » alimente : « le pouvoir au Peuple ! », oui mais quel peuple ? Qu’est le peuple ? C’est là selon nous que commence le piège de l’idée d’une « souveraineté » populaire puisque un objet aussi informe et malléable que le « Peuple » ne saurait être le siège de quelque pouvoir de souveraineté que ce soit, puisque ce pouvoir nécessite, nous l’avons vu, une certaine cohérence et une certaine unicité, sans parler d’une verticalité. La « souveraineté populaire », psalmodiée par les républicains s’appuie en conséquence sur une notion volontairement floue. Sur ces bases, toute « souveraineté populaire » semble illusoirexxviii.

 

Nous poursuivrons en citant encore une fois Joseph de Maistre : « Dieu, s'étant réservé la formation des souverainetés, nous en avertit en ne confiant jamais à la multitude le choix de ses maîtres. Il ne l'emploie, dans ces grands mouvements qui décident le sort des empires, que comme un instrument passif. Jamais elle n'obtient ce qu'elle veut : toujours elle accepte, jamais elle ne choisit ». Remarque de bon sens qui souligne que jamais dans l’histoire, dès lors qu’une communauté humaine tend à prendre de l’ampleur, le pouvoir de décision n’a résidé exclusivement dans le « choix » de la masse. René Guénon, dans La Crise du Monde Moderne (1927), ne dit pas autre chose : « L’argument le plus décisif contre la « démocratie » se résume en quelques mots : le supérieur ne peut émaner de l’inférieur, parce que le « plus » ne peut pas sortir du « moins » ; cela est d’une rigueur mathématique absolue, contre laquelle rien ne saurait prévaloir (…) Il est trop évident que le peuple ne peut conférer un pouvoir qu’il ne possède pas lui-même ; le pouvoir véritable ne peut venir que d’en haut, et c’est pourquoi, disons-le en passant, il ne peut être légitimé que par la sanction de quelque chose de supérieur à l’ordre social, c’est-à-dire d’une autorité spirituelle ; s’il en est autrement, ce n’est plus qu’une contrefaçon de pouvoir, un état de fait qui est injustifiable par défaut de principe, et où il ne peut y avoir que désordre et confusion. Ce renversement de toute hiérarchie commence dès que le pouvoir temporel veut se rendre indépendant de l’autorité spirituelle, puis se la subordonner en prétendant la faire servir à des fins politiques ; il y a là une première usurpation qui ouvre la voie à toutes les autres… ».

 

Le « Peuple », ne saurait donc être détenteur d’une quelconque souveraineté puisqu’il relève du domaine de la quantité (non de la qualité) de l’indistinction et du chaos. Point de vue qui, évidemment doit être relativisé par rapport à l’échelle à partir de laquelle on considère l’exercice d’une souveraineté (nous y reviendrons plus loin). De même, comment peut-on être à la fois gouvernant et gouverné ? C’est là encore une objection, et non des moindres, de René Guénon à propos de la démocratie : « Si l’on définit la « démocratie » comme le gouvernement du peuple par lui-même, c’est là une véritable impossibilité (…) il ne faut pas se laisser duper par les mots, et il est contradictoire d’admettre que les mêmes hommes puissent être à la fois gouvernants et gouvernés, parce que, pour employer le langage aristotélicien, un même être ne peut être « en acte » et « en puissance » en même temps et sous le même rapport. Il y a là une relation qui suppose nécessairement deux termes en présence : il ne pourrait y avoir de gouvernés s’il n’y avait aussi des gouvernants (…) mais la grande habileté des dirigeants, dans le monde moderne, est de faire croire au peuple qu’il se gouverne lui-même ; et le peuple se laisse persuader d’autant plus volontiers qu’il en est flatté et que d’ailleurs il est incapable de réfléchir assez pour voir ce qu’il y a là d’impossible. C’est pour créer cette illusion qu’on a inventé le « suffrage universel » ». Dans ces conditions, que le lecteur n’aura pas de mal à relier à ce qu’il vit et constate tous les jours, la souveraineté populaire apparait tout au plus comme un leurre. Le principal écueil de la conception contractualiste de l’Etat, sur laquelle est fondée l’idée de souveraineté populaire réside dans le flou qui entoure son principal acteur, le « Peuple ». Benito Mussolini soulignait également qu’« avant tout, ce que l’on appelle peuple ne fut jamais défini ; c’est une entité proprement abstraite en tant qu’entité politique. On ne sait exactement, ni où elle commence, ni où elle finit. L’adjectif de souverain appliqué au peuple est une farce tragique. Le peuple tout au plus délègue, mais il ne peut exercer aucune souveraineté »xxix.

 

Poursuivons notre critique de ce concept en revenant à l’état actuel de la souveraineté. Alain de Benoist note que de nos jours « la souveraineté politique est elle-même ramenée au niveau individuel. Toute transcendance du principe d'autorité étant bannie, le pouvoir n'est plus qu'une délégation faite par des individus, dont les voix s'additionnent à l'occasion des scrutins- délégation venant régulièrement à échéance et dont le pouvoir doit rendre compte à la façon d'un président de conseil d'administration devant l'assemblée de ses actionnaires. La « souveraineté du peuple » n'est nullement celle du peuple en tant que peuple, mais celle, indécise, contradictoire et manipulable, des individus dont se compose ce peuple. Les individus étant égaux et primant les collectivités, le déracinement devient la règle. La mobilité sociale, nécessité économique, a force de loi »xxx. Il rejoint en cela la critique qu’adressait Charles Maurras, citant Joseph de Maistre, à l’idée de représentation populaire : « “On ne représente pas soi devant soi.” Maistre a bien vu cela. On envoie un autre soi-même vers quelque chose ou vers quelqu’un d’autre que soi. L’idée d’une représentation qui soit aussi souveraineté confond deux fonctions distinctes, et elle les gâche à proportion qu’elle les applique à des collectivités plus touffues et plus complexes, la question ne se posant point pour les très petites cités, faites de très petits intérêts très simples. Représenter un grand peuple au-dedans ou au-dehors n’est pas le gouverner, et rien ne le dispense d’être gouverné ». Nous ajouterons que l’idée d’une souveraineté populaire à travers la représentation du peuple par ses élus part du présupposé selon lequel l’individu serait naturellement bon. Point de vue critiquable, pour ne pas dire infondé. Benito Mussolini en son temps soulignait ainsi que « tandis que les individus tendent, poussés par leur égoïsme à l’atomisme social, l’État représente une organisation et une limitation. L’individu tend à s’évader continuellement. Il tend à se soustraire aux lois, à ne pas payer l’impôt, à ne pas faire la guerre. Peu nombreux sont ceux qui, héros ou saints, sacrifient leur propre moi sur l’autel de l’État. Tous les autres sont en instance de révolte contre l’État. Les révolutions du XVIe et du XVIIe siècle ont tenté de résoudre ce désaccord qui est à la base de toutes les organisations sociales de l’État, cela en faisant du pouvoir une émanation de la libre volonté du peuple. C’est une fiction et une illusion de plus »xxxi. Enfin comme nous le notions plus haut, malgré tous les rappels possibles, toutes les invocations de la « souveraineté populaire », force est de constater qu’elle n’existe dans les faits que d’une manière toute relative : « Vous voyez que la souveraineté gracieusement accordée au peuple lui est soustraite dans les moments où le besoin s’en fait sentir. Elle ne lui est laissée que quand elle est inoffensive ou réputée telle ; c’est-à-dire dans les moments d’administration ordinaire. Vous figurez-vous une guerre décidée à la suite d’un référendum ? »xxxii. En effet, la réaction de l’oligarchie républicaine à l’égard du référendum de 2005 montre à quel point la République sait se passer de l’avis du « Peuple ». En réalité la souveraineté populaire apparait plutôt comme l’éclatement de la souveraineté réelle, une addition des intérêts et des appétits particuliers, atomisation profitant à tous ceux qui se montrent suffisamment puissant pour s’arroger la souveraineté réelle, en dépit du bien commun. « Le myriapode démocratique a la vie trop diffuse et le sens trop obtus pour entrevoir même le principe des grandes obligations politiques. Ni il ne les observe, ni il ne les viole, et non plus que les bêtes, à vrai dire, il ne pèche »xxxiii.

 

Nous ne pouvons finalement que suivre Charles Maurras et son appréciation du problème : « Ni implicitement, ni explicitement, nous n'acceptons le principe de la souveraineté nationale, puisque c'est, au contraire, à ce principe-là que nous avons opposé le principe de la souveraineté du salut public, ou du bien public, ou du bien général. Nous ne croyons pas à la souveraineté du peuple. Nous n'y croyons pas parce qu'elle n'existe pas. Quand on la proclame, cela veut dire qu'il n'y a plus de souverain réel et que les fonctions souveraines sont désormais exercées par n'importe qui, par le premier venu, ou par le dernier, et surtout par personne : les affaires d'État sont livrées au hasard des hasards ou tombent en pleine carence » et de conclure que « le grand honneur de reconnaître et d'expier doit être réservé au type de gouvernement où la souveraineté est concentrée dans l'âme unique et dans la personne vive d'un homme ».

 

Peut-on être nationaliste, souverainiste, et européen ?

 

Nous souhaiterions clore ce texte par une réflexion, à titre de proposition, concernant les aspirations de notre mouvance au retour de la souveraineté, en posant une question selon nous cruciale pour l’avenir : la défense légitime de la souveraineté française est-elle compatible avec une perspective Européenne, ou plus encore, Continentale ? Les « néo-souverainistes » tendent à répondre par la négative : dans leurs discours, la souveraineté, et partant, la grandeur de la France est impensable dans un cadre autre que rigoureusement « stato-national ». La France se trouverait donc devant l’alternative suivante : la mort au sein de l’ « Europe » (terme à travers lequel ils désignent en réalité l’Union Européenne) ou la renaissance hors d’elle. Seulement, si nous considérons que l’Union Européenne est le tombeau de l’Europe véritable -pas d’« une autre Europe », mais de l’Europe en tant que civilisation et partant, en tant qu’acteur politique en acte- alors le combat anti-UE devient compatible avec une perspective européenne. De même, si l’on considère avec la plupart des observateurs, comme Alain de Benoist, que « la globalisation, en même temps qu’elle engendre un monde sans extérieur, où l’espace et le temps sont virtuellement abolis, consacre l’impuissance grandissante des Etats-nations »xxxiv le retour pur est simple au statu quo ante semble illusoire, tout aussi souhaitable qu’il soit.

 

En effet, que peut, de nos jours, une nation seule face aux réalités du monde global ? Charles de Gaulle lui-même, pourtant adulé des néo-souverainistes, ne l’avait-il pas vu, lui qui contre l’OTAN se tourna tant vers l’URSS (dans laquelle il voyait encore l’Empire Russe), que vers l’Europe encore en construction ? Ainsi, attachés que nous sommes à notre nation tout autant qu’à notre grande patrie l’Europe, nous devons nous de rechercher les modalités d’une renaissance commune de nos deux patries. C’est ce qu’affirmait Nasrallah Pendragon lors de son intervention aux rencontres eurasistes : « La souveraineté économique et la souveraineté territoriale sont des principes essentiels, mais l’articulation, unique et exclusive, de ces idées politiques fondamentales entre elles –et rien qu’entre elles - n’est pas suffisante pour constituer une philosophie-politique sans que ces idées soient transcendées par un principe supérieur, cette dimension métaphysique du principe de Souveraineté est occultée par les néo-souverainistes. La souveraineté n’a de sens que dans son articulation avec les principes d’Autorité, de Subsidiarité, de Verticalité, de Concentricité, de Liberté, dans leur sens traditionnel et primordial (…). Cet espoir de recouvrir une certaine « souveraineté » pour retrouver une certaine « liberté » implique, quand même, une certaine volonté de penser une certaine puissance, et penser la puissance : c’est agir (…) agir veut dire réagir et réfléchir face à la double réalité de l’émergence (Chine, Inde) et de la décroissance (effondrement de l’Occident), qui dépasse les frontières de la France et l’espace Schengen ». En effet, il semble bien que « le moment historique que nous vivons est celui de l’action locale et des blocs continentaux » (Alain de Benoist). « L’alternative devant laquelle se trouve l’Europe est en fait toujours la même : soit l’Europe, donnant la priorité à la libéralisation, épouse la dynamique d’un grand marché visant à s’élargir le plus possible, et en ce cas l’influence américaine y deviendra prépondérante, soit elle s’appuie sur une logique d’approfondissement de ses structures d’intégration politique par le biais du fédéralisme et de la subsidiarité, dans une perspective essentiellement continentale et avec l’intention de balancer le poids des Etats-Unis »xxxv. Nonobstant, à l’échelle, à partir de laquelle il faut penser l’avenir, la nation rentre dans le domaine du local. De plus, l’échelle fédérale donc supranationale n’implique pas le transfert de l’étatisme jacobin à une autre échelle que celle de l’Etat (c’est précisément ce que fait l’UE)xxxvi : « Le fédéralisme, (…) implique le rejet de toute forme d'hégémonie exercée par l'une des parties composantes, comme de toute forme de centralisation et d'homogénéisation de type jacobin. Au principe d'omnicompétence étatique, il oppose le principe de subsidiarité, c'est-à-dire de compétence suffisante. Contre le souverainisme, qui transpose l'idéal individualiste dans l'ordre international, il prône l'autonomie, c’est-à-dire la mutuelle dépendance et la souveraineté partagée. »  Il convient par conséquent de rompre avec l’idée jacobine d’Etat : « une critique de l’étatisme est nécessaire, et nous ne nous en privons pas, mais elle ne revient pas à prôner une liquidation totale de l’Etat, qui serait une validation intégrale du libéralisme triomphant et sans frontières » (Nasrallah Pendragon).

 

Certes, il peut paraître contradictoire de considérer avec un enthousiasme égal la perspective pour la France d’un retour à la monarchie, et la perspective d’une Europe de type impérial. Nous rappelons simplement qu’aux moments mêmes de grandeurs de la monarchie française d’Ancien Régime, il existait en Europe des pouvoirs de nature supranationale (le pouvoir pontifical et le Saint Empire) et que cela n’empêcha nullement à la France d’être la grande nation qu’elle est devenue par l’action de ses rois. Evidemment, nous savons que les relations avec ces pouvoirs supranationaux n’a pas toujours été harmonieux (le Saint Empire tendant au fil du temps à incarner une réalité « nationale » allemande, germanique). Ceci étant, il ne s’agit pas de tomber dans le pessimisme et de ne pas voir les moments où la coopération des pouvoirs supranationaux avec les pouvoirs temporels particuliers ont été fructueux. Ce n’est pas parce que la définition d’un équilibre doit être trouvée que le déséquilibre est fatal. Il n’est donc pas incompatible a priori de penser la coexistence de plusieurs souverainetés étagées, réparties sur des réalités politiques différentes. Seulement cet équilibre nécessaire entre le local et le global, entre le national et le continental, ne peut se penser en dehors du principe de subsidiarité. Ce principe, qui d’Aristote à Proudhon, en passant par Saint Thomas d’Aquin et Althusius, est le propre des modèles fédéraux. Selon ce principe, « la dynamique politique part d’en bas (les communes, les régions et les nations) pour ne laisser remonter vers le haut que les compétences qui ne peuvent être mieux exercées à des niveaux plus bas »xxxvii. Il s’agit en fait d’une délégation verticale du pouvoir, dans le but d’optimiser la gestion des affaires publiques. Ainsi consiste-t-il « à réserver uniquement à l’échelon supérieur ce que l’échelon inférieur ne pourrait effectuer que de manière moins efficace »xxxviii et « n’unifie qu'au niveau de ce qui est véritablement commun à tous. »xxxix La question est la suivante : comment concilier la nécessaire pérennité de l’autorité du politique avec l’autonomie, les libertés des communautés et le bien commun ? La réponse pourrait selon nous résider dans une réappropriation du sens véritable de la souveraineté. Nous avons vu que celle-ci était en Europe, de par la tradition romaine, de type « impérial » (d’imperium), et également subsidiaire, souple, pragmatique, mais verticale. L’imperium est une forme du pouvoir politique souple et forte à la fois, capable de redonner du sens à l’idée de souveraineté, et d’articuler autorité politique continentale et impériale de l’Eurasisme avec les aspirations à la conservation des autonomies et des identités nationales portées par le Nationalisme ou même le Monarchisme. A l’heure où le démocratisme, les droits de l’homme, et le libéralisme entrent dans leur phase de déclin, il nous revient d’opposer une alternative cohérente et fédératrice et à opposer l’imperium au mondialisme.

 

Le problème réside dans le fait qu’un Etat subsidiaire suppose une « citoyenneté d'un autre ordre, dont nous avons perdu l'habitude »xl. Les acteurs politiques d’une société subsidiaire sont par définition actifs, interagissant avec l’Etat, pour ainsi dire directement. Le citoyen d’une démocratie parlementaire n’est pas « actif » au sens propre du terme. L’acte de vote dans une république moderne n’est pas le signe d’une quelconque activité du citoyen. La liberté d’élire parmi une liste de candidats validés par le système celui qui gèrera de loin la province France de l’Empire financier cosmopolite, et ce sur des critères purement artificiels, est purement factice. En revanche, une société subsidiaire nécessite des groupes actifs, autonomes, conscients de leur identité, et de leur place dans un ensemble plus vaste. Rien à voir avec les sociétés d’individus atomisés des sociétés libérales-démocratiques ; une société où les différences sont nombreuses, et non en voie accélérée d’uniformisation, de nivellement par le bas. D’où la nécessité également de définir notre peuple. Dans une optique subsidiaire, les groupes seuls peuvent prétendre réellement à une certaine autonomie. Cela suppose la redécouverte des corps sociaux naturels : la commune, le village, le quartier, le métier, la région, la nation, le peuple compris comme un enracinement. Cela suppose de même une réflexion sur la notion de liberté. La notion moderne de liberté, c’est-à-dire le choix personnel des finalités dernières diffère radicalement de la définition traditionnelle de liberté, c’est-à-dire la liberté d'action et d'administration des affaires de proximité, dans le cadre d'une finalité dernière déjà donnée, et considérée comme objective –la vision que le souverain donne à suivre à ses sujets. Ce qui signifie que le «corps social» tout entier doit tendre vers le même objectif. Ce qui suppose de troquer notre notion d’intérêt général (convergence forcée d’intérêts particuliers divergents) pour la redécouverte de celle de bien commun.

 

Autant dire que la notion de subsidiarité porte en elle un potentiel politique réel, concret, pour penser l’Europe puissance, l’Europe politique contre l’Europe marché. Utilisée en corrélation avec l’idée d’Empire elle rendrait possible la pérennité des identités et des libertés locales, nationales, tout en assurant une continuité politique. Elle permettrait dans le même temps d’alléger les structures étatiques de l’Etat-Providence centralisé en déléguant les responsabilités, tout en conservant la verticalité du pouvoir. Encore faudrait-il jouer la carte du ré-enracinement et du retour sur notre longue mémoire, se détourner de l’individualisme et réapprendre l’esprit de corps, et renouer avec la notion de verticalité du pouvoir. Dans un ensemble européen subsidiaire, la France pourrait exister en tant que nation. Encore faut-il faire les choses dans l’ordre : l’Europe américaine a commencé par créer l’Europe économique, l’Europe marché. Le point de départ d’une Europe européenne, politique pourrait intervenir sur le plan géopolitique, d’une volonté commune de rompre avec le statu quo libéral et de rompre avec l’unipolarité illusoire de l’OTAN. Ce serait une première étape vers une Europe effectuant son retour sur elle-même, à partir d’une volonté des nations qui la composent de s’unir…et pour cela, ces nations n’ont d’autres choix que de retrouver leur souveraineté. Français, Européens, Eurasiens, nos destins sont liés qu’on le veuille ou non.

 

i Comprendre « République » comme « res publica », « chose publique », « Etat ».

 

ii Dans Le Prince (Il Principe), publié en 1532, Machiavel affirme que le pouvoir du prince n’a d’autre objectif que sa propre préservation. Pour la première fois en Occident, on affirmait que le pouvoir du prince pouvait se passer de se conformer à l’idéal chrétien, de la morale chrétienne et du pouvoir spirituel.

 

iii Comprendre « ménage » comme « famille ». En effet, selon Jean Bodin, l’existence d’un Etat suppose la présence préalable de familles, elles-mêmes placées sous l’autorité du Père, lui-même sous l’autorité de la puissance souveraine en ce qui concerne les affaires publiques.

 

iv Muhlmann, Pisier, Châtelet, Duhamel, Histoire des idées politiques, PUF, éd. 2012.

 

v De la lutte entre Armagnacs et Bourguignons (début du XVe siècle) aux guerres de religions jusqu’à la « République des partis », la confiscation du destin politique par des partis a toujours constitué une menace mortelle pour la France qui failli à plusieurs reprises ne jamais s’en relever, leçon de l’histoire à méditer.

 

vi Il est vrai ici encore que le contexte périlleux pour le pouvoir des rois a sans doute beaucoup joué dans le travail de Jean Bodin, qui avait connu les écrits de pamphlétaires protestants et catholiques (respectivement appelés monarchomaques et tyrannicides) justifiant la révolte et l’assassinat du roi « infidèle ». Il semble donc avoir fait le choix de la tyrannie face à l’anarchie.

 

vii Idée de nation dont la paternité a été revendiquée par les héritiers des Lumières, mais qui n’est toutefois pas nouvelle, et n’est pas un fruit du jacobinisme (il est vrai que l’on confond souvent le développement de l’Etat à l’époque moderne avec la centralisation jacobine, postérieure à la révolution). Elle est au contraire le fruit de la construction de l’Etat, en France notamment, au cours du Moyen Âge, en prenant un tournant décisif à la fin de celui-ci, s’appuyant sur un corps politique particulier.

 

viii Elles sont également grecques, certes, nous considérons cependant que le concept d’imperium romain eut dans l’Europe médiévale autant d’importance que les écrits d’Aristote, et que sa définition se rapproche le plus de ce que nous appelons « souveraineté ». N’oublions pas également que l’Empire romain, qui était hautement hellénisé, fut l’intermédiaire par lequel la tradition gréco-romaine se transmit à l’Europe médiévale.

 

ix Pour plus de précisions, nous renvoyons à notre précédent article sur ce même site : « Qu’est-ce que l’imperium ? », ainsi qu’à l’abondante littérature consacrée à l’histoire romaine.

Lien de l’article : http://lheurasie.hautetfort.com/archive/2014/06/05/qu-est-ce-que-l-imperium-charles-mallet-5385150.html

 

x Lettre du 28 Août 1917 à Roberto Michels.

 

xi Julius Evola, Les Hommes au milieu des ruines, 1953.

 

xii Idée exprimée pour la première fois par Grotius en 1625 dans son De iure belli ac paci (du droit de la guerre et de la paix). Pour Grotius, la transcendance, en politique, est subordonnée aux normes issues de la nature humaine.

 

xiii Joseph de Maistre, Considérations sur la France, 1796.

 

xiv Joseph de Maistre, Lettre à un Gentilhomme russe.

 

xv Joseph de Maistre, Du Pape, 1819.

 

xvi A. De Benoist, Les idées à l’endroit, 1979.

 

xvii Idem.

 

xviii A. Douguine, La Quatrième théorie politique.

 

xix Idem.

 

xx A. De Benoist, Les idées à l’endroit, 1979.

 

xxi Idem.

 

xxii « Il n'y a pas contradiction à résoudre, mais conséquence à remarquer, entre l'étatisme social et l'individualisme social. Un logicien qui part de la souveraineté de l'individu, et qui veut construire un État, peut mourir avant d'être sorti du moi fondamental et d'avoir élevé son système ; mais, s'il le construit, s'il le construit sur ce fondement individualiste, il ne peut concevoir ni réaliser autre chose que le despotisme de l'État. Théoriquement, son État, est le plus absolu des souverains absolus, puisqu'il est l'émanation d'un total de souverainetés individuelles incoercibles et qu'il en reçoit toutes les forces, toute l'autorité, toute la majesté. Pratiquement, étant le seul produit de ces volontés souveraines, ne pouvant tolérer de groupe intermédiaire entre l'individu et lui, cet État, tient à la merci de sa loi les personnes et les biens. Chacun se trouve seul contre l'État signe de tous, et toutes les unités peuvent être ainsi broyées tour à tour par la masse unie et cohérente des autres. Celles-ci ont droit et devoir de se faire bloc, et celle-là, devant leur coalition, ne peut en fait ni en droit que subir. » Charles Maurras, Mes idées politiques, 1937.

 

xxiii Cité par Jacques Ploncard d’Assac, Doctrines du Nationalisme, 1956.

 

xxiv Charles Maurras, Mes idées politiques, 1937.

 

xxv Idem.

 

xxvi René Guénon, La Crise du Monde moderne, 1927.

 

xxvii A Rome, la Plèbe, (de Plethus, ou « la multitude ») désignait une masse difficilement cernable d’individus vivant en dehors de l’organisation des Gentes (lignages aristocratiques, issu de la ruralité), il s’agissait avant tout d’artisans et commerçants. Le Populus était l’ensemble des citoyens (définition qui à Rome était autant politique qu’identitaire) qu’il soit issu ou non de la Plèbe.

 

xxviii Ajoutons que le flou qui entoure la notion de « Peuple » a tout à voir avec l’idée de contrat social, abstraction qui, de fait, rend obsolète toute définition d’un peuple en dehors de la définition politique ce qui interdit de considérer « le Peuple » comme « Un Peuple » particulier, finit et définit. On ne peut dès lors considérer son peuple comme un absolu, à l’image de la conception eurasiste (ou plus largement traditionnelle) du peuple : « C’est pourquoi quand on vous demande ce qu’est l’eurasisme, vous pouvez répondre avec assurance : ‘Il s’agit de l’amour absolu envers son propre peuple, de l’amour envers l’amour, de la compréhension du peuple en tant que valeur suprême.’» Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique. En d’autres termes, nous pouvons concevoir ce qu’est « notre peuple », avec milles nuances si nécessaire, mais pas ce qu’est « le peuple ».

 

xxix Benito Mussolini, « Gerarchia » (1924), Mussolini parle, p. 281. Cité par Jacques Ploncard d’Assac.

 

xxx A. De Benoist, Les idées à l’endroit, 1979.

 

xxxi Benito Mussolini, « Gerarchia » (1924), Mussolini parle, p. 281. Cité par Jacques Ploncard d’Assac.

 

xxxii Idem.

 

xxxiii Charles Maurras, Mes idées politiques, 1937.

 

xxxiv A. De Benoist, « Quelle Europe ? », réponse à une enquête, Mai 2003.

 

xxxv Idem.

 

xxxvi « La responsabilité politique d’un Président, d’un Roi ou encore d’un Empereur, devrait être telle que trône soit vide. Que personne ne veuille être à cette place, cette fonction doit être crainte en première instance par celui qui l’incarne, les principes doivent présider, la nation, l’état, le gouvernement, les sénats, les chambres et les assemblées ne doivent exister que pour les faire respecter et appliquer. (…) La présence d’un pouvoir monarchique unipersonnel, celui de l’empereur, ne constitue pas une condition indispensable à l’existence de l’empire (…). De cette façon, nous pouvons pleinement examiner le concept d’empire indépendamment de celui d’empereur. » (Nasrallah Pendragon).

 

xxxvii Alain de Benoist, « Envers et contre tout l’Europe ! »,dans Eléments pour la civilisation européenne, Avril-Juin 2014, numéro 151.

 

xxxix A. De Benoist, « Quelle Europe ? », réponse à une enquête, Mai 2003.

 

xl Chantal Million-Delsol, Le principe de subsidiarité, Que sais-je ?, Presse Universitaire de France, 1993.

 

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15/02/2015

Du sens des mots : Autorité (Charles Horace)

 Ou « éloge de l’autorité »

 

"On ne saurait souhaiter d'affirmations plus nettes, et cette philosophie politique a, du moins, le mérite d'être claire. Elle érige l'objection de conscience en devoir. Elle impose le refus d'obéissance. Sa haine des Etats militaires est telle qu'elle détruit l'Etat tout entier. Ce qui était l'honneur et le drame du soldat est nié par elle en une seule phrase. Cette grandeur de la discipline est rayée d'un trait de plume. L'honneur des hommes, qui est un honneur de serviteur et de fidélité, l'honneur tel qu'il est écrit dans nos consciences depuis le premier serment prêté à un souverain, cet honneur-là n'existe plus, il n'est pas inscrit dans le manuel d'instruction civique. Seulement nos savants juges n'ont pas vu qu'en détruisant la forme monarchique de la fidélité, ils détruisaient toutes les patries : car il n'est pas de régime qui ne repose sur le contrat de service, il n'est pas de souveraineté autre que monarchique, et les républiques elles-mêmes ont imaginé l'expression de peuple-souverain.

Désormais, cette conscience claire du devoir, l'ordre du souverain est déchue de sa toute-puissance. L'indiscutable, le certain est aboli partout. L'édit placé sur le mur n'a plus d'autorité, l'obéissance au magistrat est affaire de circonstance. Il n'est plus permis à personne de dire : la loi est la loi, le roi est le roi. Tout ce qui était clair, tout ce qui nous permettait de mourir tranquilles est atteint par ces phrases absurdes. L'Etat n'a plus de forme. La cité n'a plus de murs. Un souverain nouveau, sans capitale et sans visage, règne à leur place désormais. Son tabernacle est un poste de radio. C'est là qu'on entend chaque soir la voix à laquelle nous devons obéissance, celle du super-Etat qui a la primauté sur la patrie. Car la phrase écrite par les juges en leur Jugement est claire, elle ne laisse point place à l’équivoque : si la conscience de l'humanité a condamné une nation, les citoyens de cette nation sont déliés de leur devoir d'obéissance, et non seulement ils en sont déliés, mais ils doivent agir contre leur propre pays (…).

Ainsi, en cet endroit de l'analyse, on découvre que tout s'épaule et se tient. Nous ne sommes plus les soldats d'une patrie, nous sommes les soldats de la loi morale. Nous ne sommes plus les citoyens d'une nation, nous sommes des consciences au service de l'humanité. Tout s'explique alors. » Maurice Bardèche, Nuremberg ou la terre promise, 1948.

 

Pour long qu’il soit, cet extrait du Nuremberg ou la terre promise de Maurice Bardèche est fondamental. Il explique la défiance contemporaine pour la notion d’autorité confondue spécieusement avec celle d’autoritarisme. La repentance obligatoire consécutive au procès de Nuremberg participe de cet opprobre jeté sur l’idée d’autorité. Les régimes vaincus en 1945 furent des régimes autoritaires : mort à l’autorité ! Cet interdit ne touche pas que l’autorité politique. Ce qui toucha l’Etat ne pouvait pas ne pas toucher le Père, le Prêtre, ou le Professeur entre autres supports traditionnels de l’autorité. Et que dire de l’armée, réduite un peu plus chaque année à la portion congrue ? L’évolution de nos sociétés libérales-libertaires a fait le reste. Si bien que l’on retrouve une allergie à la verticalité y compris chez certains « opposants au système ». Le pouvoir de l’oligarchie est facilement assimilé au « Pouvoir », avec une grand « P ». L’opposition à l’oligarchie devient alors le rejet de toute autorité, de tout pouvoir. Paradoxe grave ! Car l’abolition de tout interdit, de toute autorité exceptée celle du marché, de tout pouvoir en dehors de celui de l’argent est exactement le projet libéral porté par le système oligarchique. L’ « horizontalisation » des relations en dehors des domaines réservés de la finance est une arme de la subversion. Il est en effet plus aisé de manipuler et d’imposer ses vues à une Plèbe (de Plethor, la masse) qu’à des Gentes (des groupes ou lignages aristocratiques hiérarchisés).

 

Selon le dictionnaire Larousse, le terme « autorité » désigne le « pouvoir de décider ou de commander, d'imposer ses volontés à autrui. Ensemble de qualités par lesquelles quelqu'un impose à autrui sa personnalité, ascendant grâce auquel quelqu'un se fait respecter, obéir, écouter. Crédit, influence, pouvoir dont jouit quelqu'un ou un groupe dans le domaine de la connaissance ou d'une activité quelconque, du fait de sa valeur, de son expérience, de sa position dans la société… ». Elle est, en somme, la capacité de se faire obéir avec le consentement de celui qui obéit. Il existe donc une parenté évidente avec le concept d’Imperium que nous avions traité dans un précédent article. Toutefois, l’autorité comme principe n’est pas une fin mais un moyen, le moyen du bon exercice du pouvoir, de l’Imperium et du bon fonctionnement de la Res Publica. « Le pouvoir ne peut se satisfaire de son exercice brut, il lui faut le renfort de l’autorité. Ce renfort est spirituel, comme le montre l’usage du mot qui s’applique aussi à des textes – ceux qui font autorité », pour Dominique Lecourt (philosophe, dans Cahiers Croire n°277, 2012).

 

La problématique de l’autorité dépasse cependant le domaine purement politique. Quand nous réfléchissons à ce que l’on appelle pudiquement les « problèmes de sociétés » mais qui sont autant de symptôme du déclin de l’Europe, nous nous retrouvons presque automatiquement devant le problème suivant : à supposer que l’on trouve des remèdes aux maux de nos sociétés, il manquerait toujours une force pour les mettre en place. Sans restauration d’une verticalité difficile à remettre en cause –car remises en causes toujours il y aura- impossible de penser une refondation. De l’insécurité au harcèlement scolaire, de la mise en place d’une politique localiste, corporatiste, protectionniste, à la reprise en main des banques, en passant par la récidive, rien ne se fera sans recours à l’autorité, sans que l’action refondatrice ne puisse s’appuyer sur un principe vertical qui la justifie.

 

Par conséquent, poser la question de l’autorité revient à poser celle de la légitimité. Selon le sociologue allemand Max Weber la légitimité d’une autorité repose sur trois piliers. Le premier pilier est la tradition, issue de l’héritage historique des peuples (l’autorité du Père, du Prêtre, du Maître et du Roi dans les sociétés traditionnelles). Elle pérennise les édifices politiques. Le deuxième pilier est le charisme, qui assure également l’autorité à travers les qualités reconnues d’une personne. La source du pouvoir est ici la fama facti, l’autorité reconnue à une personne du fait de ce qu’il a accompli.Reste, enfin, la compétence, elle aussi reconnue par le groupe. Un pouvoir n’est donc juste que quand sa légitimité est reconnue. Il n’est légitime que quand il œuvre pour le bien commun, autrement dit, quand il permet à la communauté de croître en différents domaines. Ainsi : « Celui qui a autorité sur moi doit augmenter mes connaissances, mon bonheur, mon travail, ma sécurité, il a une fonction de croissance. La véritable autorité est celle qui grandit l’autre » (Michel Serres, philosophe). L’autorité n’est donc souhaitable et acceptable que dans le seul cas où elle permet d’apporter quelque chose de plus à la personne ainsi qu’au groupe. Autoritas est en effet dérivée du verbe augere, qui signifie augmenter. Cette conception de l’autorité, participe de ce que Charles Maurras appelait l’ « inégalité protectrice » dans sa politique naturelle. L’être humain étant par nature vulnérable, et ne disposant pas de toutes les compétences requises pour sa survie, en tant qu’animal politique, a besoin de vivre en communauté. Cette vie en communauté qui de par sa complexité nécessite un principe organisateur, structurant. Ce principe organisateur prend la forme de l’Etat qui exerce son pouvoir en vertu de son autorité. Nous citerons Julius Evola (L’arc et la massue) : « Dès les temps antiques on a reconnu qu'il existait une analogie entre l'être humain et cet organisme plus grand qu'est l'État. La conception traditionnelle de l'État - conception organique et articulée - a toujours reflété la hiérarchie naturelle des facultés propres à un être humain au plein sens du terme, chez lequel la partie purement physique et somatique est dominée par les forces vitales, celles-ci obéissant à la vie de l'âme et au caractère, tandis qu'on trouve au sommet de tout l'être le principe spirituel et intellectuel, ce que les stoïciens appelaient le souverain intérieur, l'egemonikon. En fonction de ces idées, il est évident que toute forme de démocratie se présente comme un phénomène régressif, comme un système dans lequel tout rapport normal est renversé. L'egemonikon est inexistant. La détermination vient du bas. II y a carence de tout centre véritable. Une pseudo-autorité révocable et au service de ce qui est en bas - à savoir l'aspect purement matériel, « social », économique et quantitatif d'un peuple - correspond, selon l'analogie signalée plus haut, à la situation suivante dans le cas d'un être individuel : un esprit et un principe spirituel qui n'auraient d'autre raison d'être que de représenter les besoins du corps, qui seraient en somme au service de celui-ci. »

 

En guise de conclusion, nous souhaiterions soumettre à la réflexion du lecteur à une dernière réflexion d’Evola : « On sait que Platon disait qu'il était bon que les individus ne possédant pas de maître intérieur en trouvassent au moins un en dehors d'eux-mêmes. Or, à tout ce qui a été présenté comme la « libération » de tel ou tel peuple, mis au pas en réalité, parfois même en recourant à la violence (comme après la Deuxième Guerre mondiale), pour jouir du « progrès démocratique » qui a éliminé tout principe de souveraineté, d'autorité véritable et d'ordre venant d'en haut, correspond aujourd'hui, chez un grand nombre d'individus, une « libération » qui est élimination de toute « forme » intérieure, de tout caractère, de toute droiture ; en un mot, le déclin ou l'absence, chez l'individu, de ce pouvoir central que les Anciens appelaient egemonikon. Et ce, non seulement sur le plan éthique, mais aussi dans le domaine des comportements les plus quotidiens, sur le plan de la psychologie individuelle et de la structure existentielle. Le résultat, c'est un nombre toujours croissant d'individus instables et informes, c'est l'invasion de ce qu'on peut appeler la race de l'homme fuyant. (…) La place où devrait trôner le « souverain intérieur », éventuellement pour opposer la pure loi de son être à toute loi extérieure, à toute hypocrisie et à tout mensonge (Stirner, Nietzsche, Ibsen), cette place est vide. On vit au jour le jour, de manière stupide somme toute. D'où, dans les rares moments de prise de conscience, le dégoût et l'ennui. Absence d'autorité, de vrais chefs, à l'extérieur, dans le domaine de l'État - et absence de forme intérieure chez les individus : les deux choses sont solidaires, l'une corrobore l'autre, au point de faire penser qu'il s'agit peut-être de deux aspects différents d'un phénomène unique de nos temps évolués et démocratiques.» (Julius Evola, L’arc et la massue).

 

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Autres articles de Charles Horace :

- Qu’est-ce que l’Imperium ? 

- Race et Racisme

- Le principe de subsidiarité

- Res Publica et République moderne

- Les valeurs héroïques européennes chez Homère : L’Iliade

 

02/01/2015

Le pays des ancêtres (Jacques de Mahieu)

 

Jacques de Mahieu, Les Templiers en Amérique, III Les Templiers du Mexique, 1. Le pays des ancêtres, pp. 75-87, J'ai lu, Aventure mystérieuse

 

« Je vous considère comme des parents, car, d'après ce que me dit mon père, qui l'avait entendu du sien, nos prédécesseurs, dont je descends, n'étaient pas des naturels de cette terre, mais des nouveaux venus, lesquels arrivèrent avec un grand seigneur qui,peu après, retourna dans son pays; de longues années plus tard, il revint les chercher ; mais ils ne voulurent pas s'en aller , car ils étaient installés ici et avaient déjà des enfants et des femmes et une grande autorité dans le pays. Lui s'en retourna fort mécontent d'eux et leur dit qu'il enverrait ses fils gouverner et leur assurer la paix et la justice, et les anciennes lois et la religion de leurs ancêtres. C'est la raison pour laquelle nous avons toujours espéré et cru que ceux de là-bas viendraient nous dominer et nous commander, et je pense que c'est vous, étant donné d'où vous venez. »

 

Tels furent, selon López de Gomara dont le texte coïncide avec ceux que nous ont laissés d'autres chroniqueurs de l’époque de la Conquête, les propos que Motecuhzoma II Xocoyotzin, que nous Montezuma, tint à Hernán Cortés lors de l'entrée des Espagnols à Tenochtitlán, l'actuelle Mexico. L'empereur à la barbe blonde se référait à l’histoire du cinquième des souverains toltèques, prédécesseurs de la dynastie aztèque dans l'Anáhuac, dont il descendait, en effet, car son ancêtre direct et récent, Acamapichtli, premier roi de sa tribu en 1376, était le fils d'une princesse de la maison régnante antérieure. Débarqué à Pánuco en l'an 967, Quetzalcóatl, « blanc, blond, barbu et de bonnes mœurs » - un jarl viking qui s’appelait vraisemblablement Ullman - s'était allié aux Toltèques qui l'avaient reconnu comme chef. Au cours d'un règne personnel de vingt ans, il avait transmis à ses sujets, particulièrement réceptifs, la haute culture de l'Europe médiévale. En 987, il s'était absenté, non pas pour retourner dans son pays, mais afin d'imposer son autorité aux Mayas du Yucatán. Des difficultés avec les indigènes, dont les fresques du Temple des Guerriers de Chichén Itzá, qui nous montrent des scènes de batailles entre Indiens et Blancs, sont le témoignage l'avaient obligé, deux ans plus tard, à retourner dans l'Anáhuac où l'attendait la mauvaise nouvelle mentionnée par Montezuma. Il avait alors reprit la mer en direction de l'Amérique du Sud où ses descendants allaient fonder l'empire de Tiahuanacu. Tout cela, nous l'avons amplement démontré dans un ouvrage antérieur. Ce qu'il nous faut retenir ici, c'est d'abord la raison pour laquelle l'empereur aztèque reconnut les Espagnols comme les « fils » de Quetzalcóatl : « ...je pense que c'est vous, étant donné d'où vous venez. » Aucun doute, par conséquent dans son esprit : le civilisateur du Mexique était arrivé d'outre-océan. Notons ensuite que la migration maritime dont il est question n'est que celle d'un groupe de conquérants qui, bien entendu, trouve en Amérique moyenne, une population préexistante.

 

Cette dernière remarque serait superflue si elle ne nous permettait  de comprendre le sens réel des données historiques que nous fournissent, au sujet du peuplement du Mexique, les codices indigènes et certaines traditions relevées par les chroniqueurs. Les unes et les autres nous parlent, en effet, de l'arrivée par la mer de tribus venues du Nord ou de l'Est et sorties de Chicomóztoc, « les Sept Cavernes », dont d'autres textes ne font cependant, qu'un lieu de culte, déjà en Amérique : « Toutes les nations de cette terre, dit Sahagún, ont coutume d'affirmer, non sans en tirer vanité, qu'elles furent créées dans ces sept cavernes et que, de là, sortirent leurs ancêtres, ce qui est faux, car ils n'en sortirent pas, mais allaient y faire leurs sacrifices lorsqu'ils étaient dans la dite vallée », avant d'arriver à Tula. Parmi ces tribus, le codex Vaticanus dont nous trouvons l’interprétation chez Kingsborought mentionne les Olmèques, les Totonaques et les Chichimèques, pour ne citer que les plus connues, et fixe en 1194 la date de leur arrivée, alors que les premiers étaient déjà établis sur la côte du golfe en 31 av. J.-C. (stèle de Tres Zapotes), que les seconds nous ont laissé, à Tajin, des édifices qui remontent à l'an 400 de notre ère et que les troisièmes ont bien envahi le Mexique à la fin du XIIe siècle, mais par voie de terre, depuis le sud des actuels États-Unis. En réalité, l'histoire d'un peuple ne commence que le jour où un événement vient rompre la monotonie d'une existence qui se déroulait jusqu'alors, à travers les générations, sans changements notables. Un chef naît en son sein, qui le lance dans quelque aventure, un conquérant s'impose à lui, qui modifie ses coutumes : des faits surgissent, qui restent gravés dans les mémoires et que l'on peut raconter. Mais cette histoire qui naît alors, c'est celle que crée l'homme ou le groupe auquel est due, pour le meilleur ou pour le pire, une transformation subie, puis acceptée, que le peuple fait sienne avec le temps. Ainsi l'histoire de la Gaule date-t-elle de César. Ainsi l'histoire du Mexique remonte-t-elle au débarquement à Pánuco d'Ullman et de ses hommes. Or, le père Diego Durán fixe en l'an 902 l'arrivée des « tribus », c'est-à-dire à une date fort proche de celle des Vikings. Ce qui n'empêche pas, d'ailleurs, qu'un autre groupe marquant, dont nous ignorons tout, ait pu apparaître en 1194. De toute manière, si Chicomóztoc est bien le lieu d'origine transmarin d'émigrants, ceux-ci ne furent certainement pas amérindiens.

 

Le père bernadino de Sahagún, le plus savant et plus impartial des chroniqueurs du Mexique, qui employait une méthode de relèvement fort en avance sur son temps, puisqu'il interrogeait sur leur croyances, leurs coutumes et leur histoire des Indiens cultivés - souvent des prêtres - qui avaient eu accès aux codices postérieurement brûlés dans les autodafés espagnols, nous donne personnellement des Sept Cavernes, dans la préface de son ouvrage, une autre interprétation beaucoup plus satisfaisante : « De l'origine de ces gens, les anciens nous disent qu'ils vinrent du Nord par la mer. Il est certain que quelques navires sont venus, dont on ne sait comment ils étaient construits. On conjecture, en raison d'une tradition qu'il y a parmi ces indigènes qui partirent de sept cavernes, que ces sept cavernes sont les sept navires ou galères dans lesquels vinrent les premiers habitants de cette terre (...) qui débarquèrent dans le port de Pánuco qu'eux appellent Panco (en réalité, Panutlán), ce qui veut dire lieu où arrivèrent ceux qui passèrent l'eau. » Sauf qu'il ne s’agissait manifestement pas d'indigènes. D'une part, les Indiens du Mexique ,e disposaient pas d’embarcations capables de traverser l'Océan, D'autre part, toutes les traditions coïncident : ce fut Quetzalcóatl qui débarqua à  Pánuco en l'an 967. On se demande, d'ailleurs, d'où auraient bien pu venir, par l'Atlantique, des peuples de race jaunes. Car, en dehors du « nouveau continent », il n'y a qu'en Asie et en Polynésie que l'on trouve des Mongoloïdes.

 

C'est sans doute ce qui a poussé quelques chroniqueurs, dont le Père de Sahagún, à envisager l'Amérique du Nord comme lieu d'origine des Indiens du Mexique, ce qui n'est vrai que pour certains d'entre eux, dont le voyage s'était effectué par voie de terre. D'autant plus facilement que c'est bien dans le Nord que les traditions indigènes situent le point de départ des groupes venus par la mer, dont l'un au moins, celui d'Ullman-Quetzalcóatl, était composé, comme nous l'avons vu, d'hommes blancs, blonds et barbus. Mais pas au nord de l'Anáhuac. Les textes sont formels et concordants : les peuples nahuas, c'est-à-dire, en réalité, leurs minorités blanches civilisatrices, étaient arrivés d'outre-océan. Leur patrie y est désignée sous le nom de Tlapallán, et tout le monde est d 'accord sur le sens de ce toponyme : « Pays d'au delà de la mer » (Sahagún); « Pays vers l'Est » (Rendon); « dans la mer de l'Est » (Beauvois); « Pays de l'Aurore » ou « Pays de l'Orient » (Krickeberg). Cette dernière opinion est d'autant plus importante que son auteur fait dériver Tlapallán  de tlapalli, rouge, et que cette couleur suggère bien plus le soleil couchant que l'aube : l'évidence née des textes a été, ici, plus forte que l'étymologie . Une étymologie d’ailleurs étonnée. Celle que nous donne Beauvois est infiniment plus convaincante : tlap, est ; al, eau ; lan, dans vers (dans le sens d' « autour de »). Chez Sahagún, tlapoca signifie « Orien ». Al est une forme de atl que l'on trouve dans certaines composés tels qu'alpichia, souffler l'eau, arroser, altia, se mettre à l'eau ; altépetl, montagne humide. Quant à lan, ce n'est pas autre chose que le land, terre, pays, des langues germaniques. Le sens exact de Tlapallán est donc : « Pays de la mer de l'Est. » Le doute est d 'autant moins permis que le prince indien Chimalpáhin précise, en parlant d'immigrants auxquels nous consacrerons notre prochain sous-chapitre, qu'ils « abandonnèrent le pays de Tlapallán et traversèrent la grande mère, l'océan ». Un pays du Nord situé à l'est de l'Amérique moyenne, ce ne peut être que l'Europe.

 

C'était même, en fait, dans le cas qui nous occupe, le Nord de l'Europe. Les récits des nahuas nous indiquent, en effet, qu'il y avait, au Tlapallán, une ville dont le nom est indifféremment orthographié, dans les chroniques, Tulán, Tullán, Tollán, Tulla ou Tula. Or, au Mexique, la capitale du royaume toltèque s’appelait de la même manière, ce qui a créé une confusion à laquelle nous n'avons pas totalement échappé nous-même. L’explication nous en est donnée par López de Gomara lorsqu'il écrit : « Parce qu'ils venaient de Tulla, ils s'établirent ensuite à Tullán ». Autrement dit, Ullman, en devenant roi des Toltèques, donna à sa capitale le nom de sa patrie lointaine. Un nom qui s'est à peine transformé en passant du norrois au náhualt. Car Tullán est vraiment, nous ne sommes pas le premier à l'avoir remarqué, fort proche de Thulé, un toponyme qui, dans l'Antiquité et au Moyen Age, s'appliquait aux terres du Nord, et, en particulier, à l'Islande... » à suivre...

 

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