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11/04/2017

Ni Moscou, ni Washington (Jean Thiriart)

 

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Jean Thirirat, Un Empire de quatre cents millions d'hommes, l'Europe, Chapitre I – Les dimensions de l'Etat européen, paragraphe 3 – Ni Moscou, ni Washington, p. 20, Avatar Éditions, Collection Heartland

 

« Entre le bloc soviétique et le bloc des USA, notre tâche historique est d'édifier une grande patrie : L'Europe unitaire, puissante, communautaire.

 

L'Europe, ce MIRACLE de l’histoire de l'homme, ce miracle qui a fait suite au miracle grec, a, par la prodigieuse fécondité de sa culture unique, donné naissance à une civilisation adoptée par le monde entier. Dans la compétition qui s'est livrée entre mes grandes cultures occidentale, indienne, chinoise, japonaise, c'est la nôtre qui a écrasé les autres. La culture est créatrice de civilisation.

 

La civilisation, par contre, ne crée jamais de culture. SEULE l'Europe possède la culture d'où sa primauté sur les Etats-Unis et la Russie communiste, qui ne détiennent que la civilisation née de notre culture, comme l'a admirablement démontré Oswald Spengler.

 

Cette civilisation coupée de sa culture est condamnée à la stérilité, ce qui se traduira d'abord par une sclérose puis un retour à la barbarie. Politiquement dominée par Moscou ou par Washington, la culture européenne est étouffée : elle risque d'être figée dans son état de civilisation. A remarquer que toutes les découvertes dans le domaine nucléaire et satellistique sont le fait d'Européens. On s'arrache les cerveaux européens.

 

Seule une Europe politique unitaire peut fournir les moyens de la puissance qui garantiront les conditions historiques indispensables à la survie de cette culture.

 

Nulle autre puissance n'est, d'autre part, capable de remplacer l'Europe dans sa mission humaniste. »

 

10/04/2017

Le Prêtre et le Magicien (Pierre Gordon)

 

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Pierre Gordon, Le sacerdoce à travers les ages, Analyses et synthèse des fonctions sacerdotales, Le Prêtre et le Magicien, pp. 244 à 249, aux éditions Arma Artis

 

« L'erreur fondamentale commise jusqu'ici par les ethnologues, les sociologues et les philosophes, a été de vouloir expliquer la naissance du sacré à partir du profane. Ils ont admis comme allant de soi que le premier homme avait été jeté d'abord dans le cosmos vu comme physique, et que, peu à peu, il en était venu, par on ne sait quelle alchimie mentale, à situer au-dessus ou en marge de cet univers sptatio-temporel un monde dynamique, soustrait à la tyrannie du temps et de l'espace. L'on a toujours échoué et on échouera toujours à expliquer ce passage du profane au sacré, pour la raison qu'il est contraire aux faits. Ce que montre invariablement l'histoire, c'est la dégradation du sacré en profane, le glissement de l'initiatique et du religieux vers le civil et le laïque. Il faut dés lors admettre, comme principe, un état où tous les êtres et toutes les choses étaient appréhendés comme sacrés. C'est à cette règle que nous nous sommes conformés dans la présente étude comme dans nous autres ouvrages, en en signalant l'harmonie avec les données sociologiques. Le sacerdoce n'eût jamais existé dans l'humanité si celle-ci avait commencé par l'ignorer. Il fut primordial parce qu'il correspondait à la nature initiale de l'être humain, et résultait directement du décalage mental qui avait transformé le surhomme en homme. Le premier ancêtre fut le premier prêtre parce qu'il pouvait ne pas se souvenir de la réalité spirituelle et de la matière énergétique où il avait vécu, avant qu'une brusque cécité , due au refus de soi à l'Être, n'entraînât sa séparation d'avec le royaume des substances et ne changeât pour lui les choses en un houleux océan d'apparences. En d'autres termes, le premier ancêtre fut le premier prêtre parce qu'il fut, et ne pouvait point ne pas être, le premier initié : s'il ne l'eût point été, jamais les rites initiatiques n'eussent été instaurés, et l'humanité n'eût connu ni religion ni sacerdoce.

 

On voit par là pourquoi, dés les toutes premières générations, l'homme eut l'idée d'agir comme si le temps et l'espace n'existaient pas. Il ne se cru point lié, et ne fut point lié, par les mécanismes phénoménaux, dont il savait avec certitude qu'ils étaient l'envers superficiel d'une matière lumineuse échappant à leurs limitations. La partie eut en conséquence pour lui la même valeur que le tout, parce qu'il n'ignorait point que l'énergie dynamique, avec la plénitude de sa puissance, est présente aussi bien dans un minuscule fragment d'espace que dans une masse de matière. D'autre part, deux éléments qui s'étaient trouvés en contact, ou avaient constitué ensemble un tout, à un moment donné, furent considérés à l'occasion comme ayant été ainsi de façon permanente, car la pensée, en se dégageant de l'esclavage du temps, pouvait rejoindre le tout qu'il avaient antérieurement formé : une empreinte de pas, une ombre, un fragment d'ongle, un cheveu, permet dés lors de retrouver un être, d'agir sur lui, ou de subir son action. Pareillement, la force de la pensée put atteindre l'être instantanément, en passant, sur-le-champ, d'une idée à la réalisation objective : plus tard il fut souvent indispensable, pour conférer au mental cette puissance de réalisation, de le concentrer sur une image sensible, représentant l'objet à poser dans l'existence. Mais cette intervention d'un élément emprunter de l'ordre du phénoménal ne fut toujours qu'un adjuvant. La force d'objectivation ne vint jamais de cet élément inférieur ; elle jaillit des profondeurs de l'age humain.

 

Le domaine rituel que constitua le sacerdoce primitif ne fut rien d'autre qu'un ensemble sacro-saint où tous les composants physiques se trouvaient doublés, grâce à la pensée, d'un mana, qui les intégrait dans l'univers transcendant d'où s'était précipité le surhomme premier ancêtre ; les êtres et les objets physiques ainsi utilisés se dépouillaient, ipso facto, de leur caractère phénoménal, et acquéraient une valeur ontologique. Grâce au troisième œil, ou œil de l'esprit, l'homme pouvait par suite rejoindre le cosmos divin de la matière pure. Si l'on veut entendre les faits à cet égard, il suffit de songer à la Cène chrétienne, au Ce pain est mon corps, ce vin est mon sang, qui nous offre, adapté à l'initiation du surhomme incarné, un modèle parfait de ce que fut en tous temps le rituel fondamental ; nous saisissons ici clairement la manière dont les rites, foulant délibérément aux pieds la tyrannie de la matière opaque ou mécanisée, projettent l'âme vers l'azur de l'énergie éternelle.

 

Il s'ensuit que le prêtre fut bien, pendant des millénaires, comme nous l'avons dit, le clerc, en d'autres termes celui qui possédait la connaissance des voies d'accès à l'univers du dynamisme ; de ce chef même, il détenait la puissance de se dérober au despotisme du temps et de l'espace ; il se rapprochait ainsi de l'état surhumain qui avait été celui de l'ancêtre initiateur ; c'est du reste l'expérience faite par ce dernier qui formait l'assise des traditions sacerdotales et des disciplines initiatiques.

 

Quand ces disciplines cessèrent ou se relâchèrent, et que baissa le niveau spirituel de l'humanité (en même temps décroissait la longévité), il ne resta peu à peu que la carcasse des rites. Ce fut là la cinquième modalité régressive. Elle se rattache étroitement aux précédents et découle de la même loi. Elle vicia à la fois la fonction initiatique et la fonction sacrificielle.

 

Pour l'entendre avec précisions relisons d'abord, au premier Livre des Rois (xvvvv, 30 sq.), la façon dont procède Elie pour obtenir le feu sacro-saint : «  Il rétablit, apprenons-nous, l'autel de Yahvé qui avait été renversé. Il prit douze pierres, d'après le nombre de tribus des fils de Jacob, auquel Yahvé avait dit : Israël sera ton nom ; et il bâtit avec ces pierres un autel au nom de Yahvé ; puis, ayant fait autour de l'autel un fossé de la capacité de deux mesures de semence, il arrangea le bois, coupa le taureau par morceaux, et le plaça sur le bois, et il dit : Remplissez d'eau quatre cruches, et versez-les sur l'holocauste et sur le bois. Il dit : Foulez-le une seconde fois, et ils le firent une seconde fois, Il dit : Faites-le une troisième fois ; et ils le firent une troisième fois. L'eau coula autour de l'autel, et il fit remplir aussi d'eau le fossé. A l'heure où l'on offre l'oblation (du soir), Elie, le prophète, s'avança et dit : Yahvé, Dieu d'Abraham, d'Isaac et d'Israël, que l'on sache aujourd'hui que vous êtes Dieu en Israël, que je suis votre serviteur et que j'ai fait toutes ces choses sur votre parole. Exaucez-moi, Yahvé, exaucez-moi, afin que ce peuple reconnaisse que vous, Yahvé, êtes Dieu, et que c'est vous qui ramenez leurs cœurs. Alors le feu de Yahvé tomba, et il consuma l'holocauste, le bois, les pierres et la terre et absorba l'eau qui était dans le fossé. » Un peu plus loin, nous voyons Elie, qui désire obtenir la pluie, monter au sommet du Carmel ; là il se penche vers le sol et et son visage entre ses genoux. Quelque temps après, les nuages s’amoncellent, obscurcissent le ciel, et une forte pluie tombe.

 

Le magicien sera celui qui usera de cette même technique, qui prononcera les mêmes paroles, qui accomplira les mêmes actes, qui recourra aux mêmes gestes, qui, en d'autres termes, considéré de l'extérieur, ne se distinguera en rien du prêtre prophète Elie. Ce qui lui fera simplement défaut, c'est l'attitude intime de la pensée, la soudure de l'âme à Dieu, et, par suite, le branchement sur l'énergie dynamique. Cela, toutefois, bien qu'invisible, est l'essentiel. Le magicien apparaît dés lors, dans son fond, comme le singe du prêtre. Il n'eût jamais existé sans les techniques et les disciplines sacerdotales, dont l’œuvre magique constitue la matérialisation et la dégénérescence. Ici comme partout, a joué cette grande règle de la dégradation de l'énergie, qui est la loi souveraine du cosmos phénoménal, – par opposition à l'univers dynamique, dont la loi est l'ascension sans fin et sans limites.

 

Les principes de la magie, tels par exemple que les ont dégagés Hubert et Mauss (Théorie générale de la Magie ; in Année sociologique, 1902-1903, pp.62 sq.), découlent directement les données initiatiques primordiales ; ils consistent, en effet, dans cette négation du temps et de l'espace qui est l'assise du rituel de mort et de résurrection ; ils se ramènent à cet axiome que le monde physique est l'envers d'une force aspatiale, grâce à laquelle il est possible d'agir sur les êtres et les objets des sens, par des voies autres que les processus et contacts mécaniques. La magie se présente bien ainsi comme une concrétion et une régression des vues initiatiques, et le domaine magique n'est rien d'autre qu'un appauvrissement et une dénaturation du domaine liturgique constitué par le sacerdoce. Dans les deux cas, les vérités de base sont identiques. L'action instantanée à distance, l'action magique fondée sur une contiguïté antérieure (ce que Frazer nomme la magie par contagion ou magie contagieuse), et l'action magique fondée sur la similitude (la magie homéopathique, ou imitative, de Frazer), ne sont que le prolongement pur et simple des réalisations ontologiques effectuées par la pensée rituelle, réalisations qui reposent, nous l'avons vu, sur la maîtrise du mental à l'égard du spatio-temporel, ou d'une manière plus précise, sur l'union étroite du mental à l'énergie dynamique, qui est la substance et le support des forces mécanisées propres au cosmos saisi comme univers d'apparences.

 

« On comprendra, ajoute Frazer (loc. Cit., p. 16), les deux espèces de Magie (la magie contagieuse et la magie homéopathique) sous le terme général de Magie sympathique : toutes deux, en effet, présupposent que des choses agissent à distance l'une sur l'autre, par une sympathie secrète, dont l'impulsion se transmet de l'une à l'autre au moyen de que nous pouvons concevoir comme éther invisible, semblable, si l'on peut dire, ) celui que postule la science moderne, pour une explication précisément similaire, à savoir comment les choses peuvent s’affecter réciproquement à travers un espace qui apparaît comme vide. » Cette « sympathie secrète » des choses n'est rien d'autre, le lecteur l'aura reconnu sur-le-champ, que l'unité absolue qu'elles forment dans leur être véritable, autrement dit dans leur essence dynamique, en dehors du voile jeté sur elles par l'espace et le temps humains. Nous rejoignons ainsi les doctrines initiatiques fondamentales, procédant du surhomme-premier homme ; et, nous l'avons montré ailleurs, toutes les tentatives faites pour situer la magie au début, – ce qui contraint à expliquer sa naissance en partant de l'univers appréhendé comme profane, c'est-à-dire comme un ensemble de perceptions spatiales, – sont irrémédiablement vouées à l'échec : jamais l'on n'indiquera comment l'homme, supposé jeté dés l'abord dans un cosmos de matière mécanisée, où toute action s'effectue par contact spatial, en est promptement venu à se flatter de dominer les circuits du monde phénoménal, et de réaliser immédiatement sa pensée, par une action à distance.

 

En opposant aussi radicalement que nous venons de le faire le prêtre et le magicien, nous avons négligé, pour la clarté de notre exposé, la complexité des données historiques et sociologiques. En réalité, entre l'acte initiatique, source de l'acte religieux, et l'acte magique, qui, à son ultime degré de dégradation, est une carcasse vide, se rencontre tout un éventail de nuances ; l'on passe de l'un à l'autre par des transmissions à peu près insensibles. Chez nombre de sorciers et de magiciens, la pensée reste imprégnée par des anciennes disciplines du monde souterrain, et continue d’accéder partiellement à l'unité de la matière énergétique. Ce point ressort avec une évidence spéciale si l'on envisage non plus les hauts états spirituels de l'initiation et de l'union religieuse, mais les phénomènes psychiques ou métapsychiques qui en forment l'incidence sur un plan secondaire : à ce niveau, les pouvoirs des sorciers ou magiciens ne sauraient, dans beaucoup de cas, être contestés. Ce qui forme alors souvent la ligne de démarcation, c'est que le prêtre, nous l'avons vu, agit dans l’intérêt du groupe social, tandis que le sorcier ou le magicien poursuit des fins particulières ; se laissant guider par des intérêts égoïstes, il peut, en conséquence, exercer une action néfaste, et il est fréquemment redouté, voire haï. Nous avons examiné cette question ailleurs. Ces différences ne doivent point cependant faire perdre de vue que le sorcier ou le magicien a même origine que le prêtre, qu'il procède de celui-ci, dont il marque la dégénérescence, et que ses techniques sont, en tout pays, l’amenuisement des disciplines initiatiques propagées autrefois par le sacerdoce néolithique. »

La Triste Fin du Spectacle (Alexandre Douguine)

 

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Alexandre Douguine, La Quatrième théorie politique - La Russie et les idées politiques du XXIème siècle -, Chapitre V - Qu'est-ce que le conservatisme ?, La triste fin du spectacle, pp. 98 à 100, Ars Magna Éditions

 

« Les révolutionnaires conservateurs détestent à tel point le présent qu'ils ne se contentent pas de seulement lui opposer le passé. Ils affirment : « Le présent est répugnant mais il faut lui survivre jusqu'à la fin ».

 

Le postmoderne libéral propose « une fin infinie ». La fin de l'histoire ne se limite pas à une disparition : les transactions économiques continuent à s'effectuer, les marchés continuent de fonctionner, les enseignes des hôtels de même que celles des bars et discothèques continuent de scintiller, les bourses fonctionnent toujours, les dividendes des actions continuent à être versé, les écrans des ordinateurs et des postes de télévision continuent de s'éclairer, on continue à émettre des actions. Il n'y a plus d'histoire, mais les marchés et les télévisions sont toujours là.

 

Chez les conservateurs-révolutionnaires, tout est diffèrent.

A la fin de l'histoire, ils s'attendent à apparaître de l'autre côté du Dasein, à surgir de cet espace trouble de l'autre côté et à transformer le jeu postmoderne en non-jeu. Le spectacle (La Société du spectacle de Guy Debord) se terminera de façon extrêmement désagréable pour les spectateurs et les acteurs.

A leur époque, un groupe de surréalistes dadaïstes, Arthur Cravan, Jacques Rigaut, Julien Torma et Jacques Vaché agissait avec la même logique en louant le suicide. Cependant, les critiques avaient considéré leur attitude comme du pur verbiage. Ils se sont suicidés simultanément, démontrant ainsi que l'art et le surréalisme étaient pour eux quelque chose de tellement important qu'ils avaient pour cela donné leur vie. On peut ici se souvenir du personnage de Kirillov dans Les Démons de Dostoïevski pour lequel le suicide est devenu l'expression de la liberté entière, apparue après la « mort de Dieu ».

 

En Russie, récemment ont eu lieu des événements non moins horribles. Par exemple la prise d'otage durant la comédie Nord-Ost. Le comique Sacha Tsékalo monte un spectacle auquel assiste un public moscovite choisi. Des terroristes tchétchènes apparaissent et les spectateurs pensent au début que cela fait partie de la mise en scène. Ce n'est seulement que plus tard qu'ils comprennent. Avec horreur, que quelque chose d'anormal se passe sur la scène. Puis ensuite commence le cauchemar, une véritable tragédie. Les conservateurs-révolutionnaires se représentent quelque chose d'assez semblable : que le post-moderne avec sa dérision suive son cours, qu'il dissolve les paradigmes déterminés, l'ego, le super-ego, le logos, que le rhizome et les masses schizophréniques ainsi que la conscience morcelée entrent en jeu et que le néant entraîne derrière lui tout le contenu du monde, alors s'ouvriront des portes secrètes et les archétypes ontologiques anciens, éternels, apparaîtront à la surface et de façon terrible mettront fin au jeu. »