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04/02/2015

De la rupture (Cercle Non-Conforme)

 

Source : Cercle Non-Conforme

 

L'histoire récente n'est pas d'une approche aisée et s'y risquer peut conduire très rapidement à confondre l'approche historique avec l'approche journalistique ou purement politicienne. Ce qui distingue précisément l'historien du journaliste, au-delà de la méthode de travail, c'est l'approche du temps. Difficile de savoir dans un siècle ce que diront les historiens de notre époque. Difficile aussi de savoir s'ils verront une rupture suffisante pour créer un nouveau découpage. Difficile aussi de savoir s'il y aura toujours des historiens... Pour le Cercle Non Conforme il importe toujours de prendre de la distance avec les sujets que nous abordons, probablement car nous abordons plus notre époque comme des historiens ou, pourquoi pas, des anthropologues, que comme des journalistes ou des politiciens.

 

Une époque historique ne naît jamais « ex-nihilo », elle est toujours issue de l'époque qui l'a précédée, même si, à bien des égards, elle peut sembler totalement différente. Ainsi chaque période va produire des « représentations mentales » chez nous. Si nous parlons de l'Antiquité, nous verrons immédiatement dans notre esprit apparaître les images de temples grecs, de monuments romains, d'empereurs triomphants ou même de gaulois intrépides. Si nous bifurquons vers l'histoire médiévale, nous verrons alors apparaître dans notre esprit les chevaliers, les châteaux, les croisés ou les villages avec leur église romane. L'époque moderne mobilisera les tableaux de la Renaissance ou Versailles et l'époque contemporaine le chemin de fer, les usines et les guerres mondiales.

 

Pourtant, à bien y réfléchir, la Rome de l'Empereur Julien n'a rien à voir avec celle de Cincinnatus, et se retrouve bien plus proche dans le temps de Clovis que ne l'est le roi des Francs de Jeanne d'Arc. Tout cela ne vous apprendra pas grand chose, mais il convient de poser un premier préalable : en histoire tout est affaire de ruptures et de continuités. En écrivant Le siècle de 1914, Dominique Venner aura démontré la rupture qu'a pu représenter la guerre de 14-18 en Europe. Cette rupture a été ressentie par nombre de contemporains. Si l'Europe était abattue en 1918, le champs des possibles n'avait, paradoxalement, jamais été aussi important, de la révolution bolchevique à la prise de pouvoir d'Hitler, ce sont 15 années de corps-francs, d'insurrections révolutionnaires, de putsch ratés, d'effervescence politique, intellectuelle et militante dans tous les camps. Un homme nouveau était né des tranchées, du squadriste au pacifiste radical, des types d'hommes avaient été engendrés par le feu de 14-18. Ainsi le fascisme ne pourra jamais être dissocié de ce qu'ont vécu les soldats de la Grande Guerre et il est vain de traiter le fascisme avec un regard qui est celui des hommes élevés dans la démocratie occidentale. Ceux qui ont connu le fer, le feu, la boue et le sang n'ont pas envisagé le combat politique comme un exercice intellectuel. De là le mépris pour « les intellectuels » et le rôle central de l'action chez Mussolini.

 

Nos générations ne sont pas héritières des tranchées, ni même de 39-45, de l'Indochine ou de l'Algérie, nous sommes la génération qui n'a connu aucune guerre, aucun combat, aucune souffrance. C'est déjà précisément une immense rupture avec ceux qui nous ont précédé. Nous devons donc agir avec humilité, nous ne sommes pas les héritiers de Jünger, de Saint Loup ou du Venner de la guerre d'Algérie, nous n'en sommes au mieux que les pâles copies. Nous sommes une toute autre génération et même les accrochages musclés avec le camp adverse ne seront jamais des faits d'armes dignes de la bataille de Verdun ou de la bataille de Stalingrad. L'irruption du numérique a aussi enlevé à la guerre son caractère d'expérience. Aujourd'hui les soldats et les volontaires vont tweeter ou publier des photos sur Facebook. Les videos d'exécution sont publiées sur Youtube. J'ai du mal à imaginer un soldat français postant une photo de lui entre deux bombardements sur la rade de Dunkerque en 1940 ou un Waffen SS publier un tweet en pleine bataille de Koursk en 1943... Peut-être que les derniers à avoir connu la guerre telle qu'elle pouvait se pratiquer ont combattu avant l'an 2000. Il devient donc nécessaire de bien comprendre dans quel monde nous vivons, quelles en sont les grandes ruptures pour ne pas reproduire un militantisme fantasmagorique mais enraciné dans le présent.

 

La rupture qui nous a engendré se situe quelque part au cours des années 80 jusqu'au début des années 90 :

 

D'un point de vue politique et géopolitique, cela ne dira rien aux plus jeunes, mais ce sont les années Thatcher (1974-1990), Mitterrand (1981-1995) et Reagan/Bush (1981-1989/1989-1993). C'est la chute du mur de Berlin (1989), la fin de l'URSS (1991), l'apparition du terrorisme islamique (1979 et 1983), l'éclatement sanglant de la Yougoslavie (1992), la création de l'Union Européenne (1993), les accords de Schengen (1985-1995), la modernisation de la Chine sous Deng Xiaoping (1978-1992) et la fin de l'Apartheid en Afrique du sud (1994). C'est bien sûr la mondialisation théorisée par les géographes dès les années 90.

 

- Du point de vue sociétal, la popularisation de l'informatique débute dans les années 80, la France y occupait même une place importante avec l'entreprise Bull. Le protocole à l'origine d'internet (TCP/IP) arrive en 1983, même s'il sera popularisé autour des années 2000. C'est aussi à cette période que se multiplient les chaînes de télévision et qu'un grand nombre d'entre-elles sont privatisées. C'est aussi l'apparition sur nos écrans des dessins animés japonais. Les années 1980 sont marquées par la marche des Beurs et la main mise de la « génération 68 » dans tous les secteurs. Ce sont aussi les skins, les punks, les métalleux, les goths, les hools, … les grands phénomènes d'identification de la jeunesse se mettent massivement en place dans les années 80, succédant aux hippies ou aux mods. En 1990, la loi Pleven-Gayssot vient couper le sifflet à nos compatriotes.

 

- Du point de vue écologique. Si le premier candidat aux élections présidentielles est R. Dumont en 1974, l'écologie politique fait véritablement son entrée sur le plan électoral avec B. Lalonde en 1981 et A. Waechter en 1988. Sur le plan international, en 1992, ce sont les trois conventions de Rio sur la diversité biologique, le réchauffement climatique et la désertification, 20 ans après le « rapport Meadows » du club de Rome, qui vont conduire à mettre en place ce qu'on appelle aujourd'hui « le développement durable ».

 

En sommes, nous pouvons envisager trois ruptures essentielles : la guerre de 14-18, la guerre de 39-45 et la décennie s'écoulant entre 1985 et 1995 qui va mettre en place progressivement toutes les bases du Nouvel Ordre Mondial. Ainsi par exemple le triomphe du communisme n'apparaîtra dans un siècle que comme une parenthèse, certes pas tout à fait fermée, mais le communisme n'est plus aujourd'hui en mesure d'être un acteur de l'histoire, à l'inverse par exemple des mouvements islamistes. Ce qui explique le basculement (souvent inconscient) pour les droites qui ont troqué « le rouge » contre le « djihadiste » comme ennemi principal (mais toujours pas le capitalisme). Il faut bien comprendre le brutal changement qu'a impliqué la décennie 85-95. Certes, depuis le XIXe siècle, le progrès a considérablement modifié nos sociétés, mais il faut bien se rendre compte que nous sommes parmi les premières générations de l'histoire de l'humanité (avec nos parents et nos grands-parents) qui mourront dans un monde qui n'a(ura) plus rien à voir avec celui dans lequel nous sommes nés. Jadis, un français mourrait dans un monde qui ressemblait en grande partie à celui qu'il avait connu à sa naissance, aujourd'hui des adolescents vous rirons au nez si vous leur parlez des baladeurs cassettes à l'heure du MP3 ou du « minitel » à l'heure d'internet sur les smartphones... et vos grands-parents surfent sur internet à 80 ans alors qu'ils ont connu une époque où on communiquait (encore) avec des télégrammes et où on écoutait de la musique sur des gramophones... Par comparaison, il aura par exemple fallu un siècle entre la création de la machine à vapeur et l'apparition de l’électricité, deux ruptures majeures dans les techniques qui auront, à l'époque, considérablement bouleversée la société, aujourd'hui on est capable de bombarder un village par satellite alors qu'il y a un siècle on maniait difficilement l'aviation.

 

Les hommes, à commencer par leur cerveau, ne sont pas préparés à vivre dans un monde qui connaît autant de bouleversements en un temps si court. Cette « accélération du temps » est une donnée majeure que nous devons prendre en considération. Le temps que les hommes assimilent un changement et agissent en conséquence est tellement long, car il est long par nature, que déjà de nouveaux changements seront apparus. Qu'on y songe, le grande politique de modernisation de la France au XIXe siècle date du Second Empire, alors même que la plupart des dynamiques industrielles et des techniques existent depuis le XVIIIe siècle ! Chez nous, en quelques années, le numérique aura pris une place centrale alors qu'il était encore presque absent il y a 30 ans. Aujourd'hui nous vivons dans une environnement numérique alors que notre cerveau est encore celui des hommes qui vivaient dans la campagne avec un minimum de technologie et sans même savoir en quoi consiste le numérique. On s'étonne qu'en politique, un parti comme le FN capitalise sur « la patrie » et « le pouvoir d'achat », mais c'est tout à fait normal, le cerveau de nos compatriotes est encore dans un environnement qui s'est adapté progressivement à la France des 30 glorieuses, qui sont finies depuis 40 ans... Les logiques d'aménagement sont encore celles de la DATAR sous De Gaulle alors que le temps de réaliser n'importe quel projet d'aménagement (de 10 à 20 ans) il devient quasiment obsolète dans un monde où en un clic on peut imprimer en 3D un plan élaboré à Taïwan depuis Paris. Les 30 glorieuses ont constitué une évolution « logique » de la société qui s'est mise en place à la fin du XIXe siècle, et même si elle a connu des ruptures majeures (14-18 et 39-45), la société connaissait une certaine continuité sur d'autres plans. Mais le monde qui est né dans les années 80 a engendré de tels bouleversements, que nos compatriotes n'ont pas toujours le recul nécessaire ou la capacité à les appréhender rationnellement. Il n'est pas innocent que les décroissants aient choisi l'escargot, dans une société de la vitesse... Pourtant, nous n'avons pas le temps, alors que faire ? Telle est l'éternelle question.

 

La sphère politique ne fait désormais que courir après les dynamiques qui sont économiques, scientifiques et techniques. Les hommes politiques ne sont plus ceux qui sont aujourd'hui en capacité d'impulser des dynamiques ou de contrôler les milieux économiques, scientifiques et techniques. Proposer une doctrine et un militantisme pour le XXIe siècle, revient donc à couper presque intégralement avec les conceptions héritées du XXe siècle, elles-mêmes assez proches du XIXe siècle, où la politique jouait un rôle clef. Si les grandes idéologies sont nées au XIXe siècle ou ont connu des mutations majeures à la faveur de la Grande Guerre, le XXIe siècle n'est pas celui de ces idéologies. Il est celui de l'emprise économique, scientifique et technicienne dans tous les secteurs et par conséquent nous devons nous positionner par rapport à ces grandes dynamiques qui s'imposent depuis 30 ans. Dynamiques auxquelles nous pouvons ajouter l'emprise médiatique, le 4eme pouvoir. A la suite de Braudel, nous pouvons affirmer que la politique n'est que de « l'agitation de surface ». Ce qui importe ce sont les grandes logiques civilisationnelles, sur ce point, et de façon un peu provocatrice nous pouvons dire que le travail du Cercle Non Conforme ou de l'Institut Iliade a plus d'importance que la prochaine échéance électorale.

 

Nous avons rappelé ici, de façon assez rapide, les grandes ruptures sur un siècle et établi les grandes ruptures de l'histoire récente depuis les années 1980. Nous posons ici un constat qui sera le préalable à une grosse mise à jour doctrinale. Beaucoup de pistes ont été explorées depuis l'an 2000 par différents groupes militants et par différentes personnalités, et ce au sein de différentes familles de pensée politiques, mais nous devons refonder une nouvelle doctrine, de nouveaux outils et de nouvelles approches en phase avec la société léguée depuis les années 80 et qui connaît une accélération encore plus forte depuis la diffusion de l'internet. Le militant de la nouvelle génération sera un « hybride ». Nous devons avoir de nouvelles références, de nouvelles représentations et de nouveaux réflexes militants et langagiers. Nous devons proposer une nouvelle synthèse pour le XXIe siècle et le troisième millénaire. Nous ne sommes plus les héritiers des combats perdus, mais les initiateurs de la nouvelle renaissance populaire européenne. Nous ne sommes pas les réactionnaires mais l'avant-garde, nous n'avons pas un combat de retard mais un d'avance. Nous n'agissons pas maintenant pour demain, mais pour après-demain. Nous devons proposer et incarner une alternative crédible à la société héritée des années 80. C'est le seul et unique enjeu. Nous devons pour cela forger de nouveaux concepts, tisser de nouvelles alliances, surement aussi rompre avec ceux qui continueront de s'embourber dans leurs nostalgies. Nous combattons la mondialisation, la marchandisation, la deshumanisation et la destruction de notre civilisation, mais aussi de toutes les civilisations, et bien sur la destruction de l'environnement. Cela n'a plus rien à voir avec les vieilles lunes nationalistes et les combats ouvriers d'un autre âge même si certaines luttes s'en approches. La rupture doit conduire à la synthèse. C'est en forgeant une synthèse de la pensée identitaire, sociale et écologique que nous pourrons faire émerger un nouvel élan politique. Le mot clef de tout cela n'est pas nouveau, c'est l'autonomie, qui va de paire avec la souveraineté. Autonomie, souveraineté et identité. La synthèse de Venner, Orwell et Ellul. La rupture, c'est aussi à nous de la faire, définitivement et sereinement, sans haine ni rancœur, sans fracas inutiles et sans règlements de compte stériles. Tracer un chemin, l'emprunter, persévérer. Être honnête avec nous-même. Nous devons aussi faire une rupture en nous-mêmes. Une rupture ce n'est jamais simple, c'est toujours brutal, brutal comme la rupture que nous a imposée le Système à partir des années 80 et qui nous oblige à nous positionner avec autant de détermination.

 

Une nouvelle ère s'ouvre, à nous d'en être les acteurs, chacun à notre façon. C'est d'une nouvelle (re)naissance que nous avons besoin. C'est le seul projet qui soit digne de l'Europe.

 

Jean/C.N.C

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