29/10/2023
Saxons et Souabes – origines des « Guelfes » et des « Gibelins »
Benoist-Mechin, Frédéric de Hohenstaufen ou le rêve excommunié (1194-1250), Deuxième Partie – L'enfant des Pouilles (septembre 1202 – décembre 1212), V., pp. 61-70, Librairie Académique Perrin
(...) En rentrant à Palerme, il apprit une nouvelle qui le combla de joie. Constance venait de lui donner un fils, qui fut baptisé Henri en mémoire de son grand-père. En somme, Innocent III avait raison d'écrire à Pierre d'Aragon : « Chez Frédéric, la virilité devance le nombre des années. » Il était déjà père et avait à peine seize ans...
Les choses allaient donc pour le mieux à la Cour de Palerme en ce mois de juin 1211 lorsqu'un nouvel ouragan, venu du nord, faillit tout compromettre. Du jour au lendemain, Frédéric dut faire face à la plus terribles des tempêtes qu'il n'ait jamais eu à affronter. Non seulement le royaume de Sicile, mais toute l’œuvre des Normands en Méditerranée risquaient d'être balayés.
V
Pour mieux mesurer la gravité du péril, il nous faut revenir un peu en arrière.
Depuis le jour de Pâques 1079 où l'empereur salien Henri IV avait fait don du duché de Souabe à son homme lige Frédéric de Hohenstaufen (1047-1105), sans doute dans l'intention de faire pièce aux trop puissants et trop entreprenants seigneurs de Saxe et de Bavière, il avait posé l'amorce d'une querelle qui devait déchirer pendant plus d'un siècle l'Empire germanique et, finalement, l'Occident chrétien tout entier.
La lignée des Hohenstaufen avait pris naissance vers 987 dans un château érigé au sommet d'une colline du même nom, dans la vallée du Neckar. Par la suite, les Staufer, comme on les appelait, avaient ajouté à leur patronyme celui de Waiblingen, au nom d'un fief que leur avait apporté en dot Agnès (ou Adélaïde) de Waiblingen, une des filles de l'empereur Henri IV. Avec le temps, on avait tiré (par déformation) du nom de Waiblingen le terme de « Gibelin ». Quant à la lignée des Welfes – e ou « Guelfes » –, c'est-à-dire celle des ducs de Saxe, elle provenait de Zehringen, plus au nord de l'Allemagne.
Dés qu'ils entrèrent en scène. Souabes et Saxons s'étaient dressés les uns contre les autres, pour la raison très simple qu'ils aspiraient à la possession de la couronne impériale. Chacun de leurs actes, chacune de leurs alliances, n'avait qu'un seul but : agrandir leur domaine pour conférer à leur pouvoir plus qu'un caractère régional : une dimension nationale, voire universelle. Ils s'étaient affrontés en tant que ducs ; ils avaient continué à le faire en tant que princes ; ils devaient persister à s'opposer en tant qu'empereurs, en sorte que leur lutte qui, à son début, n'avait été qu'une querelle de hobereaux, était devenue, avec le temps, un corps à corps de géants. Toute la Germanie pour commencer, toute la Lombardie ensuite s'étaient partagées en deux camps. Le parti guelfe (pro-saxon) et le parti gibelin (pro-souabe) s'affrontaient en des rivalités chaque jour renaissantes. Non seulement les seigneurs, leurs vassaux, leurs armées et leurs flottes subissaient les effets de cette contestation, mais les villes elles-mêmes – y compris celles qui semblaient les moins concernées par cette querelle dynastique – s'en trouvaient scindées en deux. Une partie de la population en venait aux main avec l'autre sous le simple prétexte que l'une était « guelfe » et l'autre « gibeline ». Avec le temps, ces mots avaient changé de sens. Ils ne servaient plus à désigner les partisans des deux dynasties qui se disputaient l'Empire : le parti « guelfe » était devenu le parti du Pape et le parti « gibelin » le parti de l'Empereur. Ce qui était absurde, car le Pape, changeant de camp selon les besoins de sa cause, soutenait tantôt les uns et tantôt les autres.
Jusque-là, Frédéric n'avait guère eu l'occasion de porter ses regards au-delà du détroit de Messine. A présent, qu'il le voulût ou non, il allait être entraîné dans l'engrenage de cette terrible rivalité. En d'autres termes, dés le début de son règne, il allait se heurter à l'ennemi le plus puissant, le plus hardi, le plus dangereux qui pût lui être opposé. De même que Henri le Noir avait tenu tête à l'empereur Conrad III, qu'Henri le Lion avait été pour Frédéric Barberousse un adversaire redoutable, Othon IV, duc de Brunswick, et Frédéric de Hohenstaufen, allaient s'affronter comme représentants des deux Maisons rivales « entre lesquelles », comme devait le dire Otton von Freising, « Il ne pouvait y avoir ni trêve ni paix ».
Qui était donc ce tout-puissant Othon de Brunswick qui venait menacer Frédéric, encore adolescent, jusque dans son lointain royaume de Sicile ? « Il avait », nous dit Marcel Brion, « le caractère violent, intrépide, orgueilleux et sans scrupules de tous les Welfes ». A quoi Karl Hampe ajoute : « C'était un chevalier de haute taille et d'une force herculéenne, belliqueux et aventureux, téméraire à la manière des chevaliers normands, mais arrogant, cassant et rude. Il manquait de la tenue que donne la culture et la supériorité intellectuelle. Audacieux jusqu'à la témérité, du moment qu'il se sentait le plus fort, il n'avait rien d'un politicien sachant édifier une œuvre durable avec prudence et diplomatie. Dans l'ensemble il offrait l'exemple, pas trop réussi, d'un mélange des qualités héréditaires que l'on retrouve chez les Welfes et les Plantagenêts » auxquels il était apparenté. Mais la touche finale, c'est un chroniqueur de l'époque qui nous la donnera : « Il ressemble à un taureau déchaîné, dont les naseaux crachent le feu. »
Fils de Henri le Lion, duc de Saxe et de Bavière, et de Mathilde Plantagenêt, sœur de Richard Cœur de Lion, il avait été élevé en Angleterre où il avait conservé de puissantes attaches. Il était également un seigneur français, de par les fiefs qu'il possédait en France. Il revendiquait l'Aquitaine, sans cependant reconnaître la suzeraineté du roi de France, ce qui le mettait en conflit permanent avec Philippe Auguste.
Comme nous l'avons dit, Saxons et Souabes visaient un même but : le pouvoir impérial. Mais ils comptaient l'atteindre par des moyens différents : les Saxons, grâce à leur alliance avec l'Angleterre ; les Souabes, grâce à l'appui bienveillant des Français. Cette différence contribuait à aggraver encore le caractère implacable de leur rivalité.
Une légende apocryphe veut que le jour où Othon IV de Brunswick apprit la nouvelle de la mort d'Henri VI, il se trouvait à la Cour de Richard Cœur de Lion, en train de banqueter avec le roi d'Angleterre et le roi de France, Philippe Auguste. Aussitôt la nouvelle connue, Richard tendit un plat d'or à Othon, en lui disant : « Prenez, beau neveu, vous êtes digne d'avoir la couronne d'Allemagne, et vous l'aurez ! » Sur quoi Philippe Auguste avait tendu son gant à Othon et lui avait dit, sur un ton de défi : « Tenez aussi ceci : quand vous aurez la couronne d'Allemagne, je vous donnerai Chartres et Paris. » Sans doute n'est-ce qu'une légende, mais elle éclaire assez bien la position des trois principaux protagonistes.
Philippe de Souabe, huitième fils de Frédéric Barberousse et frère puîné d'Henri VI, n'était pas de taille à résister au « taureau aux naseaux de feu ». C'était un homme aimable et discret, délicat, auquel aurait beaucoup mieux convenu l'état ecclésiastique auquel on l'avait tout d'abord destiné. En 1195, son père lui avait confié l'administration de la Toscane, ce qui l'avait plongé, dés l'âge de dix-huit ans, dans l'imbroglio de la politique italienne. Après quoi son frère Henri VI l'avait chargé de gérer son domaine allemand tandis qu'il guerroyait pour entrer en possession de son héritage sicilien, ce qui l'avait inséré dans la querelle entre Guelfes et Gibelins. Othon, semble-t-il, avait juré de l'abattre, ce à quoi il allait parvenir sans trop de difficultés car il avait, selon les témoins, « une toute autre encolure ».
Né en 1177, Philippe de Souabe avait vingt et un ans lorsqu'un groupe de Gibelins réunis en diète à Mayence lui avait offert la couronne d'Allemagne (1198). Ne voulant pas se laisser prendre de court au moment où il avait l'impression de toucher au but, Othon en avait profité pour se faire empereur, l'année suivante, par un groupe de Guelfes réunis en diète à Francfort (1199). Il y avait donc simultanément deux empereurs germaniques, un César gibelin (Philippe, élu à Mayence) et un anti-César guelfe (Othon, élu à Francfort). En tout autre temps et en tout autre lieu, la chose eût paru impossible. Mais dans l'état d'anarchie qui régnait en Allemagne, cette anomalie ne fît qu’aggraver la confusion des esprits. Les têtes étaient si échauffées que l'élection d'un anti-César risquait d'entraîner à son tour l'élection d'un anti-Pape, ce qui n'était pas du goût d'Innocent III.
Prenant les devants, le Souverain pontife offrit son arbitrage. Se référant au discours qu'il avait prononcé devant le Concile de 1200, il proclama que « le Pape avait le droit de décider quel était, de deux souverains, le légitime auquel devait appartenir la Couronne ». Ce droit découlait du fait que c'était le Pape qui avait posé la couronne impériale sur la tête de Charlemagne. « Ce précédent illustre », ajoutait-il, « tranche la question une fois pour toutes et doit commander toutes les relations future entre l'Empire et la papauté ». Autant dire que le Pape considérait tout l'Empire comme son fief, et l'Empereur – quel qu'il fût – comme son vassal.
Cette déclaration de principe fut accueillie avec faveur par certains, mais elle ne fut guère appréciée par Philippe de Souabe, d'autant plus qu'Innocent III, se rangeant aux conseils du roi d'Angleterre, avait rendu son verdict en faveur d'Othon IV, malgré des protestations du roi de France.
Philippe de Souabe ayant refusé de s'incliner devant cette décision, Innocent III recourut à la seule sanction qui lui restait : il excommunia Philippe. Inutile de dire qu'Othon IV exultait.
Il exultait d'autant plus que l'excommunication de Philippe ne renforçait pas seulement sa légitimité : elle créait peu à peu le vide autour de son rival. De hauts dignitaires ecclésiastiques de plus en plus nombreux quittaient le camp des Hohenstaufen pour se rallier au sien. On y trouvait déjà l'archevêque de Cologne, entouré d'un clergé actif et influent ; on y trouvait aussi le nouvel archevêque de Mayence, ainsi qu'une foule de prélats rhénans, car Othon avait sauté sur l'occasion pour pourvoir d'hommes à lui tous les postes devenus vacants, du fait que leurs titulaires étaient partis pour la Quatrième Croisade...
Tout cela exacerbait les haines et les convoitises personnelles. De quelque façon que ce fût, cette situation ne pouvait durer.... Elle trouva un dénouement le 21 juin 1208. Ce jour-là, Philippe de Souabe fut assassiné dans le palais épiscopal de Bamberg par le comte palatin de Bavière, Othon de Wittelsbach. Celui-ci – comme par hasard – était du parti guelfe. Mais on camoufla fort habilement ce crime politique en drame passionnel. On l'attribua au fait que Philippe de Souabe avait refusé à Othon de Wittelsbach la main de sa fille Béatrice.
La disparition de Philippe de Souabe simplifiait les affaires allemandes. Elle laissait Othon IV seul maître de l'Empire. L'arbitrage qu'Innocent III avait rendu en sa faveur avait beaucoup contribué à accroître sa puissance. Mais Othon avait encore un concurrent à abattre. C'était le jeune roi Frédéric de Sicile, puisque son père Henri VI l'avait fait proclamer Roi des Romains. Mais à présent, plus personne ne s'interposerait entre les deux prétendants. De toute évidence, un nouvel affrontement était inévitable.
Pour donner une base légale à ses prétentions sur la Sicile, et aussi se rallier le dernier quarteron de seigneurs qui hésitaient encore à prendre parti pour lui. Le premier geste d'Othon fut d'annoncer ses fiançailles avec Béatrice de Hohenstaufen, la fille aînée de Philippe de Souabe, ce qui laissait prévoir une réconciliation entre les deux lignées. Née à Worms en juin 1198, Béatrice était alors agée de douze ans. Plusieurs années s’écouleraient donc avant que le mariage puisse être consommé. Mais cela importait peu. Cette alliance n'était que le premier jalon d'une manœuvre plus vaste.
Voyant que la puissance d'Othon IV ne cessait de grandir, Innocent III trouva plus sage de prendre ouvertement fait et cause pour lui, avant qu'il ne soit trop tard. Mais il estima prudent de s'entourer auparavant de quelques précautions. Il demanda à Othon de respecter l'intégralité du Patrimoine de saint Pierre ; de confirmer la suzeraineté du Pape sur la Sicile ; de renoncer au « droit de dépouille » sur la succession des dignitaires ecclésiastiques et de reconnaître au Souverain pontife le droit exclusif de nommer les évêques allemands. Othon – qui n'en était pas à une promesse près – accorda au Pape tout ce que celui-ci lui demandait. Agréablement surpris, Innocent III déclara alors qu'Othon était « un homme selon son cœur », et l'invita à venir à Rome pour s'y faire couronner. C'était exactement ce qu'Othon souhaitait.
Le fils d'Henri le Lion se rendit donc à Rome, escorté de forces militaires disproportionnées avec les exigences de la cérémonie. Leur ampleur étonna tout le monde, car personne n'avait encore percé ses desseins. Son pèlerinage au tombeau de saint Pierre – tout comme ses fiançailles avec Béatrice de Hohenstaufen – n'était qu'un prélude à la conquête de la Sicile et à l'écrasement de Frédéric II.
A Rome, Innocent III fut soudain saisi d’inquiétude. N'avait-il pas eu tord de prendre pour argent comptant toutes les promesses d'Othon ? Ne venait-il pas de commettre, mais à une beaucoup plus grande échelle, la même erreur que lorsqu’il avait soutenu les ambitions de Gauthier de Brienne ? Il ne disposait d'aucune force militaire capable de tenir tête à celles du Guelfe triomphant. Craignant le pire, il s’efforça de lui lier les mains en lui faisant confirmer sous la foi du serment tous les engagements qu'il avait pris à son égard à la veille de l'élection.
Sans se faire prier, Othon renouvela toute ses promesses au Pape. Le sacre eut donc lieu le 4 octobre 1209. Dés le lendemain, au plus grand mépris de sa parole, Othon renia tous ses engagements et fit marcher ses armées vers le sud de l'Italie. L'objectif qu'il leur assigna était la conquête de Naples et des Pouilles, opération préliminaire à l'invasion de la Sicile.
Le Pape fulminait. Othon l'avait odieusement grugé ! A présent, il était trop tard pour arrêter son avance. Nul doute n'était plus permis : une fois la Sicile conquise, Othon profiterait de ce surcroît de puissance pour se retourner contre Rome et avoir « une explication finale » avec la papauté. Innocent III recourut donc à la seule arme dont il disposait : il frappa Othon d'excommunication – comme il avait excommunié Philippe de Souabe, lorsque cet acte lui était apparu conforme aux intérêts de l’Église. En d'autres termes, Innocent III, après avoir été « gibelin », était devenu « guelfe » ; maintenant il cessait d'être « guelfe » pour redevenir « gibelin ».
Othon n'était pas homme à « s'effrayer des menaces d'un prêtre » – surtout quand ce prêtre n'avait aucune armée à lui opposer. Passant outre aux fulminations du Pape, il ordonna à ses troupes de poursuivre leur avance. Bientôt Sora, Camino, Suessa, Teano, Capoue, Aversa et Naples tombèrent entre ses mains. De là, Othon lança un certain nombres de colonnes qui occupèrent sans difficulté Salerne, Melfi, Barletta, Bari, Policoro et Tarente. A l'automne de 1211, toute la partie continentale du royaume de la Sicile était à lui. Il ne lui restait plus à conquérir que la partie insulaire.
Othon prépara sans désemparer cette deuxième opération. Il conclut une alliance avec les Pisans qui, étant guelfes, n'avaient pas pardonné à Frédéric de les avoir expulsés des ports siciliens avec l'aide des Génois qui étaient gibelins. Ensuite il se mit en rapport avec les Arabes de l'île, auxquels il promit toutes sortes d'avantages s'ils se ralliaient à lui.
A Palerme, l'approche des armées d'Othon avait semé la panique. Déjà des galères pisanes croisaient au large de Catane et de Messine. Dans les montagnes, les Arabes fourbissaient leurs armes pour mieux accueillir les nouveaux arrivants. Les barons allemands manifestaient ouvertement leur sympathie pour Othon. Quant au parti pontifical, il ne savait littéralement où donner de la tête, car les volte-face du Saint-Siège l'avaient désemparé. De lui-même, il aurait volontiers pris parti pour Othon, aussi longtemps que celui-ci avait été le candidat du Pape. Mais que faire maintenant qu'il était excommunié ? Selon les dires d'un témoin, « toute l'île semblait avoir perdu la tête et ressemblait à un nid de frelons affolés. »
Frédéric se faisait tenir au courant de la situation par des messagers secrets venus des Pouilles ou de Messine. Ceux-ci lui décrivaient d'heure en heure avec effroi l'avance irrésistible des armées d'Othon ; leur arrivée imminente à Reggio de Calabre ; les villes conquises se ralliant à lui les unes après les autres ; l'activité accrue des galères pisanes au large de l'île. Dés à présent, Othon pouvait se considérer comme ayant gagné la partie. En dehors du soutien du Pape, il avait mis tous les atouts dans son jeu. Impossible de lui opposer la moindre résistance...
Frédéric suivait la marche des événements avec une attention soutenue. Mais il n'en conservait pas moins la maîtrise de lui-même. Il avait fait armer une galère dans le port de Palerme pour pouvoir s'enfuir de Sicile avant qu'il ne soit trop tard. Son capitaine n'attendait plus qu'un signe de lui pour hisser ses voiles et le transporter à Tunis, lui, sa femme Constance, son fils Henri et son trésor. Mais tout au fond de lui-même, Frédéric conservait une confiance inébranlable en sa fortune (c'est le moment qu'il choisit pour faire ajouter à son blason le soleil et la lune, symboles de la domination universelle).
Soudain, arriva à Palerme une nouvelle stupéfiante. Sans aucune raison apparente, Othon avait disparu ! Des messagers venus des Pouilles décrivirent les feux de camp éteints, leurs cendres dispersées et les colonnes d'Othon refluant précipitamment vers le nord de l'Italie. Au moment où l'ouragan menaçait de s'abattre sur la Sicile, tout danger était miraculeusement écarté... Comment s'expliquer ce brusque coup de théâtre ?
VI
Frédéric II et Innocent III n'avaient pas été les seuls à s’inquiéter de l'avance d'Othon IV. Un troisième personnage s'en était alarmé autant qu'eux et il possédait des moyens de dissuasion beaucoup plus puissants que les leurs : c'était Philippe Auguste. Opposé à Othon, qui était l'allié des Anglais, le roi de France ne voyait pas sans inquiétude son rival accroître ainsi son influence. En conséquence, il était entré en pourparlers avec Innocent III en vue d'élaborer un plan susceptible de lui barrer la route.
Innocent III était ulcéré par la façon dont Othon IV avait foulé aux pieds ses promesses. Mais il n'était pas pour rien le plus grand diplomate de son temps : il était décidé à réparer son erreur et à faire échec d'une façon ou d'une autre aux ambitions du fils d'Henri le Lion et de Mathilde d'Angleterre . « Je regrette d'avoir fait cet homme ! » rugissait-il en faisant les cent pas dans les couloirs de son palais de Latran, ce qui signifiait qu'à présent il ne reculerait devant rien pour le défaire. D'accord avec le roi de France et un certain nombre de princes allemands, il décida de réunir en toute hâte une diète à Nuremberg. Celle-ci déférant aux vœux du Souverain pontife, avait proclamé Frédéric Empereur germanique.
Othon IV était sans doute impulsif et brutal. Mais il était assez avis pour comprendre ce que signifiait cette élection que rien ne laissait prévoir. Il avait immédiatement donné l'ordre à ses troupes de faire demi-tour et de rentrer précipitamment en Allemagne. Pouvait-il s’enfoncer davantage dans le Sud, en laissant grandir dans son dos une pareille menace ?
Aux premiers jours de janvier 1212, une délégation de princes allemands arriva à Palerme. Conduite par Conrad von Ursberg et Anselm von Justingen, elle voulait expliquer à Frédéric ce qui venait de se passer. La décision de la diète de Nuremberg – organisée en secret par Innocent III avec l'accord de Philippe Auguste – ne modifiait pas seulement le rapport des forces sur le continent : ses conséquences allaient se faire sentir jusqu'au cœur de la Sicile.
Lors du couronnement de Frédéric, en 1198, l'évêque de Palerme, obéissant aux injonctions de Célestin III, avait passé sous silence le fait que le fils d'Henri VI était Roi des Romains. Et voici qu'Innocent III, s'appuyant justement sur ce fait, le proclamait le candidat du Souverain pontife à la couronne impériale. Comme il avait eu raison, à l'heure la plus sombre, de ne pas perdre confiance en son étoile !
Ce brusque revirement lui avait déjà valu une série de ralliements spectaculaires. Les barons allemands, qui avaient escompté la victoire d'Othon et qui ne pouvaient plus rien espérer de lui, se pressaient au palais de Palerme pour faire oublier leur défection. Les Arabes, qui avaient dégainé leurs sabres trop tôt, submergeaient le jeune roi de présents et de louanges. Quant aux dirigeants du parti pontifical, ils ne pouvaient plus rien lui refuser, puisque le Pape l'avait désigné comme le candidat officiel du Saint-Siège...
Lorsque Anselm von Justingen, Conrad von Ursberg et les princes qui les accompagnaient supplièrent Frédéric de se rendre immédiatement en Allemagne afin d'y recevoir la couronne impériale, ce fruit succulent que lui tendaient à la fois un pape et un roi de France, Frédéric demanda à réfléchir. Mais au fond de lui-même sa décision était déjà prise : l'enjeu était trop grand pour qu'il pût le laisser échapper.
Lorsqu'il demanda l'avis de ses conseillers, ceux-ci commencèrent par l'exhorter à ne pas y donner suite, tant l'offre des ambassadeurs allemands leur paraissait invraisemblable. Ils répugnaient à laisser un homme aussi jeune s'engager dans une aventure semée d'autant d’embûches. Constance elle-même le supplia en pleurant de ne pas l'abandonner, faisant valoir que la pacification de l'île était encore loin d'être achevée.
Prenant à son tour la parole, Frédéric leur exposa les raisons qui le poussaient à accepter la proposition des princes germaniques. Il commença par leur dire qu'il ne serait pas digne d'être roi s'il se laissait arrêter par la peur du danger, il ne pouvait refuser ce qui lui appartenait de naissance et acheva de les convaincre en leur démontrant qu'une pareille occasion ne se représenterait pas deux fois. Il fallait donc la saisir au vol. Constance fut la première à lui donner raison et les autres conseillers se rallièrent à sa manière de voir.
Tandis que se poursuivaient ces délibérations, Anselm von Jusingen et les princes allemands déambulaient à travers les rues de Palerme, qui suscitaient en eux un double sentiment d'émerveillement et de perplexité. Tout ce qu'ils y voyaient était si diffèrent de l'Allemagne ! Certes, ils étaient séduits par la limpidité du ciel, par la douceur du climat, par l'atmosphère ensoleillée dans laquelle vivaient les populations méditerranéennes ; certes, ils étaient éblouis par le scintillement des mosaïques byzantines qui ornaient la cathédrale, l'église de la Martorana et la chapelle Palatine. Mais ce qui les étonnait le plus, c'était Frédéric lui-même. Sa personnalité était pour eux une véritable énigme. Qu'était-il au juste ? Un Sicilien ? Un Normand ? Une chose était certaine : il était le fils d'Henri VI et le petit-fils de Barberousse. A ce titre le sang des Hohenstaufen coulait dans ses veines et c'était là l'essentiel. Mais de quelle étrange mission ne s'étaient-ils pas chargés ! Etre venus du fond des brumes de la Germanie pour offrir la couronne su Saint Empire à ce jeune homme à peine sorti de l'adolescence, qui parlait couramment le sicilien, l'arabe et le provençal, ainsi qu'un peu de français, de grec, de catalan et d'hébreu, mais pas un seul mot d'allemand ! Il y avait dans tout cela quelque chose d'extravagant qui leur donnait le vertige.
Sitôt qu'ils eurent quitté Palerme, Frédéric prit un certain nombre de disposition en prévision de son départ.
Tout d'abord, il fit couronner roi de Sicile son fils Henri, à peine âgé d'un an, pour qu'il n'y eût pas d'hiatus dans la succession du trône au cas où il ne reviendrait pas. Puis il nomma son épouse Constance régente du royaume. Enfin, il rappela à Palerme l'ancien chancelier Gauthier de Pagliara et le plaça auprès de la régente pour qu'il lui servît de conseiller. Cette décision peut surprendre quand on sait combien leurs rapports étaient tendus. Sans doute lui fut-elle « suggérée » par Innocent III et Frédéric s'empressa d'y souscrire pour lui fournir une preuve supplémentaire de sa docilité.
Après avoir pris congé de tous, Frédéric se rendit à Messine (février 1212). Là, Innocent III, qui ne voulait pas être dupé de nouveau comme il l'avait été par Othon IV, lui demanda de contracter solennellement entre les mains de son légat, le cardinal-diacre de Saint-Théodore, un certain nombre d'engagements qui, s'ajoutant aux clauses qui figuraient déjà dans le Concordat conclu treize ans plus tôt entre sa mère et Célestin III, étaient si nombreux et si variés que leur somme équivalait à un véritable « Acte de soumission ».
« En présence du légat pontifical », écrivit Frédéric à Innocent III, « Nous Vous jurons fidélité à Vous et à Vos successeurs et Nous promettons que si si Vous et Vos successeurs Vous rendez dans une partie quelconque de Notre Royaume et que, appelé par Vous, Nous puissions sans danger venir en Votre présence, Nous Vous rendrons personnellement l'hommage d'homme lige. »
L'accord comportait ensuite un certain nombre de dispositions réglementant l'élection des évêques de Sicile.
Cette formalité accomplie, le petit-fils de Barberousse se dirigea vers le port, où était mouillée une galère. C'était la même qui, quelques semaines plus tôt, devait l'emmener en Afrique pour le soustraire aux griffes d'Othon IV. Mais, cette fois-ci, au lieu de mettre le cap vers le sud, elle allait remonter vers le nord, vers les Etats pontificaux, où le Pape attendait Frédéric avec impatience.
L'embarquement fut rapide. Frédéric n'emmenait avec lui qu'une très petite escorte : une trentaine de chevalier en tout, parmi lesquels se trouvait Bérard de Castacca, archevêque de Bari, que le Pape avait nommé son légat pour la durée du voyage. (Il devait être promu plus tard archevêque de Palerme).
La galère leva l'ancre le 18 mars 1212 et cingla vers le large. Elle portait à son bord un jeune homme de dix-sept ans qui, sans armes et les mains vides, partait reconquérir l'empire de ses pères.
Il ne se doutait pas que son absence allait durer huit ans.
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24/08/2022
Charles de Gaulle et la Glazialkosmogonie – I. Le retour de l'Homme de Fer (Jean Parvulesco)
Jean Parvulesco, La spirale prophétique, Un enseignement d'origine suprahumaine, Le retour de l'Homme de Fer, pp. 57-61, Guy Trédaniel Éditeur
Auteur de deux ouvrages fort remarqués sur René Guénon, à savoir René Guénon, Témoin de la Tradition, et René Guénon, la dernière chance de l'Occident, parus, respectivement, en 1978 et 1983 chez le même éditeur parisien, Guy Trédaniel, auquel on ne saura jamais assez reconnaître tout ce lui doit, en France, l'actualité d'une certaine pensée traditionnelle, Jean Robin est, à ce qu'il me semble, le premier à avoir abordé, de plein front le problème, de toute évidence absolument fondamental, qui est celui de l'influence de René Guénon sur Charles de Gaulle et partant sur les plus profondes destinées du gaullisme présent et à venir.
Et dans un important article publié par Aurores d'avril 1983, article intitulé René Guénon, un appel aux nouvelles générations, Jean Robin n'hésitera pas à écrire : « Redoublons d'audace : faut-il accorder quelque importance au fait que le générale de Gaulle ait désigné Guénon comme maître spirituel à ses « Compagnons secrets », auxquels il assigna une mission en rapport direct avec ce que nous appellerons la fonction eschatologique de la France ? Cette mission concernait entre autres la réconciliation ultime du spirituel et du temporel, la synthèse finale réalisée par cet Imperium pérenne enfin descendu de la sphère des archétypes, après avoir connu au cours des siècles quelques préfigurations avortées. Sa légitimation spirituelle reviendrait alors, dans cette perspective, à l’Église Gallicane dont de Gaulle appelait de ses vœux la renaissance. L’Église de saint Louis, qui refusait de prendre position contre l'empereur Frédéric II de Hohenstuafen, excommunié par le pape Grégoire IX ». Et ensuite : « Ce renouveau gallican ne saurait être fortuit, surtout si l'on sait l'écho qu'il rencontre dans sa jeunesse, grâce à sa double fidélité, d'une part à la tradition ecclésiale la plus antique, et d'autre part à l'ésotérisme chrétien. Et nous ne saurions mieux faire que de citer ici Michel Vâlsan, qui soulignait que le Gallicanisme, apparemment hétérodoxe, ne fut que l'expression sur le plan ecclésial du privilège qu'avait la France d'être un saint Royaume régi par un roi de droit divin, consacré comme tel par un Chrême céleste spécialement descendu pour assurer historiquement cette investiture ».
Or, en parlant de ces « compagnons secrets » de Charles de Gaulle, Jean Robin ne faisait qu'aller ouvertement vers l'ouvrage du R.P Martin (si R.P Martin il y a) intitulé, précisément, Le livre des Compagnons Secrets, ouvrage d'orientation et de travail gallicans avoués, et, ce faisant, renouer avec la tradition eschatologique impériale et solaire ayant trouvé son apogée à la fois le plus éclatant et le plus secret avec l'installation à Versailles de la royauté capétienne dite de droit divin.
D'autre part, mes propres habilitations dans le franchissement des cercles intérieurs et les plus interdits du « grand gaullisme » me permettent de faire état, ici, de la véritable emprise, confidentielle peut-être, mais profonde et persistante, exercée, sur le général de Gaulle, à Londres surtout, par Denis Saurat, dont on ne saurait ignoré la fidélité combattante, la fidélité suivie et créative aux thèses cosmologiques, aux cosmogonies différentielles du grandissime Hœrbiger, doctrinaire visionnaire de la Glazialkosomogonie.
Ayant fourni ses fondements cosmologiques – mais ne doit-on pas mieux parler, en l’occurrence, de ses fondations cosmologiques – à la géopolitique impériale de Karl Haushofer, et leur horizon cosmogonique de développement intérieur aux organisations de renforcement et de protection idéologique de celle-ci, la Glazialkosomogonie de Hœrbiger reste non seulement l'unique grande tentative de réintégration cosmogonique européenne de la fin de ce millénaire, mais aussi l'infrastructure mentale de l'approche essentiellement cosmologique caractérisant, pour ceux qui savent, l'ensemble de la vision géopolitique planétaire du général de Gaulle et, à partir de cela, la plus secrète intelligence de l'idée transcendantale que l' « homme des tempêtes » s'était forgée au sujet des destinées eschatologiques particulières de la France, ou plutôt de la Frankreich.
Hœrbiger, Haushofer, des noms qui sonnent comme le roulement de quatre dés de fer ayant régi le destin actuel du Grand Continent, des autre dés de fer dégageant, entre les Mains de l'Ombre, des irradiations occultes d'une charge de volonté, de puissance et de génie encore et toujours insoutenables : on se retrouve bien loin, en vérité, de l'univers mental débile des contemporains de Charles de Gaulle, l'homme le plus incompris, et, surtout, le plus trahi de son temps. Sait-on seulement que Charles de Gaulle fut, aussi, le trente-quatrième descendant 'en ligne directe authentique et authentifiée », ainsi que vint à l'attester très officiellement le Ministère des Affaires étrangères de Dublin, des anciens Rois d'Irlande, ligne de continuation royale qui, à travers la dynastie guerrière des Clana Rodry et, ensuite, des Mac Cartan, remonte au roi Rudricus le Grand, c'est-à-dire de deux millénaires en arrière de nous ? Et que l'identité confidentielle de la royauté extrême-occidentale de Rudricus le Grand continue à se perpétuer à travers la descendance de Charles de Gaulle ?
Enfin, pourquoi, en quittant le pouvoir en 1969, Charles de Gaulle a-t-il si farouchement tenu à se rendre en Irlande ? D'une assez mystérieuse façon, il se fait aussi que c'est en Allemagne qu'il faudrait essayer de trouver une réponse à cette question, une réponse qui fût vraiment décisive, libératrice de l'angoisse foncière de cette question dont la simple formulation, on s'en douterait à moins, gêne intolérablement certaines puissances nocturnes actuellement très e piste si ce n'est déjà en place, en France et ailleurs. Raison de plus pour que l'on y insistât, sachant, aussi, que le vent va bientôt tourner à nouveau.
Qui fut, en réalité, Charles de Gaulle ? Et qui était derrière lui, avant même qu'il ne fût lui-même ? Qui continue, aujourd'hui, dans les souterrains de la plus grande histoire, l’œuvre de salut et de délivrance cosmologique entamée par le géant des Deux Églises ? Le géant, je veux dire, dans le sens hœrbigerien du terme, ainsi que l'eût entendu Denis Saurat, c'est-à-dire quelqu'un qui émerge la réalité anthroposophique du cycle cosmologique précédent, et quant aux Deux Églises de sa prédestination de lieu d'accomplissement, songeons, surtout, à ce qui a été dit, ici même, sur les deux institutions occidentales, l’Église et la Maçonnerie, appelées à se perpétuer dans leurs identités propres jusqu'à la conclusion apocalyptique du cycle actuellement déjà si près de sa fin.
Et que l'on se rappelle donc, aussi, la série des faits suivants.
Durant sa captivité en Allemagne, de 1916 à 1918, le futur fondateur de la Ve République Française avait été détenu en haute Bavière, au camp de sécurité d'Ingolstadt (il avait à son actif cinq tentative d'évasion). Or, au camp de sécurité d'Ingolstadt, Charles de Gaulle eut pour compagnon de détention, entre autres, et je soulignerai fort cet entre autres, Rémy Roure, qui a laissé, sur Ingolstadt, un témoignage succinct mais tout à fait fascinant, ainsi que le futur maréchal de l'Union Soviétique Michaïl Toukhatchecsky, très haut initié de l'Organisation des Polaires et lui-même fondateur des Loges Polaires au sein de l'Armée Rouge. Mais le futur maréchal Michaïl Toukhachevsky devait être, surtout, l'artisan inspiré du grand Pacte Continental franco-soviétique, signé à Moscou par Staline et Laval. Et toujours à Ingolstadt, Charles de Gaulle allait rencontrer, par la suite, le Nonce à Berlin et futur pape Pie XII, Monseigneur Eugenio Pacelli (1876-1958), à ce moment-là, de par ses fonctions mêmes, visiteur apostolique des camps de prisonnier alliés.
Enfin, pour forts obscures raisons, et qui, pour bien longtemps encore, je le crains, vont devoir le rester, il est certain que les détenus du camp de sécurité d'Ingolstadt bénéficiaient de la haute et même, en quelque sorte, de la bienveillante attention du général Ludendorff (1857-1937), chef de l'état-major général de l'armée impériale et, par la suite, adjoint du vainqueur de Tannenberg, le feld-marcéhal von Hindenbourg (1847-1934). Sur les bords du Danube, à Ingoldstadt, les acteurs essentiels du prochain drame continental étaient donc rassemblés sur place, comme par l'exercice d'une volonté à la fois occulte et suprême, insaisissable, suprahumaine.
L'influence confidentielle de Denis Saurat et de René Guénon sur Charles de Gaulle commence donc à être connue, et l'on vient de laisser entrevoir, aussi, ses approches de la Glazialkosmogonie de Hœrbiger et, à travers celui-ci, de la géopolitique à fondations occultement cosmologiques de Karl Haushofer. A ce sujet, les archives réservées de l'Institut Hœrbiger de Vienne risquent de contenir, pour des chercheurs dûment habilités, un certain nombre de surprises de taille.
Il m'est également loisible de donner, ici et maintenant, les meilleures assurances quant au fait d'une prochaine mise à découverte intentionnée, et qui ne manquera pas d'être étayée par des preuves concluantes, des relations que Charles de Gaulle avait entretenu, aux alentours des années trente, avec la centrale parisienne des Loges Polaires, où, à ce que je crois m'être laissé confier par qui n'a pas à se tromper, aurait été conçu et préparé, du côté français, le projet de grand Pacte Continental Staline-Laval.
D'autre part, je ne pense pas qu'il faille un trop dur effort pour entrevoir la juste direction dans laquelle il s'agit d'investiguer pour trouver quelles durent être, dans les temps de son trempage théurgique, les relations de Charles de Gaulle avec les instances visibles et autres de l’Église, dont, pour avoir été, depuis toujours, un pratiquant très éclairé et très fidèle aux sacrements, des voies plus ardentes et plus dangereusement illuminantes et hautes n'eussent guère pu manquer de lui être laissées (son gallicanisme, on l'aura bien compris, n'ayant jamais été anti-romain, mais le chemin de la traversée vers l'intérieur caché et protégé de ce dont l’Église ne représenterait, dans ses actuels états, que l'enceinte immédiate et comme peut-être, déjà, partiellement sacrifiée).
On ne le voit que trop bien, cela fait beaucoup de logis philosophiques à visiter pour une seule existence et pour un seul ministère. Cependant, il ne faut pas confondre la puissance et ses attributs, lit-on dans Le fil de l’Épée.
Mais n'y a-t-il pas aussi une instance pontificale, la plus occulte de toutes, qui rassemblerait l'ensemble de cette quête occidentale en un seul refuge et donnerait à ce vertigineux tourbillons théurgique qu'aura été l'enclos des plus grandes fréquentations spirituelles de Charles de Gaulle le visage, fût-il par neuf fois voilé d'indigo, de son Unique Présentation ?
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09/08/2022
Géopolitique européenne : l'Eurasie comme destin (à propos d’un livre de Pierre Béhar)
Source : Vouloir - Archives EROE
Depuis les bouleversements de 1989, l’Europe s’est retrouvée mais ne s’est pas réunie. Malgré les analyses et les essais de géostratégie, malgré les tentatives de « nouvelle donne européenne » et le retour de la géopolitique (retour du mot tout au moins), malgré les débats qu’aura suscité le Traité de Maastricht (des débats bien lointains), les projets BCBG ont été florissants et n’ont fait que renforcer une logique : celle d’une Europe soumise au dogme de l’économie, anti-démocratique, soumise à la synarchie des euro-technocrates. Pourtant présentée comme la « nouvelle Jérusalem céleste », cette Europe ne sera jamais la nôtre.
Un ouvrage signé Pierre Béhar (1) nous ramène à l’essentiel en nous proposant une « géopolitique pour l’Europe ». Une Europe qui en se réappropriant sa totale continentalité, de l’Atlantique au Pacifique, doit se construire sur la base d’un principe : l’équilibre des peuples et des nations. Une encourageante initiative qui s’inscrit dans notre Combat, celui d’une Europe européenne et « grand-continentale », embryon d’un Empire eurasiatique.
L'Europe en effervescence : inquiétudes et espoirs
Effondrement du Mur de Berlin (novembre 1989) et réunification allemande (décembre 1990), éclatement de l’Empire soviétique (décembre 1991), dissolution du Pacte de Varsovie (mars 1991), création de la Communautés des États Indépendants, disparition de la Yougoslavie et guerre balkanique, projet d’union européenne, partition de la Tchécoslovaquie (juin 1992)… décidément, n’en déplaise à M. Fukuyama, l’Histoire continue (2). Certes, cette effervescence n’augure pas obligatoirement d’une histoire conforme à nos aspirations. Mais nous connaissons le tragique de la vie, nous savons que l’Histoire n’est jamais écrite et que « le combat est père de toute chose » (Héraclite). Alors ni états d’âme ni béatitude…
Des inquiétudes…
L'écroulement de l’Imperium soviétique et sa spectaculaire et lamentable disparition auront laissé plus d’un analyste désemparé. Au-delà du fécond réveil des peuples qui autoriserait l’optimisme, certains n’y voient « qu’une étape supplémentaire vers l’accomplissement du matérialisme total et de la dépossession des hommes et des peuples par le système du productivisme planétaire et de la logique du capital » (3). Là comme ailleurs le cauchemar pourrait s’installer. De même, passée l’euphorie de la réunification allemande, immédiatement se sont installés fantasme et scepticisme : crainte en particulier de la voir se construire son propre destin et de se tourner vers l’Est ou vers la Mitteleuropa. Au sud, la guerre balkanique entretient une plaie ouverte et démontre toute la perversité du nationalisme, l’obsolescence de l’État-nation et l’absence du mythe fédérateur européen.
Ailleurs, l’Europe occidentale et communautaire, embryon, nous dit-on, d’une Europe politique, ayant choisi l’économie comme destin, s’enferme dans le juridisme au travers d’un Traite de Maastricht (février 1992) qui accentue le choix originel du Traité de Rome. Cette nouvelle étape sur le long chemin communautaire aura confirmé le décalage flagrant, l’incompréhension entre les élites politiques et les “citoyens européens”. Cette Europe n’est pensée et conçue que comme instrument pour mieux engager la compétition avec les États-Unis et le Japon. n’y parle-t-on pas que “modernisation” et “robotisation” et nos politiciens ne la présentent-ils pas comme une planche de salut pour ses 53 millions de pauvres. Ce que l’on peut d’ores et déjà affirmer, c'est qu’elle comblera les financiers et que « le seul gouvernement qui se profile à l’horizon 2000 risque fort d’être celui des gouverneurs de la banque centrale ». L’homogénéisation marchande et l’intégration à l’économie mondiale s’installent.
Des espoirs…
Tout ce bouillonnement aura eu cependant un mérite : précipiter la fin de l’immobilisme géopolitique en Europe et réveiller les stratèges que 45 années de “protectorat américain” avaient plongé dans un coma frisant la mort clinique. Sont réapparus la géographie européennes, ses peuples et ses ethnies, la réflexion géopolitique et géostratégique. Certes, là où se prennent les décisions, dans les sphères où évoluent nos “décideurs”, le statu quo et la frilosité continuent à régner. L’acceptation du leadership américain s’installe et l’originalité n’est pas de mise.
C'est “Ailleurs” que s’imaginent les véritables projets, ceux qui sont porteurs de destin. L’ouvrage de Pierre Béhar s’inscrit dans cet “Ailleurs” où prend forme et se réalise notre projet grand-européen, cette Europe à vocation confédérale dont bon nombre de nos contemporains ne perçoivent pas l’unité territoriale et a fortiori culturelle. Il contribue également à une mise en forme de ce “Grand Espace” (Großraum) eurasiatique que Karl Haushofer (4) présentait comme l’une des conditions géopolitiques indispensables à toute politique de puissance. Dégageant les caractéristiques géographiques et humaines de notre continent, Pierre Béhar propose une politique d’équilibre interne et intègre l’Eurasie comme composante d’une Europe désireuse de se forger un destin à l’échelle du monde.
L'Europe, un ensemble mouvant
Si, pour les Européens conséquents que nous sommes, l’Europe a toujours existé, un mythe ne mourant jamais, si sa totale dimension eurasiatique ne nous a jamais échappé, cette perspective n’est pas partagée par les futurs “citoyens européens”. La ploutocratie mondiale ayant quant à elle allègrement franchi le pas. Cela tient au fait que, comme le soulignait le Général Jordis von Lohausen (5), « l’Europe n’est pas un simple continent au même titre que l’Afrique, l’Australie, l’Antarctique. Elle est l’œuvre des Européens et non un don de la nature, l’Europe n’est ni au-delà ni en-deçà de l’Oural, mais jusqu’au point où elle se défend ».
En effet, si ses frontières occidentales ont été naturellement perçues et définies, sur le front oriental, elles ont toujours été conventionnelles et incertaines. L’Oural ne signifiant géopolitiquement rien, c'est souvent sur la ligne de front, au point d’arrêt de “l’envahisseur” que l’Europe se définissait. En cette fin de XXe siècle, l’Europe a retrouvé son unité géographique. Des divisions subsistent (économiques, religieuses, …) mais elles doivent s’effacer si l’Europe se veut, de l’Atlantique au Pacifique, autre chose que le “cap de l’Asie”.
Retrouver notre continentalité
L'Europe, écrit Pierre Béhar, se présentant comme le « promontoire de l’Asie », point d’aboutissement de toutes les migrations venant de l’Est, laisse apparaître plusieurs ensembles géographiques très contrastés d’où se dégagent des « permanences géopolitiques ».
◘ Le relief, trois ensembles :
- La “grande plaine du Nord”, sans relief, sans frontières naturelles, les peuples qui l’habitent éternellement s’y entrechoquent et s’y mêlent. Germains, Baltes, Polonais, y trouveront maintes sources de conflits.
- Au sud, un ensemble montagneux, Alpes, Carpathes et Balkans. Ces derniers, “tourmentés et escarpés” nous éclairent sur les difficultés encore actuelles que peuvent y avoir les populations à y constituer des zones d’habitat stables.
- Ailleurs, l’Europe n’est que presqu’îles ou îles lointaines. Autant de presqu’îles (hellénique, italique, ibérique, Asie Mineure, danoise, norvégienne, …) qui constituent des liens avec le monde arabe (nouvel ennemi d’un Occident en mal de croisade), l’Afrique (que certains voudraient rejeter dans la barbarie), l’Asie et le Grand Nord.
◘ Les deux aires humaines : À ce constat dans le relief correspondent des “aires humaines” tout autant contrastées. À l’Ouest, une zone de stabilité, à l’Est, une instabilité chronique dont la résolution de l’équilibre « reste la tache à laquelle l’Europe est actuellement confrontée ».
◘ l’Asie jusqu’où ? : Mais l’Europe géopolitique, c'est aussi cet “au-delà”, cette Asie sans laquelle aucun destin ne sera possible. Une nécessité apparaît : « rétablir des relations qui reflètent les liens géographiques qui les unissent ». D’où une question de l’auteur : « Jusqu’où vers l’Est, l’Europe doit-elle étendre des relations géopolitiques privilégiées ? ». La réponse est pour nous sans équivoque.
◘ La mer : Enfin, l’Europe, c'est aussi un rapport à la mer constant, d’où une maîtrise nécessaire des mers pour un continent qui a toujours souffert du manque de matières premières. Mais aussi nécessité stratégique parce que la mer est devenue « un élément essentiel du théâtre des opérations terrestres ». Et Pierre Béhar d’affirmer : « L’Europe sera une thalassocratie ou ne sera pas », au même titre qu’elle ne pourra éviter un investissement dans une politique spatiale d’envergure.
Autant de « permanences géopolitiques » que nous somme gré à l’auteur de nous rappeler tant aujourd'hui elles sont ignorées. Mais ces permanences ont un objectif, amener les Européens à s’engager dans deux directions pour penser une géopolitique européenne : rétablir l’équilibre interne de l’Europe, penser l’Eurasie.
Rétablir l’équilibre interne du continent
Cette notion d’équilibre rejette “l’Europe hémiplégique” et réductionniste qu’est la Communauté Économique Européenne (CEE). Une Europe économique dont on nous fait croire qu’en sortira une Europe politique. Rien de plus faux, car inévitablement « elle se fondra sur le principe d’une intégration totale » et renforcera les frustrations nationales. C'est donc vers une Europe confédérée et affirmant le primat du politique qu’il faut se tourner. Abandonner le « présupposé arbitraire du primat de l’économique devenu credo de la réflexion occidentale ».
Si la confédération apparaît comme le système le mieux adapté, elle demande un dépassement de “l’idéologie nationaliste” qui a “suicidé” l’Europe et un retour au principe d’équilibre qui a toujours guidé l’ancienne diplomatie dont Bismarck fut un remarquable exemple. Une tradition à mettre en œuvre dans une zone, celle du centre-Europe, mais aussi à l’échelle du continent.
Au centre : l’Allemagne et la Mitteleuropa
L'Allemagne n’est pas le problème et le « déséquilibre européen ne vient pas de sa réunification (…) mais de la destruction (…) de l’ensemble politique austro-magyaro-slave qui la contrebalançait ». Certes en 1994, l’Allemagne n’a plus de "revendications territoriales" mais comme à toute puissance économique correspond une puissance politique, on peut légitimement craindre une "hégémonie allemande" sur la Mitteleuropa, le choix de Berlin comme nouvelle capitale ne pouvant que renforcer ce mouvement. Si hier l’Empire d’Autriche-Hongrie garantissait cet équilibre, aujourd'hui, il n’en est rien.
Il faut donc contrebalancer ce déséquilibre et concevoir des nouveaux ensembles, tels qu’une Fédération de l’Europe Centrale (Autriche, Hongrie, Tchécoslovaquie, Slovénie et Croatie), une Fédération balkanique (Serbie / Monténégro, Roumanie, Bulgarie, Albanie, Grèce et Turquie) et même concevoir une Fédération du Nord (Pays Baltes, Finlande, Scandinavie). Cela n’a rien d’artificiel. Penchons-nous sur les relations séculaires des peuples du Nord, souvenons-nous du pacte balkanique (1934), examinons l’espace commun (le Danube) dans lequel ils évoluent. Vienne doit redevenir capitale de l’Europe centrale et l’axe Vienne-Budapest doit renaître. Déjà des regroupements se mettent en place (Pentagonale, Hexagonale, Communauté des régions du Danube…). Ce rééquilibrage au centre de l’Europe ne saurait se passer à l’Ouest du retour de la France à sa double vocation continentale et maritime.
À l’Ouest : le rôle de la France
« La France y étant le facteur principal de stabilisation » : Pierre Béhar nous rappelle qu’elle y constitue le « pendant de la Russie », qu’elle est le lien entre l’Europe du Nord et du Sud, l’Europe continentale et atlantique. n’est-elle pas elle-même le croisement de l’Europe, son "point nodal". Regrettant les erreurs et les errements de la diplomatie française qui a parié sur une « Realpolitik de la force et non de la liberté des peuples », Béhar offre à la France de se "rattraper" à condition de mettre ses armes stratégiques et tactiques au service de la défense du continent, d’accroître ses programmes d’équipement naval (surtout de les accorder avec ses ambitions et d’abandonner le prestige pour l’efficacité) et de renforcer son programme spatial plutôt que « s’enfermer pour vingt ans dans la même inefficacité ruineuse ».
L’Eurasie
Si l’Atlantique est la dimension indispensable à notre continentalité, si l’Europe occidentale et l’Europe centrale s’inscrivent sans hésitation dans la définition de l’Europe, "l'Au-delà” reste encore un monde inconnu que l’on hésite à y intégrer. Pourtant, c'est vers lui qu’il faut tendre la main, "l'Europe n’aura de fondements économiques et stratégiques fermes (…) que si elle est assurée de son prolongement eurasiatique". Deux mondes se côtoient au sein de cette dimension, un monde slave et un monde turc.
Le monde slave, lien indispensable avec l’Asie
Le monde slave oriental, flanc est de l’Europe, contrefort oriental d’une Europe qui n’a aucun intérêt géopolitique à la voir se désagréger, constitue le lien terrestre indispensable avec le monde asiatique. D’où une nécessité : maintenir la coopération entre la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine, maintien du "pivot du monde", d’un heartland dont Mackinder (1861-1947) avait souligné la force. Si l’Europe veut compter sur les richesses sibériennes, elle doit rester à l’écoute de la Russie authentique et ne pas hésiter à engager le dialogue avec une "Russie touranienne" dans la perspective d’un "grand ensemble dynamique eurasien".
Le monde turc : un pont de la Mer du Nord au Golfe Persique
Barrière psychologique, la "question turque" se pose aux Européens. Un effort intellectuel et historique doit être effectué. Il serait absurde de rejeter la Turquie hors du projet européen. La Turquie souligne Pierre Béhar a et est toujours tentée par un "destin personnel", celui du monde panturc. Dans une optique de non-alignement, ce destin est-il incompatible d’avec une Europe tournée vers l’Eurasie ? Nous ne le croyons pas et, peut-être pour d’autres motifs que l’auteur, nous pensons en effet qu’historiquement, religieusement, philosophiquement, le monde turc est lié à l’Europe. Rappelons pour le mythe, qu’Europe, fille d’Agénor, était originaire d’Asie, que Troie était construite sur les rivages maintenant turcs, qu’Alexandre porta son Empire par delà l’Anatolie jusqu’à l’Indus… l’Empire ottoman ne fut-il pas la continuité de l’Empire byzantin ?
Mais la Turquie d’un point de vue géopolitique est surtout un pion essentiel pour une Europe, souligne Pierre Béhar, qui se veut présente dans les Balkans, dans le monde méditerranéen et dont la Turquie pourrait être une force de stabilisation au Proche-Orient. Enfin et surtout, nous soulignerons (ce que ne fait pas Béhar) que la Turquie, c'est aussi un "pont tendu" reliant l’Europe centrale et l’Europe du Nord au Golfe Persique. Son territoire est l’élément indispensable d’un "puzzle européen" retrouvant vie et cohésion sur une "diagonale" que les ennemis de l’Europe ont toujours combattue (entretien de la guerre balkanique, guerre du Golfe…).
En guise de conclusion :
L'Europe ou l’Eurasie, tel sera le destin de l’Europe Totale (P. Harmel) sans lequel il n’y aura pas d’Europe. Remercions Pierre Béhar de contribuer à la mise en forme du "grand espace européen autocentré" que nous appelons de nos vœux.Contribution qui n’aura pas osé la dénonciation de « l’Alliance otanesque » qui voue à l’échec toute mise en œuvre de défense authentiquement européenne et la création de ce "nomos eurasien" dont Haushofer et Carl Schmitt souhaitaient la réalisation.
L'Europe n’a pas de frontières, nous l’écrivions au début de cet exposé, elles se situent au point jusqu’où elle choisira de se défendre. Sa frontière géopolitique pourrait alors consister, à partir d’une "Europe noyau", bâtie sur l’idée de respect d’un équilibre entre ses peuples qui y auraient consenti un "vivre-en-commun", d’étendre ce jus publicum europaeum jusqu’aux limites d’un espace eurasien, voire africain, permettant une large autosuffisance et une sécurité repoussée à ses points extrêmes. Le nouvel ordre américano occidental serait alors frappé à mort. C'est notre plus ardent souhait.
► Lucien Favre, Vouloir n°114/118, 1994.
• Notes :
(1) Pierre Behar, Une géopolitique pour l’Europe. Vers une nouvelle Eurasie ?, éd. Desjonquères, Paris, 1992.
(2) Francis Fukuyama, La fin de l’Histoire et le dernier homme, Flammarion, 1992.
(3) Cf. Hérodote n°64.
(4) Karl E. Haushofer, De la géopolitique, Fayard, 1986 (préface et traduction du prof. Jean Klein).
(5) Heinrich Jordis von Lohausen, Les empires et la puissance, Labyrinthe, 1985.
• Voir aussi : L’Europe, la géopolitique et Pierre Béhar [site EuropeMaxima]
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