01/11/2021
Le « secret foncier de Pierre Laval » (Jean Parvulesco)
Jean Parvulesco, Un Retour en Colchide, L'aigle à trois têtes, pp. 190/192, aux éditions Guy Trédaniel Éditeur
(595) Je me demande si d'autres que moi ont été amenés à soupçonner le « secret foncier de Pierre Laval », secret vraiment enfoui au plus profond de lui-même, d'où il s'entendait à régir subversivement le cours extérieur de son existence. On peut en effet considérer une première figure de Pierre Laval, sa figure la plus « conventionnelle », comme celle d'un politicien retors de la Troisième République, l'homme des douteuses intrigues de couloir et des options changeantes, attaché au pouvoir sans trop se soucier des implications idéologiques en jeu, prêt à toutes les compromissions exigées par le le pouvoir parlementaire dépravé qui était celui de son temps. Mais, pour un regard vraiment avisé, habitué à pénétrer, dans les régions occultes de la conscience, il y a aussi « un autre Pierre Laval », le conspirateur de haut vol, l'homme de la vraie « grande politique », dissimulé pour pouvoir agir à sa guise, derrière ses propres apparences diversionnelles et factices ; car la « grande politique » ne saurait être que subversive.
Pierre Laval a été un des plus grands conspirateurs politiques du XXe siècle, ayant directement participé à l'immense projet révolutionnaire européen du roi Édouard VIII d'Angleterre, qui avait tenté de mettre en place une « Nouvelle Europe » fédérale, mobilisée contre l'URSS et le danger de la « révolution mondiale » du communisme soviétique, qui aurait compris l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie, l'Espagne, la France, la Belgique, etc. Une « Nouvelle Europe » dont Pierre Laval eût représenté la France en tant que président de la République nationale française (c'est Paul Claudel, on le sait maintenant, qui, ambassadeur à Londres, assurait le relais entre Edouard VIII et Pierre Laval).
Il y a plus encore. Pendant les quatre années de l'occupation militaire allemande de la France, de 1940 à 1944, c'est Pierre Laval qui a mené l'ensemble de la politique souterraine d'une certaine « France autre », s'appuyant sur l'Allemagne pour mettre clandestinement en place sa propre révolution européenne national-socialiste des profondeurs. Dans cette perspective, Pierre Laval avait veillé dans l'ombre à la mise en œuvre du seul mouvement authentiquement révolutionnaire de la collaboration, le Mouvement social révolutionnaire (MSR). Ayant soutenu la prise du pouvoir par Raymond Abellio contre Eugène Deloncle à l'intérieur du MSR, Pierre Laval était devenu le patron caché de ce mouvement aux destinées confidentielles, mal connues encore aujourd'hui.
Raymond Abellio, qui avait gardé une fidélité ardente à la mémoire de Pierre Laval, me racontait vingt ans après comment, chaque 1er du mois, il faisait discrètement un aller-retour Paris-Vichy pour rapporter une valise bourrée de l'argent nécessaire au fonctionnement de son mouvement, argent que lui fournissait, en liquide, Pierre Laval lui-même. On n'a pas idée de la formidable machine de guerre révolutionnaire que Pierre Laval et Raymond Abellio ont essayé de monter pendant la guerre pour faire de la France, au cas où l'Allemagne l'aurait emporté, et même dans le cas contraire, une superpuissance à part entière, dans la « Grande Europe » de l'après-guerre.
Laval avait été le premier homme politique français entièrement gagné à la cause suprapolitique de la « Grande Europe » continentale, « eurasiatique », et, tout comme le général de Gaulle, il comptait lui aussi sur un renversement à terme du régime communiste soviétique, de manière à ce que la Russie puisse être ensuite intégrée au sein de la plus « Grande Europe » continentale. Laval avait sans interruption œuvré dans ce sens – avant et pendant le guerre – à la tête d'un important appareil supérieur ultra-secret, opérativement actif, derrière la face diversionnelle qu'il avait toujours su dresser comme couverture à ses activités hautement subversives. Un « appareil supérieur » dont personne, à aucun moment, ni en France ni ailleurs, ne soupçonnait l'existence, encore moins les activités de fond.
Certains le pensent, la cravate blanche qu'il portait toujours était le « signe de ralliement » convenu d'une organisation contre-révolutionnaire supranationale, ultra-secrète, abyssale, « hors d'atteinte », que dans cercles de la contre-information stratégique allemande on appelait Geheime Frankreich. Aussi l' « autre Pierre Laval », le Pierre Laval « secret », est-il resté « secret » au-delà de sa fin. Après la guerre, Raymond Abellio aurait pu en parler, mais il ne l'a pas fait. Ni personne du tout petit nombre de ces « quelques autres » ayant accompagné, plus ou moins en pleine connaissance des choses, la grande aventure « suprahistorique » de Pierre Laval. Entre autres, Jean Jardin, dont la récupération ultérieure par le général de Gaulle me paraît singulièrement significative.
J'ai eu moi-même à me rendre à plusieurs reprises à la Tour de Peilz, en Suisse, où j'étais reçu par Jean Jardin dans sa propriété romantique au bord du lac. Nous étions préoccupés tous les deux par la nécessité de transmettre au Général notre commune obsession concernant le grand avenir politique de l'Inde et d'une politique française aux dimensions à la mesure de ce continent, inspirée par une vision finale de la plus Grande Europe continentale, « eurasiatique ». Jean Jardin travaillait à un vaste projet de relations économiques et industrielles franco-indiennes qu'il voulait immédiatement opérationnel, et pour lequel il ne cessait d'entretenir des contacts stratégiques majeurs avec New Delhi, du côté français, mais aussi en Allemagne et en Espagne. ; Et il me disait qu'il voulait m'amener avec lui, en Inde.
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17/02/2019
Le chamanisme et la transe (Jean Clottes/David Lewis-William)
Jean Clottes/David Lewis-William, Les chamanes de la préhistoire ; Transe et Magie dans les grottes ornées (Texte intégral, polémiques et réponses), Après Les Chamanes, polémique et réponses, 3. Une conception erronée du chamanisme ?, Le Chamanisme et la transe, pp. 194-198, La maison des roches éditeur, éditions Points, collection Histoire
Serait-il fautif de se référer à une conception globale du chamanisme ? Certains auteurs parlent effectivement de chamanismes, au pluriel, mais ils sont rares (Atkinson, 1991). Par là, ils préfèrent insister sur l'indiscutable diversité des manifestations sociologiques et culturelles dans des milieux divers plutôt que sur ce qui lie ces chamanismes entre eux, liens qu'ils ne nient pas. C'est l'histoire éternelle du vase à moitié vide ou à moitié plein, selon le point de vue. S'il ne s'agissait pas à la base d'un phénomène universel, on n'emploierait plus depuis longtemps le même terme, qui fit récemment le titre d'un "Que sais-je ?" (Perrin, 1995). Or, les ethnologues modernes l'utilisent toujours, non seulement pour les peuples sibériens pour lesquels il fut créé (Hamayon, 1990), mais également pour ceux de l'arctique (Robert-Lamblin, 1996, 1997), des Amériques (Chaumeil, 1999), du sud de l'Afrique ou encore de l'Asie (Walsh, 1989) et ils reconnaissent à la fois "sa déconcertante diversité et paradoxalement l'impression de profonde unité de ce phénomène plusieurs fois millénaire" (Vazeilles, 1991, p.71).
" Le mot chamanisme désigne des phénomènes de même type dans toutes les régions du monde" (Hultkranz, 1995, p.166). Selon Vitebsky (1995, p.46), les ressemblances frappantes entre le chamanisme sud-américain et celui de la Sibérie "apportent peut-être la meilleure preuve de la constance fondamentale des idées chamaniques dans une immense variété d’environnements, de structures sociales et de périodes historiques". Certes, "les croyances chamaniques ne constituent pas une religion ou un système doctrinal unique", toutefois "partout dans le monde, les traditions chamaniques approchent la réalité et l'expérience humaine de manières similaires" (Vitebsky, 1997, p.34 ; la même idée exprimée chez Walsh, 1989, p.4). C'est cette globalité qui permet d'envisager, après bien d'autres, que les concepts et attitudes du chamanisme aient pu avoir une origine extrêmement ancienne et remonter au Paléolithique.
Dans la définition que nous en avons donnée, nous avons insisté sans ambiguïté sur la complexité de ce concept, de ses rites et de ses pratiques : "Il faut noter que le chamanisme est en soi un système de croyances à composantes multiples. il comprend des techniques de guérison, le contrôle des animaux, des rites pour influer sur les éléments, des prophéties, des recherches de visions, des pratique de sorcellerie, des voyages extra-corporels et autres activités. Chacune possède ses rituels, symboles et mythes appropriés. A certaines périodes du Paléolithique supérieur, une ou plusieurs de ses composantes ont pu prédominer, tandis qu'à d'autres moments les chamanes se focalisaient sur des activités différentes" (cf. supra, p.131-132 ; cf. aussi 1997a, p.31-32).
Quant à la notion de "cosmos étagé", que Roberte Hamayon conteste chez les chasseurs-collecteurs, elle existe bien, y compris pour des sociétés de ce type, puisque la phrase incriminée s'appliquait explicitement aux San, pour lesquels les témoignages probants sont connus. Pour le reste, nous avons dit que "dans le monde entier, le cosmos chamanique est généralement étagé", et nous en avons donné quelques exemples. Nous avons également émis l'hypothèse que cette structure, que l'on retrouve partout - et pas seulement dans les sociétés à religion chamanique -, puisse provenir des réactions du système nerveux humain lors des états de conscience altérée. Postérieurement à la parution de notre livre, un spécialiste du chamanisme, Pietr Vitebsky (1997, p.34), a donné les précisions suivantes : "Les voyages de l'âme des chamanes ont lieu, pense-t-on, dans un cosmos étagé où la terre est au centre de divers mondes supérieurs et inférieurs." Qui qu'il en soit, et que ces mondes divers, que personne ne conteste, aient été superposés, parallèles ou juxtaposés pour les gens du Paléolithique supérieur, cela ne changerait rien à notre argument de base, à savoir que le monde souterrain était très vraisemblablement perçu comme l'un d'eux.
Beaucoup plus grave serait notre assimilation supposée du chamanisme à la transe, avec laquelle, selon R. Hamayon, il "n'a rien à voir". Ces deux propositions, sont, par exagération, aussi erronée l'une que l'autre. Notre définition, citée ci-dessus, est suffisante pour montrer que cette lecture de notre livre est abusive et caricaturale. Quant au chamanisme, il ne se réduit certainement pas à la transe, mais celle-ci est à la base de ses traditions et elle y joue un rôle primordial.
D'autres ethnologues contemporains, sans aller jusqu'à invoquer Mircea Eliade et ses successeurs, insistent toujours, et pour cause, sur l'importance des états de conscience altérée. Ainsi, pour Vitebsky (1995, p.64), la transe est-elle l' "essentiel de l'activité chamanique dans le monde". "Le chamanisme est surtout caractérisé par le voyage du chamane à la poursuite des Esprits dans un autre monde. (...) Le chamane agit par le moyen d'une transe, ou du moins d'un état de conscience altéré" (Vazeilles, 1991, p.10 ; cf. aussi Hultkranz, 1995). Les chamanes du Groenland connaissaient des transes de divers sortes (Robert-Lamblin, 1997, p.285). De nos jours, "l'un des traits saillants du chamanisme amazonien tient dans l'utilisation d'un large éventail de plantes hallucinogènes" pour induire la transe (Chaumeil, 1999, p.43).
Remarquons que dans ce dernier article, paru après notre ouvrage, la description des visons ainsi causées est très voisine du "modèle" de Lewis-William et Dowson (1998), repris dans notre travail. "Il convient de distinguer entre deux catégories de visions, distinction qui apparaît d'ailleurs clairement dans les récits chamaniques. L'une - d'origine neuropsychologique - consiste en sensations lumineuses (chandelles ardentes, étincelles, etc) aux motifs géométriques et non figuratifs, désignées techniquement sous le nom de phosphènes. Ce type de dessins géométriques joue par exemple un rôle très important dans le chamanisme des Indiens Shipibo d'Amazonie péruvienne. (...). L'autre catégorie de visions hallucinogènes consiste en images figuratives" (Chaumeil, 1999, p.45).
Bien entendu, les chamanes des sociétés traditionnelles, pas plus que les mystiques qui se livrent au jeune et à la macération, n'ont conscience qu'ils cherchent "à altérer leur états de conscience" (Hamayon 1997, p.66), puisqu'ils sont persuadés qu'ils rentrent ainsi en contact avec un autre monde. pourtant, c'est bien ce qu'ils font (Lemaire, 1993). Quant à ceux qui jouent un rôle et font semblant d'être en transe, leur existence ne saurait être niée, mais cela n'enlève rien à la réalité du phénomène. Si, dans notre société, certains prétendent être amoureux alors que ça n'est pas vrai, cela n'implique nullement que le véritable amour n'existe pas.
Quant à la remarque de R. Hamayon sur le refus supposé des "neurologues sérieux" d'étudier ce type de phénomènes, elle est très curieuse. Les phénomènes de visions recherchées ou accidentelles, c'est-à-dire la transe, sont attestés à toutes les époques et dans toutes les cultures. Ce qui différencie le chamanisme des autres religions, c'est qu'il les instrumentalise eten fait la base des "voyages" vers les autres mondes. La recherche de ces processus est donc loin de relever du truisme. Les états de conscience altéré ont fait l'objet d'innombrables travaux et publications dans divers pays (cf. récemment en France, Lemaire, 1993 ; cf. bibliographie in Lewis-William et Dowson, 1988). Il paraît difficile de croire que tous ceux qui en ont traité ne sont pas sérieux, et que, pour l'être, il faudrait se refuser à étudier un phénomène, quel qu'il soit, en vertu d'idées préconçues : un tel refus n'aurait évidemment rien de scientifique.
R. Hamayon, citant Atkinson (1992), nous accuse de voir le chamanisme à travers la transe, ce qui serait "comme analyser le mariage seulement en tant que fonction biologique de reproduction". ce n'est pas ce que nous avons fait, mais, tout de même, la comparaison est excellente, car elle insiste sur un aspect majeur, à proprement parler fondamental. Le chamanisme n'est pas que la transe (cf. supra), mais celle-ci y joue un très grand rôle, de même que le mariage n'est pas que la fonction sexuelle, bien que cette dernière soit à la base de l'institution qui, sans elle, n'existerait pas.
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16/11/2016
A l'Est, du nouveau ? (Alexandre Douguine sera à Paris ce Samedi 19 Novembre!)
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