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15/09/2024

Le Mystère des mystères (Ferdynand Ossendowski)

 

Ferdynand Ossendowski, Bêtes, hommes et dieux, Cinquième Partie – Le Mystère des mystères : Le Roi du Monde, XLVI Le Royaume souterrain, pp. 293/299, Éditions Phébus, Libretto

 

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- Arrêtez ! Murmura mon guide mongol un jour que nous traversions la plaine près de Tzagan Luk. Arrêtez !

 

Il se laissa glisser du haut de son chameau, qui s'était couché sans qu'il n’eût besoin de lui en donner l'ordre.

 

Le Mongol éleva ses mains devant son visage en un geste de prière et commença à psalmodier la phrase sacrée : Om ! Mani Padme Hung ! Les autres mongoles avaient eux aussi arrêté leurs chameaux et s'étaient mis à prier.

 

« Qu'est-il arrivé ? » me demandais-je tout en contemplant autour de moi l'immensité de la plaine , couverte d'une belle herbe grasse et tendre, sous un ciel sans nuage dans lequel s'attardaient, rêveurs, les derniers rayons du soleil vespéral.

 

Les Mongols prièrent ainsi pendant un bon moment puis, après s'être murmuré quelques paroles les uns aux autres, ils refirent les sangles de leurs chameaux, prêts à repartir.

 

- Avez-vous vu, me demanda le guide, comme nos chameaux remuaient les oreilles de frayeur, comme le troupeau de chevaux sur la plaine restait immobile et attentif, comme les moutons et le bétail se couchaient sur le sol ? Avez-vous remarqué que les oiseaux avaient cessé de voler, les marmottes de courir et les chiens d'aboyer ? L'air s'est mis à vibrer doucement, apportant de très loin la musique d'un chant qui pénètre dans le cœur des hommes, des bêtes et des oiseaux. La terre et le ciel ont retenu leur haleine ; le vent s'est arrêté de souffler ; le soleil a interrompu sa course. En un moment comme celui-ci, le loup qui s'approche des moutons à la dérobée fait halte dans sa marche sournoise ; le troupeau d'antilopes apeurées retient son élan éperdu ; le couteau du berger prêt à trancher la gorge lui tombe des mains ; l'hermine rapace laisse aller le perdrix salga. Tous les êtres vivants sont saisi par la peur. Une force qui les dépasse les pousse à la prière. Ils attendent leur destin. Cela vient de se produire : c'est le Roi du Monde, en son palais souterrain, qui prie et sonde la destinée des peuples de la terre.

 

Ainsi parla le vieux Mongol, simple berger et homme sans culture.

 

La Mongolie, avec ses montagnes dénudées et terribles, ses plaines infinies où reposent, épars, les ossements des ancêtres, a donné naissance au mystère. Un mystère dont le peuple, qu'il soit pris dans le tumulte des orages qui secouent la nature ou plongé dans la léthargie d'un monde immobile sur lequel plane l'ombre de la mort, ressent à tout moment la profondeur, un mystère que les lamas rouges et jaunes conservent, poétisent. A Lhassa et à Ourga, il est en la possession des pontifes qui en gardent jalousement le secret.

 

C'est en Asie centrale que j'entendis pour la première fois parler du mystère des mystères, que je ne puis appeler autrement. Je n'y attachais d'abord qu'une très faible attentions, mais je fus amené par la suite, après avoir médité les témoignages sporadiques et contradictoires qui m'avaient été donnés, à reconnaître toute son importance et toute sa valeur.

 

Les vieillards des rives de l'Amyl me racontèrent une ancienne légende selon laquelle une tribu mongole, qui cherchait à échapper aux exigences de Gengis Khan, se cacha dans une contrée souterraine. Près du lac de Nogan Kul, un Soyote me montra plus tard une excavation d'où se dégageait un nuage de fumée : c'était l'entrée du royaume d'Agharti. C'est par cet orifice qu'un chasseur pénétra autrefois dans le royaume ; après son retour, il commença à raconter ce qu'il avait vu. Alors les lamas lui coupèrent la langue pour l'empêcher de parler du mystère des mystères. Dans sa vieillesse, il revint à l'entrée de la caverne, et disparut dans le royaume souterrain dont le souvenir avait ornée et réjoui son cœur de nomade.

 

J'obtins des renseignements plus détaillés de la bouche de Jelyb Djamsrap, houtouktou de Narabanchi Koure. Il me conta l'histoire du puissant Roi du Monde, sorti du royaume souterrain ; comment il était apparu, quels furent ses miracles et ses prophéties. Je compris alors que derrière cette légende, cette chimère, cette vision collective, quels que soient le nom et le sens qu'on lui prêtait, se cachait non seulement un mystère, mais une force réelle et souveraine, capable d'influer sur le cour des événements politiques en Asie. Je voulus donc en savoir plus.

 

Le gelong favori du prince Choultoun Beyli et le prince lui-même me livrèrent la description du royaume souterrain :

 

- Dans le monde, me dit le gelong, tout est constamment en état de transition et de changement : les peuples, les religions, les lois et les coutumes. Combien de grands empires et de brillantes cultures ont péri ! Cela seul qui reste inchangé, c'est le mal, instruments des mauvais esprits. Il y a plus de six mille ans, un saint homme disparut avec toute une tribu dans les profondeurs de la terre. Depuis, jamais il n'a reparu à la surface du monde, mais plusieurs personnages ont pu visiter son royaume : Cakya-Mouni, Undur Gheghen, Paspa, Baber et d'autres encore. Nul ne sait véritablement où il se trouve. L'un dit en Afghanistan , d'autres aux Indes. Dans cette région, tous les hommes sont protégés contre le mal ; le crime n'existe pas à l'intérieur de ses frontières. La science s'y développée dans la paix, rien n'y est menacé de destruction. Le peuple souterrain a atteint le plus haut degré du savoir. A présent, c'est un grand royaume qui compte des millions de sujets sur lesquels règne le Roi du Monde. Ce dernier connaît toutes les forces de la nature, lit dans toutes les âmes humaines et dans le grand livre de la destinée. Invisible, il règne sur huit cents millions d'hommes, prêts à exécuter ses ordres.

 

Le prince Choutoun Beyli ajouta :

 

- Ce royaume est Agharti. Il s'étend à travers les passages souterrain du monde entier. J'ai entendu un savant lama chinois dire au Bogdo Khan que toutes les cavernes souterraines de l'Amérique sont habitées par le peuple ancien qui disparut jadis sous la terre ; quelques traces de son existence subsistent encore à la surface du pays. Tous les habitants de ce monde souterrain sont gouvernés par des chefs qui reconnaissent la souveraineté du Roi du Monde. Rien de cela n'est explicable : vous n'ignorez pas qu'au milieu des deux plus grands océans de l'Est et de l'Ouest se trouvaient autrefois deux continents. Ils furent engloutis sous les eaux, mais leurs habitants passèrent dans le royaume souterrain. Les cavernes profondes où ils vivent sont éclairées par une lumière particulière qui permet la croissance des céréales et des végétaux et protège les êtres de la maladie.

» Il y a là-dessous de nombreux peuples qui vivent en tribus. Un vieux brahmane bouddhiste du Népal, qui accomplissait la volonté des dieux et se rendait en pèlerinage dans l'ancien royaume de Gengis, le Siam, rencontra un jour un pêcheur qui lui ordonna de prendre place dans sa barque et de voguer avec lui sur la mer. Le troisième jour ils atteignirent une île où vivaient une race d'hommes ayant deux langues avec lesquelles ils parlaient deux langages différents. Ces hommes montrèrent au brahmane des animaux bizarres, des tortues cyclopes à seize pattes, de monstrueux serpents à la chair extrêmement savoureuse, des oiseaux dotés de dents qui attrapaient du poisson pour leurs maîtres. Ils lui dirent qu'ils étaient venus du royaume souterrain et lui en décrivirent certaines régions.

 

Le lama Turgut qui fit le voyage d'Ourga à Pékin avec moi me donna d'autres détails :

 

- La capitale d'Aghartiest entourée de villes où habitent des grands prêtres et des savants. Elle rappelle Lhassa, la ville où le palais du Dalaï-Lama, le Potala, se dresse au sommet d'une montagne recouverte de temples et de monastères. Le trône du Roi du Monde est entouré de deux millions de dieux incarnés. Ce sont les saints panditas. Le palais lui-même est entourés des palais des goros qui maîtrisent toutes les forces visibles et invisibles de la terre, de l'enfer et du ciel, et qui ont tout pouvoir sur la vie et la mort des hommes. Si notre humanité dans sa folie osait leur faire la guerre, ils seraient transformer en déserts. A leur commandement, les arbres, les herbes et les buissons se mettent à pousser ; des hommes ressuscitent. Dans d'étranges chariots, inconnus de nous, ils sillonnent à toute vitesse les étroits corridors qui déroulent leurs méandres à l'intérieur de notre planète. Quelques brahmanes indiens et des dalaï-lamas du Thibet ont réussi à gravir des pics montagneux où nul autre pied humain ne s'était jamais posé ; ils y ont trouvé des inscriptions taillées dans le roc, des traces de pas dans la neige et des marques laissées par les roues d'engins mystérieux. Le bienheureux Cakya-Mouni trouva au sommet d'une de ces montagnes des tablettes de pierre sur lesquelles se trouvaient gravés des mots qu'il ne réussit à déchiffrer qu'à un âge avancé de sa vie. Il pénétra alors dans le royaume d'Agharti, d'où il rapporta les miettes de savoir sacré que sa mémoire avait conservées. C'est là, dans de féeriques palais de cristal, qu'habitent les chefs invisibles des fidèles, le Roi du Monde, Brahytma, qui peut parler à Dieu comme je vous parle, et ses deux assistants, Mahytma, qui connaît les événements de l'avenir, et Mahynga, qui règne sur les causes de ces événements.

» Les saints panditas étudient le monde et ses forces. Parfois les plus savants d'entre eux se rassemblent et envoient des délégués vers les endroits qu'aucun œil humain n'a jamais contemplés. Ceci nous a été décrit par le Tashi Lama qui vivait il y a huit cent cinquante ans. Les plus hauts panditas, une main sur les yeux et l'autre à la base du cerveau de prêtres plus jeunes, les endorment profondément, lavent leurs corps avec une infusion de plantes, les immunisent contre la douleur, gardent les yeux ouverts ; ils voient tout, entendent tout et n'oublient rien de ce qu'ils ont observé. Un goro s'approche d'eux et les fixe longuement du regard. Lentement leurs corps se soulèvent et disparaissent progressivement dans les airs. Le goro reste assis, les yeux fixés sur l'endroit où il les a envoyés ; des fils invisibles les retiennent à sa volonté. Quelques-uns d'entre eux voyagent parmi les étoiles, observent ce qui s'y passe * les peuples, inconnus des terriens, la vie, les lois. Ils épient les conversations, lisent les livres, connaissent la fortune et la misère, la sainteté et les péchés, la piété et le vice... Quelques-uns se mêlent à la flamme, voient la créature de feu, vive et féroce, combattant sans trêve, fondant et martelant des métaux dans les profondeurs des planètes, faisant bouillir l'eau des geysers et des sources thermales, faisant fondre les rochers et déversant par les orifices des montagnes des flots en fusion sur la surface de la terre. D'autres se mêlent aux créatures de l'air, infiniment petites, évanescents et transparents, et pénètrent les mystères et le but de leur existence. D'autres encore glissent dans les profondeurs de la mer et observent le royaume des sages créatures de l'eau, qui transportent et répandent leur bénéfique chaleur sur otue la terre, gouvernent les vents, les vagues et les tempêtes. Au monastère d'Erdeni Dzou vivait autrefois Pandita Houtouktou qui était venu d'Agharti. En mourant, il parla du temps où il avait vécu, selon la volonté du goro, sur une étoile rouge à l'est du firmament, puis sur l'océan couvert de glace, enfin parmi les feux orageux qui brûlent les entrailles de la terre.

 

Telles sont les histoires que j'entendis raconter dans les yourtas des princes et dans les monastères lamaïstes. Le ton des récitants interdisait qu'on fît planer sur ces récits le moindre doute.

 

Mystère...

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