01/02/2015
Insuffisance de la théorie du complot et judéo-bolchevisme (Alexandre Douguine)
Alexandre Douguine, Le prophète de l'eurasisme, Partie II, Judaïca, Sur la route de l'Eurasie, Insuffisance de la théorie du complot, pp. 79-81, Avatar éditions ; Collection Heartland
La question juive continue de passionner l'esprit de nos contemporains. Ni le fait de l'ignorer artificiellement, ni les clameurs apologétiques hâtives, ni la judéophobie primitive, ne peuvent éliminer ce problème. Le peuple juif est un phénomène unique dans l'histoire du monde. Il a clairement suivi une voie religieuse éthique absolument spéciale, particulière à lui, accomplissant à travers les millénaires une mission mystérieuse et ambiguë.
Quel est le sens de cette mission ? Comment résoudre l'énigme des juifs ? En quoi consiste la mission des juifs tant proclamée ?
C'est un sujet trop vaste pour être couvert totalement. Par conséquent nous nous limiterons seulement au rôle des juifs dans l'histoire russe du XXème siècle, car cette question taraude douloureusement une masse de gens, quel que soit le camp idéologique auquel ils appartiennent.
D'entrée nous noterons qu'une étude convaincante, complètement satisfaisante de ce thème n'existe simplement pas aujourd'hui. Une partie des historiens a généralement tendance à nier l'importance du facteur juif dans la Russie et dans l'histoire soviétique, ce qui est une grossière violence à la vérité. Il suffit de regarder les listes de noms parmi les principales élites bolchéviks et politiques de l’État soviétique, et la quantité disproportionnée de noms juifs saute aux yeux. Ignorer ce fait, faire hypocritement des déclarations insensées, est incorrect même d'un point e vue purement scientifique et historique.
La seconde version concernant la fonction des juifs en Russie (URSS) au XXème siècle est caractéristique de nos milieux nationaux-patriotiques. Ici le rôle des juifs est présenté comme ayant été seulement négatif, subversif, destructeur. C'est la fameuse théorie de la "conspiration juive", qui fut particulièrement populaire à l'époque des "centuries noires", et plus tard dans les milieux des Gardes blancs. De ce point de vue, les Juifs, suivant une tradition ethnico-religieuse unique et constituant une communauté isolée convaincue de son statut messianique, ont consciemment conçu le mouvement Bolchevik destructeur, y ont occupé les places dominantes et ont mis en pièces le dernier bastion de l’État, de la culture et de la tradition des chrétiens conservateurs. Les judéophobes conservateurs obstinés appliquent aussi le même modèle à la destruction de l'URSS, jetant à nouveau le blâme sur les juifs, se référant à l'énorme nombre de représentants de cette nation parmi les rangs des réformateurs. La faiblesse de ce concept est que le même peuple est simultanément accusé d'avoir créé l’État soviétique et ensuite de l'avoir détruit, d'avoir été le principal guide de la conception socialiste antibourgeoise, et ensuite d'avoir été le principal apologiste du capitalisme. En outre, une connaissance impartiale du sort des juifs bolcheviks montre leur croyance absolument sincère en l'idéologie communiste, sacrifiant promptement leur propre vie pour elle, ce qui serait impossible si nous acceptions sérieusement la version d'un groupe de "saboteurs cyniques et menteurs". Prise globalement, une telle version antisémite n'est pas convaincante, bien qu'elle soit un peu plus proche de la vérité que la première car, à la différence de celle-ci, elle reconnait le caractère unique du rôle des juifs dans le processus historique. Il est curieux qu'une telle vision réunisse les antisémites aux sionistes les plus conscients et les plus conséquents.
La troisième version est celle des milieux judéophiles (et dans les cas extrêmes, sionistes).
Ils maintiennent que les juifs sont toujours, et dans tous les cas, du bon côté, qu'ils sont victimes d'injustes persécutions de la part des peuples divers, et qu'ils sont porteurs de toutes les valeurs positives, morales, culturelles et sociales. cette position reconnait le rôle dirigeant des Juifs dans tous les grands processus historiques en Russie, mais affirment clairement que pendant la révolution, ainsi que durant l'histoire soviétique, et durant la perestroïka, les Juifs furent un pôle positif incarnant la vérité, la bienveillance, l’intelligence, l'humanité éternelle. Si, pour les antisémites, les Juifs agissent comme un mal absolu, et ce diagnostic n'est pas mis en doute même quand il aboutit à des absurdités logiques et historiques complètes, pour les judéophiles c'est l'image exactement inverse qui est vraie : ici les Juifs sont toujours bons, même si cela contredit catégoriquement l'image objective des choses. Cette approche extrêmement apologétique ne peut donc pas être exhaustive non plus, car elle est construite depuis le début sur des interprétations sujettes à des a priori.
Une nouvelle version
Notons que la version antisémite et sioniste de la question, le rôle des Juifs dans l'histoire russo-soviétique moderne, émane d'une certaine présomption concernant une forte unité des Juifs, unité de réflexion et de volonté historiques. En d'autres termes, la tendance apparaît de considérer les Juifs pas simplement comme une ethnie comme les autres, mais comme une sorte d'organisation, de parti, d' "Ordre", de lobby, etc., à part.
Une version différente, inversement, reconnaît que l'unité des juifs n'existe pas et que comme pour tous les autres peuples, chaque Juif dans l'histoire agit pour lui-même, pour son propre "Moi", en tant qu'individu, qui n'est défini par les facteurs ethniques que dans un arrière-plan mineur, psychologique - et donc que le terme "judaïsme", tel qu'il est utilisé par les antisémites et les sionistes, n'a pas de sens.
Nous écartant de ces approches à cause de leur négativité presque évidente, nous proposons une version différente. Si nous ne nous satisfaisons pas ni de l'approche personnaliste, ni de l'approche globalisante - c'est-à-dire du concept de pluralité incertaine, ou du concept de l'unité compacte - il est naturel de suspecter l'existence d'un modèle intermédiaire. Il est raisonnable de parler d'une dualité interne des Juifs, de la présence à l'intérieur de cette ethnie unique non pas d'une seule volonté, mais de deux volontés, deux organisations, deux Ordres, deux centres de réflexion historique, deux scénarios de voie messianique. Une telle approche dualiste nous donnera une perspective complètement neuve, et à de nombreux égards inattendue, de la description de ce phénomène très complexe.
Mais notre point de départ pour cette hypothèse est dû seulement à une méthode déductive, de logique formelle. Vérifions à présent à quoi correspond une telle dualité en pratique... (à suivre "Orientaux" et "Occidentaux" dans les rangs des juifs)
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