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Du sens des mots : Souveraineté (Charles Horace)

 

Quel est le principe qui confère son autorité à un pouvoir ? Quel est le fondement du pouvoir d’un Etat ? Aujourd’hui, nous considérons, comme si cela allait de soi, que le fondement de l’action d’un Etat est sa souveraineté, appuyée sur le scrutin populaire à l’intérieur, et reconnue par les autres Etats à l’extérieur. Le terme « souveraineté » est d’ailleurs constamment au centre de multiples débats, touchant aux questions les plus cruciales préoccupant notre société. On soulignera l’ironie de la situation, la souveraineté française n’occupant dans les débats que l’espace qu’elle a perdu dans le domaine des compétences concrètes de l’Etat. Paradoxe qui n’est qu’apparent, puisque c’est bien quand la chose commence à manquer qu’on y met le mot ! Il est clair en effet que le développement des instances supranationales participe d’une délégation, consentie par nos oligarchies, des souverainetés des Etats nationaux. Il est également évident que toute action politique ne peut se priver d’un retour à la souveraineté, sous peine de se retrouver privé de tout levier d’action. Encore est-il nécessaire au préalable de bien connaître le sens de ce mot, d’en connaitre l’histoire afin d’en saisir toutes les implications. Nous commencerons donc par nous intéresser à la définition et à l’histoire du principe de souveraineté. Il conviendra également, à la lumière de ce qui aura été soulevé, de poser la question de la « souveraineté populaire », de sa réalité, et de sa pertinence. Enfin nous tenterons d’articuler les aspirations légitimes des patriotes à la souveraineté et le sentiment européen.

 

La souveraineté selon Jean Bodin

 

Selon le dictionnaire Larousse, la souveraineté désigne le « pouvoir suprême reconnu à l'État, qui implique l'exclusivité de sa compétence sur le territoire national (souveraineté interne) et son indépendance absolue dans l'ordre international où il n'est limité que par ses propres engagements (souveraineté externe) ». Il s’agit donc d’une modalité de l’exercice du pouvoir impliquant l’absence de concurrence à son autorité légitime, sur un espace déterminé. La souveraineté implique également une liberté d’action totale sur la scène internationale. Cette définition de la souveraineté, actuellement comprise dans un contexte stato-national, est directement issue du travail de théorisation mené par Jean Bodin au XVIe siècle. Cependant, si le terme de souveraineté semble émerger au cours du Moyen Âge, doit-on pour autant en déduire qu’il n’a eu aucune préfiguration ? En d’autres termes, la notion de souveraineté est-elle un produit d’une réflexion politique relativement récente, ou a-t-elle au contraire des racines plus anciennes ?

 

Nous devons tout d’abord faire violence à la chronologie, en présentant dans un premier temps le travail incontournable de Jean Bodin, afin de voir ce qu’il charrie d’une tradition plus ancienne et ce qu’il apporte de neuf, afin d’en tirer les conséquences. C’est lui en effet qui a formulé pour la première fois, dans ses Six livres de la Républiquei (1576), le concept de « souveraineté » dans son sens moderne. Pour lui, la souveraineté désigne le principe selon lequel un Etat jouit d’une suprématie sur tous les autres pouvoirs. Cette suprématie instituée implique des conséquences juridiques : une loi souveraine peut arrêter toute autre puissance qui se poserait en concurrente de l’Etat. Jean Bodin, en tant qu’érudit, s’appuie sur une immense culture historique et juridique. Son objectif est double : réfuter Machiavel dont la démarche amorale lui paraissait dangereuse pour l’ordre traditionnelii, tout en raffermissant le fondement du pouvoir politique, ébranlé par les divisions des Guerres de Religion (1562-1589). Toutefois, à la différence de Saint Augustin ou de Saint Thomas d’Aquin, il ne s’interroge pas sur l’origine divine ou naturelle de la chose publique. Il constate simplement que dans toute société historique, il existe une forme de pouvoir public unifié et unificateur. Il pose, dès lors, la question de l’essence de ce pouvoir. La réponse réside selon lui dans « la puissance souveraine », s’exerçant par « un droit gouvernement de plusieurs ménagesiii et de ce qui leur est commun ».

 

Pour être entière et durable, la souveraineté doit s’appuyer sur trois principes :

 

  • Elle doit être absolue, autrement dit, ne dépendre d’aucun autre pouvoir. Elle doit être, pour ainsi dire, auto-suffisante.

  • Elle doit être également indivisible, une, et si elle se délègue, elle doit demeurer entière en chaque délégation.

  • Elle doit être enfin, perpétuelle, transcendante, et par conséquent, ne doit pas être soumise aux aléas du temps. La souveraineté perdure, indépendamment des individus qui l’incarnent temporairement. L’Etat en est le siège, un point autour duquel se focalise l’ordre public, lui-même défini par les Lois qui déterminent les normes de la vie publique de tout le corps social.

 

La souveraineté est surtout pour Bodin une volonté, une « puissance de vouloir » dont les lois sont la forme. Cependant, comme la volonté souveraine est absolue, elle est de fait au-dessus des lois, qu’elle fait et défait. Ainsi, « il appartient à la prérogative absolue du Souverain de faire la paix et la guerre, de diriger l’administration, de juger en dernière instance et de faire grâce, de battre monnaie et de lever l’impôt »iv.

 

Des racines médiévales et antiques

 

Cependant, la définition de la souveraineté développée par Jean Bodin est tout à fait différente de ce qu’elle était à l’époque médiévale. Définition médiévale qui elle-même dérivait d’une antique conception de la puissance politique. Dans son sens médiéval, « souverain » désigne un pouvoir n’admettant aucun supérieur, ce qui ne supposait pas nécessairement que ce pouvoir puisse revendiquer une exclusivité de la puissance de commander. La souveraineté médiévale n’impliquait, en d’autres termes, aucun monopole de la volonté. A partir du XIIIe siècle, la souveraineté que le Roi de France avait obtenue de haute lutte face à l’aristocratie féodale représentait un dernier recours, surtout dans le domaine judiciaire. Le processus de décision opérait dans la coexistence d’une pluralité de pouvoirs, chacun ayant voix au chapitre (c’est ce que l’on nomme aujourd’hui le principe de subsidiarité). A partir de la fin du XIIIe siècle, le roi, pour prendre une décision importante, convoquait les Etats Généraux, assemblées exceptionnelles, composées de représentants divers du royaume et qui devaient permettre aux trois ordres de la société de s’exprimer. Le roi ne pouvait tout à fait se passer du consentement de ces derniers, ni de l’avis de certaines autorités extérieures (dont l’autorité spirituelle).

 

Le concept de souveraineté tel que théorisé par Bodin constitue donc une révolution. Il faut en fait comprendre que, marqué par l’expérience des guerres de religions, moment extrêmement périlleux pour la Monarchie (donc pour la France), Jean Bodin tenta de faire en sorte que l’Etat souverain n’ait plus à négocier avec quelque pouvoir que ce soit (ce qui revenait, en ces temps troublés, à être la créature d’un parti)v. Avec lui se produit une scission entre l’Etat et la société, la loi devient valable par elle-même, elle est supérieure au droit naturel, au droit coutumier. Dans le même temps, l’unilatéralité de la loi implique la fin de tout droit de résistance des sujets à un pouvoir injuste, quand la pensée médiévale laissait la liberté à la personne de s’opposer à un pouvoir tyranniquevi. Bodin accorde seulement aux magistrats le droit à la résistance passive (à travers la démission). La forme étatique de l’Etat souverain « bodinien » fut consacrée en 1648, par le traité de Westphalie : l’Etat souverain représente alors une réalité nouvelle face aux empires : la nation.vii

 

En ce qui concerne l’Europe de l’ouest dans son ensemble, nous pensons toutefois pouvoir remonter au-delà du Moyen Âge. Les racines de la souveraineté en tant que principe transcendant remontent selon nous à l’Antiquité romaineviii. En effet, la notion d’imperium, présente dès la période républicaine, dont l’étymologiesignifie « ordonner », désignait un pouvoir souverain délégué aux magistrats supérieurs par les dieux dont la volonté était censée se manifester à travers les citoyens réunis en assemblée. Sous la République, l’imperium ne reconnaissait également pas de supérieur temporel, mais était temporaire et limité dans l’espace, et permettait à son détenteur de commander et de juger.Il était également limité par d’autres pouvoirs, tels la puissance tribunicienneix. A partir d’Auguste (27 av. J.-C. – 14 ap. J.-C.), ce pouvoir devient permanent et concentré entre les mains du Prince (Princeps).

 

A l’image de la culture politique romaine, le concept d’imperium était souple, pragmatique, concret. Si la nature de son exercice évolua, son fondement demeura : un pouvoir souverain, transcendant, à la fois civil, militaire et religieux, soutenu par un charisme divin, un pouvoir surhumain, ayant pour horizon la pax aeterna, écartant les prétentions des forces centrifuges, donnant une orientation commune à toutes les composantes d’un même corps politique. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer de prime abord, la notion de souveraineté héritée de l’imperium a survécu en Europe sous diverses formes :Empire Byzantin, Empire Carolingien puis Saint Empire Romain Germanique…Le royaume de Francea tout autant recueilli l’héritage de l’imperium romain. C’est en effet la monarchie française issue de l’éclatement de l’empire carolingien (Capétiens, Valois, Bourbons)qui sera –à notre sens- parmi les nations européennes, la plus belle héritière de la tradition politique romaine. Opinion que partageait Georges Sorel : « Le seul pays de langue latine qui puisse revendiquer l'héritage romain est la France, où la royauté s'est efforcée de maintenir la puissance impériale »x. Les rois de France, notamment à partir de la deuxième moitié du XIIIe siècle, nourris de la redécouverte du droit romain, vont en effet affirmer le principe de souveraineté contre les puissances cherchant à les subjuguer ou à diviser le royaume. Le pouvoir royal français comprend de nombreuses similitudes et d’emprunts à l’imperium romain : son côté surnaturel, total –ou plutôt absolu-, divin, la coexistence d’aspects civils, militaires, et religieux, certaines des regalia (l’orbe, la couronne…).

 

Nous pouvons constater que la souveraineté ne nait pas avec Jean Bodin. L’œuvre de ce dernier, sans remettre en question sa qualité, porte en effet une ambiguïté de taille, dont les conséquences ont été primordiales pour la suite de l’histoire politique de l’Europe. Voulant renforcer le pouvoir souverain en le rendant absolu et en fondant sa démonstration sur le seul droit, il l’a également détaché de ses attaches spirituelles. En effet, dans un contexte de conflit religieux, il était impossible de fonder un consensus politique autour de la seule référence à Dieu. Si Bodin n’évacue évidemment pas complètement la dimension religieuse de la souveraineté, il s’inscrit dans une dynamique de sécularisation du pouvoir politique, préparant les évolutions ultérieures que ce dernier allait connaître en Occident. Si le pouvoir souverain ne saurait reconnaître la puissance divine comme limite, alors le pouvoir politique finit par perdre sa dimension spirituelle (puisque le Roi était encore vu comme le « Lieutenant de Dieu sur terre »). En effet, comme le soulignait Julius Evola, l’Etat sans principe transcendant n’est qu’une coquille vide : « Le fondement de tout véritable État est la transcendance de son principe, c'est-à-dire du principe de la souveraineté, de l'autorité et de la légitimité »xi.

 

L’héritage empoisonné de la modernité

 

La souveraineté Bodinienne eut cependant pour effet de redonner de la vigueur à la monarchie française. Le règne solaire de Louis XIV (1638-1715) a d’ailleurs donné à cette conception de la souveraineté ses lettres de noblesses. Néanmoins, la progression des idées matérialistes devait finalement amener les penseurs des XVIIe et XVIIIe siècles à penser la politique et si deus non daretur (comme si Dieu n’existait pas)xii. Les Lumières, Rousseau en tête, ne firent que s’appuyer sur cet héritage. Joseph de Maistre, dans ces écrits, a souligné les principes politiques à l’origine de la grande mutation, déjà en maturation à partir de la Renaissance, émergeant avec les Lumières. Parmi ces principes se trouve la théorie du libre contrat de Jean-Jacques Rousseau, qui dans son Contrat social (1762) opposait l’homme à l’état de nature et l’homme en société, et prétendait penser la société en dehors de tout principe transcendant supérieur (en l’occurrence sans Dieu) mais sous le seul angle du « contrat » entre individus mus par leurs seuls intérêts ou leur bonté naturelle. Or, l’homme peut-il créer le droit, la justice, l'autorité, ou le pouvoir ? Pour De Maistre la réponse ne peut être que négative puisque « la raison et l'expérience se réunissent pour établir qu'une constitution est une œuvre divine et que ce qu'il y a précisément de plus fondamental et de plus essentiellement constitutionnel ne saurait être écrit »xiii. Qu’est-ce à dire ? Simplement que la souveraineté d’un pouvoir ne relève pas simplement de conventions humaines mais renferme toujours quelque chose de transcendant, de plus-qu’-humain. Dans le même ordre d’idée, De Maistre r

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16/04/2015 | Lien permanent

Aspects pratiques des convergences eurasiennes actuelles (Robert Steuckers)

Source : Le Blog de Robert Steuckers

 

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Conférence prononcée par Robert Steuckers pour les « Deuxièmes journées eurasistes » de Bordeaux, 5 septembre 2015

 

Bonjour à tous et désolé de ne pouvoir être physiquement présent parmi vous, de ne pouvoir vous parler qu’au travers de « Skype ».

 

 Je vais essentiellement vous présenter un travail succinct, une ébauche, car je n’ai que trois quarts d’heure à ma disposition pour brosser une fresque gigantesque, un survol rapide des mutations en cours sur la grande masse continentale eurasiatique aujourd’hui. Je ne vous apporterai ce jour qu’un squelette mais vous promets simultanément un texte bien plus étoffé, comme ce fut d’ailleurs le cas après les « journées eurasistes » d’octobre 2014 à Bruxelles. 

 

L’incontournable ouvrage du Professeur Beckwith

 

Lors de ces premières rencontres eurasistes de Bruxelles, tenues dans les locaux du vicariat à deux pas de la fameuse Place Flagey, je me suis concentré sur les grandes lignes à retenir de l’histoire des convergences eurasiatiques, en tablant principalement sur l’ouvrage incontournable, fouillé, du Professeur Christopher I. Beckwith de l’Université de Princeton. Pour le Prof. Beckwith, la marque originelle de toute pensée impériale eurasienne vient de la figure du Prince indo-européen, ou plutôt indo-iranien, qui émerge à la proto-histoire, un Prince qui a tout le charisme et l’exemplarité nécessaires, toutes les vertus voulues, pour entraîner derrière lui une « suite » de fidèles, un « comitatus », comme l’attestent d’ailleurs la figure mythologique du Rama védique et celle de Zarathoustra, fondant ainsi une période axiale, selon la terminologie philosophique forgée par Karl Jaspers et reprise par Karen Armstrong. Le Prince charismatique et son « comitatus » injectent les principes fondamentaux de toute organisation tribale (essentiellement, au départ, de peuples cavaliers) et, par suite, de tout organisation territoriale et impériale, ainsi que le montre le premier empire de facture indo-européenne sur le Grand Continent eurasiatique, l’Empire perse. Ce modèle est ensuite repris par les peuples turco-mongols. Cette translatio au profit des peuples turco-mongols ne doit pas nous faire oublier, ici en Europe, le « droit d’aînesse » des peuples proto-iraniens. 

 

J’espère pouvoir aborder la dimension religieuse des convergences eurasiatiques lors de futures rencontres eurasistes, en tablant sur des œuvres fondamentales mais largement ignorées dans nos contextes de « grand oubli », de « grand effacement », car nous savons, depuis les travaux de feue Elisabeth Noelle-Neumann que le système dominant procède par omission de thématiques dérangeantes pour n’imposer que du prêt-à-penser, pour ancrer l’oubli dans les masses déboussolées. Parmi ces œuvres à ré-explorer, il y a celle de l’explorateur et anthropologue italien Giuseppe Tucci, dont Payot avait jadis publié l’immense travail sur les religiosités d’Asie centrale, sur les syncrétismes du cœur de l’Asie. Ceux-ci ont émergé sur un socle shamaniste, dont toutes les variantes du bouddhisme, surtout au Tibet, en Mongolie, dans les confins bouriates, ont gardé des éléments clefs. Le « Baron fou », Fiodor von Ungern-Sternberg, commandeur de la division de cavalerie asiatique du dernier Tsar Nicolas II, était justement fasciné par cette synthèse, étudiée à fond par Tucci. Ensuite, comme le préconise Claudio Mutti, le directeur de la revue de géopolitique italienne Eurasia, une relecture des travaux de Henry Corbin s’avère impérative : elle porte sur les traditions avestiques, sur le culte iranien de la Lumière, sur la transposition de ce culte dans le chiisme duodécimain, sur l’œuvre du mystique perse Sohrawardî, etc. Mutti voit en Corbin le théoricien d’une sagesse eurasiatique qui émergera après l’effacement des religions et confessions actuelles, en phase de ressac et de déliquescence. Le culte de la Lumière, et de la Lumière intérieure, du Xvarnah, de l’auréole charismatique, également évoquée par Beckwith, est appelé à prendre la place de religiosités qui ont lamentablement basculé dans une méchante hystérie ou dans une moraline rédhibitoire. L’avenir ne peut appartenir qu’à un retour triomphal d’une religiosité archangélique et michaëlienne, au service de la transparence lumineuse et du Bien commun en tous points de la planète. 

 

Aujourd’hui, cependant, je me montrerai plus prosaïque, davantage géopolitologue, en n’abordant que les innombrables aspects pratiques que prennent aujourd’hui les convergences eurasiatiques. Les initiatives sont nombreuses, en effet. Il y a la diplomatie nouvelle induite par la Russie et son ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov ; il y a ensuite les initiatives chinoises, également diplomatiques avec la volonté d’injecter dans les relations internationales une manière d’agir qui ne soit pas interventionniste et respecte les institutions et les traditions des peuples autochtones, mais surtout la volonté de créer de multiples synergies en communications ferroviaires et maritimes pour relier l’Europe à la Chine. Ensuite, l’Inde, sans doute dans une moindre mesure, participe à ces synergies asiatiques. Le groupe des BRICS suggère un système bancaire international alternatif. L’ASEAN vise à annuler les inconvénients de la balkanisation de l’Asie du Sud-est, en cherchant des modes de relations acceptables et variés avec la Chine et, parfois, avec l’Inde ou la Russie. 

 

D’Alexandre II à Poutine

 

Pour le dire en quelques mots simples, la Russie actuelle cherche à retrouver la cohérence du règne d’Alexandre II, qui avait tiré les conclusions de la Guerre de Crimée lorsqu’il avait accédé au trône à 37 ans, en 1855, alors que cette guerre n’était pas encore terminée. La Russie de Poutine et de Lavrov rejette en fait les facteurs, toujours présents, toujours activables, des fragilités russes du temps de Nicolas II et de la présidence d’Eltsine, période de la fin du XXe siècle que les Russes assimilent à une nouvelle « Smuta », soit à une époque de déliquescence au début du XVIIe siècle. L’idée de « smuta », de déchéance politique totale, est une hantise des Russes et des Chinois (leur XIXe siècle, après les guerres de l’opium) : pour les Européens de l’Ouest, la « smuta » première, c’est l’époque des « rois fainéants », des mérovingiens tardifs et les historiens, dans un avenir proche, considèreront sans nul doute l’Europe des Hollande, Merkel, Juncker, etc., comme une Europe affligée d’une « smuta » dont les générations futures auront profondément honte. 

 

Aujourd’hui, les risques auxquels la Russie est confrontée restent les mêmes que du temps de la guerre de Crimée ou du règne de Nicolas II. Elle est en effet tenue en échec en Mer Noire malgré le retour de la Crimée à la mère-patrie : l’OTAN peut toujours faire jouer le verrou turc. Elle est menacée dans le Caucase, où elle avait soumis les peuples montagnards après des campagnes extrêmement dures, très coûteuses en hommes et en matériels. Sous Alexandre II, elle franchit la ligne Caspienne-Aral pour s’avancer en direction de l’Afghanistan : cette marche en avant vers l’Océan Indien s’avère pénible et Alexandre II prend parfaitement conscience des facteurs temps et espace qui freinent l’élan de ses troupes vers le Sud. Le temps des campagnes doit être réduit, les espaces doivent être franchis plus vite. La solution réside dans la construction de chemins de fer, d’infrastructures modernes. 

 

Des ONG qui jouent sur tous les registres de la russophobie

 

La réalisation de ces projets de grande ampleur postule une modernisation pratique et non idéologique de la société russe, avec, à la clef, une émancipation des larges strates populaires. Le nombre réduit de la classe noble ne permettant pas le recrutement optimal de cadres pour de tels projets. Dès 1873, dès l’avancée réelle des forces du Tsar vers l’Afghanistan donc potentiellement vers le sous-continent indien, clef de voûte de l’Empire britannique dans l’Océan Indien, dit l’« Océan du Milieu », commence le « Grand Jeu », soit la confrontation entre la thalassocratie britannique et la puissance continentale russe. De 1877 à 1879, la Russie prend indirectement pied dans les Balkans, en tablant sur les petites puissances orthodoxes qui viennent de s’émanciper du joug ottoman. Entre 1879 et 1881, la Russie d’Alexandre II est secouée par une vague d’attentats perpétrés par les sociaux-révolutionnaires qui finiront par assassiner le monarque. La Russie faisait face à des révolutionnaires fanatiques, sans nul doute téléguidés par la thalassocratie adverse, tout comme, aujourd’hui, la Russie de Poutine, parce qu’elle renoue en quelque sorte avec la pratique des grands projets infrastructurels inaugurée par Alexandre II, doit faire face à des ONG mal intentionnées ou à des terroristes tchétchènes ou daghestanais manipulés de l’extérieur. Alexandre III et Nicolas II prennent le relais du Tsar assassiné. Nicolas II sera également fustigé par les propagandes extérieures, campé comme un Tsar sanguinaire, modèle d’une « barbarie asiatique ». Cette propagande exploite toutes les ressources de la russophobie que l’essayiste suisse Guy Mettan vient de très bien mettre en exergue dans Russie-Occident – Une guerre de mille ans. Curieusement, la Russie de Nicolas II est décrite comme une « puissance asiatique », comme l’expression féroce et inacceptable d’une gigantomanie territoriale mongole et gengiskhanide, alors que toute la littérature russe de l’époque dépréciait toutes les formes d’asiatisme, se moquait des engouements pour le bouddhisme et posait la Chine et son mandarinat figé comme un modèle à ne pas imiter. L’eurasisme, ultérieur, postérieur à la révolution bolchevique de 1917, est partiellement une réaction à cette propagande occidentale qui tenait absolument à « asiatiser » la Russie : puisque vous nous décrivez comme des « Asiates », se sont dit quelques penseurs politiques russes, nous reprenons ce reproche à notre compte, nous le faisons nôtre, et nous élaborons une synthèse entre impérialité romano-byzantine et khanat gengiskhanide, que nous actualiserons, fusionnerons avec le système léniniste et stalinien, etc. 

 

Pour affaiblir l’empire de Nicolas II, en dépit de l’appui français qu’il reçoit depuis la visite d’Alexandre III à Paris dans les années 1890, l’Angleterre cherche un allié de revers et table sur une puissance émergente d’Extrême-Orient, le Japon, qui, lui, tentait alors de contrôler les côtes du continent asiatique qui lui font immédiatement face : déjà maître de Taiwan et de la Corée après avoir vaincu la Chine déclinante en 1895, le Japon devient le puissant voisin tout proche de la portion pacifique de la Sibérie désormais russe. Londres attisera le conflit qui se terminera par la défaite russe de 1904, face à un Japon qui, suite à l’ère Meiji, avait réussi son passage à la modernité industrielle. Les navires russes en partance pour le Pacifique n’avaient pas pu s’approvisionner en charbon dans les relais britanniques, au nom d’une neutralité affichée, en toute hypocrisie, mais qui ne l’était évidemment pas... 

 

Le Transsibérien bouleverse la donne géostratégique

 

Les troupes russes au sol, elles, s’étaient déplacées beaucoup plus rapidement qu’auparavant grâce aux premiers tronçons du Transsibérien. L’état-major britannique est alarmé et se rappelle du coup de bélier des armées tsaristes contre la Chine, lorsqu’il s’était agi de dégager le quartier des légations à Pékin, lors du siège de 55 jours imposé aux étrangers, suite à la révolte des Boxers entre juin et août 1900. Le géographe Sir Halford John Mackinder énonce aussitôt les fameuses théories géopolitiques de la dialectique Terre/Mer et de la « Terre du Milieu », du « Heartland », inaccessible à la puissance de feu et à la capacité de contrôle des rimlands dont disposait à l’époque la puissance maritime anglaise. Le Transsibérien permettait à la Russie de Nicolas II de sortir des limites spatio-temporelles imposées par le gigantisme territorial, qui avait, au temps des guerres napoléoniennes, empêché Paul I de joindre ses forces à celles de Napoléon pour marcher vers les Indes. Henri Troyat explique avec grande clarté à ses lecteurs français tous ces projets dans la monographie qu’il consacre à Paul I. De même, la Russie avait perdu la Guerre de Crimée notamment parce que sa logistique lente, à cause des trop longues distances terrestres à franchir pour fantassins et cavaliers, ne lui avait pas permis d’acheminer rapidement des troupes vers le front, tandis que les navires de transport anglais et français pouvaient débarquer sans entraves des troupes venues de la métropole anglaise, de Marseille ou d’Algérie. L’élément thalassocratique avait été déterminant dans la victoire anglo-française en Crimée. 

 

La Russie de Nicolas II, bien présente en Asie centrale, va dès lors, dans un premier temps, payer la note que les Britanniques avaient déjà voulu faire payer à Alexandre II, le conquérant de l’Asie centrale, assassiné en 1881 par une bande de révolutionnaires radicaux, appartenant à Narodnaïa Voljia. La Russie d’Alexandre II pacifie le Caucase, le soustrayant définitivement à toute influence ottomane ou perse, donc à toute tentative anglaise d’utiliser les empires ottoman et perse pour contribuer à l’endiguement de cette Russie tsariste, conquiert l’Asie centrale et affirme sa présence en Extrême-Orient, notamment dans l’île de Sakhaline. Au même moment, les marines passent entièrement des voiles et de la vapeur (et donc du charbon) au pétrole. La Russie détient celui de Bakou en Azerbaïdjan. La possession de cette aire sud-caucasienne, la proximité entre les troupes russes et les zones pétrolifères iraniennes fait de la Russie l’ennemi potentiel le plus redoutable de l’Angleterre qui, pour conserver l’atout militaire majeur qu’est sa flotte, doit garder la mainmise absolue sur ces ressources énergétiques, en contrôler une quantité maximale sur la planète. 

 

L’assassinat de Stolypine

 

Comme le danger allemand devient aux yeux des Britannique plus préoccupant que le danger russe,  ­ -parce que la nouvelle puissance industrielle germanique risque de débouler dans l’Egée et en Egypte grâce à son alliance avec l’Empire ottoman moribond-  l’Empire de Nicolas II est attiré dans l’alliance franco-anglaise, dans l’Entente, à partir de 1904. Stolypine, partisan et artisan d’une modernisation de la société russe pour faire face aux nouveaux défis planétaires, aurait sans doute déconstruit progressivement et habilement le corset qu’impliquait cette alliance, au nom d’un pacifisme de bon aloi, mais il est assassiné par un fanatique social-révolutionnaire en 1911 (les spéculations sont ouvertes : qui a armé le bras de ce tueur fou ?). Stolypine, qui aurait pu, comme Jaurès, être un frein aux multiples bellicismes qui animaient la scène européenne avant la Grande Guerre, disparaît du monde politique sans avoir pu parachever son œuvre de redressement et de modernisation. La voie est libre pour les bellicistes russes qui joindront leurs efforts à ceux de France et d’Angleterre. Ce qui fait dire à quelques observateurs actuels que Poutine est en somme un Stolypine qui a réussi. 

 

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20/04/2016 | Lien permanent

Face au Grand Continent Eurasiatique (Jean Parvulesco)

 

Jean Parvulesco, La confirmation boréale, Sur le grand tournant actuel du gaullisme, Face au Grand Continent Eurasiatique, pp. 240-245, aux éditions Alexipharmaque

 

Charles de Gaulle lui-même, donnant comme une définition de son propre état de "concept absolu" : "Et moi au centre de ce déchaînement, je me sens remplir une fonction qui dépasse de très haut ma personne, servir d'instrument au destin."

 

En tant qu'instrument du destin, le "concept absolu" Charles de Gaulle se doit donc impérativement de dégager, avant tout, les grandes lignes de force de ce qui, au-delà de l’histoire, risque de porter le gaullisme vers l'accomplissement final de son destin propre, accomplissement révolutionnaire et impérial d'une certaine fatalité géopolitique dont il faut à la fois assumer et dépasser les conditions : la fatalité même de la situation géopolitique donnée à l'intérieur de laquelle vient à se poser le problème de l'Imperium Ultimum, ou de ce que nous autres nous appelons l'Empire Eurasiatique de la Fin.

 

Aussi, en des circonstances autres, j'en étais venu à me proposer à moi-même la question suivante : "A partir donc de la fatalité géopolitique planétaire du gaullisme en action, peut-on préfigurer, dialectiquement, les grandes lignes de force d'une géopolitique occulte du gaullisme ?" Ce à quoi je devais alors répondre, je tiens à le rappeler, de la manière suivante : "Pour le général de Gaulle, le concept géopolitique fondamental du monde actuel sera ce qu'il faut bien appeler, après certains autres, dont certains des nôtres, le Grand Continent Eurasiatique : aussi le destin géopolitique planétaire de l'histoire actuelle dans ses fins et partant le destin même de la France en tant qu'instrument privilégié, voire même unique d'une volonté extérieure à l'histoire, occulte, suprahumaine et divine, s'identifie ontologiquement au destin du Grand Continent Eurasiatique. Face à celui-ci, la dérive des Puissances Océaniques incarne le concept offensif de la négation anti-continentale, Puissances Océaniques dont l'anti-destin exige l'encerclement du Grand Continent Eurasiatique et de ses espaces d'être et de développement, pour leur infliger la loi subversive et anéantissante de l’Éternel Extérieur qui prétend sans cesse au statut d'Anti-Empire." La contre-stratégie, donc, du plus grand gaullisme en action, ou plutôt sa métastratégie contre-offensive, mobilisera-t-elle, alors, face à la dérive des Puissances Océaniques, le poids, tout le poids métastratégiques du Grand Continent Eurasiatique, en essayant de réactiver, et par la suite, de suractiver, ses potentialités telluriques originelles, ainsi que toutes ses dispositions transcendantales au dépassement suprahistorique, polaire, de l'histoire dans son cours actuel, face auquel il s'agit de dresser le barrage ontologique d'une volonté totalement éveillée, d'une volonté totalement à contre-courant, d'une volonté salvatrice de ce qui semblait ne plus pouvoir l'être, mais qui le sera quand même.

 

Il se fait donc que, de par cela même, le projet révolutionnaire suscité par l’interpellation géopolitique gaulliste de la fin, interpellation concernant, déjà, de la manière la plus directe, le Grand Continent Eurasiatique, ne saurait désormais plus se trouver posé que dans les termes mêmes de notre propre projet contre-stratégique originel, à savoir le projet déjà en cours de notre Empire Eurasiatique de la Fin.

 

Or que est-il donc, ce projet ? Il comprend en principe l'intégration impériale totale de l'Europe de l'Ouest fondée sur le pôle carolingien Franco-allemand, de l'Europe de l'Est et de la Russie, cette dernière y apportant, aussi, la Grande Sibérie, de l'Inde et du Japon.

 

Or, une fois que notre Empire Eurasiatique de la Fin se trouvera arrivé au niveau de l'accomplissement final de son propre projet fondationnel, il apparaîtra très nécessairement que son installation politico-historique en tant que telle ne saurait avoir d'autre raison d'être que le but ultime même du "grand gaullisme", du 'gaullisme de la fin", à savoir celui de faire qu'émergé révolutionnairement, au terme de l'histoire et comme de par sa simple présence là, le mystère en action de l'établissement de la Paix Mondiale. Car, pour ceux qui auront appris à plonger leur regard loin derrière la face immédiate de l'histoire, dans les profondeurs où l'histoire s'identifient secrètement, l'objectif métahistorique suprême du "grand gaullisme"se dévoile comme étant la Paix Mondiale. "Pais Mondiale", alors, dont les fondations occultes doivent être cherchées dans ce que les hermétistes appelaient, en d'autres temps, la Paix Profonde, ou la Pax Profunda, de nos derniers Rose-Croix. Ainsi le général de Gaulle devait-il déclarer, en toute clarté : "La France est pour la Paix, il lui faut la Paix. La France, pour renaître vraiment, pour se refaire et pour s'étendre, au sens le plus noble du terme, il lui faut la Paix. Par conséquent, la France cherche la paix, cultive la paix, aide l paix, partout." Et c'est bien aussi ce qu'écrivait, à son tour, Dominique de Roux dans son livre visionnaire sur Charles de Gaulle : "Le gaullisme, c'est la guerre révolutionnaire mondiale. L'histoire occidentale à sa fin, c'est l'histoire de la subversion mondiale du gaullisme. Le destin, la mission la stratégie totale de la troisième France, c'est la subversion mondiale française pour la paix."

 

C'est par l'établissement révolutionnaire de la Paix Mondiale que l'Empire Eurasiatique de la Fin pourra mettre les bases suprahistoriques de l'avènement à terme du Regnum Sanctum, et quand nous l'aurons vraiment compris cela voudra dire que nous nous trouvons déjà engagés dans la voie qui nous y mènera immanquablement.

 

En tant que "concept absolu" de l'histoire occidentale du monde à sa fin, Charles de Gaulle savait, depuis déjà la fin de la dernière guerre, que sa plus profonde prédestination était celle de pourvoir à l’établissement politico-historique du pôle carolingien Franco-allemand comme fondement, comme base opérationnelle de départ pour le futur grand Empire Européen, pour l'Empire Eurasiatique de la Fin. De cela, ses Mémoires en témoignent, quand il relate son premier voyage en Allemagne après la guerre, l'hiver de 1945, voyage entrepris pour qu'il puisse rappeler, sur place, ces "liens qui jadis rapprochaient la France et l'Allemagne" et qui devaient refaire surface, à nouveau, pour servir à bâtir "notre Europe", et "notre Occident". Et il y a aussi, et surtout, son célèbre discours dans les Charentes, en juin 1903, où il y avait prophétiquement déclaré que, s'étant réunies par un "destin commun", la France et l'Allemagne avaient accompli ensemble, une "Révolution Mondiale". Or le fait de considérer la réunion, en un destin commun, de la France et de l'Allemagne comme une "Révolution Mondiale", ne constitue-t-il pas, en lui-même, la clef décisive pour une intelligence vraiment transcendantale de la doctrine visionnaire de Charles de Gaulle sur la mission impériale finale des deux pays par rapport aux destinées ultimes de la plus Grande Europe et de cet Empire Eurasiatique dont il se voulait l'inspirateur dans l'ombre, l'agent d'exécution secrètement choisi d'avance et qui mènera sa mission jusqu'au bout ?

 

Cependant, ni l'établissement politico-historique de la plus Grande Europe, ni même le projet en action de l'Empire Eurasiatique de la Fin ne pouvaient représenter des buts en soi, mais, dans la vision suprahistorique du "concept absolu" Charles de Gaulle, seules des étapes intermédiaires, préparatoires, du but ultime, du but unique et suprême qui seul pouvait accomplir la prédestination ultime et occulte de la France, à savoir celui de pourvoir à l'avènement du Regnum Sanctum, de ce Regnum Sanctum qu'il fallait, qu'il appartenait à la France de faire émerger, au terme de l'histoire, comme l'Empire de la Paix, comme l' "Empire de la Paix Profonde".

 

Pour la doctrine cachée du "grand gaullisme", du 'gaullisme de la fin", c’est le Regnum Sanctum qui constitue le but d'au-delà de tous les buts, celui qui prévoit le terme ultime et l'ultime accomplissement de la chaîne eschatologique dont les destinées et jusqu’au devenir même se trouvent situés sous la haute-veille d'une certaine France autre, d'une certaine "France Secrète". Et tel est, aussi, le "vrai secret", le "secret fondationnel" de la France, l'héritage supratemporel de la "France Secrète".

 

Le moment est donc venu pour que l'on se demande quel peut bien être le sens propre, le dévoilement entier du concept eschatologique final de Regnum Sanctum.

 

"Vive le Christ, qui est le Roi de France", s'écriait Jeanne d'Arc, et l'on sait aussi que "Marie est la vraie Reine de France". Et un certain catholicisme mystique et eschatologique n'affirme-t-il que la France se trouve être, dans l'invisible, le "Royaume du Sacré-Cœur et du Cœur Immaculée de Marie" ?

 

Dans la même perspective eschatologique, il est entendu qu'au terme ultime de l'histoire, un Regnum, un Imperium situé à la fois dans l'histoire et comme déjà au-delà de l'histoire va se lever, de dimensions planétaires, et sur lequel règneront, en quelque sorte directement, d'une manière spéciale, par des médiations à l'heure présente tout à fait inconvenables, "le Sacré-Cœur de Jésus et le Cœur Immaculée de Marie" : ce sera l'Empire de la Paix, l' "Empire de la Paix Profonde", le Regnum Sanctum préfigurant la "Jérusalem Céleste" dont l'Apocalypse de saint Jean annonce la "descente finale".

 

Et souvenons-nous en : quand, en voyage officiel en Russie, le général de Gaulle avait fait fait ouvrir l'église française de Moscou, pour y faire dire la messe en latin pour lui-même et le petit groupe des siens, cette messe il l'avait lui-même voulue à l'intention précisément du Regnum Sanctum. Je vois là un puissant symbole, sur lequel il serait me semble-t-il bon que l'on s'attache à réfléchir. Profondément.

 

Et cette réflexion, pourquoi ne pas la poursuivre plus loin encore : car n'est-il pas évident que c'est bien ce qui, dans le visible, se trouve chargé de précéder historiquement le Regnum Sanctum, à savoir l'Empire Eurasiatique de la Fin, qui va être appelé à constituer aussi, dans l'invisible, les fondations suprahistorique de celui-ci ?

 

En effet, pour qu'une apparition divine puisse avoir lieu, pour qu'une entité venue d'en-haut parvienne à se manifester en toute plénitude, il faut qu'il y ait un espace, un "lieu donné" - spécialement préconçu pour cela, un sanctuaire ardent voué à la réception complaisante de la puissance inconnue s'apprêtant à se montrer, à descendre-là. Alors, pas d'apparition sans son sanctuaire préconçu, pas de Regnum Sanctum dans l'établissement préalable, dans le cours de l'histoire, de l'Empire Eurasiatique de la Fin.

 

C'est ainsi que cette succession de mobilisations impériales au niveau d'engagement spirituel suractivé, paroxystique, et de plus en plus élevé ) succession devant culminer avec l'Empire Eurasiatique de la Fin - dont on prévoit ici les développements désormais certains, devra finalement aboutir à la constitution - l' "avènement" - de ce suprême sanctuaire de réception transcendantale qui va alors être, en soi-même et le moment venu, le Regnum Sanctum. Avec le Regnum Sanctum, il s'agit donc de l'Imperium à la fois présent encore dans l'histoire et déjà au-delà de l'histoire, disposant d'une temporalité propre et avec une organisation intérieure du pouvoir paradigmatiquement identique au modèle archaïque, préontologique, des origines polaires, "divines" du cycle à ce moment-là révolu. Et annonçant, de par sa seule présence-là, les futurs recommencements du monde à venir, dont le projet fondationnel nous serait à l'heure actuelle totalement inconcevable, interdit à toute approche en conscience, et dont seule une préconscience visionnaire supérieure, non-reflexive, pourrait éventuellement nous laisser comme à peine entrevoir la figure resplendissante perdue dans les gouffres du plus extrême lointain.

 

Aussi la géopolitique du Grand Continent Eurasiatique conduit-elle tout droit, à travers le projet de l'Empire Eurasiatique de la Fin, au concept même du Regnum Sanctum, et c'est pourquoi cette géopolitique possède une dimension sacrée. On pourrait même dire, à la rigueur, que la géopolitique du Grand Continent Eurasiatique se trouve dédoublée par une géopolitique sacrée, que ses développements se maintiennent dans un horizon totalement sacré. Car la géopolitique finale du Grand Continent Eurasiatique est la géopolitique même de la fin de l'actuelle histoire du monde.

 

Cela, comment Charles de Gaulle aurait-il pu être amené à le comprendre, s'il n'avait pas déjà atteint à l'état de "concept absolu" de l'histoire de son temps et des temps immédiatement ultérieurs à celle-ci ?

 

De toutes les façons, l'action politique - la grande action politique - reste l'outil de manœuvre essentiel, l'arme de combat et d'affirmation de l'absolu dans l'histoire, ce par quoi celui-ci y manifeste sa volonté et poursuit ses desseins : on y découvre ainsi la profonde relation agissante qui relie la "grande action politique" et l' "action secrète" de la Divine Providence dans le cours souterrain de l'histoire.

 

Les dimensions politico-historiques immédiates de nos actuelles actions sur le terrain, de toutes nos actions à venir concernant le projet en cours de l'Empire Eurasiatique de la Fin relèvent donc, en dernière analyse, d'une entreprise révolutionnaire de longue haleine, dont l'identité d'ensemble se révèle ainsi comme étant essentiellement de nature providentielle expliquée par l'action menée par en-dessous par la Divine Providence elle-même.

 

Se figure-t-on, cependant, la somme colossale d'actions politico-historiques à maîtriser, à faire converger dans un but unique par la nécess

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12/12/2014 | Lien permanent

Le réalisme et ses limites (Alexandre Douguine)

 

Alexandre Douguine, Pour une théorie du monde multipolaire, Le réalisme et ses limites,  pp. 24-30, aux éditions Ars Magna

 

L'un des deux principaux paradigmes qui dominent les relations internationales, est le réalisme. Le réalisme possède plusieurs variétés : du réalisme classique de H. Morgenthau, E. Carr et R; Aron en passant par le réalisme moderne de H. Kissinger, jusqu'au néo-réalisme de K. Walts, S. Walt ou R. Gilpin.

 

Les postulats de base du réalisme sont les suivants :

 

- Les principaux acteurs des relations internationales sont les États-nations ;

- La souveraineté des États-nations implique l'absence de toute autorité réglementaire, dépassant les frontières de l’État ; 

- Ainsi c'est l'anarchie (le chaos) qui règne entre les différents pays dans la structure des relations internationales ;

- Le comportement de l’État sur la scène internationale est soumis à la logique de la sécurisation maximale des intérêts nationaux (réductible à un calcul rationnel dans chaque situation particulière) ;

- L'autorité de l’État souverain est la seule instance compétente pour conduire la politique étrangère, la comprendre et la mette en œuvre (les citoyens ordinaires, des individus lambda, par définition, ne sont pas compétents pour juger le domaine des relations internationales et ne sont pas en mesure d'influencer les processus se produisant y ayant cours) ;

- La sécurité des États face à la menace ou la rivalité extérieure potentielle est la principale tâche de l'autorité politique du pays dans les relations internationales ;

- Tous les États sont potentiellement en guerre les uns contre les autres pour assouvir les intérêts égoïstes (la guerre potentielle ne devient réelle que dans certaines situations où les conflits d’intérêts atteignent un niveau critique) ;

- La nature des États et celle de la société et celle de la société humaine reste immuable quelles que soient les changements historiques et ne sont pas enclines à changer dans le futur ;

- L'aspect factuel des processus dans les relations internationales est plus important que l'aspect normatif ;

- Le niveau ultime d’explication des structures des relations internationales et des évènements y prenant place, est l’identification des faits objectifs et de slois, qui ont une base matérielle et rationnelle.

 

Le réalisme dans les relations internationales présente cette différence qu'il perçoit le système westphalien comme une loi universelle, qui existait déjà dans les premiers stades de l'histoire, mais qui aurait été reconnue et adoptée par la majorité des puissances européennes développées à partir du XVIIème siècle. L'approche réaliste européenne est basée sur le principe de l'absolutisation de la souveraineté des État-nation et de l'importance de premier plan des intérêts nationaux. Dans le même temps, les réalistes ont accueilli avec scepticisme toute tentative de créer des institutions juridiques internationales qui prétendent réguler les processus au sein des relations internationales, sur la base de normes et de valeurs à caractère international (supra-national). Toute tentative de limiter la souveraineté des États-nations est vu par les réalistes comme une forme d' "idéalisme" (E. Carr) ou du "romantisme" (Carl Schmitt).

 

Les réalistes sont convaincus que toute association ou, au contraire, désintégration d'États traditionnels, doit conduire à l'émergence de nouveaux États-nations, vouée à reproduire le même schéma régulier à une échelle plus ou moins grande, scénario constamment soumis aux principes immuables de la souveraineté, des intérêts nationaux, et au fait que l’État doit demeurer en toutes circonstances le seul acteur à part entière des relations internationales.

 

Un des fondateurs du réalisme classique, Hans Morgenthau a souligné cinq principes de base et les postulats de cette école :

 

1 - La société est régie par des lois objectives, et non en fonction des vœux pieux, 

2 - L'essentiel dans les affaires internationales est l’intérêt, défini en termes de force et de puissance,

3 - Les intérêts des États sont changeants,

4 - La politique requiert nécessairement le rejet de la morale,

5 - L'enjeu principal dans les relations internationales peut être ainsi formulé : comment cette politique affecte les intérêts et le pouvoir de la nation ?

 

L'identification de ces cinq domaines, l'analyse de la façon dont il a été répondu à ces questions, et avec quelle efficacité ces réponses ont été comprises par les réalistes. Le réalisme classique se limite à ces points de départ, qu'il défend et justifie face à ses principaux adversaires idéologiques (qui, dans les relations internationales, sont les libéraux).

 

Le néo-réalisme complique qualitativement ce schéma, en y apportant le concept de "structure" dans les relations internationales (K. Waltz) Au lieu du chaos et l'anarchie (comme c'est le cas pour le réalisme classique), la sphère des relations internationales connaît une constante évolution de l'équilibre des pouvoirs, dont le potentiel cumulatif, agissant dans différentes directions, peut maintenir l'ensemble du système mondial dans une même position, ou bien, dans certains cas, provoquer des changements. Ainsi, la souveraineté, son champ d'application, et, par conséquent, sa capacité à réaliser dans une certaine mesure l’intérêt national, dépend non seulement de l’État lui-même, mais également de ses adversaires et concurrents directs dans chaque situation particulière, et aussi de toute la structure de l'équilibre global des pouvoirs. Cette structure selon les néo-réalistes, influence activement le contenu et la portée de la souveraineté nationale, et même la formulation des intérêts nationaux.

 

Si les réalistes classiques basent leur analyse avec l’État individuel, les néo-réalistes, quant à eux, partent de la structure globale, qui est composée des États individuels, et qui affecte le profil de ces derniers. Dans le même temps, comme les réalistes classiques, les néo-réalistes présument que le principe essentiel de la politique d'un pays dans les relations internationales est le principe d' "autonomie" (self-help).

 

Dans les années 1960-1970, les néo-réalistes ont apporté une substance à la théorie du monde bipolaire, avec le modèle de structure des relations internationales fondé sur l'équilibre des deux hégémonies (états-unienne et soviétique). C'est cette structure même, plutôt que les intérêts des différents États-nations, dans ce cas, qui a déterminé entièrement la politique étrangère de l'ensemble des pays du monde. Le calcul des intérêts internationaux (et, par conséquent, les étapes de leur mise en œuvre) lui-même part de l’analyse de la bipolarité, de la localisation de chaque pays particulier sur la carte de cet espace bipolaire, avec les caractéristiques géopolitiques, économiques, idéologique et politique qui y correspondent.

 

Lorsque, en 1991, le monde bipolaire s'est effondré (ce que les néo-eurasistes n'avaient pas été en mesure de prédire et d'anticiper, convaincus qu'ils étaient de la stabilité de la structure bipolaire), plusieurs représentants de cette école (par exemple, R. Giplin, S. Walt et M. Rupestre) ont justifié un nouveau modèle de la structure globale, correspondant à un monde unipolaire. A la suite des deux hégémonies est apparue l'hégémonie états-unienne unique, qui depuis lors a prédéterminé la structure des relations internationales à l'échelle mondiale.

 

Mais dans ce cas aussi, les néo-réalistes sont convaincus qu'au centre de l'ensemble du système se trouvent les intérêts nationaux. Dans des conditions du monde unipolaire ce sont les intérêts nationaux d'un seul pays - les États-Unis, lequel se trouve au centre de l'hégémonie mondiale et à sa source. D'autres pays s'inscrivent dans cette image asymétrique, en assurant la corrélation entre leurs propres intérêts nationaux à l'échelle régionale et la structure globale.

 

Dans les relations internationales, la politique réaliste a tendance, en règle générale, à s'incarner chez les représentants des partis de la droite conservatrice (les républicains aux États-Unis, les conservateurs au Royaume-Uni, etc.)

 

Il convient de noter que le réalisme est l'un des deux paradigmes les plus populaires aux États-Unis dans l'évaluation et l'interprétation des évènements et des processus qui se déroulent dans la politique internationale.

 

La paradigme réaliste n'opère pas un choix entre la paix de Westphalie, fondée sur la souveraineté de nombreux États-Nations, la bipolarité ou l'unipolarité. Différents partisans de l'approche réaliste peuvent avoir à ce sujet des opinions différentes. Mais ils partagent l'ensemble des vérités axiomatiques mentionnées précédemment, et la conviction que quel que soit leur nombre, dans leurs relations les uns avec les autres, les États-nations agissent en tant qu'acteurs principaux et supérieurs dans le domaine du droit international, et, par conséquent, la souveraineté, les intérêts nationaux, la sécurité et la défense sont les principaux critères pour l’analyse des problèmes associés aux relations internationales.

 

Les réalistes ne vont jamais, dans leurs théories, au-delà de l’État-nation ou de plusieurs États-nations car cela serait en contradiction  avec leurs postulats de base. Par conséquent, les réalistes sont toujours sceptiques quant aux instances, institutions et processus internationaux qui auraient pour effet de limiter les souverainetés nationales. Les réalistes ne reconnaissent aucune réalité politique concrète aux structures de pouvoir supranationales (ni infranationale), dans la sphère internationale. Pour eux, la politique étrangère relève entièrement du domaine de compétence juridique de l'autorité politique des États-nations. Les positions des instances internationales ou des segments distincts au sein de l’État-nation n(ont pas de poids et peuvent être dévaluées et simplement prises en considération dans le processus de prise de décision politique par les autorités légalement en charge de la politique étrangère (lesquelles dépendent du droit interne de pays concernés).

 

Il en résulte que les réalistes sont sceptiques quant à la globalisation, l'internationalisation et l’intégration économique et ne cessent de débattre avec ceux qui accordent au contraire une attention à ces questions.           

 

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 The Fourth Political Theory: beyond left and right but against the center

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07/12/2014 | Lien permanent

Le gaullisme, une doctrine du déchiffrement (Jean Parvulesco)

 

Jean Parvulesco, La confirmation boréale, Sur le grand tournant actuel du gaullisme, « Les desseins du prince ne sont bien connus que par l'exécution », pp. 248-252, aux éditions Alexipharmaque

 

Avec des moyens somme toute dérisoire comparés à ceux dont disposaient ses adversaires, l’aventure politico-historique du gaullisme a été une entreprise essentiellement désespérée, poursuivant inlassablement son opposition acharnée à la double conspiration anti-européenne de dimension planétaires et de profondeur suprahistorique constituée par les États-Unis et l'URSS. Et alors qu'il était inconcevable qu'il puisse réussir, étroitement bloqué comme il se trouvait par l’étau fatidique de la perpétuation de fait des accords de Yalta, le général de Gaulle avait quand même fini par l'emporter sur toute la ligne.

 

Avec cette décision résolue, inconditionnelle – l'Entschlossenheit heideggérien – de la foi visionnaire, ontologiquement engagée, le général de Gaulle, dans une solitude glaciale, a néanmoins poursuivit sans relâche, d'échec en échec plutôt que de réussite en réussite, l’œuvre de redressement qu'il avait faite sienne, la mission secrète qui lui avait été confiée par la Providence, à savoir, au-delà de la décolonisation et de ses arrières-batailles, celle de ramener la France à son statut antérieur de superpuissance politique planétaire, afin qu'il en fasse l'instrument suractivé de la mise en place de l’unité impériale européenne grand-continentale. Car, derrière le redressement de la France, le générale de Gaulle n'a pas un seul instant cessé de viser le redressement suprahistorique final de la plus Grande Europe.

 

Aussi, à regarder avec une attention entendue ce qu'auront été les cinq grandes échecs du gaullisme au pouvoir, l'image en creux se précisera-t-elle mieux, devant nous, des arrière-pensées du « grand dessein » politico-historique révolutionnaire que nourrissait confidentiellement le général de Gaulle tout le long de ses batailles politiques immédiates. La grille de déchiffrement de ces cinq échecs est décisive.

 

1) En premier lieu, il faut considérer l'échec de ce qu'aurait dû être l'intégration politique totale franco-allemande, la constitution – la reconstitution – immédiate, de fait, d'un Pôle Carolingien, par l'union de la France et de l'Allemagne, les deux pays ne faisant plus qu'un, avec un seul gouvernement et une seule identité politico-administrative, afin que l'on puisse ainsi mettre en œuvre l'intégration politique accélérée de l'ensemble de l'Europe de l'Ouest. A juste titre le général de Gaulle avait-il donc défini l'union politique franco-allemande comme une Révolution Mondiale, eine Totale Weltrevolution.

 

On sait que le chancelier Konrad Adenauer avait été entièrement gagné à ce projet lors des trois jours qu'il avait passé à Colombey les Deux Églises, hôte personnel du général de Gaulle, mais que la décision finale a échouée à causes des déficiences de l'appareil politique ouest-allemand gangrené par les séquelles démocratiques de l'occupation, complètement tenu comme celui-ci se trouvait par les États-Unis, qui s'y opposaient farouchement. On en subit jusqu'à présent, et de quelle dramatique manière encore, les conséquences de ce premier grand échec gaulliste, qui fut aussi un échec terrible pour l'ensemble du continent européen, notre échec fondamental.

 

2) Il y eut ensuite l'issue malheureuse de la tentative de libération du Québec, où le général de Gaulle avait essayé d'installer une tête de pont politico-stratégique européenne, base d'une future grande politique d'intervention européenne au cœur même de l'espace continental des États-Unis, antécédents ainsi, prophétiquement, sur l'actuelle opération d'investissement supracontinentale des États-Unis qui, à travers leur intervention politico-militaire dans le Sud-est européen, en Bosnie et au Kossovo, viennent établir, à leur tour, en inversant la continent européen. Tête de pont à partir de laquelle les États-Unis comptent entamer le processus sur le terrain de leur prochaine entreprise d’assujettissement politique de l'ensemble de l'Europe – de l'Ouest et de l'Est – et cela surtout pour empêcher que la Russie ne puisse y pourvoir son rôle suprahistorique décisif par l'intermédiaire de l'axe transcontinental Paris-Berlin-Moscou, qui constitue, aujourd'hui, le principal soucis géopolitique de Washington. Avec le ratage de la libération du Québec, la géopolitique gaulliste d'attaque s'est vue interdire l'ouverture planétaire décisive de son « grand dessein  » confidentiel. Deuxième coup de barre après l'échec de l'intégration politique totale de la France et de l'Allemagne, le ratage de la libération du Québec avait en fait sonné le glas de l'entreprise géopolitique impériale de la France gaulliste, en arrêtant brutalement sa marche en avant révolutionnaire.

 

3) Le troisième grand échec du général de Gaulle apparaît comme avoir été celui de sa doctrine de la participation, derrière laquelle se tenait sa volonté d'une rupture, d'un renversement révolutionnaire de fond, à la fois ultime et total, des structures capitalistes en place, rétrogrades et subversives, tenues par en dessous par la conspiration mondialiste et apatride permanente. La doctrine gaulliste de la participation s'utilisant à installer un régime social révolutionnaire , issu d'un pacte féodal de type nouveau et visant la mise en état d'une nouvelle féodalité impériale grand-européenne où la lutte de classe et jusqu'à la notion de propriété elle-même se trouvaient dépassés par la nouvelle réalité révolutionnaire d'une identité impériale autre, par un autre commencement impérial de la société changée dans ses profondeurs, transfigurée. Ce sont les propres défaillances de l'appareil d’État gaulliste lui-même qui avaient permis la disqualification sur le terrain de la doctrine de la participation, et en premier lieu l'opposition sournoise et décidée, l'action subversive en profondeur de George Pompidou, l'homme de l'emprise capitaliste de fait et de la Banque Rotschild, l'inertie administrative et le sabotage politique dans l'ombre l'ayant finalement emporté sur la volonté révolutionnaire du général de Gaulle, que soutenaient néanmoins dans son combat des hommes comme François Ferroux et René Capitant, héros de l'entreprise de libération sociale révolutionnaire de la France et de l'Europe, aujourd'hui plus ou moins oubliés, mais dont l'heure reviendra.

 

4) Mai 1968, enfin : le général de Gaulle saura finalement faire face, mais, un an plus tard, la vague de fond déclenchée, en mai 1968, par les services spéciaux de Washington et les structures clandestines de l'intérieur et de l’extérieur de la France dans les ens de son autodestitution, l'emportera quand même, et ce sera, à terme, la fin du gaullisme. L’extraordinaire conspiration de mai 1968 avait été rendue possible, avant tout, par la faillite totale des services de renseignement politico-stratégiques du régime gaulliste en place, qui s'étaient très à dessein laissés empêcher de prévoir ce qui était en train de se manigancer souterrainement, ainsi que par l"inconcevable trahison politique concertée et l'ineptie foncière de ses propres structures politico-adminstratives d’État, inadéquates, dépassés, nocives, et sans doute, finalement, aussi, complices.

 

5) Et vint, en 1969, le départ soi-disant volontaire du général de Gaulle de la direction des affaires. En fait, au-delà du double prétexte du referendum fatal – d'une part,

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15/12/2014 | Lien permanent

L'eurasisme classique en tant que manifestation du platonisme russe (Alexander Bovdunov)

 

Source : Katheon

 

 
 

L'an dernier, en 2020, cela faisait cent ans que Nikolaï Trubetskoi avait publié le livre "Europe et humanité" dans la capitale bulgare, Sofia. C'est à partir de là que l'on peut parler de la philosophie russe connue sous le nom d'eurasisme.

 

On pourrait dire que l'eurasisme est l'aboutissement de la pensée politique conservatrice russe, c'est-à-dire une forme d'opposition radicale à la modernité incarnée à l'époque par la civilisation européenne. De plus, l'eurasisme est l'héritier direct de la philosophie des slavophiles, de Danilevsky et de Leontiev. Cependant, l'eurasisme se distingue de ces courants antérieurs en ce qu'il a créé une doctrine étatique et politique qui propose une certaine forme d'organisation du pouvoir et de l'État russes.

 

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Cette philosophie est sans aucun doute le résultat d'une expérience traumatisante qui a affecté la vie et la pensée de ses représentants : le déclenchement de la révolution russe, la guerre civile, l'effondrement de la Russie historique et l'émergence d'une nouvelle formation politique connue sous le nom d'URSS. Tous ces événements ont appelé à une réévaluation du passé et à la nécessité de trouver les piliers éternels et intemporels qui permettraient une renaissance de la Russie.

 

Quelle est la manière la plus appropriée de classer la pensée eurasienne ? Si nous partons de la théorie du "sujet radical" d'Alexandre Douguine et de sa Noomachiepour analyser la biographie des fondateurs de l'eurasisme, en particulier Piotr Savitsky (photo, ci-dessous; que Boulgakov considérait comme faisant partie de la "Garde Blanche"), alors nous pouvons conclure que la seule philosophie politique que les Eurasiens pouvaient suivre était le platonisme politique.

 

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Considérer que l'eurasisme était une forme de platonisme politique russe est tout à fait intéressant, mais cela signifie aussi le comprendre sur la base d'une série de formulations, de concepts et de schémas cohérents.

 

Si nous examinons l'eurasisme de près, nous nous rendons compte que ses racines platoniciennes sont tout à fait évidentes et que la structure étatique, politique et sociale qu'ils décrivent est très similaire à celle qui a été réalisée dans l'œuvre Proposition pour une future structure étatique du père Pavel Florensky (photo, ci-dessous), qu'il a écrite à un moment très difficile de sa vie et à l'aube de sa mort.

 

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Structuralisme ontologique

 

Le chercheur suisse Patrick Serriot a avancé la thèse que les piliers idéologiques de l'eurasisme se trouvent dans une forme de structuralisme ontologique ou platonicien (Structure et totalité. Les origines intellectuelles du structuralisme en Europe centrale et orientale) qui sont reprises par le structuralisme français de Levi-Strauss, issu de la linguistique développée par Troubetskoi et arrivé en France par Roman Jakobson. À son tour, Troubetskoi a été grandement influencé par la géographie structurelle de Savitsky.

 

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Rustem Vakhitov, l'un des principaux spécialistes russes de l'eurasisme, a montré que Savitsky a exploré "le concept selon lequel toutes les couches de la réalité étaient imprégnées d'idées organisationnelles (eidos) dans les années 1920-1930, ce qui lui a permis plus tard d'affirmer que l'univers entier participait à un rythme unique". Savitsky considérait que "l'idée était un fragment de l'esprit habitant la matière" et que cela révélait que le monde était gouverné par un esprit divin.

 

Le développement local : l'incarnation de l'idée

 

La théorie eurasienne du développement local est étroitement liée au concept de l'idée organisationnelle.

 

Le développement local est une sorte de synthèse de l'espace et de la culture qui préfigure le particulier. L'idée d'organisation se manifeste parfois dans l'esprit humain, parfois dans les choses. Néanmoins, l'idée précède toujours tout ce qui existe. Savitsky affirme dans son article sur "Le pouvoir de l'idée organisationnelle" que "l'existence de l'idée organisationnelle imprègne la réalité sociale et l'eidos, qui à son tour contrôle les phénomènes et la cognition des phénomènes".

 

D'où la formulation de l'idéocratie non seulement comme un concept abstrait, mais comme une idée au sens platonicien.

 

L'idéocratie, au sens plein du terme, est la capacité de s'élever jusqu'à une idée organisationnelle et de la comprendre. Ce n'est que de cette manière que nous pouvons découvrir la Force de l'Idée qui règne sur l'ordre politique et social. Par conséquent, seuls ceux qui comprennent cette Idée-Force peuvent gouverner.

 

Savitsky considère que les exemples organisationnels de cette Idée-Force en Russie sont l'autarcie ou l'économie mixte, car les Russes ont toujours été enclins à ces formes économiques.

 

Toutefois, l'élite eurasienne doit être consciente de ces idées et les intégrer consciemment, contrairement à la Russie des Romanov ou à l'URSS.

 

Savitsky affirme que "l'autarcie russe n'est possible qu'au sein du système eurasien, car c'est seulement dans ce dernier qu'elle est idéale et nécessaire. La doctrine Russie-Eurasie fait partie d'une forme particulière de "personnalité symphonique" qui correspond pleinement à la thèse eurasiste de la Russie en tant qu'entité géographique, historique, ethnographique, linguistique, etc. particulière".

 

L'idéocratie ou le règne des "gardiens"

 

La philosophie politique de l'eurasisme repose sur des concepts tels que la "sélection eurasienne" et l'"idéocratie". Et comme toute philosophie platonicienne, elle estime que seuls les meilleurs doivent gouverner : il est donc nécessaire d'établir un système qui éduque cette élite sous les slogans de l'abnégation et autres valeurs aristocratiques. Par exemple, Nikolai Troubetskoi, dans son article "Sur le dirigeant d'un État idéocratique", affirme que "la sélection d'une élite idéocratique doit non seulement tenir compte d'une perspective générale, mais aussi de la volonté du dirigeant de se sacrifier. Cet élément de sacrifice, ainsi que sa mobilisation permanente et la lourde charge qu'elle implique, est la compensation des inévitables privilèges liés à l'exercice d'une telle fonction". Troubetskoi souligne également que "l'Idée-Force d'un État véritablement idéocratique doit profiter à la totalité des peuples qui habitent ce monde autarcique".

 

Ces idées platoniciennes se retrouvent également dans la jurisprudence eurasienne développée par Nikolai Alekseev, bien que ce dernier ne parle pas d'idéocratie, mais d'idéologie dans l'intention d'éviter le psychologisme excessif qu'implique le mot "idée". Alekseev soutient que l'eidos n'est pas seulement une idée particulière, mais "la sémantique nécessaire, intégrale, contemplative et mentalement tangible du monde". Elle est la vérité et non une représentation subjective (comme le mot idée le désigne souvent). Ainsi, l'élite "doit révéler la plus haute vérité religieuse et philosophique que nous devons servir comme s'il s'agissait d'un tout. En ce sens, la Force des Idées n'est pas quelque chose d'extérieur ou d'imposé à un peuple particulier, mais quelque chose qui lui est interne. Selon M. Alekseev, l'État et le système doivent être protégés par les "gardiens" : "l'idée approuvée dans la Constitution est le guide et la forme d'action au moyen desquels l'État est gouverné. Elle inspire ses dirigeants, c'est-à-dire ses défenseurs ou "gardiens" (une image platonicienne évidente) qui sont ses serviteurs". Il s'agit de faire en sorte que l'État et l'ensemble de sa constitution servent cet idéal.

 

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Conclusion

 

Ce n'est que dans le cadre de la philosophie politique du platonisme que nous pourrons comprendre l'eurasisme, car ce n'est qu'à partir de ses concepts et de sa méthodologie que son sens est révélé. Sinon, l'eurasisme ne serait qu'un amalgame de théories et de définitions obscures.

 

C'est à partir des thèses du platonisme que nous pourrons séparer notre pensée des développements archéo-modernes ultérieurs.

 

Les Eurasiens doivent comprendre l'eurasisme comme une forme de platonisme et les œuvres de nos prédécesseurs doivent être lues à partir d'une vision platonicienne du monde. D'autres manières d'interpréter l'eurasisme devraient être examinées à la loupe. Néanmoins, des concepts tels que l'idéocratie, la sélection eurasienne, l'État garant ou l'Idée-Force (en tant que principe méthodologique) nous fournissent la base pour construire une philosophie politique platonique pour la Russie et la création d'un État russe platonique.

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05/01/2022 | Lien permanent

Manifeste de « l'Ordre Nouveau » (1931)

Jean-Louis Loubet Del Bayle, Les non-conformistes des années 30 – Une tentative de renouvellement de la pensée politique française, Annexes – Documents, II. « L'ORDRE NOUVEAU », Éditions du Seuil

 

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A. MANIFESTE DE « L'ORDRE NOUVEAU » (1931)

 

L'Ordre Nouveau est essentiellement un groupe d'esprits nonconformistes et révolutionnaires. Ce dernier mot a tellement été galvaudé que nous croyons devoir définir en quoi et pourquoi nous sommes révolutionnaires.

 

Pour des raisons actuelles et pour des raisons éternelles, pour des raisons pratiques et des raisons philosophiques ; à cause des nécessités extérieures imposées aux hommes d'aujourd'hui par l'état actuel du monde ; à cause des nécessités intérieures de la personne humaine . Et d'autre part parce que, dans l'histoire sociale comme dans l'histoire naturelle, il n'est pas d'évolution sans révolutions.

 

1°) Causes pratiques de notre attitude :

 

La crise mondiale actuelle est sans issue autre que des révolutionnaire, quelle que soit sa vitesse d'évolution. Du capitalisme libéral au capitalisme d’État, aucune solution conformiste, libérale ou marxiste, ne résiste à une analyse méthodique,. D'autre part, l'évolution de l'ordre présent des choses, même sans la crise catastrophique actuelle, comporte nécessairement la guerre (nationale ou coloniale), pièce essentielle de tout système uniquement matérialiste.

 

Est-il possible, pour un esprit clairvoyant, d'accepter ce fatal processus qui va du désordre économique aux misères du chômage, de la stupide guerre économique à la stupide guerre nationale ?

 

2°) Causes spirituelles de notre attitude :

 

a) Le caractère spécifique de l'humanité est la violence active et créatrice, résultant de l'expansion normale de l'homme.

 

b) Tous les réformistes aboutissent à la négation des valeurs supérieures de la personnalité humaine.

 

c) les cadres rationnels et abstraits (frontières nationales, système bancaire) ne peuvent être brisés que par une volonté de rupture avec l'ordre social actuel.

 

La révolution que nous préconisons est avant tout psychologique.

 

Elle devra être constructive d'un ordre nouveau auquel l'humanité accédera par un changement global de plan. Elle doit donc, dés à présent, et avant de préciser ses moyens, préciser ses buts.

 

  1. Dans le domaine philosophique et moral :

 

Établir une hiérarchie des valeurs qui rende à la personne humaine le rang qui lui revient : le premier. La machine économique et sociale doit exister pour la personne et non la personne pour la machine économique et sociale. Les économies de forces permises par les découvertes scientifiques doivent être enfin « réalisées » au profit de la personnalité créatrice, ressort dynamique indispensable à toute société qui veut garder la faculté de se dépasser elle-même pour le plus grand bien de l'homme.

 

Ce « personnalisme » implique la rupture aussi bien avec l'individualisme abstrait des libéraux qu'avec toute doctrine plaçant l’État, quelle que soit sa forme, au rang de valeur suprême.

 

  1. Dans le domaine économique :

     

Remplacer une société qui ne peut fonctionner qu'en subordonnant la consommation à la production, le travail qualitatif et créateur de valeurs nouvelles au travail quantitatif, parcellaire et indifférencié par une société contraire.

 

La mise en commun des moyens de production et la répartition égalitaire du travail quantitatif indispensable ne peuvent avoir de raison d'être qu'au profit d'une libération toujours croissante de la personnalité créatrice : spirituel d'abord économique ensuite. Ceci ne peut être obtenu que par l'abolition du mythe de la production et de la religion du crédit dans toutes leurs manifestations.

 

  1. Dans le domaine politique :

 

Établir, d'une part, une concentration mondiale des forces révolutionnaires spirituelles, telles que nous les avons définies, auxquelles seront subordonnés les organismes de la production et de la distribution économique, placés sous leur contrôle permanent.

 

D'autre part, tout en brisant les cadres nationaux abstraits, promouvoir une décentralisation assez parfaite pour assurer la libération de toutes les tendances profondément patriotiques par lesquelles se manifeste le rapport indispensable et fécond de l'homme à la terre, à la race, à la tradition affective et culturelle.

 

L'Ordre Nouveau, celui de l'homme concret, devra donc s'édifier sur les trois assises suivantes :

 

a) Personnalisme : primauté de l'homme sur la société.

 

b) Communisme antiproductiviste : subordination de la production à la consommation.

 

c) Régionalisme terrier, racial et culturel.

 

Jusqu'à présent toutes les publications d l'Ordre Nouveau ont été les manifestations des préoccupations suivantes :

 

a) constater, devant les divers problèmes du monde actuel, la nécessité d'une attitude non conformiste absolue.

 

b) affirmer, dans leurs différentes modalités, les principes spirituels et les bases théoriques de la doctrine qui s'en inspire.

 

(Plans, n° 10.)

 

B. « POSITIONS D'ATTAQUE POUR L'ORDRE NOUVEAU » (1933)

 

Le groupe de « l'Ordre Nouveau » n'a pas fait jusqu'ici beaucoup de bruit sur les places. C'est que nous sommes et voulons être avant tout des doctrinaires. Cette volonté a scandalisé certains de nos adversaires qui prétendent partir des faits concrets et matériels. L'un d'entre eux revendiquait récemment, à la suite de Marx, disait-il, « la précédence du matériel, l’antériorité de l'être par rapport à la pensée ». En d'autres termes moins obscurs, il affirmait qu'il faut « commencer par le commencement. Nous acceptons volontiers cette formule qui a le mérite de la simplicité. Nous, nous disons que le commencement du désordre n'est pas dans les faits matériels dont nous souffrons, n'est pas dans le machinisme, par exemple, mais bien dans les doctrines qui ont assuré le développement actuel du machinisme. C'est dans cet humus de doctrines périmées que plongent les « racines du malheur ». C'est lui d'abord qu'il faut détruire si on veut tuer ces racines et, surtout, empêcher qu'elles ne se reforment. La nécessité d'un travail doctrinal radical nous apparaît être la tâche la plus concrète et la plus immédiate de l'heure, la seule tâche efficacement révolutionnaire.

 

Quels sont les caractères spécifiques de notre effort de doctrine ?

 

C'est d'abord une volonté de considérer les problèmes économiques et sociaux dans leur totalité ; c'est aussi une volonté constante de changer de plan.

 

Ces deux expressions méritent un commentaire.

 

Notre volonté totaliste s'exprime ainsi : nous suspendons toutes nos constructions à un fait humain central, la personne – telle que nous la définirons tout à l'heure – ou, mieux encore, le conflit personnel et nous prenons pour norme ce conflit étendu à tous les ordres de l'activité humaine : politique, économique, culturel. Telle est la base de notre ordre.

 

Cet ordre est nouveau en ce qu'il ne peut pas être établi que par un changement de plan. Changer de plan, pour nous, c'est porter l'effort constructif sur un terrain que le désordre actuel néglige ou tente de stériliser. La plupart des questions qui divisent capitalistes et marxistes sont insolubles sur le terrain positiviste où ils les placent. Elles ne prennent leur vrai sens que dans le plan de la personne où nous les reposons. (...)

 

Nous avons ainsi défini, par la double volonté de totalisme et de changement de plan, la forme générale de notre doctrine.

 

Nous nous excusons de l'aspect théorique que prend forcément cet exposé et qu'il perdrait si nous avions la place nécessaire pour développer. Nous nous excusons plus encore de la façon trop rapide

dont nous allons être obligés de décrire le contenu de nos constructions et la méthode personnaliste qui les anime. Cette méthode constitue la partie la plus élaborée de notre effort et l'on ne peut songer à en donner ici qu'une formule nécessairement simplifiée.

 

Nous définissons la personne comme un acte et non pas comme un donné physique ou moral, matériel ou abstrait.

 

La personne, c'est l'individu engagé dans un conflit créateur avec lui-même d'abord, avec la nature ensuite, avec l'ambiance sociale enfin. Ce conflit comporte un choix permanent, donc un risque permanent, c'est-à-dire une tension permanente qui mesure la valeur même de l'homme.

 

Tension, risque, choix, acte, tels sont les éléments de toute liberté réelle et créatrice, partant de toute dignité humaine.

 

Pour faire sentir tout de suite le concret d'une telle doctrine, voyons d'abord quelles institutions elle nous oblige à combattre et à renverser.

 

Ce sont, en premier lieu, les institutions démocratiques auxquelles donne naissance l'individualisme libéral.

 

L'individu libéral, tel que l'ont créé les théoriciens du suffrage universel, tout le monde croit aujourd'hui que c'est quelque chose de très simple, une évidence, une sorte d elieu commun. C'est en effet le lieu commun de tous les malentendus actuels.

 

Cet homme sans liens, réduit à l'unité arithmétique, où l'a-t-on vu ? Et comment existerait-il ? C'est pourtant sur cet homme abstrait qu'est bâti tout le système démocratique. Et l'erreur initiale, doctrinale, se retrouve à tous les étages du système. C'est à cause d'elle qu'il s'écroulera.

 

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22/10/2022 | Lien permanent

Atlantide et Hyperborée (René Guénon)

 

René Guénon, Formes traditionnelles et cycles cosmiques, II, Atlantide et Hyperborée, pp. 35-, aux éditions Gallimard

 

Dans Atlantis (juin 1929), M. Paul Le Cour relève la note de notre article de mai dernier, dans laquelle nous affirmions la distinction de l'Hyperborée et de l'Atlantide, contre ceux qui veulent les confondre et qui parlent d' « Atlantide hyperboréenne ». A vrai dire, bien que cette expression semble en effet appartenir en propre à M. Le Cour, nous ne pensions pas uniquement à lui en écrivant cette note, car il n'est pas le seul à commettre la confusion dont il s'agit ; on la trouve également chez M. Herman Wirth, auteur d'un important ouvrage sur les origines de l'humanité (Der Aufgang Menschheit) paru récemment en Allemagne, et qui emploie constamment le terme « nord-atlantique » pour désigner la région qui fut le point de départ de la tradition primordiale. Par contre, M. Le Cour est bien le seul, à notre connaissance tout au moins, qui nous ait prêté à nous-même l'affirmation de l'existence d'une « Atlantide hyperboréenne » ; si nous ne l'avions point nommé à ce propos, c'est que les questions de personnes comptent fort peu pour nous, et que la seule chose qui nous importait était de mettre nos lecteurs en garde contre une fausse interprétation d'où qu'elle pût venir. Nous nous demandons comment M. Le Cour nous a lu ; nous nous le demandons même plus que jamais, car voilà maintenant qu'il nous fait dire que le pôle Nord, à l'époque des origines, « n'était point celui d'aujourd'hui, mais une région voisine, semble-t-il, de l'Islande et du Groenland » ; où a-t-il bien pu trouver cela ? Nous sommes absolument certain de n'avoir jamais écrit un seul mot là-dessus, de n'avoir jamais fait la moindre allusion à cette question, d'ailleurs secondaire à notre point de vue, d'un déplacement possible du pôle depuis le début de notre Manvantara ; à plus forte raison n'avons-nous jamais précisé sa situation originelle, qui d'ailleurs serait peut-être difficile à définir par rapport aux terres actuelles.

 

Le cour dit encore que, « malgré notre hindouisme, nous concevons que l'origine des traditions est occidentale » ; nous n'en convenons nullement, bien au contraire, car nous disons qu'elle est polaire, et le pôle, que nous sachions, n'est pas plus occidental qu'oriental ; nous persistons à penser que, comme nous le disions dans la note visée, le Nord et l'Ouest sont deux points cardinaux différents. C'est seulement à une époque déjà éloignée de l'origine que le siège de la tradition primordiale, transféré en d'autres régions, a pu devenir, soit occidental, soit oriental, occidental pour certaines périodes et oriental pour d'autres, et, en tout cas, sûrement oriental en dernier lieu et déjà bien avant le commencement des temps dits « historiques » (parce qu'ils sont les seuls accessibles aux investigations de l'histoire « profane »). D'ailleurs, qu'on le remarque bien, ce n'est nullement « malgré notre hindouisme » (M. Le Cour, en employant ce mot, ne croit probablement pas dire juste), mais au contraire à cause de celui-ci, que nous considérons l'origine des traditions comme nordique, et même plus exactement comme polaire, puisque cela est expressément affirmé dans le Vêda, aussi bien que dans d'autres livres sacrés. La terre où le soleil faisait le tour de l'horizon sans se coucher devait être en effet située bien près du pôle, sinon au pôle même ; il est dit aussi que, plus tard, les représentant de la tradition se transportèrent en une région où le jour le plus long était double du jour le plus court, mais ceci se rapporte déjà une phase ultérieure, qui, géographiquement, n'a évidement plus rien à voir avec l'Hyperborée.

 

Il se peut que M. Le cour ait raison de distinguer une Atlantide méridionale et une Atlantide septentrionale, quoiqu'elles n'aient pas dû être primitivement séparées ; mais il n'en est pas moins vrai que l'Atlantide septentrionale elle-même n'avait rien d'Hyperboréen. Ce qui complique beaucoup la question, nous le reconnaissons très volontiers, c'est que les mêmes désignations ont été appliquées, dans la suite des temps, à des régions fort diverses, et non seulement aux localisations successives du centre traditionnel primordial, mais encore à des centres secondaires qui en procédaient plus ou moins directement. Nous avons signalé cette difficulté dans notre étude sur Le Roi du Monde, où, précisément à la page même à laquelle se réfère M. Le Cour, nous écrivons ceci : « Il faut distinguer la Tula atlante (le lieu d'origine des Toltèques, qui était probablement situé dans l'Atlantide septentrionale) de la Tula hyperboréenne ; et c'est cette dernière qui, en réalité, représente le centre premier et suprême pour l'ensemble du Manvantara actuel ; c'est elle qui fut l' « île sacrée » par excellence, et sa situation était littéralement polaire à l'origine. Toutes les autres « îles sacrées » qui sont désignées partout par des noms de signification identique, ne furent que des images de celle-là ; et ceci s'applique même au centre spirituel de la tradition atlante, qui ne régit qu'un cycle historique secondaire, subordonné au Manvantara. » Et nous ajoutons en note : « Une jonction de la tradition atlante avec la tradition hyperboréenne, provient de certaines substitutions de noms qui peuvent donner lieu à de multiples confusions ; mais la question, malgré tout, n'est peut-être pas entièrement insoluble. »

 

En parlant de ce « point de jonction », nous pensions surtout au Druidisme ; et voici justement que, à propos du Druidisme, nous trouvons encore dans Atlantis (juillet-août 1929) une autre note qui prouve combien il est parfois difficile de se faire comprendre. Au sujet de notre article de juin sur la « triple enceinte », M. Le Cour écrit ceci : «  C'est restreindre la portée de cet emblème que d'en faire uniquement un symbole druidique ; il est vraisemblable qu'il est antérieur et qu'il rayonne au-delà du monde druidique. » Or, nous sommes si loin d'en faire uniquement un symbole druidique que, dans cet article, après avoir noté, suivant M. Le Cour lui-même, des exemples relevés en Italie et en Grèce, nous avons dit : «  Le fait que cette même figure se retrouve ailleurs que chez les Celtes indiquerait qu'il y avait, dans d'autres formes traditionnelles, des hiérarchies initiatiques constituées sur le même modèle (que la hiérarchie druidique), ce qui est parfaitement normal. » Quant à la question d'antériorité, il faudrait tout d'abord savoir à quelle époque précise remonte le Druidisme, et il est probable qu'il remonte beaucoup plus haut qu'on ne le croit d’ordinaire, d'autant plus que les Druides étaient les possesseurs d'une tradition dont une part notable était incontestablement de provenance hyperboréenne.

 

Nous profiterons de cette occasion pour faire une autre remarque qui a son importance : nous disons « Hyperborée » pour nous conformer à l'usage qui a prévalu depuis les Grecs ; mais l'emploi de ce mot montre que ceux-ci, à l'époque « classique » tout au moins, avaient déjà perdu le sens de la désignation primitive. En effet, il suffirait en réalité de dire « Borée », mot strictement équivalent au sanscrit Varâha, ou plutôt, quand il s'agit d'une terre, à son dérivé féminin Vârâhî : c'est la « terre du sanglier », qui devint aussi la « terre de l'ours » à une certaine époque, pendant la période de prédominance des Kshatriyas à laquelle mit fin Parashu-Râma.

 

Il nous reste encore, pour terminer cette mise au point nécessaire, à dire quelques mots sur les trois ou quatre questions que M. Le Cour aborde incidemment dans ses deux notes ; et, tout d'abord, il y a une allusion au swastika, dont il indique que « nous faisons le signe du pôle ». Sans y mettre la moindre animosité, nous prierons ici M. Le Cour de ne point assimiler notre cas au sien, car enfin il faut bien dire les choses comme elles sont : nous le considérons comme un « chercheur » (et cela n'est nullement pour diminuer son mérite), qui propose des explications selon ses vues personnelles, quelque peu aventureuses parfois, et c'est bien son droit, puisqu'il n'est rattaché à aucune tradition actuellement vivante et n'est en possession d'aucune donnée reçue par transmission directe ; nous pourrions dire, en d'autres termes, qu'il fait de l'archéologie, tandis que, quant à nous, nous faisons de la science initiatique, et il y a là deux points de vue qui, même quand ils touchent aux mêmes sujets, ne sauraient coïncider en aucune façon. Nous ne « faisons » point du swastika le signe du pôle : nous disons qu'il est cela et qu'il l'a toujours été, que telle est sa véritable signification traditionnelle, ce qui est tout diffèrent ; c'est là un fait auquel ni M. Le Cour ni nous-même, ne pouvons rien. M. Le Cour, qui ne peut évidement faire que des interprétations plus ou moins hypothétiques, prétend que la swastika « n'est qu'un symbole se rapportant à un idéal sans élévation » ; c'est là sa façon de voir, mais ce n'est rien de plus, et nous sommes d'autant moins disposé à la discuter qu'elle ne présente après tout qu'une simple appréciation sentimentale ; « élevé » ou non, un « idéal » est pour nous quelque chose d'assez creux, et, à la vérité, il s'agit de choses beaucoup plus « positives », dirons-nous volontiers si l'on avait tant abusé de ce mot.

 

Le Cour, d'autre part, ne paraît pas satisfait de la note que nous avons consacré à l'article d'un de ses collaborateurs qui voulait à toute force voir une opposition entre l'Orient et l'Occident, et qui faisait preuve, vis-à-vis de l'Orient, d'un exclusivisme tout à fait déplorable. Il écrit là-dessus des choses étonnantes : «  M. René Guénon, qui est un logicien pure, ne saurait rechercher, aussi bien en Orient qu'en Occident que le côté purement intellectuel des choses, comme le prouvent ses écrits ; il le montre encore en déclarant d'Agni se suffit à lui-même (voir Regnabit, avril 1926) et en ignorant la dualité Aor-Agni, sur laquelle nous reviendrons souvent, car elle est la pierre angulaire de l'édifice du monde manifestée. » Quelle que soit d’ordinaire notre indifférence à l'égard de ce qu'on écrit sur nous, nous ne pouvons tout de même pas laisser dire que nous sommes un « logicien pur », alors que nous ne considérons au contraire la logique et la dialectique que comme de simples instruments d'exposition, parfois utiles à ce titre, mais d'un caractère tout extérieur, et sans aucun intérêt en eux-mêmes ; nous ne nous attachons pas, répétons-le encore une fois, qu'au seul point de vue initiatique, et tout le reste, c'est-à-dire tout ce qui n'est que connaissance « profane », est entièrement dépourvu de valeurs à nos yeux. S'il est vrai que nous parlons souvent d' « intellectualité pure », c'est que cette expression à un tout autre sens pour nous que pour M. Le Cour, qui paraît confondre « intelligence » avec « raison », et qui envisage d'autre part une « intuition esthétique », alors qu'il n'y a pas d'autre intuition véritable que l' « intuition intellectuelle », d'ordre supra-rationnel ; il n'y a d'ailleurs là quelque chose d'autrement formidable que ne peut le penser quelqu'un qui, manifestement, n'a pas le moindre soupçon de ce que peut être la « réalisation métaphysique », et qui se figure probablement que nous ne sommes qu'une sorte de théoricien, ce qui prouve une fois de plus qu'il a bien mal lu nos écrits, qui paraissent pourtant le préoccuper étrangement.

 

Quant à l'histoire d'Aor-Agni, que nous n' « ignorons » pas du tout, il serait bon d'en finir une fois pour toutes avec ces rêveries, dont M. Le Cour n'a d'ailleurs pas la responsabilité : si « Agni se suffit à lui-même », c'est pour la bonne raison que ce terme, en sanscrit, désigne le feu sous tous ses aspects, sans aucune exception, et ceux qui prétendent le contraire prouvent simplement par là leur totale ignorance de la tradition hindoue. Nous ne disons pas autre chose dans la note de notre article de Regnabit, que nous croyons nécessaire de reproduire ici textuellement : « Sachant que, parmi les lecteurs de Regnabit, il en est qui sont au courant des théories d'une école dont les travaux, quoique très intéressants et très estimables à bien des égards, appellent pourtant certaine réserves, nous devons dire ici que nous ne pouvons accepter l'emploi des termes Aor et Agni pour désigner les deux aspects complémentaires du feu (lumière et chaleur). En effet, le premier de ces deux mots est hébreu, tandis que le second est sanscrit, et l'on ne peut associer ainsi des termes empruntés à des traditions différentes, quelles que soient les concordances réelles qui existent entre celles-ci, et même l'identité foncière qui se cache sous la diversité de leurs formes ; il ne faut pas confondre le « syncrétisme » avec la véritable synthèse. En outre, si Aor est bien exclusivement la lumière, Agni est le principe igné envisagé intégralement (l'ignis latin étant d'ailleurs exactement le même mot), donc à la fois comme lumière et comme chaleur ; la restriction est tout à fait arbitraire et injustifiée. » Il est à peine besoin de dire que, en écrivant cette note, nous n'avons pas pensé le moins du monde à M. Le Cour ; nous pensions uniquement au Hiéron de Paray-le-Monial, auquel appartient en propre l'invention de cette bizarre association verbale. Nous estimons n'avoir à tenir aucun compte d'une fantaisie un peu trop fertile de M. De Sarachaga, donc entièrement dénuée d'autorité et n'ayant pas la moindre valeur au point de vue traditionnel, auquel nous entendons nous en tenir rigoureusement. Enfin, M. Le Cour profite de la circonstance pour affirmer de nouveau la théorie antimétaphysique et anti-initiatique de l' « individualisme » occidental, ce qui, somme toute, est son affaire et n'engage que lui ; et il ajoute, avec une sorte de fierté qui montre bien qu'il est en effet fort peu dégradé des contingences individuelles : « Nous maintenons notre point de vue parce que nous sommes les ancêtres dans le domaine des connaissances. » Cette prétention est vraiment un peu extraordinaire ; M. Le Cour se croit-il donc si vieux ? Non seulement les Occidentaux modernes ne sont les ancêtres de personne, mais ils ne sont même pas de descendants légitimes, car ils ont perdu la clef leur propre tradition ; ce n'est pas « en Orient qu'il y a eu déviation », quoi qu'en puissent dire ceux qui ignorent tout des doctrines orientales. Les « ancêtres », pour reprendre le mot de M. Le Cour, ce sont les détenteurs effectifs de la tradition primordiale ; il ne saurait y en avoir d'autres, et, à l'époque actuelle, ceux-là ne se trouvent certes pas en Occident.

 

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01/06/2015 | Lien permanent

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