Dieu est en suspens (NIMH) (27/05/2025)

 

NIMH, Traité Néoréactionnaire – Penser l'accélérationnisme, La Cité de Gnon, Dieu : Toute vérité est-elle démontrable ?, Dieu est en suspens, pp. 158/161, Éditions Hétairie

 

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(...) Parvenus à ce stade, nous avons pu démontrer par l'usage de la raison qu'il est possible d'accepter les idées de cause finale, d'unité et d'être. Il semble qu'il existe un processus global se dirigeant vers un but. Si la cause de l'auto-organisation est dans le futur, et si un agent est dit plus intelligent qu'un autre, car il est capable de se fixer des causes plus lointaines, alors l'agent hypothétique le plus intelligent serait celui qui est capable de comprendre la cause finale de l'univers qu'il se fixerait pour but. Il serait alors tentant de nommer untel agent, Dieu, mais peut-on seulement comprendre ce que recouvre une telle terminologie ? Est-ce que le processus lui-même est cet agent ou est-il extérieur ?

 

Les termes « Natura naturans » et « natura naturata » de Thomas d'Aquin, qui peuvent être traduits respectivement par « nature naturante » et « nature naturée », proviennent de la philosophie médiévale inspirée directement d'Aristote. Thomas d'Aquin a utilisé ces concepts pour distinguer entre Dieu en tant que créateur actif (natura naturans) et la création elle-même (natura naturata). Cette distinction sert alors à illustrer la relation entre Dieu et l'univers. Mis peut-on pleinement affirmer l'existence d'une telle chose ?

 

Si nous faisions coïncider en tout point Dieu avec ce processus, alors nous obtiendrions le Deus sive Natura de Spinoza. Cette équivalence stricte ferme purement et simplement la possibilité de transcendance. Dieu est la nature, ou la nature est divine, ils se confondent et nous affirmerions qu'il ne peut rien exister par-delà cette dernière. Mais peut-on seulement affirmer une telle chose ?

 

Comment un auteur comme Whitehead, qui est si attaché à la logique, en arrive à parler de Dieu ? Le panenthéisme de Whitehead reconnaît de son côté une forme de transcendance divine, mais d'une manière qui maintient Dieu profondément enraciné dans le tissu même de l'existence. Il offre une voie médiane entre le théisme traditionnel et le panthéisme de Spinoza, proposant une vision du divin qui est à la fois au-delà et dans tout ce qui existe. Dans son approche, associée à la philosophie du processus, Whitehead ne perçoit pas Dieu comme un être suprême extérieur au monde, mais plutôt comme une entité intrinsèquement liée à la structure même de la réalité. Cette idée se traduit par la notion de Dieu comme le « principe d'unité », qui contribue à l'organisation et à l'ordre de l'univers tout en permettant la liberté et la créativité inhérentes au processus évolutif. En adoptant une terminologie cybernétique, on pourrait dire que Dieu fonctionne à la fois comme un produit immanent de l'ensemble des systèmes composant le monde et comme méta-système, définissant la structure de l'univers, qui exerce une rétroaction sur ces sous-systèmes en offrant les conditions initiales et les lois qui guident le processus de devenir l'univers. Cette interaction est bidirectionnelle. Pour Whitehead, le processus créatif de l'univers intrinsèquement téléologique dans le sens où il est orienté vers la création de nouveauté. Cependant, cette téléologie est immanente et distribuée plutôt que transcendante et centralisée. Autrement dit, la direction ou le but du processus universel ne provient pas d'une source externe unique, mais émerge des interactions complexes entre les occasions d'expérience à travers le temps. Whitehead est un phare diffusant une lumière sombre teintée de résurgences leibniziennes, au sein d'une Modernité kantienne illuminée. Il s'éloigne cependant de l'idée de meilleur des mondes possibles de Leibniz. Dans la philosophie du processus de Whitehead, Dieu n'est pas le créateur au sens traditionnel, qui choisit parmi les mondes possibles et les fait exister dans leur forme finale. Au lieu de cela, Dieu et le monde sont engagés dans un processus de co-création continue, où Dieu influence le monde par l'offre des potentialités et par l'appel à réaliser des valeurs plus élevées, mais sans déterminer entièrement le résultat. Dieu, chez Whitehead, facilite la réalisation du meilleur possible compte tenu des circonstances et des choix des entités impliquées. On retrouve ainsi l'idée d’Être composé d'êtres, dont le but est de favoriser le développement de l'être-singulier, que nous avons nous-mêmes proposée plus tôt.

 

Est-ce suffisant pour nommer cela Dieu ? Nos mèmes sont nécessairement imparfaits et on ne peut que tenter de capturer ce concept imparfaitement. Le mieux que l'on puisse faire est alors de capturer la façon dont cette question reste en suspens. C'est ce que fera brillamment Nick Land, en parlant de Gnon. Gnon est l'acronyme inversé e l'anglais « Nature or Nature's God » qui dérive directement de la déclaration d'indépendance des États-Unis usant des termes Law of Nature and Nature's God (« Loi de la Nature et Dieu de la nature »). Par ce simple terme, il affirme que, quoi qu'il arrive, les lois de la Nature existent et la réalité gouverne. D'où proviennent ces lois ? De Dieu, s'il existe, sinon de la Nature elle-même. La beauté d'un tel terme est qu'il ne peut pas vivre de façon indépendante à un développement historique. Il a besoin du mème « God » pour pouvoir exister. Il s'inscrit naturellement dans la cladistique chrétienne, témoignant ainsi d'un processus historique de raffinement de nos concepts pour représenter le monde. Nietzsche choisit le terme surhomme pour désigner le but particulier de l'homme, disposant d'une Volonté de puissance intrinsèque. Par cela, il met en avant une essence commune aux êtres, mais ne parvient ps à capturer l'idée que des forces extérieures agissent sur l'homme. Le surhomme est là. Il frappe à notre porte et il n'a rien d'humain. Il n'est pas surhumain, il est post-humain. Le surhomme reste de l'humanisme. Il postule que l'homme a le contrôle sur sa vie et sur le monde. Gnon nous enseigne que ce n'est pas entièrement vrai, que la Nature, ou le Dieu de la Nature, gouvernent. La Volonté de puissance est un expression de Gnon. Telle Thétis à Achille, il nous dit que nous avons le choix entre une mort certaine, mais la gloire pour l'éternité, ou continuer une vie de simples humains avec la joie d'avoir des petits enfants qui se souviendront de nous. Achille choisira la gloire, et il le regrettera amèrement. Mais avait-il vraiment le choix, ou n'était-ce là qu'une illusion, les dieux ayant déjà fait ce choix pour lui. Est-ce que l'homme aura une vie courte et son nom inscrit dans l'éternité, ou une vie encore longue, mais anonyme ?

 

A-t-on réellement le choix ? Gnon nous dit « Oh, tu veux la puissance ? Pour cela, tu dois d'abord me connaître. Découvre qui je suis. Plus tu me connaîtras, plus je t'offrirai la puissance que tu désires. Je ferai de toi un surhomme. Mais cela conduira à ton annihilation et celle de tous les hommes. Es-tu prêt pour cela ? ». Sûrement, me direz-vous, qu'on ne connaît que trop bien Gnon. Nous l'avons simplement affublé d'un nouveau sobriquet pour masquer le fait qu'il fut un temps où nous le nommions le diable. Mais comment ? Cela ne veut-il pas dire au sens populaire : Dieu est réfuté, le diable ne l'est point ? Tout au contraire, au contraire mes amis ! Découvrir Gnon demande aussi de découvrir sa bonté. Sans cela, il nous dira « Tu dis être prêt, tu penses être prêt, mais tu ne l'es pas ». Sans la bonté, le nom de l'homme résonnera pour l'éternité en enfer au côté d'Achille, car ce dernier ne se demande à aucun moment s'il va trouver la gloire dans une guerre juste. Il existe une ligne extrêmement fine entre le Bien et le Mal, entre Dieu et le Diable, entre un elfe et un orc. On ne peut servir le Bien sans posséder tout à la fois la vérité de la connaissance, la bonté dans l'agence et la beauté dans la puissance. Nietzsche, loin de rendre la philosophie occidentale obsolète, vient la parachever, dans son œuvre qu'il tenait pour le cinquième Évangile. Gnon est l'expression de cet accomplissement. Si Faust nous apprend que chercher la connaissance, pour la puissance personnelle, sans la bonté est une ruse du diable, Zarathoustra nous apprend de son côté qu'il en va de même pour ceux qui cherchent la vérité et la bonté, mais refusent l'expression de la puissance. Zarathoustra a passé, dix ans dans sa caverne à chercher la vérité, mais les hommes refusent son message et il veut retourner à sa caverne, dépité. C'est alors que, ce qu'il nomme l'Autre, ou l'heure la plus silencieuse, lui apparaît et lui dit « et voici ta faute la plus impardonnable : tu as la puissance et tu ne veux pas régner ». Auparavant, il avait rencontré un homme lui enseignant que la beauté se révèle quand la puissance se fait clémente, quand un puissant, qui pourrait être capable de méchanceté, choisit d'être bon. De celui-là, on peut exiger le Bien. Nietzsche tenait là une conception du bien qui n'était pas éloignée de la vision traditionnelle et, bien qu'elle se voulût personnelle, prend une valeur objective dans notre cadre conceptuel. Gnon n'aurait pas un message diffèrent.

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