Prométhée (Dictionnaire des symboles) (29/11/2023)

 

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Jean Chevalier/Alain Gheerbrant, Dictionnaire des Symboles, Prométhée, pp. 909-910, aux éditions Robert Laffont/Jupiter, collection Bouquins

 

Le mythe de Prométhée se situe dans l'histoire d'une création évolutive : il marque l'avènement de la conscience, l'apparition de l'homme. Prométhée aurait dérobé à Zeus, symbole de l'esprit, des semences de feu, autre symbole de Zeus et de l'esprit, soit qu'il les ait saisies à la roue du soleil, soit qu'il les ait prises à la forge d'Héphaïstos, pour les apporter sur la terre. Zeus l'aurait puni en l'enchaînant à un rocher et en lançant sur lui un aigle qui lui dévorait le foie. Symbole des tourments d'une culpabilité refoulée et inexpiée : Quant à Prométhée aux subtils desseins, Zeus le chargea de liens inextricables, entraves douloureuses qu'il enroula à mi-hauteur d'une colonne. Puis, il lâcha sur lui un aigle aux ailes déployées : et l'aigle mangeait son foie immortel, et le foie se reformait la nuit, en tout point égal à celui qu'avait, le jour durant, dévoré l'oiseau aux ailes déployées. Mais Héraclès le délivra de ses tortures, en brisant ses chaînes et en tuant l'aigle d'une flèche. Le Centaure Chiron désirant la mort, pour mettre fin à ses souffrances, lui légua son immortalité et Prométhée put ainsi accéder au rang des dieux. Si Hésiode prête à Prométhée la ruse, la perfidie, les pensées fourbes à l'encontre des dieux, Eschyle le loue d'avoir fait usage de son larcin, le feu brillant d'où naissent tous les arts, pour l'offrir aux mortels... Ce feu maître de tous les arts, un trésor sans prix.Oui, dit Prométhée, j'ai délivré les hommes de l’obsession de la mort... J'ai installé en eux les aveugles espoirs... je leur ai fait présent du feu... de lui, ils apprendront des arts sans nombre.

 

Le sens du mythe s'éclaire par le sens même du nom de Prométhée, qui signifie la pensée prévoyante. Descendant des Titans, il porterait en lui une tendance à la révolte. Mais ce n'est pas la révolte des sens qu'il symbolise, c'est celle de l'esprit, de l'esprit qui veut s'égaler à l'intelligence divine, ou du moins lui ravir quelques étincelles de lumière. Ce n'est pas rechercher l'esprit pour lui-même, sur de soi, mais c'est utiliser l'esprit à des fins de satisfaction personnelle. Le feu dérobé symbolise l'intellect réduit à n'être que le moyen de satisfaction des désirs multipliés, dont l'exaltation est contraire au sens évolutif de la vie. L'intellect révolté a préféré la terre à l'esprit : il a déchaîné les désirs terrestres et ce déchaînement n'est qu'un enchaînement à la terre. La divinisation finale de Prométhée suivra sa libération par Héraclès, c'est-à-dire la rupture des chaînes et la mort de l'aigle dévorant ; elle sera aussi conditionnée par la mort du Centaure*, sera le triomphe de l'esprit, au terme d'une nouvelle phase de l'évolution créatrice, qui tendra vers l'être et non plus vers le pouvoir.

 

Pour Gaston Bachelard, le mythe de Prométhée illustre la volonté humaine d'intellectualité ; mais d'une vie intellectuelle, à l'instar de celle des dieux, qui ne soit pas sous la dépendance absolue du principe d'utilité. Nous proposons donc de ranger sous le nom de complexe de Prométhée toutes les tendances qui nous poussent à savoir autant que nos pères, plus que nos pères, autant que nos maîtres, plus que nos maîtres. Or c'est en maniant l'objet, c'est en perfectionnant notre connaissance objective que nous pouvons espérer nous mettre plus clairement au niveau intellectuel que nous avons admiré chez nos parents et nos maîtres. La suprématie par des instincts plus puissants tente naturellement un bien plus grand nombre d'individus. Si l'intellectualité pure est exceptionnelle, elle n'est pas moins très caractéristique d'une évolution spécifiquement humaine. Le complexe de Prométhée est le complexe d’Œdipe de la vie intellectuelle.

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