Mab (02/09/2021)
« Alors, je vois que la Reine Mab t'est apparue.
C'est l'accoucheuse des fées et elle vient,
Pas plus grosse qu'une agate
Au doigt d'un échevin,
Tirée par un attelage de tout petits atomes,
Se poser sur le nez des hommes endormis.
Son carrosse est une coquille de noisette vidée
Par l'écueil menuisier ou un ver endurci,
Qui sont depuis toujours les carrossiers des fées.
Les rayons de ses roues sont des pattes de faucheux,
La capote tissée d'ailes de sauterelles,
Les rênes sont faites de fins fils de la Vierge,
Le collier un humide éclat de lune,
Le fouet une patte de grillon, la lanière un fil d'araignée,
Le cocher un moucheron vêtu de gris,
Pas plus gros que le quart du petit poil rond
Qu'on tire à la main des filles paresseuses.
C'est ainsi que nuit après nuit elle galope
Dans la cervelle des amoureux qui rêvent alors d'amour,
Sur les genoux des courtisans qui rêvent alors de révérences,
Sur les doigts des robins qui rêvent aussitôt d’honoraires,
Sur les lèvres des dames qui rêvent aussitôt de baisers,
Ces lèvres que Mab en sa colère afflige
De boutons parce qu'elles sentent trop les bonbons.
Tantôt elle galope sur le nez d'un courtisan,
Et le voilà qui rêve qu'il flaire une requête.
Tantôt avec la queue d'un cochon de la dîme
Elle chatouille les narines d'un chanoine endormi
Qui rêve alors d'un nouveau bénéfice.
Tantôt elle s'aventure sur le cou d'un soldat,
Et le voilà qui rêve d'ennemis égorgés,
D'assauts et d'embuscades et d'épées de Tolède,
De rasades profondes de cinq brasses, et puis, bien vite,
Elle bat le tambour à son oreille, sur quoi il sursaute et s'éveille,
Et, ainsi effrayé, lâche une ou deux prières,
Et puis il se rendort. C'est cette même Mab
Qui va la nuit tresser la crinière des chevaux,
Collant les poils follets en paquets répugnants,
En nœud qui, démêlés, annoncent le malheur.
C'est elle, la sorcière, qui pèse sur les vierges, quand elles sont sur le dos,
Et leur enseigne à porter leur tout premier fardeau,
Faisant d'elles de bonnes bêtes de somme.
C'est elle... »
Shakespear, Roméo et Juliette, Acte I, Scène 4, Monologue de Mercutio « Le discours de la Reine Mab » (Nouvelle traduction de François Laroque et Jean-Pierre Villquin aux éditions Livre de poche)
Fairy Mab - Johann Heinrich Füssli
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