Jaune (Dictionnaire des Symboles) (06/12/2018)

 

Jean Chevalier et Alain Gheerbrant - Dictionnaire des Symboles - Jaune - pp. 618, 620 - Éditions Robert Lafont/Jupiter, collection Bouquins

 

Intense, violent, aigu jusqu'à la stridence, ou bien ample et aveuglant comme une coulée de métal en fusion, le jaune est la plus chaude, la plus expansive des couleurs, difficile à éteindre, et qui déborde toujours des cadres où l'on voudrait l'enserrer.

 

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Les rayons du soleil traversant l'azur des cieux, manifestent la puissance des divinités de l'au-delà : dans le panthéon aztèque de Huitzilopochtli, le Guerrier triomphateur, Dieu du Soleil de Midi, est peint de bleu et de jaune. Le jaune, lumière d'or, a une valeur cratophanique et le couple d'émaux Or-Azur s'oppose au couple Gueule-Sinople comme s'opposent ce qui vient d'en bas. Le champ de leur affrontement, c'est la peau de la terre, notre peau, qui devient jaune elle aussi, aux approches de la mort.

 

Dans le couple Jaune-Bleu, le Jaune, couleur mâle, de lumière et de vie, ne peut tendre qu'à l'obscurcissement. Kandinsky l'a bien vu et écrit : le jaune a une telle tendance au clair qu'il ne peut y avoir de jaune très foncé. On peut donc dire qu'il existe une affinité, physique, entre le jaune et le blanc (KANS). Il est le véhicule de la jeunesse , de la force, de l'éternité divine. Il est la couleur des dieux : Zoroastre, selon Anquetil, signifier astre d'or brillant, libéral, astre vivant.

Le Om, verbe divin des Tibétains, a pour qualitatif zéré qui veut dire doré (PORS, 68). Vishnu est le porteur d'habits jaunes, et l’œuf cosmique de Brahma brille comme l'or.

 

La Lumière d'Or devient parfois un chemin de communication à double sens, un médiateur entre les hommes et les dieux. Ainsi Frazer souligne qu'un couteau d'or était employé en Inde pour les grands sacrifices du cheval parce que l'or est lumière et parce que c'est au moyen de la Lumière dorée que le sacrifice gagne le royaume des dieux (FRAG, 2, 80, n. 3 d'après The Sathapata Brahmana).

 

Dans la cosmologie mexicaine, le jaune d'or est la couleur de la peau neuve de la terre, au début de la saison des pluies, avant que celle-ci reverdisse. Il est donc associé au mystère du Renouveau. Pour cette raison Xipe Totec Notre seigneur l'écorché, divinité des pluies printanières, est aussi dieu des orfèvres. Lors des fêtes de printemps, ses prêtres se revêtaient des peaux peintes en jaune des victimes que l'on suppliciait pour se concilier cette divinité redoutable (SOUM). Et le jaune d'or était bien l'attribut de Mithra en Perse et d'Apollon en Grèce.

 

Étant d'essence divine, le jaune d'or devient sur terre l'attribut de puissance des princes, des rois, des empereurs, pour proclamer l'origine divine de leur pouvoir. Les lauriers verts de l'espérance humaine se recouvrent du jaune d'or de la puissance divine. Et les rameaux verts du Christ, dans son séjour terrestre, sont remplacé par une auréole dorée lorsqu'il retourne auprès de son Père. Le dimanche des Rameaux en Espagne, ce sont des palmes jaunies que les fidèles brandissent sur les parvis des cathédrales.

 

Le jaune est la couleur de l'éternité comme l'or est le métal de l'éternité. L'un et l'autre sont à la base du rituel chrétien . L'or de la croix sur la chasuble du prêtre, l'or du ciboire, le jaune de la vie éternelle, de la foi, s'unissent à la pureté originelle du blanc dans le drapeau du Vatican.

 

C'est aussi au milieu de ces ors, de ces jaunes, que les prêtres catholiques conduisent les défunts vers la vie éternelle. Tous les psychopompes ont aussi peu ou proue le jaune à leur service : Mithra ; mais aussi, dans bien des traditions orientales, les chiens infernaux, dont celui du Zend Avesta, qui a les yeux jaunes - pour mieux percer le secret des ténèbres - et les oreilles teintes de jaune et de blanc.

Dans les chambres funéraires égyptiennes la couleur jaune est la plus fréquemment associée au bleu, pour assurer la survie de l'âme, puisque l'or qu'elle représente est la chair du soleil et des dieux.

 

Cette présence du jaune dans le monde chtonien, sous prétexte d'éternité, introduit le deuxième aspect symbolique de cette couleur terrestre.

Le jaune est la couleur de la terre fertile, ce qui faisait conseiller, dans la Chine ancienne, pour assurer la fertilité du couple, que l'on mette en complète harmonie le yin et le yang, que les vêtements, les couvertures et les oreillers de la couche nuptiale soient tous de gaz ou de soie jaune (VANC, 342). Mais cette couleur des épis de murs de l'été annonce déjà celle de l'automne, où la terre se dénude, perdant son manteau de verdure.

 

Elle est alors annonciatrice de déclin, de la vieillesse, des approches de la mort.

A la limite le jaune devient un substitut du noir. Ainsi pour les indiens Pueblo, Tewa, c'est la couleur de l'Ouest ; pour les Aztèques et les Zuni, c'est celle du Nord ou du Sud, selon qu'ils associent l'une ou l'autre de ces deux directions avec les mondes inférieurs (SOUM, 23).

Dans le tantrisme bouddhique le jaune correspond à la fois au centre-racine (Mulâdhârachakra) et à l'élément terre, et Ratnasambhavap, dont la lumière est la lumière solaire. Noire ou jaune est aussi pour les Chinois la direction du Nord, ou des abîmes souterrains où se trouvent les sources jaunes, ou le yang qui s'y réfugie l'hiver, aspirent à la restauration cyclique dont le solstice hivernal est l'origine. Si le Nord, si les source jaunes sont d'essence yin, ils sont aussi à l'origine de la restauration du yang. Par ailleurs, le jaune est associé au noir comme son opposé et son complémentaire. Le jaune se sépare du noir à la différenciation du chaos : la polarisation de l'indifférenciation primordiale se fait en jaune et noir - comme en yang et yin, en rond et carré, en actif et passif (Lie-tseu). noir et jaune sont, d'après le Yi-king, les couleurs du sang du dragon-démiurge. Il ne s'agit toutefois là que d'une polarisation relative, d'une coagulation première (CHOO, ELIF, GRAP, GRAR, GRIH).

 

Le jaune émerge du noir, dans la symbolique chinoise, comme la terre émerge des eaux primordiales. Si le jaune est en Chine la couleur de l'empereur, c'est effectivement parce qu'il s'établit au centre de l'Univers, comme le soleil est au centre du ciel.

 

Quand le jaune s'arrête sur cette terre, à mi-chemin du très haut et du très bas, il n'entraîne plus que la perversion des vertus de foi, d'intelligence, de vie éternelle.

Oublié l'amour divin, arrive le souffre luciférien, image de l'orgueil et de la présomption, de l’intelligence qui ne veut s'alimenter qu'à elle-même. Le jaune est associé à l'adultère quand se rompent les liens sacrés de l'amour divin, rompus par Lucifer, avec cette nuance que le langage commun a fini par renverser le symbole, attribuant à la couleur jaune au trompé, alors qu'elle revient originellement au trompeur, comme l'attestent bien d'autres coutumes : la porte des traîtres était peinte en jaune pour les signaler à l'intention des passants, aux XVIe et XVIIe siècles. Dés le concile de Latran (1215), il était ordonné que les juifs portent une rouelle jaune sur leurs vêtements. Le Dictionnaire de Trévoux (1771) assure qu'il est coutume de safraner les demeures des banqueroutiers (DIRG). Ce dont il ressort que les syndicalistes traitant de jaune l'ouvrier qui se désolidarise de sa classe ne se doutent pas qu'ils recourent ce faisant aux mêmes sources symboliques que les nazis appliquant l'étoile jaune aux juifs. Mais peut-être que les juifs, renversant la valorisation du symbole, voyaient dans cette étoile, non pas une marque d'infamie, mais la glorieuse lumière de Yavhé.

 

La valorisation négative du jaune est également attestée dans les traditions du théâtre de Pékin, dont les acteurs se maquillent de jaune pour indiquer la cruauté, la dissimulation, le cynisme, tandis qu'ils indiquent par le rouge la loyauté et l'honnêteté. Toutefois, dans ce même théâtre traditionnel, les costumes des princes et empereurs - indiquant non la psychologie mais la condition sociale des personnages - sont également jaunes. Cette utilisation de la couleur jaune dans le théâtre chinois rend assez bien compte de l'ambivalence qui lui est propre, et qui en fait la plus divine des couleurs en même temps que la plus terrestre, selon le mot de Kandinsky.

 

Cette ambivalence se retrouve également dans la mythologie grecque. Les pommes d'or du jardin des Hespérides sont symbole d'amour et de concorde. Qu'Héraclès les vole, elles n'en reviennent pas moins au jardin des dieux. Elles sont les véritables fruits de l'amour puisque Gaïa, la Terre, les a offertes à Zeus et Héra comme présent de noces : elles ont ainsi consacré la hiérogamie fondamentale dont tout est issu. Mais la pomme de discorde, pomme d'or elle est aussi, qui est à l'origine de la guerre de Troie, est symbole d'orgueil et de jalousie. Toujours dans la mythologie grecque, les deux faces du symbole se rapprochent dans le mythe d'Atalante, la Diane grecque, Vierge agressive : alors qu'elle lutte à la course contre Hippoménès - qu'elle à l'intention de tuer ensuite comme elle a fait de tous ses autres prétendants -, elle cède à l'irrésistible convoitise qu'éveillent en elle des pommes d'or que le jeune homme lance devant elle sur le sol. Elle est donc vaincue et trahit ses vœux - mais par cette trahison elle arrive à l'amour.

 

Certains peuples ont cherché le clivage du symbole dans les notions de matité et de brillance de la couleur - ce qui n'est pas s'en rappeler la distinction symbolique du blanc mat et du blanc brillant, notamment en ce qui concerne les chevaux infernaux et célestes.

C'est notamment le cas de l'islam où le jaune doré signifiait sage et de bon conseil, le jaune pâle trahison et déception (PORS, 88).

 

La même distinction se retrouve dans le langage du blason qui valorise l'or-métal aux dépends du jaune-couleur.   

 

 

 

 

 

 

 

 

   

 

 

 

 

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