Loup (Dictionnaire des Symboles) (19/12/2014)
Jean Chevalier/Alain Gheerbrant, Dictionnaire des Symboles, Loup (louve), pp. 672-674, aux éditions Robert Laffont/Jupiter, collection Bouquins
Le loup est synonyme de sauvagerie et la louve de la débauche. Mais le langage des symboles interprète ces animaux, on s'en doute, d'une façon infiniment plus complexe, du fait, tout d'abord, qu'à l'instar de tout autre vecteur symbolique, ils peuvent être valorisés positivement autant que négativement. Positif apparaît le symbolisme du loup, si l'on remarque qu'il voit la nuit. Il devient alors symbole de lumière, solaire, héros, guerrier, ancêtre mythique. C'est la signification chez les Nordiques et chez les Grecs où il est attribué à Belen ou à Apollon (Apollon lycien).
Le créateur des dynasties chinoise et mongole est le loup bleu céleste. Sa force et son ardeur au combat en font une allégorie que les peuples turcs perpétueront jusque dans l'histoire contemporaine , puisque Mustapha Kemal, qui s'était nommé lui-même Atatürk, c'est-à-dire Père des Turcs, avait reçu de ses partisans le surnom de loup gris.
Le peuple turc qui, rassemblé autour de lui, menait le combat pour retrouver son identité, menacée par la décadence de l'Empire ottoman, reconduisait ainsi une très ancienne image : celle de l'ancêtre mythique de Gengis Khan, loup bleu, cratophanie de la lumière ouranienne (foudre) et dont l'union avec la biche blanche ou fauve, représentant la terre, plaçait à l'origine de ce peuple la hiérogamie terre-ciel.
Les peuples de la Prairie nord-américaine semblent avoir interprété de la même façon la signification symbolique de cet animal : Je suis le loup solitaire, je rôde en maints pays, dit un chant de guerre des Indiens de la Prairie (ALEC, 233).
La Chine connaît également un loup céleste (l'étoile Sirius) qui est le gardien du Palais céleste (la Grande Ourse). Ce caractère polaire se retrouve dans l'attribution du loup du Nord. On remarque toutefois que ce rôle de gardien fait place à l'aspect féroce de l'animal : ainsi, dans certaines régions du Japon, l'invoque-t-on comme protecteur contre les autres animaux sauvages. Il évoque une idée de force mal contenue, se dépensant avec fureur mais sans discernement.
La louve de Romulus et Rémus est, elle, non pas solaire et céleste, mais terrienne, sinon chthonienne. Ainsi, dans un cas comme dans l'autre, cet animal reste associé à l'idée de fécondité. La croyance populaire, en pays turc, a jusqu'à nos jours conservé cet héritage. Parmi les bézoards appréciés par les Yakoutes, en Sibérie, celui du loup est considéré comme le plus puissant ; en Anatolie, c'est-à-dire à l'autre extrémité de l'extension géographique des peuples altaïques, on voit encore des femmes stériles invoquer le loup pour avoir des enfants. Au Kamchatka à la fête annuelle d'octobre, on fait une image de loup en foin et on la conserve un an pour que le loup épouse les filles du village ; chez les Samoyèdes on a recueilli une légende qui met en scène une femme qui vit dans une caverne avec un loup (ROUF, 328-329).
Cet aspect chthonien ou infernal du symbole constitue son autre face majeure. Elle semble restée dominante dans le folklore européen, comme en témoigne, par exemple, le conte du Petit Chaperon rouge. On le voit déjà apparaître dans la mythologie gréco-latine : c'est la louve de Mormolycée nourrice de l'Achéron, dont on menace les enfants, exactement comme, de nos jours, on évoque le grand méchant loup (GRID, 303 a) ; c'est le manteau de peau de loup dont se revêt Hadès, maître des Enfers (KRAM, 226) ; les oreilles de loup du dieu de la mort des Étrusques ; c'est aussi, selon Diodore de Sicile, Osiris ressuscitant sous forme de loup pour aider sa femme et son fils à vaincre son frère méchant (ibid.).
C'est aussi une des formes données à Zeus (Lykaios), à qui on immolait en sacrifice des êtres humains, aux temps où régnait la magie agricole, pour mettre un terme aux sécheresses, aux fléaux naturels de toute sorte : Zeus déversait alors la pluie, fertilisait les champs, dirigeait les vents (ELIT, 76).
Dans l'imagerie du Moyen Age européen les sorciers se transforment le plus souvent en loups pour se rendre au sabbat, tandis que les sorcières, dans les mêmes occasions, portent des jarretelles, en peau de loup (GRIA). En Espagne, il est la monture du sorcier. La croyance aux lycanthropes, ou loups-garous, est attestée depuis l'Antiquité en Europe ; Virgile en fait déjà mention. En France, à peine commençait-on à en douter sous Louis XIV (PLAD). C'est une des composantes des croyances européennes, un des aspects sans doute que revêtent les esprits des forêts.
Selon Collin de Plancy, Bodin raconte sans rougir qu'en 1542, on vit un matin cent cinquante loups-garous sur une place de Constantinople.
Ce symbolisme de dévorateur est celui de la gueule*, image initiatique et archétypale, liée au phénomène de l'alternance jour-nuit, mort-vie : la gueule dévore et rejette, elle est initiatrice, prenant, selon la faune de l'endroit, l'apparence de l'animal le plus vorace : ici le loup, là le jaguar*, le crocodile*, etc. La mythologie scandinave présente spécifiquement le loup comme un dévorateur d'astres (DURS, 82), ce qui peut être rapproché du loup dévorateur de la caille*dont parle le Rig-Veda. Si la caille est, comme nous l'avons noté, un symbole de lumière, la gueule du loup est la nuit, la caverne, les enfers, la phase de pralâya cosmique ; la délivrance de la gueule du loup, c'est l'aurore, la lumière initiatique faisant suite à la descente aux enfers, le kalpa (CHRC, DANA, DEVA, GUED, GUES, MALA, MASR, RESE, SOUN).
Fenrir, le loup géant, est un ennemi les plus implacables des dieux. Seule la magie des nains peut arrêter sa course, grâce à un ruban fantastique que nul ne peut rompre ou couper. Dans la mythologie égyptienne, Anubis, le grand psychopompe, est appelé Impou, celui qui a la forme d'un chien sauvage (ibid.) ; on le révère à Cynopolis comme dieu des enfer (voir chacal*).
Cette gueule monstrueuse du loup, dont Marie Bonaparte parle dans son auto-analyse, comme étant associée aux terreurs de son enfance consécutive à la mort de sa mère, n'est pas sans rappeler les contes de Perrault : Grand-Mère, comme tu as de grandes dents ! Il y a donc, observe G; Durand, une convergence très nette entre la morsure des canidés et la crainte du temps destructeur. Kronos apparaît ici avec le visage d'Anubis, du monstre dévorant le temps humain ou s'attaquant même aux astres mesureurs de temps.
Nous avons déjà parlé du sens initiatique de cette symbolique. Ajoutons qu'elle donne au loup comme au chien un rôle de psychopompe.
Un mythe Algonquins le présente comme un frère du démiurge Menebuch, le grand lapin*, régnant à l'Ouest, sur le royaume des morts (MULR, 253). Cette même fonction de psychopompe lui était reconnue en Europe, comme ne témoigne ce chant mortuaire roumain :
Paraîtra encore
Le loup devant toi
...
Prends-le pour ton frère
Car le loup connaît
L’ordre des forêts
...
Il te conduira
Par la route plane
Vers un fils de Roi
Vers le Paradis
(Trésor de la poésie universelle, par R. Caillois et J.-C; Lambert, Paris, 1958)
Notons pour conclure que ce loup infernal, et surtout sa femelle, incarnation du désir sexuel, constituent un obstacle sur la route du pèlerin musulman en marche vers La Mecque, et plus encore sur le chemin de Damas, où elle prend les dimensions de la bête de l'Apocalypse.
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